Nous avons raconté dans deux
articles comment Mme de Lespinay, châtelaine de Linières, échappa par deux fois
à la mort pendant la guerre de Vendée. D’abord en mars 2010 dans notre article
intitulé La vicomtesse de Linières sauvée
des noyades à Nantes, complété en octobre 2010 par un autre : La vicomtesse de Linières sauvée des noyades
II. Le premier article était basé sur les Mémoires de la marquise de La
Rochejaquelein. Le deuxième intégrait les deux passages consacrés par
l’historien royaliste J. Crétineau-Joly en 1840 à Mme de Lespinay.
Le passage de la marquise de La
Rochejaquelein, où elle fait allusion au sauvetage de la châtelaine de
Linières, concerne l’histoire de sa femme de chambre Agathe Gingreau. Dans son
récent ouvrage, Vendée les archives de l’extermination
(2013), l’historien Alain Gérard, aborde cette histoire, avec diverses sources
qu’il recoupe. Aussi il serait dommage de se priver du résultat de son travail.
C’est pourquoi, nous reprenons nos deux articles pour n’en faire qu’un seul,
modifiant celui de mars 2010 avec un nouveau titre : Mme de Lespinay échappe à la
mort par deux fois (1793-1794).
Dans la Virée de Galerne
Mariée à l’âge de 16 ans en 1788
à Charles Augustin de Lespinay, Mlle du Vigier, sortant du couvent de Sainte-Croix de Poitiers, vint habiter Linières (Chauché). Elle y mit au monde deux
filles : Henriette baptisée le 7 janvier 1790 et Pauline le 3 octobre
1791. Dans les semaines suivant cette dernière naissance, M. de Lespinay
rejoignit l’émigration, comme beaucoup de nobles en activité habitant la Vendée. Il fut
inscrit au chef-lieu du département, alors Fontenay le Comte, sur la liste des
émigrés le 4 octobre 1793.
Mais entre-temps son domaine de
Linières avait été mis sous séquestre à cause de cette émigration, en juin
1792, avec nomination d’un gardien sur place, inventaire des biens meubles et
immeubles fait par les commissaires du district de Montaigu, et confiscation du
fermage des quatorze métairies du domaine (1).
En mars 1793, le soulèvement
général des populations avait embrasé la région du centre et du nord Vendée, est
Deux-Sèvres, sud de la Loire-Atlantique et sud-ouest du Maine-et-Loire. La loi
du 1e août 1793 donnait un ordre aux soldats de « destruction
totale de la Vendée ». L’historien
A. Billaud écrit : « Les incendies, les massacres, les
viols ont eu ce résultat de vider une partie de la région, de la jeter sur les
chemins avec ce seul souci : éviter la mort ». Les bleus s’attaquent même aux républicains
de la région parfois, et beaucoup de déracinés en fuite de chez eux cherchent
refuge auprès des armées vendéennes. Ce fut le cas de Mme de Lespinay.
Elle fit partie de la cohorte des
civils qui suivirent les combattants dans la Virée de Galerne. Cette expression
désigne la traversée de la Loire effectuée par les armées vendéennes le 18
octobre 1793 pour rejoindre un hypothétique débarquement d’alliés sur la côte
normande et d’improbables renforts en pays chouan et breton. Ils passèrent
35 000 combattants environ, plus 15 000 femmes, vieillards et enfants, fuyant
leur pays après l’échec de la bataille de Cholet (2). La galerne désignait le vent
du nord, c'est-à-dire la direction suivie.
Après une longue errance jusqu’à
Granville, la colonne de Vendéens fait demi-tour et arrive au Mans le 10
décembre 1793. Malgré son jeune âge, Forestier fut désigné pour gouverner la
ville. Henri Forestier était le fils d’un cordonnier de la Pommeraye (Maine-et-Loire), âgé de 18 ans en 1793. Il fut un des premiers à se rallier à
Cathelineau. Il commandait en second la cavalerie et avait été nommé gouverneur
de la ville du Mans pendant son occupation par les Vendéens.
Jean Sorieul : La
bataille du Mans
|
Les malheureux Vendéens, fourbus,
se reposèrent deux jours. Dans la nuit du 12 au 13 décembre les bleus
attaquèrent et gagnèrent la bataille du Mans. Ensuite ils ont fait un massacre
de tous ceux qui n’avaient pas réussi à s’échapper. La châtelaine de Linières
échappa à ce massacre.
Dans ses mémoires, la marquise de
La Rochejaquelein écrit « Marie Marguerite Louise Félicité du Vigier,
née à Poitiers le 9 juin 1772, mariée en 1788 à Charles Augustin de Lespinay,
vicomte de Linières, près Saint-Fulgent en Bas-Poitou, capitaine de cavalerie.
Il émigra, sa femme suivit l’armée vendéenne et fut sauvée par Forestier dans
la déroute du Mans ; elle se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » (3)
J. Cretineau-Joly écrit :
« Forestier, blessé, traîne par la
bride son cheval, blessé lui aussi, et sur lequel il a placé madame de l’Epinay
et ses deux enfants. » (4)
On
sait que l’ainée des petites filles, Henriette a survécut à la guerre de
Vendée, peut-être dans les bras d’une domestique. Sa petite sœur Pauline,
alors âgée de deux ans, est morte en février 1794 (5). L’acte de notoriété qui
en fait état nous apprend que la mère l’avait confiée à une jeune femme âgée de
30 ans, Renée Jousseaume, demeurant au village de la Foliette à Bazoges-en-Paillers. La petite fille est morte dans ses bras, malgré les soins de Pierre
Aubin, officier de santé demeurant à Saint-Fulgent. L’affirmation de
Crétineau-Joly des deux enfants avec leur mère au Mans, n’est donc pas exacte.
D’ailleurs il reste une interrogation : la petite Pauline a-t-elle été
confiée à Renée Jousseaume avant de suivre les armées des insurgés, ou bien était-elle
déjà en nourrice comme le faisaient alors les femmes des milieux aisés ?
Et qui sait si les deux enfants ne sont pas restées à la garde de la même femme
pendant la Virée de Galerne ?
C’est l’occasion de rappeler que
moins de 10 % des participants à la Virée de Galerne y ont survécu. On sait que
leur chemin à pied dans le froid, la pluie, la boue, la faim, les maladies, au
milieu des cadavres, fut un calvaire d’une rare cruauté pour les 50 000
personnes environ qui ont fait partie de cet exode pendant deux mois et demi en
plein hiver.
Arrêtons-nous un instant sur le
mot Bas-Poitou employé par la
marquise de La Rochejaquelein. Elle désigne la Vendée par son nom d’Ancien Régime, manière d’afficher ses opinions en faveur de la monarchie. D’ailleurs
sur le mot de Vendée, ce qu’elle en dit est intéressant : « En
1793, nous prenions le titre « de royalistes du pays insurgé »…Les
républicains nous donnaient exclusivement, même dans la rédaction des
jugements, le nom de « brigands et brigandes » : cette
dénomination nous paraissait tellement ridicule, qu’au lieu de nous fâcher elle
nous portait à rire. » Puis elle poursuit en indiquant que
l’expression « brigands de la Vendée » est apparue dans les
écrits des républicains après les premières batailles. Enfin elle explique
qu’avec le temps, certains combattants des pays insurgés, y compris dans une
partie du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres et de la Loire-Atlantique, formaient
le vœu de garder ce nom de Vendée dans une nouvelle province qui devait émerger
du sang du sacrifice, avec le retour espéré de la monarchie. Dans son livre, « Par
principe d’humanité… La terreur et la Vendée » (1999), l’historien
Alain Gérard a montré comment la guerre de Vendée a été voulue par les
montagnards au sein de la Convention, le mot « Vendée » devenant pour
ses membres synonyme de contre-révolution dès le début du printemps 1793.
Ainsi, le hasard a aidé à choisir le nom du département et la politique, dans
les deux camps, l’a imposé ensuite. « Vendée », une fierté ou un
opprobre pour les générations qui ont suivi.
La mémorialiste indique dans son témoignage qu’après le Mans, la vicomtesse de Lespinay « se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » Crétineau-Joly précise, lui : « Cette pauvre mère, … ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. ». Aucun des deux écrivains n’a pu écrire sans se renseigner auprès de la famille. Il se trouve que l’historien a écrit quatre tomes et la mémorialiste un seul. À notre avis les deux récits se complètent sur ce point.
Sauvetage de la noyade racontée par la marquise de la Rochejaquelein
La mémorialiste indique dans son témoignage qu’après le Mans, la vicomtesse de Lespinay « se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » Crétineau-Joly précise, lui : « Cette pauvre mère, … ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. ». Aucun des deux écrivains n’a pu écrire sans se renseigner auprès de la famille. Il se trouve que l’historien a écrit quatre tomes et la mémorialiste un seul. À notre avis les deux récits se complètent sur ce point.
On sait qu’après le Mans les
Vendéens se sont précipités vers la Loire pour retourner au pays. « Dès
le 13 décembre la ville de Laval voit arriver les premiers fuyards de l’armée
en déroute » (A. Billaud). Le 16, ils arrivent près d’Ancenis.
Forestier fait alors partie des officiers autour du généralissime H. de La
Rochejaquelein. Ils ne pourront pas passer le fleuve occupé par les bleus. La
cohorte des Vendéens en déroute part vers Nort, puis Blain, pour périr à
Savenay les 22 et 23 décembre 1793. Forestier ira jusqu’aux environs de Blain,
d’où il s’échappera pour rejoindre des combattants bretons.
Mme de Lespinay a donc été
capturée près d’Ancenis, c’est à dire dans les jours proches du 16 décembre
1793. Sa capture est une chance dans
l’immédiat, car beaucoup de fuyards ont été massacrés en cours de route. Cela
dépendait des compagnies et des chefs républicains. Mais elle fut emmenée à
Nantes à la fin de l’année 1793. Carrier y régnait en maître alors, et les
noyades dans la Loire avaient déjà commencé à suppléer aux prisons insalubres,
aux fusillades et à la guillotine pour éliminer les ennemis.
Mme de Lespinay était destinée
aux noyades. Elle en réchappa.
Nos deux auteurs racontent ce
deuxième sauvetage, là aussi en se complétant. Mais avant de citer la marquise
de La Rochejaquelein, il faut situer le contexte de son récit. Celle-ci raconte
l’histoire de sa propre servante, Agathe Gingreau, échappant elle-aussi à ses
bourreaux. Et dans ce récit, elle a croisé le chemin de Mme de Lespinay.
Pour raconter l’histoire d’Agathe Gingreau, nous allons reprendre le texte de l’historien Alain Gérard. Il fait intervenir des personnages singuliers : Fouquet, Lamberty, deux préposés aux noyades par Carrier, l’envoyé en mission à Nantes de la Convention, l’ordonnateur des tueries et noyades. C’étaient des hommes de mains prêts à tout, nommés à cause de leur dévouement adjudants généraux (grades d’officiers généraux dans l’administration ou l’état-major des armées de la Révolution française). Lamberty, ancien carrossier, avait des aides : Lalouet, Pierre Robin, O’Sullivan (Irlandais fameux pour sa férocité) et Théodore Lavaux (un gamin aide camp). Voici ce qu’écrit A. Gérard (6) :
Pour raconter l’histoire d’Agathe Gingreau, nous allons reprendre le texte de l’historien Alain Gérard. Il fait intervenir des personnages singuliers : Fouquet, Lamberty, deux préposés aux noyades par Carrier, l’envoyé en mission à Nantes de la Convention, l’ordonnateur des tueries et noyades. C’étaient des hommes de mains prêts à tout, nommés à cause de leur dévouement adjudants généraux (grades d’officiers généraux dans l’administration ou l’état-major des armées de la Révolution française). Lamberty, ancien carrossier, avait des aides : Lalouet, Pierre Robin, O’Sullivan (Irlandais fameux pour sa férocité) et Théodore Lavaux (un gamin aide camp). Voici ce qu’écrit A. Gérard (6) :
« … Terminons par ce qui pourrait bien donner matière à un conte
philosophique et qui permet de moins désespérer de l’humanité. C’est l’histoire
d’Agathe Gingreau, qui a été élevée en même temps que le futur général vendéen
Lescure, et devenue femme de chambre de son épouse, la future marquise de La
Rochejaquelein. Farouchement attachée à ses maîtres, elle les suit lors de la
Virée de Galerne et s’enferme même neuf heures durant dans la voiture où
Lescure vient de mourir, afin de préserver encore un temps sa jeune épouse. À la fin de 1793, elle appartient au groupe de cavaliers vendéens rendu sur la
foi de l’amnistie et aussitôt fusillés. Est-ce d’être une femme ? Pour sa
part, elle est enfermée dans l’Entrepôt.
C’est à partir de là que nous bénéficions de deux sources parallèles et
complémentaires, qui révèlent de façon exceptionnelle les univers mentaux des
extrémistes et des Vendéens. Le 15 février, la veille du départ de Carrier pour
Paris, le Comité révolutionnaire lance un mandat d’arrêt contre Fouquet, l’un
des noyeurs, et bientôt c’est le tour de Lamberty. Suit un procès qui aboutit à
l’exécution des deux principaux préposés aux noyades. Quant aux autres, Lalouet
est comme nous l’avons vu a passé du côté des plus forts, Robin a pu s’enfuir, tandis
qu’à Nantes Lavaux reste l’objet de poursuites et O’Sullivan sera rattrapé plus tard par le procès de Carrier. À aucun
cependant on ne reproche les noyades, mais au contraire d’en avoir préservé
quelques femmes, dont la fameuse Agathe. Du coup, ils sont triplement
coupables, et de « grossière lubricité », qui prouve qu’ils ne sont
pas des Purs, et d’avoir contrevenu aux arrêtés commandant de rapporter les
brigands en prison, et en définitive de complicité de contre-révolution.
Le récit que la marquise de La Rochejaquelein a recueilli de la bouche
de sa femme de chambre, ne diffère pas vraiment quant aux faits, mais infirme
cette interprétation très idéologique. À l’Entrepôt, Lamberty, apercevant cette
« brune piquante » de 26 ans, fanfaronne. « Brigande, as-tu
peur ? » lui lance-t-il. « Non, général, puisque nous venons
nous réunir à la République » réplique la futée. Et l’autre, peut-être
impressionné par tant d’aplomb, de lui prédire que bientôt elle fera moins la
maligne, et qu’elle pourra alors en appeler à sa protection. Une dizaine de jours
plus tard, réalisant qu’elle va être noyée, Agathe le fait venir et il l’emmène
pour profiter de l’aubaine. Et c’est alors qu’il se heurte à une résistance inattendue :
plutôt que d’être déshonorée, la fille veut mourir. Le scélérat est-il
impressionné à ce point par un tel courage ? De céder à la résistance de
cette brunette lui permet-il de se réhabiliter à ses propres yeux ?
Comment le savoir ? Toujours est-il qu’il prend sur lui de la protéger. La
suite permet de discerner d’autres remords secrets. O’Sullivan, celui-là même
qui a dénoncé son propre frère et l’a fait guillotiner, parait poursuivi par
ses cauchemars et surtout par le désespoir de sa femme. Il persuade Lamberty
d’emmener la Vendéenne chez lui. Six semaines plus tard, Fouquet et Lamberty
étant incarcérés au Bouffay, le jeune Robin, venu supprimer Agathe et avec elle
une preuve contre ses complices, cède à son tour aux prières de la brigande.
Réfugiée chez Lavaux, celle-ci est finalement incarcérée jusqu’à la fin de
1794, où elle peut bénéficier de l’amnistie. Singulière histoire en définitive,
difficile à comprendre au regard du sens commun, que celle de ces noyeurs
subjugués par le courage de la petite vendéenne, et guillotinés pour une bonne
action. Bonne il est vrai au regard de la morale naturelle, mais criminelle
pour les purs. »
Revenons au récit de la marquise
de La Rochejaquelein : « Ce même Lavaux avait déjà chez lui la
vicomtesse de Lespinay : dans une des noyades (dans la Loire), elle
avait été sauvée par un volontaire qui était dans le bateau ; au milieu de
la confusion, des ténèbres et des cris, il lui avait donné sa capote, son
chapeau et son fusil et l’avait emmenée comme son camarade. Dès le lendemain de
l’entrée d’Agathe chez Lavaux, on vint l’arrêter, la demandant nommément à Mme
Lavaux ; celle-ci assura de ne pas connaître de Vendéenne et la désigna
comme sa sœur ; la garde voulut emmener cette honnête personne en
prison ; alors ma femme de chambre se dénonça elle-même et fut mise au Bouffay
(prison de Nantes). Mme de Lespinay, inconnue et réfugiée dans le haut
de la maison, se cacha et fut sauvée. » (7)
Le volontaire dont parle Mme de
La Rochejaquelein, le sauveteur dans le bateau de la châtelaine de Linières,
était un membre de la Garde Nationale, un « bleu » comme disaient les
Vendéens. C’était souvent des jeunes gens engagés volontairement pour défendre
l’ordre public et les nouvelles autorités nées de la Révolution.
Crétineau-Joly décrit plusieurs
noyades du conventionnel Carrier dans la Loire, appelées par dérision,
notamment des « immersions
patriotiques ». Et à cette occasion il raconte l’histoire de la
châtelaine de Linières. Quand il publie son livre en 1840, son fils est député
de la circonscription des Herbiers en Vendée. Il a dû prendre ses précautions
avant d’écrire une histoire aussi personnelle sur sa mère. Voici l’histoire
probablement validée par la famille (8) :
Sauvetage de la noyade racontée par Crétineau-Joly
Jacques Cretineau-Joly
(1803-1875)
|
« Au milieu de ces immersions
patriotiques, il se présente sur les bords de la Loire un sergent d’artillerie
nommé Hocmard. Il vient pour réclamer sa sœur que les noyeurs ont comprise dans
leur contingent de victimes. Il a obtenu de Carrier l’autorisation si rarement
accordée de la retirer des galiotes.
Sa sœur est déjà en Loire,
morte par conséquent.
À la vue de toutes ces femmes qui
attendent, sous un froid de janvier, le sort auquel il n'a pu arracher sa sœur,
le sergent Hocmard est saisi d'une sainte pensée. Il s’approche de celle qui
vient de lui dire que sa sœur a cessé de vivre. Il jette un manteau sur ses
épaules nues, puis se présentant aux satellites de la mort : « Voici ma sœur
et son laisser‑passer », dit‑il en affectant une joie alors loin de son âme.
C'était la vicomtesse de l'Epinay que ce noble soldat venait de sauver.
Cette pauvre mère, préservée
des noyades par un prodige, ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. L'un est mort de
faim ; l'autre, conservé par le dévouement d'une domestique, qui mendiait pour
donner du pain au fils de ses maîtres, ne résista pas longtemps à cette misère
de toutes les heures. Madame de l'Epinay fut plus heureuse ; elle survécut et,
d'un second mariage avec M. Guyet-Desfontaines, elle eut un fils, aujourd'hui
député de la Vendée. »
La mémorialiste parle d’un
volontaire, notion vague, lequel pouvait bien être le sergent d’artillerie
qu’indique l’historien. Les deux auteurs décrivent le départ des lieux de la
noyade avec similitude (la capote sur les épaules). Crétineau-Joly est plus
précis en nommant le sauveteur, en expliquant sa motivation et son
autorisation. Celle-ci est parfaitement plausible. Pour l’obtenir il fallait
être proche de Carrier ou de ses hommes de mains. Lavaux, chez qui est réfugiée
Mme de Lespinay ensuite en est un, et les motivations de ces hommes peuvent être
diverses.
Les noyades de prisonniers à Nantes en 1794 |
Crétineau-Joly donne une
précision : c’est en janvier que Mme de Lespinay a été sauvée de la
noyade. Au vu du récit d’A. Gérard, Mme de Lespinay était encore chez Lavaux
vers la fin février 1794. Un détail pour nous, mais une éternité pour la victime ! Pire :
on sait que c’est en février 1794 qu’est morte sa deuxième fille, âgée de 2
ans, Pauline (9).
Conclusions
L’historien comme la mémorialiste
sont imprécis sur la seconde vie de la vicomtesse de Lespinay après son
divorce. Ce n’est pas étonnant puisque les familles de Lespinay et Guyet se
sont violemment opposées dans le divorce qui a suivi entre M. et Mme de
Lespinay, le domaine de Linières changeant de mains par la même occasion. Et
puis la naissance de Guyet-Desfontaine a fait l’objet d’une fausse déclaration
à l’état-civil sur le nom des parents. Bref, pas facile d’y voir clair dans ces
itinéraires personnels, et il nous semble que les approximations relevées chez
les deux auteurs en ce domaine méritent l’indulgence.
Par contre, la version de
Crétineau-Joly comprend une erreur de taille au sujet des deux filles de Mme de
Lespinay, qu’elle avait emmenées dans la Virée de Galerne. L’aînée a survécut
et est morte en 1811. Crétineau-Joly affirme ici son décès, erreur factuelle
qui se double d’une description romanesque de la mort, bien dans son style,
mais portant à la méfiance.
De plus, cette histoire du
sergent Hocmard ne convainc pas dans sa totalité. Mme de Lespinay ne s’est pas
réfugiée d’elle même chez Lavaux, l’aide de camp de Lamberty. Le sergent
Hocmard, probablement en garnison à Nantes, n’a pas pu emmener chez lui sa
« sœur de substitution ». Mais pourquoi l’avoir mise entre les mains
de Lavaux, alors que sa vraie sœur avait bien un endroit où vivre avant sa
capture et qu’il fallait gérer la supercherie sur l’identité de la
rescapée ? Faute de réponse à cette question, on est en droit d’hésiter entre
la version bien plus discrète d’une femme comme la marquise de La
Rochejaquelein, qui a vu mourir son mari et son bébé dans la Virée de Galerne,
et la version peut être trop précise du récit de J. Crétineau-Joly.
A-t-on tout dit ? Cette
question nous conduit à soulever un sujet délicat et malaisé, celui du viol. La
souffrance intime qui s’en suit impose très souvent le silence aux victimes, on le sait. Que
Mme de Lespinay ait voulu le cacher si elle en a été victime, quoi de plus
normal ? Mais celle-ci devait raconter une histoire plausible pour garder
son secret en elle. Il ne reste plus qu’à le respecter s’il y a lieu, comme peut-être Mme
de La Rochejaquelein l’a fait dans ses mémoires.
Celle-ci
s’y révèle dans toute sa vérité, et parmi ses lecteurs il faut relever les
impressions d’un républicain radical comme Clemenceau, le « chouan bleu »,
comme on l’a parfois appelé assez justement. Il a écrit :
« Je relis en ce moment les mémoires
de Mme de la Rochejaquelein. C’est bien. Il y a un idéal. Et pour défendre cet
idéal il y a quelque chose de buté, de borné, de sauvage, qui me plaît »
(10).
D’autres historiens ont repris l’histoire de Mme de Lespinay sauvée des
massacres du Mans et des noyades de Nantes. Ainsi en 1930 G. Gautherot dans son
livre très engagé côté blanc, L’épopée
vendéenne. Sa version du sauvetage de la noyade fait intervenir la femme de chambre de la vicomtesse
de Lespinay. Un officier républicain (non nommé) indique à cette dernière qu’il
va chercher un manteau pour la sauver. Mais au retour il se trompe et revêt la
femme de chambre de son manteau. Alors celle-ci réagit : « vous vous trompez,
dit-elle simplement, voilà ma maîtresse ; moi je ne suis rien ». Et l’historien
termine son récit par cette courte phrase « Elle suivit ses bourreaux »
(11). Il n’indique pas sa source documentaire et son livre est écrit en noir et
blanc : les héroïques vendéens d’un côté et les infâmes massacreurs républicains
de l’autre. L’héroïsme de cette hypothétique femme de chambre n’est pas
invraisemblable, mais il manque de preuve dans ce livre.
Enfin pour terminer, on ne peut
s’empêcher de faire le lien, après ces terribles épreuves qu’a traversées la
jeune vicomtesse de Lespinay, âgée alors de 21 ans, et sa rencontre amoureuse
avec un compatriote âgé de 2 ans moins qu’elle, deux ans plus tard. Voir notre
article sur son divorce en janvier 2010.
(1) Archives de Vendée, notaire Allard des
Herbiers : 3 E 019, acte de notoriété du 12 germinal an 11 demandé par B.
Martineau (vue 202/492).
(2) P. Greau, La Virée de Galerne, Pays et terroirs Cholet (2012), pages 67 et 99.
(3) Mémoires de la marquise de la Rochejaquelein, Mercure de France (1984), page 413.
(2) P. Greau, La Virée de Galerne, Pays et terroirs Cholet (2012), pages 67 et 99.
(3) Mémoires de la marquise de la Rochejaquelein, Mercure de France (1984), page 413.
(4) J. Crétineau-Joly, Histoire
de la Vendée militaire (1840) T 1, page 458.
(5) Archives de la Vendée, justice
de paix de Saint-Fulgent : 4 U 25/31, acte de notoriété du 21 vendémiaire an 10 de
la mort de Pauline de Lespinay.
(6) Alain Gérard, Vendée
les archives de l’extermination, édition du CVRH (2013), page 270.
(7) Idem (3).
(8) J. Crétineau-Joly, Histoire
de la Vendée militaire (1840) T 1, page 527.
(9) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé
Boisson : 7 Z 20, Mme Duvigier/Lespinay.
(10) Jean Martet, Le silence de M. Clemenceau, Albin Michel, 1929.
(11) G. Gautherot, L’épopée vendéenne, Mame et fils, 1930, page 287.
(11) G. Gautherot, L’épopée vendéenne, Mame et fils, 1930, page 287.
Emmanuel François, tous droits réservés
Bravo la Révolution Française! Ne serait-ce pas un crime contre l'humanité non prescrit évidemment.Qui aura l'audce de porter plainte au Tribunal International.Monsieur Jacques Lang peut-être?
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