Jules Alexis Muenier : La leçon de catéchisme |
Diable ! est-on tenté de s’exclamer... ou mon Dieu ! Sur Saint-André-Goule-d’Oie ou Saint-Fulgent, on ne trouve pas d’allusion à ce catéchisme au nom apparemment « pas catholique ». En revanche l’évocation du clergé étranger ne nous étonne pas, puisqu’à cette époque le diocèse de Luçon manquait de vocations et avait dû faire appel à des prêtres venus de l’étranger. Ainsi de Jean Baptiste Poulain, prêtre de la province de Normandie, inhumé le 30 octobre 1688, d’Eustache Madeline, inhumé le 6 juillet 1699, qui était originaire de Vire en Normandie, ainsi que de Guillaume Burk, prêtre irlandais du diocèse de Cloufart (province de Conacy), décédé le 15 novembre 1701 dans la maison noble de Boisreau, et inhumé à Chauché comme les deux précédents (2).
Quant aux « motifs terrestres et au vil intérêt de ces prêtres », Jude Bellouard ne précise pas sa pensée. Peut-être fait-il allusion au laisser-aller de ses prédécesseurs à Chauché au temps des évêques jansénistes de Luçon. Ainsi Jacques Dorinière, prêtre, inhumé à Chauché le 24 janvier 1687, avait eu un fils à l’âge de 27 ans avec Suzanne Ayrault (qui fut inhumé à Chauché le 7 août 1674). Il était diacre au moment
de cette naissance. Peut-être aussi avait-on gardé le souvenir de la querelle, au début des années 1600, entre le curé Barbot et son vicaire Normandin, pour la possession de la cure (3). Bref, Chauché avait connu un clergé indigne autrefois.
Mais cette attaque du titulaire de la modeste cure de Chauché envers l’évêque de Luçon, sur le terrain même de la religion, étonne. Alors, de quoi s’agit-il ?
Le catéchisme des Trois Henri doit son nom au prénom des trois évêques qui le propagèrent à la fin du XVIIe siècle dans leurs diocèses, celui de Luçon (Henri de Barillon), celui de la Rochelle (Henri de Laval) et celui d’Angers (Henri Arnaud). Rédigé de manière simple, souvent avec des questions/réponses, il avait pour but d’enseigner la religion catholique dans les familles. À cette époque, chaque évêque écrit ou approuve un manuel d’enseignement dans son diocèse, appelé catéchisme, pour bien se démarquer de l’hérésie protestante. Publié en 1676, le catéchisme des Trois Henri fut interdit ensuite en 1701 dans le diocèse de Luçon par les successeurs de Mgr de Barillon, Mgr de Lescure et Mgr de Rabutin, très antijansénistes. C’est que Mgr de Barillon avait eu des sympathies pour le jansénisme et son prédécesseur, Mgr de Colbert, avait pris position contre le pape, quand celui-ci avait condamné Jansénius. Cette interdiction du catéchisme des trois
Henri relevait d’une chasse au jansénisme en considération des personnes, plus que du texte même incriminé.
Ce monseigneur de Barillon avait
été généreux envers la confrérie de la Charité de la paroisse de Chauché. À sa
mort il lui avait légué une somme de 50 livres. Elle fut mise au coffre de la
confrérie le 2 août 1699 en présence des officières, par le curé
Clément Thibaud et le procureur des pauvres, maître Jacques Basty, sieur de la
Perrauderie (4).
Jansenius |
Louis XIV, chef de l’Église catholique de France, réprima les jansénistes avec brutalité, créant de ce fait un
problème politique. Dans cette querelle, l’ordre des jésuites se mit en avant pour défendre le pouvoir du pape. Les deux camps ennemis, les jansénistes et les jésuites, ne s’alimentaient que d’exclusives, mettant aussi en œuvre les moyens judiciaires et politiques à leur disposition, puisque l’Église et l’État étaient fortement liés l’un à l’autre à cette époque. L’État national français,
centralisé et bureaucratique est né au 17e siècle, la Sorbonne s’affichant
plus nationaliste que jamais et l’Église de France penchant vers le
gallicanisme. Aussi quand le pape demanda aux jésuites d’influer pour faire
appliquer sa bulle Unigenitus contre les jansénistes, ils apparurent
transnationaux, aux ordres de l’étranger représenté par le pape, se heurtant à
la fin du règne de Louis XIV à la naissante affirmation du nationalisme
français. D’une affaire de
religion on avait fait une affaire politique.
Mrg de Verthanon, de tendance janséniste, fut nommé évêque de Luçon en 1737. Par ses maladresses et ses provocations il ralluma dans son évêché la querelle des jansénistes et des jésuites (6). Ceux-ci enseignaient au séminaire et ils avaient dans le même camp qu’eux, la majorité des chanoines de la cathédrale, et aussi les Ursulines de Luçon. L’évêque prit des mesures (nominations) qui mirent le feu aux poudres. On en vint aux mains dans la cathédrale et au couvent des Ursulines. En 1751 il décida de rétablir l’usage de l’ancien catéchisme des Trois Henri, remplacé depuis 1701. Ce manuel rappelait de manière classique l’essentiel des dogmes catholiques pour l’éducation des gens simples. Il était exempt de toute hérésie. Mais beaucoup refusèrent dans le clergé vendéen de l’enseigner, par sectarisme envers l’évêque, accusé à juste titre de jansénisme. Le parlement de Paris fut saisi, qui confirma la décision de l’évêque d’expulser les jésuites du séminaire de Luçon. On s’en rapporta au pape, qui refusa de condamner le catéchisme des Trois Henri. La querelle ne prit fin dans le diocèse qu’avec la mort de l’évêque en 1758.
Dans son livre récent, Mme
Françoise Hildesheimer, Rendez à César,
l’Église et le pouvoir, met en lumière l’enjeu politique du jansénisme à
cette époque. D’abord il y avait les rapports de l’Église de France et du roi
depuis le concordat de 1516, conclu entre François 1er et le pape. Il
eut pour conséquence de placer les évêques dans un rôle d’instrument de
direction de l’opinion au service du roi de France. Ensuite des spiritualités
nouvelles, fruits de la contre-réforme catholique, comme le jansénisme,
répondirent à un besoin d’absolu. Mais l’absolu de Dieu risquait d’apparaître
comme une renaissance de l’insoumission protestante, alors que l’esprit
d’autorité triomphait dans l’Église et le royaume. En promouvant une conscience
plus indépendante, le jansénisme portait un potentiel de désobéissance civile. Alors que les jésuites, au début
utilisés par le pouvoir politique contre les jansénistes, portaient eux un esprit universaliste, mais au
service du pape, ce qui les éloigna des philosophes des lumières et du parlement de Paris au 18e siècle.
(1) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 85 (vue 342 sur Gallica)
(2) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 82 (vue 339 sur Gallica)
(3) Rapports des chefs de service au Conseil Général de la Vendée, lors de sa 2e session en 1899. Voir 2e chapitre du rapport, page 84 (vue 341 sur Gallica.fr)
(4) Archives historiques du diocèse
de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 28-1, registre de la confrérie de
la Charité de la paroisse Saint-Christophe de Chauché, page 54.
(5) H. X. Arquillière, Histoire de l’Église (1941), Éditions de l’École, page 343
(6) J. F. Tessier, de Verthanon évêque de Luçon jalons pour un itinéraire, 2e partie, annuaire de la société d'Émulation de la Vendée, 1988, page 73 et s.
Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2011, complété en mars 2018
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