Dans le Fonds Amaury-Duval de la société Éduenne d’Autun, ont été conservés quelques programmes et affiches des soirées et fêtes organisées chez les Guyet-Desfontaines. Nous reproduisons ici le programme le plus ancien.
Concert chez Mme Guyet-Desfontaines en 1847
Il n’est pas daté, mais au vu du catalogue des œuvres jouées, les morceaux qui figurent ici donnent une date approximative vers 1847. On peut lire :
Programme
1ière Partie
1° Symphonie en quatre parties ………….…………………….…..H. Reber
2° Pavane chant du 160 siècle ………………………………..... Thoinot Arbeau
Accompagnement de Mr Weckerlin
3° Air des Abensserages Chanté par Mr Delsarte …............... .…Cherubini
4° Solo de harpe exécuté par …………………………………...…Godefroid
5° Prière avec cœur chantée par Mr Delsarte ..................… . Mlle Louise Bertin
2ière Partie
Ouverture et Morceaux détachés de La Nuit de Noël par …........ H. Reber
Couplets chantés par Mme Mamignard
Air chanté par Mr Bussine
Duo (il m’a battue) chanté par Mme Mamignard et Mr Mocker
Air chanté par Mr Mocker
Duo et Trio final chantés par Mme Mamignard et MMr Mocker & Bussine
L’orchestre sera dirigé par Mr Seghers
Les chœurs seront conduits par Mr Weckerlin
Amaury-Duval : Henri Reber (1852) (musée de Mulhouse) |
Nous avons publié en septembre 2012 sur ce
site un article intitulé : La symphonie no 4 d’Henri Reber.
Salle de concert Herz en 1843
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La symphonie jouée ici est la No 1 ou la No 2. La Nuit de Noël est un ouvrage en trois actes, qui fut représenté à l’Opéra-Comique au début de 1848 et disparut de la programmation avec la Révolution de février.
Cette amitié avec Henri Reber a inspiré à Emma Guyet le personnage principal d’une nouvelle qu’elle a publiée en 1868 : Une Histoire de piano. Rarement le compositeur a été croqué aussi justement et amicalement, notamment dans ses habitudes, comme celle consistant à se retirer du monde pour composer : « Veuillez me pardonner de vous écrire une lettre aussi bête et aussi décousue. Mais dans ma retraite, qu’on pourrait appeler une tanière, je n’ai pas beaucoup de choses intéressantes à communiquer ; un jour ressemble à l’autre ; on pourrait appeler cela de la monotonie, mais j’appelle cela du calme.
Bien, chère Madame Guyet, ne tardez pas à me répondre, je vous en prie. Mes amitiés les plus vives et les plus sincères à ce bon M. Guyet que j’aime de tout mon cœur. Ne m’oubliez pas non plus auprès de tous nos amis, ainsi qu’auprès de Mlle Isaure et d’Amaury. » (4)
Notons aussi le portrait de Reber (ci-dessus) dessiné par Amaury-Duval (1852, Mulhouse, musée des Beaux-arts), et celui sur une fresque du château de Linières. Emma Guyet lui offrit dans son
testament en 1868 une tabatière de son choix d’un prix de 500 F. Et elle
demanda qu’on chante à sa sépulture du Beethoven et du Reber.
À l’époque de ce programme musical en 1847, François Seghers (5), qui dirige l’orchestre chez Guyet-Desfontaines, étant chef d'orchestre et violoniste, réfléchissait à créer une nouvelle société de concerts (6). C’est ce qu’il fit avec des collègues en 1849 avec la Société Sainte-Cécile pour aborder un répertoire plus novateur et faire applaudir Reber, Gouvy, Gounod et Saint-Saëns. Reber fut au début chef de chants à la Société Sainte Cécile, remplacé par Weckerlin (7). Seghers reçut le soutien de Mme Guyet-Desfontaines. Mais cela ne suffit pas à sauver l’entreprise qui ne dura pas, faute d’une stratégie adaptée à son marché.
Sur ses ruines, Pasdeloup (8) lança la Société des jeunes artistes du conservatoire (qui donnait ses concerts dans la salle de M. Herz) à partir de 1853. Puis, en 1861, il créa les Concerts populaires.
Pour terminer sur ce programme, précisons qu’H. Reber n’est pas le seul créateur contemporain à l’honneur. Dieudonné Félix Godefroid (1818-1897) – ne pas confondre avec son frère Jules- est un auteur de pièces pour la harpe, entre autres, dont il était un virtuose.
Et Louise Bertin, fille et sœur des directeurs du Journal des Débats, pour qui V. Hugo a écrit le texte d’un opéra (La Esmeralda), sa présence au programme est celle d’une artiste reconnue autant que celle d’une amie intime. Et à côté des auteurs contemporains, nous trouvons un musicien reconnu avec Luigi Cherubini (9) et un compositeur de la Renaissance, Thoinot Arbeau (1519-1595), dont la présence au répertoire témoigne d’une vraie érudition musicale.
Louise Bertin |
Mme Mamignard, sœur de Darcier, était une des étoiles du
chant à l’Opéra-comique. Ernest Mocker (10) est un habitué du salon, ainsi que François Delsarte (11). et Romain Bussine, (12) venant du conservatoire de Paris et de l’Opéra-Comique. Comme on le voit, ce programme musical ne représente pas qu’une soirée musicale pour distraire des bourgeois aisés. Il témoigne d’une participation à la création artistique de son époque. Et le fait n’est pas unique.
Son soutien à Berlioz
Les goûts musicaux d’Emma Guyet ne se bornaient pas au style classique de Reber. Elle a aussi aidé Berlioz, le grand musicien romantique, auteur de la Symphonie Fantastique. J. B. Weckerlin (7) raconte la genèse de l’oratorio de Berlioz, l’Enfance du Christ. L’œuvre remporta un vif succès à partir de 1855 (13), alors qu’elle est très classique et assez éloignée de la manière gracieuse et romantique de l’auteur. Weckerlin écrit :
« C’est dans les salons de Mme Guyet-Desfontaines qu’on exécuta d’abord La Fuite en Égypte, fragment d’un mystère de Pierre Ducré, maître de musique à la Sainte Chapelle en 1679. Il n’y avait que ce qui forme aujourd’hui la deuxième partie de l’Enfance du Christ : ouverture, adieu des bergers et solo de ténor.
Quand Seghers m’apporta ce soi-disant mystère, à la première lecture des chœurs je lui dis : « votre mystère n’a seulement pas vingt ans. » Seghers me fit : pschitt, pschitt : Berlioz était au bout de la salle des répétitions causant avec M. Bez (14). 1769, c’était l’année ou Lully donnait son opéra Bellerophon, on n’avait qu’à comparer. Berlioz prenait son public pour une huître, ou bien il ne se rendait pas compte de la musique qu’on faisait alors. À la fin de la répétition, je dis à Seghers : cela doit être de Berlioz ; nouveau pschitt !
La Société Saint Cécile n’exécuta qu’en 1853, le 18 décembre, les trois morceaux de La Fuite en Égypte, fragments d’un morceau en style ancien, le solo de ténor chanté par M. Chapron de l’Opéra-Comique. Ce n’est que depuis ce temps-là que M. Berlioz a complété son œuvre, finalement appelée l’Enfance du Christ. » (15)
Formée à l’art des classiques, dans la musique et les autres arts, Emma Guyet semble être restée attachée à cette école, même si elle a aidé Berlioz, l’emblème des musiciens français romantiques. À titre d’exemple, elle a rencontré Litz (16) chez Sophie Gay, mais ce dernier ne semble pas l’avoir intéressée. Elle n’est pas comme Balzac qui un soir, ayant entendu Litz jouer magnifiquement chez Erard, s’exclame devant lui : « Bravo ! Sublime ! C’est le Dieu du piano ! » Et pour exprimer son enthousiasme il se roule sur le parquet (17). De même elle se moque de Paganini, « l’éternel premier violon de l’Europe » (18).
Cette implication d’Emma Guyet dans la vie musicale de son temps n’est pas étonnante quand on se souvient que pour gagner sa vie, elle a donné des cours de chants et de piano à Paris, et même à Londres en juin 1829.
Choriste de talent avec son frère Amaury-Duval
On a une lettre d’elle à son frère en 1844, alors que ce dernier est en Italie, qui montre leur pratique du chant à tous les deux. Et toujours le style si spontané et le ton espiègle d’Emma, que nous préférons reproduire tel quel :
Ambroise Thomas |
J’oubliais le plus beau. L’ambassadeur de Constantinople est enrôlé, c’est notre camarade (22). Il a chanté hier. (Est-ce bien sûr qu’il ait chanté, je ne l’ai pas entendu). Reber, dans un moment où ce haut et puissant diplomate a risqué un son, a dit, sans cesser de battre la mesure, et sans lever les yeux de sa partition, qu’est-ce que j’entends par là (c’était à côté de l’ambassadeur), qu’est-ce qui chante faux ? Tout le monde a frémi. Eh bien, pour la première fois de sa vie de diplomate, le pauvre choriste improvisé a répondu avec une franchise qui mérite l’ordre de la jarretière : c’est peut-être moi ! C’était lui.
Mlle Louise, toujours la même, criait à tue-tête : pianissimo ! Elle a fait un nouveau chœur fort beau, large, assez calme et suivi. Elle te pleure à chaque phrase : j’ai perdu le plus beau fleuron de ma couronne, s’écrie-t-elle ! Jeudi prochain Jousserando y sera. Elle en a d’avance des crispations. Édouard (23) ne sait pas mieux ses parties et fiche toujours les partitions par terre ; enfin, mon cher ami, nous serions conservés dans de l’esprit de vin [alcool], que nous ne serions pas plus pareils à l’année dernière.
L’ambassadeur a été charmant pour moi, il en est trop heureux d’être choriste. C’est bien de l’honneur pour nous, ai-je répondu, en baissant les yeux : Ah Madame, le bonheur est pour moi et je ne pourrais m’empêcher d’en parler au Sultan. Mais si cela le tentait, ai-je dit, il y a place pour lui. Un moment j’ai cru jouer les Trois sultanes ! (24) Puis on a apporté des gaufres, de la galette, de la bière, et à une heure on s’est dit adieu.
Ce soir on donne la première représentation de Marie Stuart (25) à l’Opéra, et je n’y suis pas ! J’ai cependant bien intrigué pour cela et je ne verrai que la deuxième. Pillet (26) a donné toute la salle. Il a écrit à tous les feuilletonistes, lui-même. Mme Stolz (27) est allée chez Armand (28). Il avait du monde, il l’a fait attendre dans son salon, et quand il a été libre, elle était partie ! partie ! et dans quelle colère. Charmant ! » (29).
Michel Labonne : Les musiciens
(Galerie Moineau, Nantes)
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Qui plus est, la présence des deux compositeurs de musique, Ambroise Thomas et Henri Reber, ensemble, l’un au piano et l’autre à la direction d’orchestre, situe la haute qualité artistique du groupe de chanteurs. Cette présence n’est pas sans poser de problèmes, d’ailleurs. Ce sont deux égos d’artistes doués qui se frottent parfois, mais ils sont amis et s’apprécient. Ils sont aussi de la même mouvance libérale, ce qui créera une difficulté en 1871 au gouvernement républicain provisoire pour choisir le nouveau directeur du conservatoire de musique (30). Ils sont en concurrence. La fille d’Armand Bertin (Mme Léon Say) soutient Reber, ainsi qu’Étienne Arago (31). Le ministre de l’Instruction Publique, Jules Simon, nommera Thomas directeur et Reber inspecteur. Avec des convictions fermes, J. Simon pouvait se montrer d’exécution souple.
Que de monde rencontré quand la propriétaire de Linières s’adonne à la musique !
(1) Théophile
Gauthier (1811-1872) poète, romancier, peintre et surtout critique
d'art.
(2) Henri Herz
(1806-1888) est un pianiste et compositeur célèbre à son époque, qui ouvrit une
manufacture de piano à Paris et une salle de concert à son nom.
(3) T. Gautier, Histoire de
l’art dramatique en France depuis 25 ans (1859).
(4) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval :
K8 33, lettre d’Henri Reber à Emma Guyet du 15-7-1841.
(5) François
Seghers (1810-1881) avait été cofondateur de la Société des
concerts du conservatoire, dont il était premier violon. Avec sa femme, ils ont été les professeurs de piano de Cosima
Litz.
(6) Léon Kreutzer dans la Revue
contemporaine vol. 5.
(7) Jean Baptiste Weckerlin (1821-1910) fut un compositeur
notamment de pièces vocales et un harmonisateur renommé.
(8) Jules Étienne Pasdeloup
(1819-1887) est un chef d'orchestre.
(9) Luigi Cherubini (1760-1842), compositeur franco-italien, a composé Les Abencérages, opéra-ballet en 3 actes.
(10) Ernest Moker (1811-1895) fut chanteur
à l’Opéra-comique (basse) et professeur.
(11) François
Delsarte (1811-1871) fut chanteur
(ténor) à l’Opéra-Comique, et professeur.
(12)
Romain
Bussine (1830-1899) fut poète et
professeur de chant. Le célèbre morceau de Gabriel Fauré Après un rêve a été inspiré d’un poème de Bussine, de même
que Sérénade
Toscane.
(13) dans la salle de
l’Opéra-comique le 7 avril 1855.
(14) Président de la Société Sainte Cécile.
(15) Le Menestel
du 4-2-1900, article de Weckerlin sur l’Enfance du Christ, de Berlioz.
(16) Franz Litz (1811-1886), pianiste
virtuose hongrois et compositeur de musique romantique.
(17) Gonzague Saint Bris, Balzac une vie de roman, Ed. Télémaque
(2011), page 237.
(18) Amaury-Duval, Souvenirs (1829-1830), Plon (1885), page 63. Niccolo Paganini
(1782-1840) est un violoniste virtuose italien et compositeur de musique
romantique.
(19) Louise Bertin, poétesse, chanteuse, compositeur de musique.
(20) La Piron, La Martini, la Roger : chanteuses d’opéra.
(21) Ambroise Thomas
(1811-18996) rencontra Amaury-Duval en 1830 à Rome,
composa des opéras, devint professeur de composition au Conservatoire de Paris
en 1856, et
directeur en 1871 (en concurrence avec Reber). On lui doit la version
officielle de la Marseillaise, en vigueur de 1887 à 1974. Il joua souvent dans
les fêtes des Guyet-Desfontaines comme simple pianiste.
(22) Prince Kallimaki, de religion orthodoxe grecque et aussi gouverneur de
l’île de Samos.
(23) Édouard Bertin, frère de Louise (19), peintre et directeur du journal
des Débats.
(24) Comédie en trois actes et en vers de Charles Favart (1761).
(25) Opéra en 5 actes, paroles de Théodore Anne, musique de Niedermeyer,
représenté à l’Opéra de Paris le 6 décembre 1844. L’ouvrage n’obtint qu’un succès d’estime, malgré la
performance de la cantatrice Mme Stoltz (selon un critique de l’époque).
(26) Léon Pillet, directeur de l’opéra depuis 1841, avait donné
beaucoup d’invitations.
(27) Rosine Stoltz (1815-1903),
de son véritable nom Victoire Noël, était une célèbre cantatrice. Elle débuta
le 25-8-1837 à l’Opéra (dans La
Juive), qu’elle quitta en 1847.
(28) Armand Bertin, frère de Louise et d’Édouard, directeur du Journal
des Débats.
(29) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval :
K8 33, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 6-12-1844.
(30) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval :
K8 33, lettre de Henri Reber à Amaury-Duval du 29-5-1871.
(31) Étienne Arago (1802-1892) est un dramaturge et homme
politique républicain, né à Perpignan. Sa vie mouvementée l’amena, notamment, à se cacher en Vendée après 1834 pour
se soustraire à la police, poursuivi pour avoir participé à des insurrections
républicaines. Il sera maire de Paris en 1870. Il est l’un des frères du
célèbre savant français (astronome, physicien, mathématicien) François Arago (1786-1853),
qui fut aussi député avant d'être ministre de la Marine et des Colonies en
1848 (signataire du décret abolissant l'esclavage dans les colonies).
Emmanuel François, tous droits réservés
Mars 2012
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Cher Monsieur.
RépondreSupprimerFaisant des recherches sur le violoncelliste Alexandre Batta, j'ai trouvé votre article. En 1841, Batta a dédié son Fantaisie sur 'Lucia di Lamermoor' pour violoncelle avec accompagnement de piano "A Madame Guyot Desfontaines". Sauriez-vous me dire si, dans le fonds que vous avez étudié, se trouvent des documents qui concernent Alexandre Batta?
En vous remerciant beaucoup,
meilleures salutations,
Frans van Ruth
(Eindhoven, Pays-bas)
A. Batta était un familier du salon d'Emma Guyet-Desfontaines, où se rencontraient surtout des artistes. Il y joua. A ce titre je crois me souvenir qu'il fait partie des familiers ayant été "croqué" par le caricaturiste J. A. Barre. Vous pourriez le vérifier au musée de la Monnaie à Paris où ils sont conservés.
RépondreSupprimerDans le fonds Amaury-Duval au musée Rolin d'Autun (Saone et Loire), il est probable que s'y trouve du courrier reçu par Mme Guyet-Desfontaines d'Alexandre Batta. Il ne fait pas partie de la sélection des notes que j'y ai prises.
Une autre chercheuse, Véronique Noël Boutin Rollet, a peut-être conservé des notes plus complètes et pourraient répondre.
Emmanuel François