Louis Corbier (1705-1761)
Dans la première moitié du 18e siècle, le propriétaire du fief du Coudray à Saint-André-Goule-d’Oie s’appelait Louis Corbier, sieur de Beauvais. Il était né en 1705, du remariage à Fontenay-le-Comte d’Artus Venant Corbier avec Louise Billaud. Son père, d’origine bourgeoise, avec des parents provenant des milieux de la médecine et de la magistrature, avait acheté le fief du Coudray aux de Royrand vers 1700, où sa première femme, Marie Moreau, possédait déjà par héritage des biens fonciers.Dragons |
Louis Corbier s’est marié en 1738
à Foussais (Vendée) avec Charlotte de Puyrousset, fille d’un noble dont les
ancêtres avaient été pairs de la ville de la Rochelle. Il vécut au Coudray,
menant une vie de propriétaire foncier, y possédant une métairie, ainsi qu’une
borderie aux Gâts (les deux à Saint-André-Goule-d’Oie), une borderie à Villeneuve
(près de Saint-André à Chauché), une métairie à Saule (Verrie) et la métairie des
Piots en la paroisse de Saint-Pierre de Cholet.
Son épouse mit au monde deux
enfants entre 1739 et 1743, qui moururent tous les deux en bas âge.
Louis Corbier décéda au Coudray à l’âge de 57 ans,
le 13 novembre 1761. Il avait fait son testament en faveur de sa femme dix
jours auparavant, le 3 novembre 1761, sentant sans doute sa mort approcher. Sa
femme est morte sans postérité avant le 7 mai 1784.
L’inventaire des biens meubles après décès
L’inventaire de ses biens après son décès, a fait
l’objet d’un acte notarié en février 1762. Celui-ci est conservé dans les archives du
notaire de Saint-Fulgent de l’époque, Frappier, sieur de la Rigournière (1). Parmi
les informations intéressantes à étudier qu’on y découvre, se trouve la liste
des livres de la bibliothèque.
L’inventaire après-décès
obéissait à une réglementation précise et devait contenir la description
chiffrée de tous les biens du défunt : biens meubles, rentes, terres et
immeubles, dettes passives et actives, ainsi que l’identité des héritiers. Le
notaire de Saint-Fulgent a fait son travail en présence du procureur fiscal de la
baronnie des Essarts, dont le fief du Coudray dépendait en matière de haute justice,
comme toute la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie. Il faut rester prudent sur la portée de tels
inventaires. Ceux-ci pouvaient négliger des imprimés sans valeur, constituant
des lectures plus fréquentes. Des livres précieux ou jugés dangereux pouvaient
être soustraits de la succession avant l’inventaire. Et rien ne prouve
que le possesseur des livres les avait achetés lui-même ou lus. Certains ont vraisemblablement plus intéressé son
épouse. Avec une bibliothèque aussi peu fournie (17 titres), nous avons cependant l’impression de ne pas avoir affaire à un intellectuel. La
lecture ne faisait pas partie, visiblement, des loisirs préférés du défunt.
Un bourgeois du 18e siècle dans le bocage vendéen
Louis Corbier était un bourgeois, et on sait
l’importance qu’il y a à distinguer cette catégorie sociale de celles des
nobles et des ecclésiastiques. Mais à quelle catégorie de bourgeois appartenait-il ?
Gérant ses métairies, il n’a pas exercé de profession libérale. Vues de ses
voisins à cette époque, les différences entre le bourgeois originaire de
Fontenay-le-Comte comme lui, et certains nobles établis dans leurs logis du
bocage à Saint-André et aux alentours, n’étaient pas bien grandes. D’ailleurs les
mariages mélangeaient fréquemment ces deux milieux. Et dans sa grande majorité,
le bas-clergé du pays en était originaire, puisqu’ils étaient les seuls à
donner une instruction solide à leurs enfants.
À Saint-André, à cette époque, il y avait le
propriétaire de Linières et le châtelain de la Rabatelière, possédant quelques
grandes métairies dans la paroisse et celles aux alentours. À côté d’eux on
trouvait des propriétaires plus modestes par la taille et le nombre des
propriétés, bourgeois et nobles, parfois demeurant sur place. Les trois petits
fiefs du Coudray, du Coin et de la Mancellière, plus celui de la Boutarlière (paroisse de Chauché,
mais de fait à Saint-André), se résumaient à une métairie, à laquelle les
propriétaires avaient agrégé au fil du temps d’autres exploitations, par
transactions, dots et héritages, pour conforter leur position économique et
sociale. Le cas de Louis Corbier, rappelé succinctement au départ, apparaît
représentatif de cette situation, comme celle de Jean de Vaugiraud et d’Abraham
de Tinguy à Saint-André-Goule-d’Oie à cette époque. Quant aux paysans, il y avait
des propriétaires aussi parmi eux, mais pour lesquels il nous est difficile
d’évaluer l’importance des surfaces occupées. Il y possédaient beaucoup
de petites surfaces, se morcelant avec les héritages successifs.
L’année de l’inventaire, 1762, est intéressante,
car nous sommes en plein « siècle des lumières », comme on a depuis appelé
cette époque. Louis Corbier est mort au moment des publications les plus
marquantes des grands philosophes des lumières. C’est ainsi que s’il aurait pu
lire les « Lettres Persanes » (1721)
de Montesquieu, « De l’esprit des lois
» n’était publié que depuis 1748. De même, s’agissant de Voltaire et de sa
lutte contre « l’infâme » (fanatisme religieux), il aurait pu la
découvrir dans la pièce de théâtre « Œdipe »
(1718). « Les lettres philosophiques »,
où l’auteur fait l’éloge du système politique anglais, étaient datées de 1734,
mais dans une publication clandestine et condamnée par la censure. « Le siècle de Louis XIV » avait été
publié en 1751.
De Rousseau, il aurait pu lire le « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes » (1755). Mais l’essentiel de l’œuvre de cet auteur paraîtra après
la mort de Louis Corbier en 1761. Quant à l’Encyclopédie de Diderot, le début
de sa publication ne remontait qu’à 1751, l'année de son décès.
Le mouvement philosophique à son époque
Anonyme : Montesquieu |
Quentin de la Tour : Rousseau |
Les quelques livres dans l’inventaire de ses biens
Des historiens de la guerre de Vendée ont noté
l’imprégnation intellectuelle des bourgeois des villes et des gros bourgs, en
Vendée, pour expliquer leur adhésion au processus politique de la Révolution
française. Cette imprégnation étant marquée par les ouvrages des philosophes
des lumières que nous venons d’évoquer. À cet égard, la liste des livres de
Louis Corbier va à l’encontre de ce constat. D’ailleurs, était-ce bien
entièrement les siens ? N’y avait-il pas des livres laissés par sa mère et
son beau-père, et ceux de sa femme, dans cet inventaire ?
La religion tient la première place dans cette liste, avec les
livres suivant :
-
« Réflexion chrétienne sur divers sujets
de morale utiles à toutes sortes de personnes » par le père
Jean Croizet, de la compagnie de Jésus, tome second (édité en 1706).
Pierre Mignard : Bossuet |
-
« Exposition
de la doctrine de l’Église catholique sur les matières de controverse »,
par monseigneur Jacques Bénigne Bossuet, cinquième édition. L’auteur est le
célèbre évêque de Meaux, par ailleurs précepteur du dauphin et premier aumônier
de la dauphine, aussi évêque de Condom. Le livre défend la foi catholique
contre l’hérésie protestante, pour l’essentiel.
-
« L’office de la semaine sainte et de celle de Pâques en latin et en français, selon
le missel et le bréviaire de Rome ». C’est un livre de prières dédié à
la duchesse de Bourgogne par l’imprimeur, et ne comportant pas de nom d’auteur.
-
« Introduction à la vie dévote » de François de
Sales. L’auteur, évêque et prince
de Genève, a réalisé plusieurs éditions du livre. La dernière en 1662, revue
avant son décès, était « augmentée
de la manière de dire dévotement le chapelet et de bien servir la Vierge
Marie ».
-
« Le
manuel de saint Augustin ». Ce dernier développe en trente-six
chapitres, différents thèmes de foi chrétienne.
-
« Préparation
à la mort », par le révérend D. Grasset, de la compagnie de
Jésus. C’est un livre de réflexions sur les fins dernières de l’homme avec la
préparation à la mort, très souvent édité au 18e siècle.
-
« Le
saint évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu ».
Dans le domaine de la littérature, on a de manière éclectique les
quelques titres suivants :
-
quatre tomes de livres, intitulés « Œuvres de M. De Molière »,
rapportés de Rotterdam en l’année 1724.
-
« Ibrahim ou l’illustre Bassa » : roman édité pour la première fois en 1641 et
attribué à Georges de Scudéry, mais dont sa sœur, Madeleine de Scudéry, en est
probablement l’auteur principal.
-
« L’infortuné
napolitain ou les aventures et mémoires du signor Rosselly ». La
première édition de ce roman d’aventures a été réalisée à Bruxelles en 1704,
par un auteur inconnu.
-
« Le
premier livre des Métamorphoses d’Ovide ». Ovide, auteur latin,
y raconte en quinze livres l’histoire du monde gréco-romain sous la forme d’un
long poème épique.
-
« La
Franciade ». On lit en couverture : Les quatre premiers livres de la Franciade, au roi très chrétien
Charles, neuvième de ce nom, par Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois
(1572).
Un livre particulier provient
probablement de l’héritage du beau-père de Louis Corbier, Alexandre de Roannet,
ancien
capitaine de dragons. Il avait été fait chevalier de l’ordre de Saint-Louis. Le titre se
réfère à Mars, le dieu de la guerre de la mythologie romaine : « La conduite de Mars ou l’art de former
un bon officier de guerre ». Œuvre du major de Busson et de Gatien Courtilz de Sandras, chez Henri van Bulderen,
1690.
Intéressants sont les livres
d’Histoire presque contemporaine, vue de l’année 1762 :
-
« Les
aventures de Télémaque fils d’Ulysse », tome 1e.
C’est un roman didactique de François de Salignac de La Mothe Fénelon, publiée en 1699, qui fit polémique,
certains y voyant une critique de Louis XIV.
-
« La monarchie française sous le règne de Louis le Grand contenant ce qu’y
est passé de plus remarquable depuis 1650 jusqu’en 1671 », par M. de
Riencourt (3e édition en 1692), tome second.
-
« L’Histoire
du connétable de Lesdiguière contenant toute sa vie, avec plusieurs choses mémorables, servant à
l’Histoire générale, par Louis Videl,
secrétaire dudit connétable. » Il s’agit de François de Bonne
(1543-1626), gouverneur du Dauphiné, pair, maréchal et connétable de France. La
première édition date de 1639. Un protestant notoire
La place de l’église et de la religion dans le nouveau mouvement des idées
On le voit, avec ces titres nous sommes loin de nos philosophes des Lumières. Et le notaire n’a pas relevé de journaux conservés dans le ménage,
importants à l’époque dans la formation des idées des lecteurs. De là à en
tirer une conclusion, en généralisant à partir de cet inventaire personnel,
découvert au hasard des archives notariales, ce ne serait pas sérieux. D’autant que « cet inventaire n’implique pas que les livres
possédés ont été lus, ni même achetés par le défunt. Et il est sans prise sur les
livres, précieux ou dangereux, soustraits à la succession avant l’inventaire »
(2).
Il est
seulement intéressant de noter que ce type de bibliothèque a existé dans une
famille de bourgeois du bocage vendéen, peu de temps avant la Révolution
française. Un point mérite néanmoins un développement, à cause de sa portée :
la place de la religion catholique. Tout d’abord il faut rappeler qu’après l’invention de l’imprimerie, les
livres imprimés et diffusés dans les familles, tant protestantes que
catholiques, et à cause des réformes qu’elles ont portées à partir du 16e
siècle, étaient le plus souvent des livres sur la foi, avec la bible comme « best-seller ».
Les lectures solitaires ont rendu possibles des piétés nouvelles, et aussi des
évolutions dans les modes de relations aux autres et aux différents pouvoirs, vers
plus de vie privée, selon l’historien des mentalités Philippe Ariès.
Depuis le 4e siècle, avec l’empereur romain Constantin Ier, l’Église
« romaine, catholique et apostolique » avait été et était redevenue religion
d’État. Elle se présentait comme religion de l’amour, mais l’Histoire la
montrait aussi au cœur des pouvoirs, non sans difficultés et contradictions,
faisant oublier saint Paul, affirmant que le catholicisme est la
première religion qui n’ait pas prétendu que le droit dépendît d’elle.
Après le séisme de la Renaissance, le mouvement des philosophes des Lumières en France peut être présenté comme une de ses répliques. Or il va mettre en cause l’idéal social, c'est-à-dire les valeurs communes qui prévalaient depuis le Moyen Âge, et influençaient l’organisation de la société. Cet idéal social, né avec la féodalité, était imprégné de christianisme. Ainsi la société était construite sur un plan divin en vue du salut éternel des hommes (3). Ce plan justifiait l’organisation de la société en trois ordres, ceux qui portaient les armes, ceux qui priaient et ceux qui travaillaient. La religion avait significativement compté dans la genèse de cette société, et elle y trouvait son compte. L’Église, eu égard à sa mission, avait le monopole de l’instruction, ainsi que du secours aux malades et aux pauvres dans la société d’alors.
Au 18e siècle, la philosophie des Lumières enseigne que le
but de la société est le bonheur terrestre, et que le salut éternel est une
affaire personnelle. À partir de cette évolution de l’idéal social, qui va
imprégner progressivement l’Europe entière, l’ancienne société française va
évoluer brusquement vers une refondation de son organisation politique en 1789,
à laquelle on va donner justement le nom de Révolution. Puis vont suivre une
série événements politiques menant vers un bain de sang, tout
particulièrement en Vendée.
Mais ceci est en réalité une autre histoire. Les liens entre l’action
des hommes et leurs propres idées sont tellement complexes dans le domaine
de la vie privée ! Dans celui de la politique, qui est l’exercice du pouvoir
sur autrui, cette complexité peut encore mieux se développer. Pas plus qu’on ne
saurait reprocher à un bon catholique de croire en dieu, au motif qu’il commet
des péchés, même les pires, on ne saurait s’étonner qu’un adepte des
philosophes des Lumières se transforme en tyran.
(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier, inventaire après-décès
de Louis Corbier du 8 au 13-2-1762 : 3E 30/3.
(2) Roger Chartier, Les pratiques de l’écrit, dans « L’histoire
de la vie privée de la Renaissance aux Lumières », dirigée par R. Chartier,
Seuil, 1986, page 129.
(3) M. A. Corvisier, La société
française au 18e siècle, Université de Nantes, (1970).
Emmanuel François, tous droits réservés
Mars 2013, complété en août 2020POUR REVENIR AU SOMMAIRE
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