L’original est un cahier en parchemin de quarante pages. Il a été rédigé en recopiant un dénombrement antérieur
du 18 mars 1550 (1), fait par Claude de Belleville au seigneur des Essarts.
C’est ce que nous explique son transcripteur, G. de Raignac, qui a reproduit le
texte dans ses notes de travail (2). Cela donne l’occasion ici de souligner
l’importance de ses travaux pour les générations futurs de chercheurs sur
l’histoire de la Vendée. La collection en onze tomes de son livre : De châteaux en logis, itinéraire des
familles de Vendée (1977) constitue un atout formidable pour qui veut
fouiller dans le passé vendéen.
Le vassal, le suzerain et l’acte d’aveu
Marie du Fou venait d’acquérir la
seigneurie de Languiller (avec l’orthographe ancien : l’Anguiller) en 1604,
d’Emmanuel de Savoie, mari de Marguerite Belleville-Harpedanne. Languiller était entré au patrimoine des Sainte-Flaive par mariage vers 1310 (3), et passa ensuite
aussi par mariage dans la
famille Harpedanne, en même temps seigneurs de Belleville, au début du 16e
siècle (3).
Marie du Fou possédait en propre
d’autres terres et seigneuries : Champdolent (Charentes-Maritimes), Tour
d’Oiré (Vienne), Belleville et Mareuil (Vendée), etc. Elle avait acquis en même temps d’autres
fiefs dépendant de Languiller : le Coin Foucaud (Saint-André-Goule-d'Oie), les
Bouchauds et la Ramée (Essarts), etc. La région sortait des guerres de religion (1562-1598)
qui avaient fait beaucoup de ravages. L’hébergement du Coin
Foucaud (nom donné alors au village du Coin, probablement provenant du nom de son
fondateur), est en ruines depuis au moins 1405. De même que celui des Bouchauds aux Essarts l’est
aussi depuis longtemps. Ces ruines remontent à la guerre de cent ans
(1337-1453), ou aux nombreuses guerres civiles dont le Poitou avait été le
théâtre depuis.
Après l’achat de ces biens
nobles, Marie du Fou avait dû faire sa foi et hommage au seigneur dont ils
relevaient, la baronne des Essarts, dans un délai inférieur à un an et un jour
suivant la coutume du Poitou. Par l’acte de foi et hommage, Marie du Fou reconnaissait
tenir d’elle ses biens nobles. Et dans un délai de quarante jours après la foi
et hommage, elle devait lui faire son aveu et dénombrement. Celui-ci était un
acte authentique (rédigé par un officier public) contenant la description de
toutes les choses et droits tenus du seigneur à foi et hommage. Le présent aveu
a été rendu au nom de la dame du Fou par Abel Pineau, son sénéchal de
Belleville, Languiller et fiefs en dépendant, auquel elle a donné procuration
devant Maurice Normandin et Daniel Varenne, notaires de la baronnie de Mareuil
le 2 juillet 1605.
Ancien château des Essarts : entrée |
Indiquons tout de suite que les
droits seigneuriaux contenus dans un aveu, consistaient en droits perçus lors
des mutations de fiefs (ancêtres des droits de succession), et en droit de
justice (avec les amendes en cas de condamnation). S’y ajoutaient les corvées dues par les roturiers, et des
taxes dues par les possesseurs des terres : cens, rentes, dîmes et
champarts (ou terrages). Ces taxes étaient le plus souvent payées en nature sur
les récoltes.
Marie était la fille de François
du Fou, seigneur du Vigean (Vienne), qui fut gouverneur de Lusignan en 1535, et
de Louise Robertet. Elle épousa en 1577 René de Talensac, seigneur de Loudrières, puis en 1585 Charles Eschallard, baron de la Boulaye (Treize Vents)
(4). Comme son second mari, Marie du Fou était une protestante zélée.
Quand le roi de Navarre, futur
Henri IV, obtint la capitulation de Fontenay-le-Comte en 1587 au profit des
protestants, il confia le poste de gouverneur de la ville à Charles Eschallard
l’un de ses meilleurs officiers (5), et ami d’enfance à la cour de Navarre. Les
premières traces des Eschallard remontent à 1282. Charles était le fils
d’Honorat Eschallard, marié avec Lucrèce de Puyguion, et lieutenant de la
compagnie de gendarmes du prince de la Roche-sur-Yon, chambellan du roi, chevalier
de l’ordre du roi, vice-amiral de Guyenne et capitaine de cinquante hommes
d’armes, aussi gouverneur de Taillebourg, il mourut en juin 1594, en pleine
reconquête du Bas-Poitou par les protestants.
Son épouse resta habiter la
capitale du Bas-Poitou. Cela veut dire qu’elle avait probablement affermé son
fief situé à Chauché, avec tous ses droits, à un bourgeois demeurant sur place.
On sait qu’en 1622, sa belle-fille, alors veuve, affermait la terre et
seigneurie de Languiller pour 2 100 livres par an (6).
Riche, énergique, habile et
lettrée, ainsi la qualifie l’historien Paul Marchegay (7). Elle était en outre considérée
non seulement parmi ses coreligionnaires, mais aussi chez les catholiques. De
nos jours sa réputation a pris un autre tour comme on peut le voir sur internet,
un vigneron de Mareuil n’hésitant pas à donner son nom à une cuvée. La
dégustation de son rosé devient ainsi une invitation au voyage dans les
profondeurs de l’histoire vendéenne. Restons-y.
Sa suzeraine, Marie de Beaucaire (1535-1613),
mérite, elle aussi, une brève présentation. Veuve de François Hautier, elle
épousa en janvier 1561 Sébastien de Luxembourg (1530-1569), devenu duc de
Penthièvre en septembre 1569, peu de temps avant sa mort la même année. Sa
famille, les de Brosse, possédait les Essarts depuis le mariage en 1437 de Jean
II de Brosse, comte de Penthièvre (1423-1482), avec Nicole de Blois-Châtillon
(1424-1479), dame des Essarts.
Marie de Beaucaire,
aussi baronne de Saint-Hilaire-de-Riez, princesse de Martigues, duchesse de
Penthièvre, fut une personnalité du Bas-Poitou. Elle œuvra pour l'essor de la
cité de Saint-Hilaire-de-Riez en Vendée, et de sa dépendance Croix-de-Vie. Elle est à l'origine de la
création du premier port de pêche de Croix-de-Vie.
Comme Marie du Fou, elle était veuve au moment de l’aveu de 1605, où elle est
précisément qualifiée de douairière de Penthièvre.
À cette date l’histoire des deux
fiefs des Essarts et de Languiller est déjà très riche de guerres en tous
genres depuis le haut Moyen Âge, à une époque où les documents font défaut.
Mais on devine la création de la seigneurie de Montaigu et l’apparition de ses
fiefs de Chavagnes à partir de l’an mille, l’existence du château des Essarts
avec son premier seigneur connu par les textes, Guillaume Bertrand en 1099.
Languiller n’apparaît dans les documents qu’avec Robert Guischart en 1299, mais
remonte à bien plus loin dans le temps (3). Les destructions des guerres sont parfois
définitives, y compris pour les documents.
Sur place au village de
Languiller, à Chauché, on comprend la vocation militaire de cette seigneurie.
Le ruisseau de la Petite Maine y décrit un méandre pour contourner le coteau
qui le domine à pic. Un pont, qui n’est pas le premier depuis l’époque de la
voie romaine, permet de passer le ruisseau. Sur le coteau a été bâti le logis
de Languiller, toujours debout, antique témoin d’une longue histoire. Ses
bâtiments sont disposés en carré autour d’une cour, associant dans un ensemble
unique l’hôtel noble, comme disaient les parchemins d’autrefois, le logement
des métayers de la métairie du lieu et les bâtiments d’exploitation. On y entre
en passant sous un porche. Les murs sont épais et les ouvertures petites.
L’hôtel noble est un intérieur, qui doit protéger de l’extérieur. Ce type
d’architecture de logis vendéen, représentatif de cette époque dans le
Bas-Poitou, fait l’objet désormais d’une exposition au musée de la Chabotterie.
Quelques années avant Marie du
Fou, l’avant dernier des Harpedanne, ayant possédé Languiller, s’appelait Jules
de Harpedanne-Belleville, dit « Languiller ». À son propos G. de Raignac souligne que la
seigneurie pouvait donner ainsi un nom à un cadet et qu’elle a pu être désignée
du nom de « Cheauché les Bordeaux ». Jules de Belleville avait résidé en
effet avec ses parents à Cosnac sur Gironde. Il avait épousé une voisine
vendéenne, Jeanne du Bouchet, fille du seigneur de Puy-Greffier (Sain-Fulgent) et
protestante comme lui, mais n’eut pas d’enfant (8).
Porche d'entrée du logis de Languiller |
Château de Puy-Greffier en ruines |
Témoignent de ces temps de
troubles à la naissance du Moyen Âge, les trois hommages liges et à ligence de quarante jours par an,
auxquels était tenu le seigneur de Languiller envers le seigneur des Essarts. On sait
que la ligence était une obligation militaire de présence armée dans une maison
d’armes, dite à ligence (9). Dans notre cas l’obligation s’exécutait à la
demande du suzerain, mais elle était tombée en désuétude depuis longtemps,
est-il écrit en 1550. Et on précise les circonstances dans l’aveu : « parce que votre étang du dit lieu des
Essarts a submergé la maison ou antérieurement eut dû se faire la dite ligence
et que a présent et de long temps la dite maison a été démolie par messeigneurs
vos prédécesseurs ». Pour bien comprendre cette phrase il faut se
rappeler que son écriture en 1550 évoque un passé probablement aussi éloigné
que nous le sommes nous-même de ce milieu du 16e siècle. Quatre
siècles et demi seulement nous séparent !
Ces trois hommages à ligence sont
dus au titre du fief de Languiller, du fief du Pothé (Saint-André-Goule-d'Oie) et
de celui de la Ramée (Essarts), possédés tous trois alors par la même Marie du
Fou. Ces deux derniers fiefs ont disparu depuis longtemps. Situés près du
château des Essarts, ils témoignent de sa vocation militaire. Il y a belle
lurette que les possesseurs de ces fiefs n’habitaient plus sur place au milieu
du 16e siècle, que ce soit pour les Essarts ou pour Languiller, sauf
exception bien sûr. Mais les seigneuries se transmettaient par héritage ou par
vente suivant les règles du droit féodal. Ces règles ont évolué au fil des
siècles, mais sont restés intangibles dans leurs principes jusqu’à la
Révolution.
L’hommage lige du Pothé
Le Pothé est décrit comme un
droit de fief « avec un bois,
paroisse de Saint-André-Goule-d'Oie près du village du Clouin, et diverses choses
en dépendant ». Le cadastre napoléonien de cette commune en 1838
donne ce nom à une parcelle, située à l’est de ce village, et comprenant en
partie la petite portion de la forêt de l’Herbergement située sur le territoire
de la commune de Saint-André. D’ailleurs on a ainsi la probable explication de
l’origine de cette limite à cet endroit.
Le fief du Pothé tenait en vassalité en 1550 François de la Gaubretière, écuyer seigneur de la Frissonière. Le cadastre
napoléonien des Essarts en 1825 révèle l’existence du bâti de la Frissonière, à
côté de la Guiffardière (Section A2 de la Vrignonière). Mais aujourd’hui il a
totalement disparu. Et ce seigneur devait trois hommages plains (ou simples),
directement au seigneur de Languiller, pour trois petits fiefs : l’hôtel
de la Frissonière (Essarts), le fief de l’Aubrière (Saint-André) et le fief du Puy Rondeau (Essarts). Les confrontations d’un aveu de 1753 le situent
sur la partie nord du carrefour actuel des deux autoroutes, sur la commune des
Essarts près de la Clemencière. L’hôtel de la Frissonière, « et tout
ce qui en dépend » est situé dans l’aveu en 1550. Le mot hôtel désigne tout
simplement le logement du noble des lieux. Il « tenait au chemin allant de Sainte-Florence à la Chapelle de Chauché, et à
celui de la Guiffardière à Saint-André-Goule-d'Oie ». Très près de la
Guiffardière, le lieu semble situé entre le chemin qui mène au Clouin et celui
qui mène à Saint-Joseph actuellement. Le site Google Earth, avec ses vues
aériennes, donne à voir des tâches au sol, caractéristiques des anciens bâtis.
Pâturages de la Guiffardière
(Essarts)
|
Dans cet aveu il est intéressant
de noter l’existence de ces chemins dès le 16e siècle, comme aussi
celui de Chavagnes à Saint-André-Goule-d'Oie ailleurs dans le même parchemin. On
sait qu’ils ont été transformés en routes empierrées à partir du milieu du 19e
siècle seulement. Mais leur existence relativise certaines descriptions
exagérées sur l’isolement des habitats des Vendéens à la veille de la
Révolution.
L’hommage lige de la Ramée
Le fief de la Ramée, troisième
fief tenu à ligence, comprenait son hôtel « avec toutes les dépendances, juridiction basse et droits d’assise et
divers parcelles et maisons ». On n’en sait pas plus sur ces
dépendances, et les diverses parcelles et maisons. Mais l’existence de la basse
justice est intéressante à noter. C’était un droit de justice du seigneur pour
des conflits mineurs de droit civil et de règlements de police. Au niveau de
compétence plus élevé existaient la moyenne justice et la haute justice
seigneuriale, cette dernière étant exercée par le baron des Essarts, en
particulier sur toute l’étendue de Saint-André-Goule-d'Oie. Là encore cette
justice seigneuriale a été intrinsèquement liée au droit des fiefs. Déjà à
cette époque elle était limitée par la justice du roi et commençait d’être exercée
par des magistrats professionnels au nom du seigneur local.
Dans son aveu Marie du Fou ne comprend
pas le fief des Bouchauds. Or elle en est bien propriétaire en 1605. Néanmoins l'aveu nous donne une description sommaire des lieux. L’ancien logement des Bouchauds est situé
devant l’hôtel de la Ramée, un chemin les séparant. Il est depuis longtemps en
ruine et les lieux sont transformés en jardin. C’est donc tout ce qui reste en
1550 du logis de Jehan des Bouchauds, qui fut seigneur de la Gaiginière (10).
La seigneurie des Bouchauds
Rue des Bouchauds (Essarts)
où se
trouvait l’ancien Logis
|
L’hommage lige de Languiller
L’exemple de Jean Durcot vassal de Languiller
Jehan Durcot rend hommage à Languiller pour les trois quarts des droits de terrage au village de Brion (paroisse de la Chapelle de Chauché).
Ces droits de terrage étaient un droit de gerbes de céréales et de légumes dus au
seigneur par le roturier, le plus souvent d’un sixième des récoltes dans la
région. Il était souvent affermé dans des baux à durée déterminée à des
bourgeois, qui se chargeaient d’aller chercher les récoltes et de les
valoriser, moyennant le paiement d’une ferme fixe annuelle au seigneur. Le
village de Brion a disparu. Quant à la paroisse de la Chapelle de Chauché, on
la rencontre de temps en temps dans les documents, alors qu’elle a disparu à la
création de la paroisse de Chauché au Moyen Âge probablement. Mais le culte
continuait d’y être pratiqué dans la chapelle dite « Begouin », à
titre d’annexe de l’église du bourg, au village de la Chapelle.
On retrouve aussi Jehan Durcot rendant hommage à Jean
du Plessis Amiette (qui rend hommage au seigneur du Coin, lequel rend hommage
au seigneur de Languiller) pour « la
moitié des terrages en certaine partie du tènement du Plessis Milcent assis
près et en la paroisse des Essarts, dit autrement Plessis Cosson ». Il
n’est pas le seul seigneur de la région cité ainsi dans le parchemin dans ces
hommages en cascades. Nous l’avons pris à titre d’exemple.
On a aussi un nom qui n’a pas été déchiffré, « qui autrefois fut Nicolas du Plessis, valet »
qui est « homme de foi »
pour la moitié des terrages et dîmes du village de la Roche Mauvin (Saint-André-Goule-d'Oie), partagés avec les héritiers de feu Pierre Amauvin). Ainsi le nom
du fondateur probable du lieu-dit de la Roche Mauvin nous est ici révélé. Ses
héritiers à cette époque possédaient aussi, en indivision avec l’héritier de
Jean du Plessis Amiette, la moitié des terrages du village de la Bucletière (près de la Maigrière et aujourd’hui disparu). Celui-ci rendait hommage à ce titre au
seigneur du Coin.
La Roche Mauvin
La Roche Mauvin (Saint-André)
|
Les partages des redevances perçues sur un même fief
On ne partageait pas que les fiefs en indivision, on
partageait aussi certains droits seigneuriaux. Ainsi à l’Aubretière
(Lairière/La Ferrière), le quart des terrages du village était partagé entre
les héritiers de Mme de la Marche et le prieur de la Ferrière. Le clergé
du temps ne pouvait pas échapper à ses règles de droit, évidemment.
À la Bergeonière (Saint-André-Goule-d'Oie), la moitié par indivis des terrages perçus était due à Jehan de Plouer,
écuyer seigneur de Saint Benoist, la Barette et autres lieux, lequel tenait ce
droit de Loys Audayer, seigneur du Coudray. Lequel le tenait du Coin, puis
Languiller, etc...
L’autre moitié des terrages
étaient due au seigneur de la Chapelle Begouin en 1580, partagé avec le prieur de Saint-André (11).
Dans ce village, le seigneur des Bouchauds possédait des droits seigneuriaux (taxes) encore mentionnés dans un acte d’achat d’une portion de borderie en 1790 (12). La nuit du 4 août 1789 était passée par là, mais la mise en œuvre des lois prend toujours un peu de temps, même en temps de Révolution.
On compte encore onze autres
hommages dus au seigneur de Languiller au titre de son propre fief, rendus pour
des fiefs situés aux Essarts, à Chauché,
La Ferrière, Boulogne, certains n’existant plus en tant que lieu-dit. Un
d’entre eux mérite d’être cité.
Dans ce village, le seigneur des Bouchauds possédait des droits seigneuriaux (taxes) encore mentionnés dans un acte d’achat d’une portion de borderie en 1790 (12). La nuit du 4 août 1789 était passée par là, mais la mise en œuvre des lois prend toujours un peu de temps, même en temps de Révolution.
La terre imposait sa loi aux hommes dans la propriété féodale
Le seigneur des Essarts avait
acheté à Collas Guinebault, écuyer seigneur de la Miltière, l’hôtel noble de la
Septembrelière et le moulin à eau de la Gontrie. Ils étaient situés dans la
mouvance de la seigneurie de Languiller. Alors dans son aveu de 1550, qui doit
énumérer tout ce qui est tenu du seigneur des Essarts, le seigneur de Languiller
écrit : « vous tenez de moi
vous ma dite dame … ». Vu d’aujourd’hui on se trouve en pleine
contradiction : le vassal fait aveu d’un domaine à son suzerain, que ce
dernier possède et tient du vassal lui-même, en même temps son suzerain. C’est que la notion de propriété
en droit féodal est particulière, moins exclusive que depuis la Révolution,
celle-ci lui ayant donné le statut d’un « droit de l’homme ». La
propriété féodale du moulin de la Gontrie avait son origine dans la concession du domaine avec ses
contreparties, comme le paiement du cens au seigneur concédant. Cette
concession avait été ensuite achetée par le seigneur suzerain, mais il restait
le cens à payer à la seigneurie dont dépendait le domaine, même si c’était
celle de son propre vassal. Pour qu’il en soit autrement, il aurait fallu aussi
acheter le droit de fief sur son domaine, mais à condition qu’il ait été à
vendre. Rappelons que pour comprendre la propriété sous
l’Ancien régime, il faut aller de la terre à l’homme et non l’inverse. Ce
conseil des frères Dalloz, célèbres juristes du 19e siècle, est très
utile car il n’est pas naturel et ne s’applique pas avant le Moyen Age et après
la Révolution (13).
La seigneurie de la Chapelle Begouin
Enfin autre hommage à citer,
celui de « Jean Begaud écuyer
seigneur de la Chapelle son lieu et hébergement du dit lieu de la Chapelle
Begouin et tout ce qui en dépend. » Ce dernier devait en effet un
hommage lige sans ligence et un hommage plain au seigneur de Languiller.
Peut-être faut-il faire un rapprochement entre le nom de l’ancêtre de Jean
Begaud et celui de Begouin associé à la Chapelle pour désigner ce lieu-dit de
Chauché, où se trouvait aussi l’église de la Chapelle Begouin (démolie en 1792),
une ancienne église paroissiale. Cette famille Begaud possédait aussi à Saint-Sulpice-le-Verdon la seigneurie de la Bégaudière, proche de la Chabotterie.
Le fief de la Chapelle Begouen
comprenait en 1550 le village lui-même et le village de la Bonnelière
(Chavagnes), plus deux fiefs vassaux : la Pitière (Chauché), alors
possédée par Aymon, écuyer (avec les terrages de la Coumaillère à Chauché), et
la Barotière (Chauché), tenu par René d’Aubigné, écuyer et seigneur de la
Parnière (Brouzils). À cela s’ajoutaient des fiefs et droits seigneuriaux
partagés avec d’autres nobles voisins à la Limouzinière, Girardière, Naullière
et Gorelière (Chauché), et à la Coussaie (Essarts).
La Chapelle (Chauché)
|
Cet aveu ne mentionne pas les
fiefs de la Bouguinière et de la Brosse Veilleteau (Essarts), relevant en partie pourtant
de la seigneurie de la Chapelle Begouin, suivant des déclarations roturières
conservées dans les Archives de la Vendée (chartrier de la Rabatelière). L’autre partie de la Brosse
Veilleteau relevait directement de Languiller et de la seigneurie du Boisreau
(Chauché).
Nous rencontrons dans ce fief de
la Chapelle Begouin, ainsi qu’ailleurs, des aveux tenus en parage ou en gariment.
Ainsi Louise Bonnevin (dame de la Boutarlière, Chauché) tient en parage la
moitié des droits de terrage au fief de la Gorelière. Et le seigneur de la
Chapelle Begouin tient en gariment l’écuyer Aymon pour le fief de la
Pitière. De quoi s’agit-il ?
La tenure en gariment
Généralement le mot ancien gariment était synonyme de garantie. Mais dans
la coutume du Poitou il prenait un sens particulier pour désigner une tenure
noble. La tenure en gariment
consistait à ce qu’entre divers tenanciers d’un bien noble, un seul, qu’on
appelle chemier ou chef, se chargeait de garantir tous les autres sous son
hommage, c'est-à-dire de faire pour eux comme pour lui la foi et hommage, et
d’acquitter les devoirs de fiefs à leur décharge. Si cette tenure en gariment
était établie par la seule force de la loi, en vertu du lignage ou de la
parenté, c’était la tenure en parage proprement dit. Si elle était établie par
convention réglant de différentes façons les rapports entre le chemier et ses
co-teneurs, on l’appelait tenure à part-prenant, ou à part-mettant ou à devoir
noble abonné. Mais comme ces trois dernières sortes de tenures en gariment avaient
des effets forts ressemblants, les coutumes et les commentateurs les
confondaient quelques fois les unes avec les autres (14).
L’exemple du fief vassal du Vignaud
En plus des trois hommages à
ligence, le seigneur de Languiller devait cinq hommages plains à la baronnie
des Essarts pour les fiefs du Terroil (Essarts), du Coin (Saint-André-Goule-d'Oie), du Vignaud (Essarts), de la Vrignière, et pour une rente qui était payée à
Boulogne par les mains du seigneur de Puytesson.
Le fief du Vignaud tenait
lui-même quatre hommages :
-
deux de Jehan de Ligny (Boisreau à Chauché) pour
des prés à Chauché, une moitié du four du Boisreau et le moulin de Brellaud,
sur la Petite Maine,
-
un de François Arnaudin pour le compte de Marie
Bernard sa femme, et pour le fief de Maurepas (Chauché),
-
un de René Bertrand, écuyer, pour le fief de la
Grange de Lansonnière.
Un constat s’impose après cette
énumération d’une partie des hommages rencontrés dans cet aveu de Languiller.
Les paroisses de Chauché et des Essarts n’avaient rien à envier en densité de
petits fiefs à celle de Chavagnes en Paillers, que C. Gourraud et A. de Guerry
ont étudiés dans le détail. Avec la pratique des fiefs à ligence et des suzerains
grands seigneurs plus ou moins alliés entre eux à l’aube du Moyen Âge
(Montaigu, Palluau, Belleville, les Essarts), les différences entre ces trois
paroisses, ne sont probablement pas bien grandes. Et on peut y associer Saint-André-Goule-d'Oie, qui se trouve féodalement dans la sphère d’influence des
Essarts.
Ansonnière (Essarts) |
L’importante seigneurie du Coin Foucaud
Le plus important des fiefs posédés par le seigneur de Languiller est sans conteste celui du Coin, situé à Saint-André-Goule-d'Oie. Il en est alors propriétaire. Plus tard certains domaines seront vendus à la famille
Laheu au Coin, mais l’essentiel des droits féodaux restera à la seigneurie
de Languiller. Sous l’hommage de ce fief, Marie
du Fou tient six villages en direct et dix-neuf hommages, dont nous avons déjà cités
certains. Cinq villages sont situés à Saint-André-Goule-d'Oie :
Chevalleraye, Millonière, Jaumarière, Boninière et Fondion. Celui de la Dibaudelière (près de la Machicolière) a disparu depuis. Nous savons par le pouillé du diocèse de Luçon qu’existait sur la
terre de Fondion une chapelle dédiée à St Laurent. Et sur le même document est
mentionnée une métairie à Fondion, dépendant du prieuré de Saint-André-Goule-d'Oie,
à partir du 18e siècle.
Trois fiefs, avec tous leurs droits, sont tenus sous hommage au seigneur du Coin. L’un est situé à Chavagnes, la Bultière, avec ses dépendances situées aussi sur la même paroisse : Morinière, Cornuère et Brulerie. Les deux autres sont situés à Saint-André : le bourg et le Coudray. S’y ajoutent dans cette paroisse quelques petits fiefs à la Brossière et à la Bergeonnière.
Trois fiefs, avec tous leurs droits, sont tenus sous hommage au seigneur du Coin. L’un est situé à Chavagnes, la Bultière, avec ses dépendances situées aussi sur la même paroisse : Morinière, Cornuère et Brulerie. Les deux autres sont situés à Saint-André : le bourg et le Coudray. S’y ajoutent dans cette paroisse quelques petits fiefs à la Brossière et à la Bergeonnière.
Le fief de Saint-André-Goule-d’Oie
Le fief du bourg de Saint-André avec ses appartenances et dépendances, comprenait de « nombreux devoirs » (non précisés) à payer à Louise Bonnevin, dame de la Boutarlière (15). Celle-ci était la veuve de Jean Gazeau, seigneur de la Brandasnière, qu’elle avait épousé en 1519. Il s’en suit qu’on verra parfois le cadet de la famille prendre le titre de seigneur de Saint-André-Goule-d'Oie. Ainsi David Gazeau (frère de René), maintenu dans la noblesse en 1670, prit le titre de seigneur de Saint-André, épousant en 1645 Suzanne Barrière (16). La pratique semble rare.
Saint-André-Goule-d'Oie, l'église |
La seigneurie de la Boutarlière tenait le fief de Saint-André-Goule-d'Oie de la seigneurie de Linières. Et c’est au seigneur du Coin que le seigneur de la Droslinière (Linières) rend un aveu pour le fief de Saint-André et surtout une toute petite partie de son domaine située sur la paroisse de Saint-André, proche du bourg. En ce milieu du 16e siècle le ruisseau de la Haute Gandouinière alimentait un étang à Linières, dont la moitié s’étendait sur le territoire de Saint-André. De plus un moulin à eau, installé au bord du ruisseau, et un moulin à vent bâti au sommet du coteau du versant Est, étaient situés aussi sur St André. Comme l’étang, ces moulins appartenaient au seigneur de Linières. De ce fait, le texte de l’aveu indique : « est ma femme de foi sous l’hommage du Coin Foucaut dame Françoise Fouchier, veuve de messire Joachim de la Chastre, vivant chevalier, seigneur de Toury et de la Droeslinière pour un fief appelé le fief de Saint-André-Goule-d'Oie… ». On sait qu’en 1550, Joachim de la Châtre était décédé et que son fils Gaspard, alors âgé de onze ans, était garçon d’honneur du dauphin, le futur roi François II. Gaspard, qui succédera à sa mère dans la possession de Linières, est mort jeune en 1576. Ensuite le domaine eut deux propriétaires en peu de temps : Charles Bruneau (Rabatelière) et Pierre Garreau. En 1605, c’est l’épouse du protestant Élie de Goulaine qui possède le fief, Olympe Garreau.
Le fief du Coudray et quelques autres à Saint-André-Goule-d’Oie
Le fief du Coudray (appelé alors Coudray Loriau) est tenu sous hommage plain et à rachat de la seigneurie du Coin Foucaud. En 1550, il est possédé par Loys Audayer, écuyer seigneur de la Maisonneuve (Montournais). Le rachat indiqué ici était une contribution payée par le vassal au suzerain, pour les biens nobles, à chaque changement de propriétaires (achat ou héritage). Il valait en Poitou une année de revenus.
D’autres terres sont tenues à Saint-André sous hommage du Coin. Ainsi en est-il du village de la Boninière,
représenté par André Belot, prêtre, et ses parsonniers, « lequel fief fut autrefois à feu Jehan Ponsard et depuis à Landois ».
La Vrignonnière (Essarts)
|
Guillaume Goion écuyer seigneur
de la Nouhe de Vendrennes, à cause d’Antoinette de la Grève sa femme, tenait à
hommage plain au seigneur du Coin, le fief du Bignon dans le
tènement de la Brossière (Saint-André).
Il est indiqué aussi que « divers habitants du village de la Brossière »
tiennent hommage au seigneur du Coin. En 1775, ceux-ci, au nombre d’une
dizaine, envisageront d’entamer un procès pour justifier un refus de paiement
de rentes foncières, expliquant que les deux tènements de la Brossière et de la
Javelière en paient déjà une à Languiller « depuis l’origine ».
Perceval Maingarneau écuyer
seigneur de la Regnaudière, « à
cause de Dlle du Ployer sa femme », tenait à hommage plain au seigneur du Coin, le fief de la Giroisière dans le tènement de la Brossière (Saint-André-Goule-d'Oie ).
André Daviet rendait aussi
hommage au seigneur du Coin pour le fief et tènement de la Crochardière, en la
paroisse de Saint-André-Goule-d'Oie près du village du Pin. Ce village a
totalement disparu depuis longtemps, ignoré même par le cadastre napoléonien.
La propriété foncière au sortir du Moyen Âge
Nous arrêterons ici l’énumération
des autres terres et droits détenus sous hommage par le seigneur du Coin dans
les paroisses voisines plus à l’ouest. Dans l’échantillon choisi, centré
principalement sur Saint-André-Goule-d'Oie, reviennent parfois les noms de
lieux-dits disparus, même avant le cadastre napoléonien. Se pose alors la
question du pourquoi et du comment. Et on ne peut pas s’empêcher alors de faire
le rapprochement avec le regroupement foncier étudié par L. Merle dans la
Gâtine Poitevine (18).
Dans cette contrée à cheval sur
les Deux-Sèvres et la Vendée, comprenant notamment les régions de Pouzauges et
de la Chataigneraie, l’auteur explique qu’un remembrement foncier s'est opéré à partir de la fin
de la guerre de Cent ans à l’initiative des seigneurs. Il a abouti au fil du
temps à la constitution de grandes métairies qui ont fini par accaparer la
majeure partie du sol gâtineau. C’est à cette occasion que de petits habitats
ont disparu et qu’ont été créées dans cette région les haies si
caractéristiques du bocage.
Dans son livre sur l’histoire de Saint-Fulgent M. Maupilier n’aborde pas ce point. En revanche, dans son livre sur Chavagnes-en-Paillers, Amblard de Guerry observe le même phénomène (19). Ses explications, appuyées sur des cas concrets et vérifiés dans cette commune limitrophe de Saint-André, recoupent en partie la thèse de Louis Merle. Cette « importante transformation de la propriété foncière » qu’il observe, résulte de plusieurs facteurs selon lui, suivant les cas rencontrés : l’extinction ou l’appauvrissement de certaines familles nobles, l’ambition et l’enrichissement de certaines autres, de nouveaux défrichements, la transformation de droits féodaux en possession directe pour des raisons mal élucidées selon l’auteur, la fragmentation des héritages des roturiers rachetés ensuite par les plus riches.
Dans son livre sur l’histoire de Saint-Fulgent M. Maupilier n’aborde pas ce point. En revanche, dans son livre sur Chavagnes-en-Paillers, Amblard de Guerry observe le même phénomène (19). Ses explications, appuyées sur des cas concrets et vérifiés dans cette commune limitrophe de Saint-André, recoupent en partie la thèse de Louis Merle. Cette « importante transformation de la propriété foncière » qu’il observe, résulte de plusieurs facteurs selon lui, suivant les cas rencontrés : l’extinction ou l’appauvrissement de certaines familles nobles, l’ambition et l’enrichissement de certaines autres, de nouveaux défrichements, la transformation de droits féodaux en possession directe pour des raisons mal élucidées selon l’auteur, la fragmentation des héritages des roturiers rachetés ensuite par les plus riches.
Cet aveu de Languiller nous montre à quel point les
droits féodaux sont partagés en de nombreuses indivisions, après des siècles d’héritages,
ventes et dons. Il en est de même des petites propriétés des roturiers. Dans
les archives du notaire de Saint-Fulgent on verra parfois au 18e siècle
des ventes de portions représentant le 1/6 ou le 1/9 d’une borderie déjà
petite. Il a fallu attendre le code civil de 1804 pour inverser la tendance,
avec, s’agissant d’indivision des propriétés par exemple, ce nouveau
principe que nul n’est obligé de rester en indivision contre son gré, et
conduisant aux dissolutions des indivisions. Autrefois on y restait, et les
ventes se faisaient en licitation, suivant la formule rencontrée dans beaucoup
d’actes notariés. La licitation était une vente aux enchères ou par adjudication d’une
maison ou d’un héritage, appartenant en commun à plusieurs copropriétaires ou
cohéritiers (20).
L’aveu de Languiller pose une question sur ce point
de la transformation du foncier après le 16e siècle, mais la réponse
est à chercher ailleurs.
Enfin cet aveu nous amène à une autre question. On
n’y évoque jamais les rentes seigneuriales, à la différence des droits de
terrages. Or ces rentes ont bien existé au 18e siècle dans le
territoire de la mouvance de Languiller, comme le montre les archives
notariales. Et avant aussi ; par exemple à la Javelière (Saint-André-Goule-d'Oie), le seigneur voisin de la Valinière (Saint-Fulgent), a cédé au curé de Saint-Fulgent, en février 1399, une rente due par les teneurs de la Javelière (21). Alors,
quand et comment sont nées ces rentes seigneuriales dans la région ?
(2) Archives de Vendée, Travaux de G. de Raignac : 8 J 101, aveu de Languiller et autres fiefs aux Essarts le 2 juillet 1605, page 72 et s.
(3) G. de Raignac, De châteaux en logis, itinéraire des familles de Vendée
(5) P. Marchegay, Recherches historiques sur le canton de Fontenay, Annuaire de la société d’
L’article 113 de la coutume du Poitou obligeait à jurer fidélité sur les évangiles en cas d’hommage lige, ce qui n’était pas exigé en cas de simple hommage plain.
(10) Ce fief n’est pas à confondre avec ceux du même nom à Saint-Germain-de-Princay, à Sallertaine ou à l’Herbergement.
(11) Archives de Vendée, travaux de Guy de Raignac, copie inachevée d’aveu pour la Chapelle Begouin entre 1680 et 1685, reproduisant un aveu rendu en 1580, 8 J 101, page 71 et 72.
(12) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12, achat de 1/6 de Borderie à la Brejonnière de F. Cougnon à Chatry le 17-8-1790.
(13) Dalloz frères, Essai sur l’histoire générale du droit français, Bureau de jurisprudence générale – Paris – 1870, page 101.
(14) Joseph Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale, Panckoucke, Paris -1779- T 27, page 369 et s.
(15) Xavier Aimé, La Boutarlière ou le passé retrouvé – Chauché (1996).
(16) Louis Pierre d’Ozier, Armorial général ou registre de la noblesse de France, Registre second, 1e partie (1741), page 465.
(17) Archives de Vendée, notaire de
(19) Amblard de Guerry, Chavagnes communauté vendéenne, Privat (1988), pages 83 et s.
(20) Michèle Bimbenet-Privat, glossaire dans la présentation du Centre historique des archives nationales, série Y pour le Châtelet de Paris, répertoire numérique détaillé.
(21) Archives de Vendée, notaire de
Emmanuel
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