Les nombreux documents de la
seigneurie de la Chapelle Begouin à Chauché, se trouvant dans le chartrier de
la Rabatelière, ne permettent qu’une approche partielle des droits seigneuriaux
qui étaient pratiqués à la Chapelle, dans la période observée de la fin du 16e
siècle au milieu du 18e siècle. Heureusement, les deux tiers de ces
documents concernent ces droits, et parmi eux l’on trouve un papier censaire de
1723. Au total, ces documents semblent bien refléter les droits et devoirs du
seigneur de la Chapelle Begouin. Ils paraissent représentatifs de la
situation des droits seigneuriaux dans la région de Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie, même si sous l’Ancien Régime les exceptions étaient fréquentes.
Comme on sait, il faut distinguer
les terres nobles des terres non nobles pour apprécier les droits seigneuriaux.
C’est pourquoi, nous présentons ici pour commencer les droits seigneuriaux des
nobles eux-mêmes.
Pour le fief de la Chapelle, son seigneur devait la foi et hommage à son suzerain, le seigneur de Languiller. C’était en principe une cérémonie où le vassal portait à son suzerain la foi et hommage, puis lui jurait fidélité et lui offrait un devoir. Il y avait plusieurs types de foi et hommage. Le seigneur de la Chapelle Begouin devait un hommage lige sans ligence. L’hommage lige obligeait plus le vassal que l’hommage simple ou plein. Il était prioritaire en cas de pluralité d’hommages rendus par le vassal à plusieurs suzerains. La ligence était une obligation militaire de garde en un lieu donné pour une durée donnée, très pratiquée dans les fiefs voisins de Chavagnes-en-Paillers.
Les fois et hommages et le rachat
Pour le fief de la Chapelle, son seigneur devait la foi et hommage à son suzerain, le seigneur de Languiller. C’était en principe une cérémonie où le vassal portait à son suzerain la foi et hommage, puis lui jurait fidélité et lui offrait un devoir. Il y avait plusieurs types de foi et hommage. Le seigneur de la Chapelle Begouin devait un hommage lige sans ligence. L’hommage lige obligeait plus le vassal que l’hommage simple ou plein. Il était prioritaire en cas de pluralité d’hommages rendus par le vassal à plusieurs suzerains. La ligence était une obligation militaire de garde en un lieu donné pour une durée donnée, très pratiquée dans les fiefs voisins de Chavagnes-en-Paillers.
Pour le village voisin et fief de
la Barotière, le seigneur de la Chapelle devait à son suzerain un autre hommage
à rachat abonné à un éperon d’or et un cheval de service. Le rachat, aussi appelé cheval de service, représentait le droit payé par le nouveau
vassal aux mutations de biens. Il représentait en général un an de revenus du fief dans la plupart des
coutumes, et aussi dans le Poitou (1). À la Chapelle c’était un éperon d’or.
Ce droit de rachat pour la
Chapelle Begouin et la Barotière a été racheté en 1580 par René Begaud, à
son suzerain, moyennant le paiement comptant d’une somme de 800 livres (2).
Jules de Belleville, alors seigneur de Languiller, a abonné le droit de rachat
à 60 sols par chaque mutation du vassal de la Chapelle Begouin.
L’abonnissement, comme on disait alors, consistait à transformer un dû au
montant dépendant d’éléments variables, en une somme forfaitaire connue. Le
nouveau montant devenait symbolique, ne pouvant être nul. Cette vente confirme
le besoin d’argent frais de Jules de Belleville, qui a aussi vendu beaucoup de
droits seigneuriaux de ses seigneuries du Coin Foucaud et des Bouchauds.
En tant que suzerain lui-même, le
seigneur de la Chapelle tenait en gariment lignager le fief noble (hôtel et
métairie) de la Pitière (3). En Poitou, dans la tenure d’un fief noble à
gariment, l’aîné était chemier (chef de maison) du fief et les puinés étaient parageurs
du fief. Seul l’aîné rendait la foi et hommage, engageant ainsi les parageurs et acquittant les devoirs de fiefs à leur décharge.
II y avait plusieurs sortes de
tenures en gariment. Si cette tenure était établie en vertu du lignage (cas de la Pitière) ou de la parenté, c'était la tenure en parage proprement dite.
Si elle était établie par
convention ou usage, elle ne se modifiait
pas avec la fin du lignage, elle était dite en gariment ou part-prenant, ou part-mettant (4).
Le seigneur de la Chapelle tenait
aussi le fief de la Barotière (Chauché) par un hommage plein ou simple dû par
son vassal.
Dernier fief tenu par le seigneur
de la Chapelle, la pièce de terre d’un hectare environ appelée la Fraignaie,
située aux Essarts sur le tènement de la Corère. Dans le registre d’insinuation
de la seigneurie en 1721, on évoque le fief Brosset pour désigner cette pièce
de terre. C’est qu’en 1598, son tenancier ou propriétaire qui en fait aveu
s’appelait Jacques Brosset. Et ce nom est resté, alors que dans un aveu de 1684
pour le même fief le déclarant est François Heulin. On n’a pas réussi à
vérifier si Brosset était un noble. En revanche on sait qu’Heulin
ne l’était pas.
La Corère (Essarts) |
Le fief était tenu « noblement à foi et hommage plein, baiser et
serment de fidélité, et droit de rachat le cas advenant, et au devoir annuel à
chacune fête de noël de neuf deniers. » Le texte de l’aveu
reconnaît au seigneur de la Chapelle le droit de juridiction basse et droit
d’assise selon la coutume (5). Ce dernier droit concernait essentiellement les
roturiers, aussi nous l’évoquerons dans l’article concernant leurs devoirs
seigneuriaux. Dans le papier censaire
de 1723, au chapitre des cens et devoirs d’argent dus à la seigneurie au terme
de noël, on trouve un montant de neuf deniers pour « une pièce de terre et pré de la Fraignaie au tènement de la Corère
paroisse des Essarts, le propriétaire de ce domaine est à présent maître
Nicolas Houillon notaire aux Essarts, neuf deniers, et il y a reconnaissance de
ce devoir aux assises dernières » (6).
Enfin nous savons que le seigneur
de la Chapelle devait la rente noble de 112 boisseaux de seigle par droit de
rachat et droit de cens annuel de trois deniers, payés par le seigneur de la
Caducière (Brouzils). Le fief consistait ici en une
rente, et non un domaine foncier comme le plus souvent.
Les lods et ventes
Dans les droits seigneuriaux on peut aussi compter les lods et vente, aussi appelés vente et honneurs. C’étaient des droits payés au seigneur à chaque
vente ou succession de biens immeubles, de 1/6e
de la valeur des biens dans la coutume du Poitou.
Nous n’avons trouvé qu’une quittance de paiement de lods et vente, donnée en
1729 par le seigneur de Languiller à l’acquéreur de la seigneurie de la
Chapelle Begouin, mais sans indication du montant perçu. Les lods et vente
étaient dus sur les tenures censives, c'est-à-dire des biens non nobles, même appartenant à des
nobles.
La prééminence d’église
S’il est un droit seigneurial qui
a compté dans les esprits sous l’Ancien Régime, c’est bien la prééminence
d’église en faveur des seigneurs. On quitte les biens d’ici-bas avec cette
question, pour entrer dans le domaine de l’honneur, consubstantiel à l’idée de
chevalerie à ses débuts et composante essentielle de l’idée de noblesse ensuite.
On ne va pas rappeler ici le régime accordé par l’Église aux patrons
bienfaiteurs des églises et aux seigneurs haut-justiciers dans le Poitou au cours
des cérémonies religieuses (priorité pour l’eau bénite, pour recevoir
l’encens, place dans les processions, etc.) et dans l’église paroissiale (armes
sur les murs et les vitraux). À la Chapelle Begouin, c’est sur le droit d’enterrement dans
le chœur de l’église que s’est posé un problème.
Les seigneurs de la Chapelle
avaient le droit d’y enterrer leurs morts. On sait ainsi, à titre d’exemple,
qu’au début du 16e siècle, Christophe Bégaud et Jeanne Poitevin sa
femme, y furent inhumés. Louise Begaud, fit son testament
le 27 août 1540, dans lequel elle demande d’y être enterrée elle aussi (7). Ce droit était reconnu par l’Église,
mais appliqué de manière laxiste depuis longtemps. Au concile de Braga en 563 elle
avait interdit les enterrements dans les églises. Ces interdits furent répétés
dans les conciles du Moyen Âge, sans être pourtant bien respectés, à cause des
exceptions permises. Le dernier concile de Rouen en 1581 avait rappelé ces
exceptions : les prêtres et les patrons d’église possédaient de droit la
faculté d’être enterrés dans les églises, et par choix de l’évêque aussi les
personnes qui « par leur noblesse, leurs actions, leurs mérites se sont
distinguées au service de Dieu et de la chose publique » (8). Le patron d’église était son fondateur, souvent un seigneur laïc, comme probablement c’était
le cas à la Chapelle Begouin. Mais ce droit avait pris le caractère d’une
propriété transmise par héritage, dont bénéficiaient l’épouse du seigneur et
ses enfants encore plusieurs siècles après la fondation.
Or les seigneurs de Languiller, Philippe Chitton et son fils Charles Auguste, se sont mis en tête à la fin du 17e siècle d’exercer ce droit pour les membres de leur famille, ce qui semblait être une nouveauté. Leurs prédécesseurs, les Eschallard et les Harpedanne de Belleville, ne vivaient pas à Chauché. C’est ainsi que le registre paroissial de Chauché a enregistré, le 23 septembre 1698, l’inhumation « dans le cœur de la Chapelle Begouin, annexe de Chauché, le corps de dame Bénigne de la Bussière, en son vivant épouse de messire Philippe Chitton écuyer seigneur de Fontbrune conseiller du roi prévôt général du Poitou, âgée d’environ cinquante-six ans … ». (9). Pire, à cette occasion on a déplacé la dépouille de René Bégaud, seigneur de la Chapelle décédé vers 1601, pour faire de la place à la nouvelle venue, dont la famille était originaire de la seigneurie de la Vrignonnière des Essarts.
Jan Van Oolen : Duel des coqs |
Militaires de métiers, les deux
gentilshommes n’avaient plus le droit de vider leurs différents par un duel, comme
cela se faisait autrefois. Louis XIV, continuant l’œuvre de son père, avait
prescrit, par un édit de 1679 en son article 15 : « Les maréchaux de France connaissent en
dernier ressort, de tous différents concernant le point d’honneur, des
querelles entre gentilshommes et autres qui font profession des armes. »
(10).
Cette
mesure était donc obligatoire et Daniel Prevost de Lestorière, seigneur de la
Chapelle Begouin, qui avait saisi en février 1699 le présidial de Poitiers (11),
dut suspendre son action et accepter le compromis proposé par Biet, serviteur
de monseigneur le maréchal d’Estrée (12). Ce compromis chargea le
lieutenant général de Lusignan (13), le sieur Percheron, de prononcer une
sentence arbitrale, valant jugement, sur tous les sujets litigieux entre les
deux gentilshommes de Chauché, fixant les modalités de sa rémunération à
1 000 livres, les délais de production des preuves des
parties et le partage des frais de procédures.
Jean II d'Estrées |
Percheron rendit sa sentence
arbitrale le 25 février 1700 (14). Elle donna raison à M. de Lestorière sur les
problèmes de la métairie de la Girardière. Sur le droit d’enterrement, elle
essaya de satisfaire les deux adversaires.
Sur le
fondement du droit acquis et du droit de seigneurie, le juge décida de
garder le seigneur Prévost de Lestorière « dans sa possession actuelle du droit de sépulture dans l’église de la
Chapelle Begouin, à cause de sa terre et seigneurie de la Chapelle ».
L’argument peut sembler court, ignorant le droit de patronage comme fondement
du droit de sépulture. Il était reconnu par l’Église au fondateur de l’église
et ensuite à ses héritiers. Il est probable dans notre cas, mais non cité
explicitement. En revanche le droit de
sépulture reconnu dans le Poitou au seigneur de haute justice ne s’appliquait
pas aux seigneurs de la Chapelle et de Languiller, ne possédant tous deux que
le droit seigneurial de basse justice pour le
premier, et de moyenne justice pour le second.
Sur le
déplacement de la tombe de René Begaud de la Begaudière, gentilhomme de
la chambre du roi précise le juge, celui-ci n’est pas d’accord et ordonne que
cette tombe « sera rétablie
aux frais du dit seigneur de Languiller ».
Mais au profit de ce dernier, le
juge ajoute, sans recherche du droit applicable : « attendu qu’il est seigneur suzerain, avons ordonné qu’il prendra si bon
lui semble une autre place dans le cœur de ladite église pour sa sépulture et
celle de ses successeurs, qui ne pourra lui être contestée par le dit seigneur
de la Chapelle Begouin ». La motivation de cette dernière décision,
sur le principe de suzeraineté, semble bien pauvre et faible au regard des
règles de l’Église. On est tenté de l’expliquer par sa nature, une sentence
arbitrale en dernier ressort, et non un jugement susceptible d'appel.
Peut-être aussi prend-elle sa source dans certaines habitudes héritées de la
justice mérovingienne. Celle-ci cherchait avant tout à concilier les
litigeants, au temps de la personnalité des lois, plutôt qu’à appliquer le
droit. On cherchait la paix plutôt que la justice, ce qui constituait une
régression par rapport à la pratique du droit romain (15). Le jugement n’était qu’un dernier recours auprès d’une autorité
supérieure, et on préférait la médiation et la négociation, à une époque qui n’imaginait
pas, comme la nôtre, la prééminence d’une sphère publique sur la sphère privée. Mais il faudrait rester prudent à
cause de la hiérarchie des normes juridiques de ces temps très anciens. Dans
des lettres patentes de 1312 le roi de France l’établissait ainsi en commençant
par la norme la plus impérative :
Le Caravage : Enterrement de sainte Lucie |
- la jurisprudence d’abord,
- les constitutions et
ordonnances,
- puis la coutume à laquelle il
assimile la coutume écrite des pays du midi,
-
enfin, en dernier, l’équité et la raison (provenant du droit romain), ces
dernières n’ayant pas de valeur officielle, selon le roi (16).
Toujours est-il que désormais, à
l’aube du 18e siècle, le seigneur de Languiller venait d’acquérir un
droit reconnu d’enterrement dans cette église de la Chapelle Begouin. On sait que Languiller fut vendu
en 1745 au seigneur de la Rabatelière, qui avait acheté la seigneurie de la
Chapelle de Chauché en 1729. Il habitait Nantes et les sépultures dans l’église
de la Chapelle s’arrêtèrent au cours du 18e siècle. Mais le droit
honorifique attaché aux chapelles et églises gardait tout son prestige. C’est
ainsi qu’on lit dans le procès-verbal du 18 octobre 1779 du partage de sa
succession, que le seigneur de la Chapelle avait « tous ses droits
honorifiques en l’église de ladite Chapelle de Chauché comme patron et
fondateur d’icelle » (17).
(1) Voir notre article : La saisie féodale de la Mancellière à St André Goule d’Oie.
(2) Archives de la Vendée,
chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 74, Chapelle Begouin, vente du
8-9-1580 des droits de rachats de la Chapelle Begouin par Jules de Belleville.
(3) Selon G. de Raignac, la
Pictière de Chauché appartenait aux Aymon de la Petitière d’Aizenay, avant de
passer aux Montsorbier de la Braslière. Les lieux furent transformés en ferme
avant la Révolution [De châteaux en
logis, itinéraires des familles de la Vendée, Éditions Bonnefonds, (1997)
T8 page 171].
(4) Joseph
Nicolas Guyot, Pierre Jean Jacques Guillaume Guyot, Répertoire universel et raisonné de
jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiale,
(1784) Volume 8, page 135 et s.
(5) 150 J/C 78 : chapelle Begouin, aveu de J. Brosset à René Begaud du
15-12-1598, et dossier C 79 : aveu de François
Heulin à Daniel Prevost du 15-6-1684.
(6) 150 J/C 84, seigneurie de la Chapelle Begouin : papier censaire de la seigneurie de la Chapelle
arrêté le 23 janvier 1723, 12e page.
(7) 150 J/C 71, seigneurie de la
Chapelle Begouin, testament du 27-8-1540 de Louise Begaud.
(8) Philippe Ariès, L’homme
devant la mort, Seuil, 1977, page 54.
(9) Archives de Vendée, registre paroissial de Chauché :
enterrement de Bénigne de la Bussière, épouse Chitton, le 23-9-1698 (vue 70/97).
(10) Daniel
Jousse, Traité de
la justice criminelle de France, Debure père libraire (1771), page 381.
(11) Tribunal traitant en premier ressort les différents entre nobles
de la sénéchaussée du Poitou.
(12) Jean II d'Estrées (1624-1707), maréchal de France en 1681. Voir Wikipédia.
(13) On désignait ainsi un
magistrat.
(14) 150 J/C 84, seigneurie de la Chapelle Begouin, sentence arbitrale de Percheron entre les seigneurs de
Languiller et de la Chapelle du 25-2-1700.
(15) B. Demezil, Des Gaulois aux Carolingiens, PUF (2013), page 100.
(16)
Françoise Hildesheimer, Rendez à César,
l’Église et le pouvoir, Flammarion, 2017, page 167.
(17) Partage du 18-10-1779 de la succession
de René de Montaudouin seigneur de la Rabatelière, page 50, Archives de Vendée,
chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 68.
Janvier 2014 complété en octobre 2020
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