L’actuel logis du Coudray a été restauré au 19
e siècle, pour remplacer le précédent, incendié par
les révolutionnaires pendant la guerre de Vendée. Sans dessin représentant
celui d’avant, il parait difficile de se faire une idée de son architecture
avant sa destruction par les bleus.
L’inventaire après-décès de 1762
Cependant, l’inventaire après-décès de son
propriétaire, Louis Corbier, sieur de Beauvais, effectué du 8 au 13 février
1762, nous permet d’esquisser une description (1). Elle est représentative des
riches habitations de l’époque dans le bocage vendéen, bien éloignées néanmoins
de nos standards de conforts modernes comme on va le voir.
Le propriétaire était un
bourgeois, possédant la métairie attenante à son logis au Coudray et une
borderie au village du Gast, toutes deux à Saint-André-Goule d’Oie. Il possédait
aussi une borderie à Villeneuve (Chauché), une métairie
à Saule (la Verrie) et la métairie des Piots en la paroisse de Saint-Pierre de
Cholet. Son logis constituait autrefois la maison noble du fief du Coudray, à l’origine
vassal de la seigneurie du Coin (Saint-André). En 1762, celle-ci, ainsi que sa
propre seigneurie suzeraine, Languiller (Chauché), appartenaient au seigneur de
la Rabatelière, Montaudouin.
La
notion de « maison noble », qui lui avait été attachée, désignait un bien
noble ne préjugeant pas de son architecture. C’était l’habitation principale du
seigneur du fief, ou parfois celle de son fermier ou régisseur, quand le
propriétaire accumulait les propriétés de fiefs. Mais en tant que bien noble il
était exonéré de certains impôts pour les nobles. C’est dire si on a conservé
avec intérêt, quel que soit l’importance et l’état des bâtiments, l’appellation
de maison noble au fil des siècles de l’Ancien Régime.
L’architecture du logis
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Logis actuel |
Le
bâtiment de la maison noble du Coudray comprenait deux niveaux en rectangle,
sans forme originale. Le corps central du logis actuel restauré au 19e
siècle, avec ses trois niveaux, est plus haut et moins long que le bâtiment du 18e
siècle. Et on sait que les deux ailes ont été ajoutées lors de la restauration.
Nous n’en savons pas plus sur le bâti des murs et sur la toiture. Mais avec une
bonne probabilité de ne pas se tromper, on peut reprendre ce que des
photographies de maisons semblables, ayant traversé les siècles, nous
apprennent. Les pierres étaient apparentes, et souvent l’encadrement des portes
et fenêtres bénéficiait d’une esthétique propre par sa forme en arrondi au-dessus,
ou par ses matériaux, où le granit remplaçait le schiste. La tuile rouge était
alors le matériau noble qu’on savait fabriquer dans les tuileries des environs.
Elle recouvrait les toitures des riches maisons, alors que les autres étaient recouvertes
de chaume.
Néanmoins
un pigeonnier dépassait le toit au logis du Coudray, auquel on accédait à
l’intérieur par le grenier. À lui seul il donnait au bâtiment une rare
distinction dans la région. Sa longueur aussi dénotait, et pouvait en imposer,
comprenant au rez-de-chaussée six pièces en enfilade, où l’on passait d’une
pièce à l’autre, sans couloir. A l’étage, il n’y avait que deux chambres, mais
prolongées par un grand grenier servant à entreposer les récoltes de céréales
et de fruits. En comparaison rappelons-nous que les maisons des métayers ne
comprenaient que deux pièces au rez-de-chaussée avec le grenier au-dessus. Pour
les plus importantes, dans les grandes métairies, on comptait trois pièces.
Dans
le langage de l’époque, une pièce dans une maison s’appelait généralement une
chambre. Sa destination était toujours multiple, à la fois cuisine, chambre à
coucher, etc. Mais chez Louis Corbier il y avait beaucoup de chambres et
certaines avaient une destination particulière.
C’était
le cas de « la chambre d’entrée,
appelée le salon » dit le texte de 1762. Pas de vestibule ni de
couloir, on entrait directement dans ce qu’on a appelé un salon, mais le mot nous
apparaît un peu abusif ici. S’y trouvaient une met ou huche à pétrir le pain,
reposant sur deux socles en bois. À côté une sorte de cage (appelée clisse)
avec des châssis d’osier ou de jonc, « ouvrant à deux portes, fermant celle d’en haut à clé en fer, celle d’en
bas avec un loquet ». Un garde-manger complétait le mobilier. Chez les
plus riches bourgeois ou nobles, le salon n’avait rien à voir avec cet ameublement
bien rustique, mais au combien plus aisé néanmoins que dans l’habitation du
métayer d’à côté.
La cuisine
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Tableau d'Albert Anker |
On passait de cette pièce
d’entrée dans la cuisine. Là-aussi son mobilier donne une idée très précise de l’usage
de la pièce. Bien sûr il y avait une table entourée de bancs, un coffre en bois
et de nombreux ustensiles de cuisine. Mais il y avait aussi deux lits, un
« petit lit à tombereau »
pour enfant et un « lit de
domestique ». Comme souvent, la cuisine servait aussi de chambre à
coucher, ici pour les domestiques.
La chambre à coucher de madame
La troisième pièce du rez-de-chaussée était « la salle
basse de la maison où était décédé ledit sieur de Beauvais ». C’était en fait
la chambre à coucher de madame, possédant une cheminée. Elle était meublée de
deux lits, deux armoires, trois petites tables, dix fauteuils, neuf chaises et
un guéridon. À l’intérieur des armoires s’y trouvaient la garde-robe de la
maîtresse des lieux, du linge de maison et aussi un peu de vaisselle. Pour
faire sa toilette, il y avait ce qu’on appelait une « fontaine » en faïence enchâssée dans un montant en bois
sculpté, c'est-à-dire un vase à contenir de l’eau, avec sa « tirette ». Celle-ci était une
ouverture qu’on ouvrait et qu’on fermait avec des bouchons. À côté se trouvait
une paire de carafes avec son porte
carafe de faïence. Au mur était accroché un miroir et deux tableaux
« dont l’un représentant la
Sainte Vierge et l’autre un Christ ». La décoration avait sa touche de
gaîté avec des images imprimées (en noir et blanc ou couleur, on ne sait pas), « neuf feuilles d’images
attachées aux murs de ladite salle, intitulée Versailles, départ de l’enfant
prodigue, l’air, la terre, le feu et l’eau ». C’est la seule pièce de
la maison ainsi décorée sur ses murs.
La chambre à coucher de monsieur
À côté de cette chambre
se trouvait la chambre du maître des lieux, plus petite, dénommée dans
l’inventaire « la chambre au bout de la salle ». Une armoire contenait ses habits et une
autre quelques habits de madame et de la vaisselle précieuse. On y découvrit deux
pistolets, une épée et une tenue de cavalier. Outre un lit bien sûr, la chambre
était aussi meublée d’un fauteuil, deux chaises et deux tables ovales. Et un
escalier permettait d’accéder de cette pièce dans une chambre située à l’étage.
Le débarras
De
cette chambre de monsieur on passait ensuite dans une autre pièce, désignée
comme celle « ayant sortie sur le
jardin ». Elle avait donc une porte donnant sur l’extérieur,
probablement à l’arrière de la maison où devait se trouver le jardin. C’était
plutôt une pièce de remise, un débarras comme l’on dit habituellement en
Vendée. L’aérropage faisant l’inventaire, composé d’un notaire et de son
collègue, le procureur fiscal des Essarts, Mme de Puyrousset la veuve, et pour
les estimations un menuisier et un charpentier, découvrit dans la pièce :
« une
petite baille dans laquelle il y a environ trois boisseaux de sel ».
C’était un bacquet ressemblant à une portion de tonneau découpée.
« quatre
fûts de barrique dans l’un desquels il y est un peu de plume ».
« une
cage à mettre poulets ».
« une
barrique de vin nouveau ».
« vingt-huit
limandes de différentes façons et de bois de chêne ». C’étaient des
pièces de bois de sciage plates, peu larges et peu épaisses. À côté il y avait
aussi vingt planches et quatre morceaux de bois servant dans un pressoir
Le cellier
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Gustave Marchegay : Le cellier
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À
côté de ce débarras on entrait dans la dernière pièce du rez-de-chaussée :
le cellier. Il abritait sept barriques,
dont six de vin nouveau en ce mois de février. On a aussi inventorié un petit
tonneau appelé un « tierson »
(contenant le tiers d’un tonneau), et aussi « cinq bouteilles et une demi bouteille de verre, une petite bouteille
aussi de verre clissée (entourée de paille, osier ou cuir) et neuf gobelets aussi de verre. ».
C’est aussi dans le cellier qu’on a trouvé un « charnier de terre qui est ferté (renforcé) avec le peu de lard qui est dedans ». C’était
le frigo de l’époque, petite construction à l’abri de la chaleur extérieure
pour garder les viandes salées.
Les deux chambres pour enfants
Par un escalier situé dans la
chambre de monsieur, on accédait à l’étage dans une chambre « haute ». Les chambres dites « basses » étaient situées au rez de chaussée. Cette chambre devait avoir sa cheminée probablement et était
meublée d’un lit, une armoire, une table carrée, deux fauteuils, deux chaises
et deux porte-manteaux. Dans l’armoire on a trouvé principalement du linge de
maison, et aussi un petit « bissac »
(sac double de paysan pour mettre ses hardes et ses provisions), de la laine,
des pièces de toile et un petit « retts »
(filet servant à la pêche ou à la chasse). On sait que Mme Corbier mit deux
enfants au monde qui n’ont pas survécut. Il est probable que cette pièce, comme
celle d’à côté aurait été celle des enfants.
De cette chambre on passait dans
« une petite chambre », non
meublée, plutôt un débarras. On y a inventorié une paire de bottes « à la page dudit feu sieur de Beauvais »,
suivant l’expression de l’époque. Et pêle-mêle : « trente-huit botteaux (bottes) de lin de différentes grosseurs et qualité »,
une barrique « dans laquelle il y a
environ deux boisseaux de poire melée » (séchée), un tas de charbon et
trois paniers en jonc.
Le grenier
Le grenier à côté entassait,
suivant l’usage habituel dans toutes les maisons à étage, les fruits des récoltes,
surtout les céréales. En ce mois de février 1762, l’équipe d’inventaire a
trouvé 36 boisseaux de seigle évalués à trente sols le boisseau, 2 boisseaux
d’avoine, 3 boisseaux de blé noir, 6 boisseaux de gaboret (mélange de céréales
secondaires, orge et avoine, avec de la paille), 1 boisseau de baillarge (orge
prime ou du printemps), 6 boisseaux d’orge, 2 « boisseaux de poire rondes et un demi-boisseau de poires d’Espagne
jaunes », 1 « boisseau à
mesurer blé ». On a inventorié aussi 11 « poches à mettre blé », une scie à bois, 3 fûts de barriques
vides et 8 « palissons ronds, deux
autres longs en façon de bourriche, et quatre autres aussi longs avec un
greleau ». Les palissons étaient des pièces en bois et en métal
servant à assouplir les peaux dans le travail du tannage. On ne nous dit pas
comment on accédait au grenier, probablement à partir d’une des chambres de
l’étage. Mais vraisemblablement, les sacs de céréales devaient entrer par une
fenêtre, peut-être avec un système de poulies pour les soulever. Sinon il
aurait fallu de l’intérieur passer par la chambre de monsieur, ce qu’on imagine
mal.
Le pigeonnier
Du grenier on accédait au
pigeonnier, où on a trouvé «
douze
douilles de barriques et vingt et une pièces de foncaille ». Les
douilles de barrique (comportes) servaient
à transporter les raisins lors des
vendanges, et les foncailles, pièces en bois légèrement courbées et encerclées,
formaient la paroi des barriques.
L'existence
de ce pigeonnier atteste du droit de
colombier, apparemment tombé en désuétude. C’était un bâti destiné à y nourrir
et y entretenir des pigeons. Il y en avait de deux sortes :
-
les colombiers à pied,
bâtis en forme de tour. Ils étaient une marque de noblesse pour le seigneur
Haut Justicier. Nul ne pouvait en faire sans sa permission.
-
les volières et autres
colombiers, nommés aussi « fuyes », qui étaient bâtis sur piliers ou
sur solives, avec un cellier ou une étable dessous. Chacun pouvait en faire
construire si la coutume du lieu n'était pas contraire.
Ce pigeonnier
du Coudray fait partie de la deuxième catégorie, témoignant de son passé de seigneurie.
Les bâtiments de la métairie
|
J. B.
C. Corot : Cour d'une maison
de paysans, aux environs de Paris |
L’inventaire se poursuit ensuite
en dehors du logis dans les bâtiments d’exploitation de la métairie attenante. Et
on commence par un local appelé un « petit
renferni au bout du toit aux vaches
où est le lit aux valets ». Outre le lit avec sa literie, on y a
trouvé « cinq bernes (2) dont trois
mauvaises avec un petit bacquet, une jaule
de clisse [couvercle en osier] à
couvrir le lait » et beaucoup d’outils de travail appartenant au sieur
de Beauvais. Ils étaient en fer : un hachereau, une tranche, deux pelles,
deux fourches à trois doigts, un râteau, deux serpes, une faucille, deux fléaux
pour battre blé, etc.
Dans la grange, le propriétaire
décédé y possédait du foin et des morceaux de bois, dans la cour, des fagots de
bois pour le chauffage et des objets divers (roue, crochets, lattes), dans
l’écurie une jument avec son équipement en cuir (3 selles, 2 brides et 1
licol).
Enfin dans le toit aux vaches et
le toit aux bestiaux de la métairie on a fait l’inventaire des animaux, car la
moitié de leurs valeurs appartenait au propriétaire. On fit de même à la
borderie du village des Gast.
(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent,
Frappier : 3 E 30/3, inventaire après-décès de Louis Corbier de Beauvais du 8
au 13 février 1762.
(2)
Couverture épaisse tissée en laine grossière.
Emmanuel
François, tous droits réservés
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