La Racinauzière à Saint-André-Goule-d’Oie est située au bord de la rivière de la Petite Maine, qui la sépare de la paroisse
de Chavagnes-en-Paillers. Au sud-est elle touchait ce qu'on appelait jadis le tènement de la
Maisonneuve relevant en partie de la Mancellière
sous la suzeraineté des Bouchauds, l’autre
partie relevant du Coin Foucaud (1). La Maisonneuve, ainsi que la Bordinière, sera soustrait du territoire de
la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie pour passer dans celui de la nouvelle paroisse
de la Rabatelière, créée officiellement en 1640.
La Petite Maine |
Entre aujourd’hui et hier quels
contrastes ! Des haies bien taillées ont remplacé, près des maisons
rénovées, les fourrés qui protégeaient les anciennes chaumières. Les modernes
et imposantes installations d’élevages de maintenant, intrigueraient beaucoup
les laboureurs à bras d’autrefois. Mais les siècles passant, la Racinauzière
reste un lieu protégé, située au terminus de sa voie d’accès. Et le ruisseau de
la Petite Maine méandre toujours près des maisons, dans la tranquillité d’un
temps immémorial.
Une importante métairie et des droits de fief réunis à la ferme
En 1550, les teneurs (propriétaires)
de la Racinauzière payaient au titre de la seigneurie du Coin un cens de 40
sols et 16 ras d’avoine. De plus, ils payaient un droit de terrage consistant à
donner le 1/6 des récoltes au seigneur, et une
dîme sur les petits animaux d’élevage dont le tiers allait au curé de Saint-André et les deux tiers au temple de Mauléon, une commanderie de l’ordre de Malte (2). Enfin l’ancienne corvée de 3 jours par an avec 5 charrettes attelées de 6 bœufs,
avait été arrentée et incorporée dans le cens (3).
Ces redevances seigneuriales ont
été ensuite comprises dans le prix de ferme, au moins en grande partie. Au moment de payer en 1757 le droit de rachat pour cette
métairie à la baronnie des Essarts, à cause du décès de son
possesseur, René Montaudouin, ses héritiers indiquent que la Racinauzière
« ci-devant roturière est devenue noble par la réunion du fief dominant au
fief servant » (4). La métairie (fief servant) relevait, est-il
écrit dans la quittance du rachat, des Bouchauds annexe de Languiller (fief
dominant), qu’avait achetée en 1745 le seigneur de la Rabatelière, déjà
possesseur de la métairie au moins depuis le début du 17e siècle. Et
les revenus des Bouchauds se partageaient par moitié entre Languiller et les
Essarts. Le bien étant devenu fief noble par cette réunion, le possesseur devait payer
à son suzerain un droit de rachat à chaque mutation de vassal, valant la moitié
du prix d’une ferme annuelle dans le cas présent. Dans un partage en 1779 d’une succession du seigneur de la Rabatelière il
est mentionné un sol de service annuel. On lit aussi que la métairie était un
bien noble, ainsi que son fief de vigne à complant et les bois de chênes épars
dans les dépendances de la métairie (5). Dans les comptes du régisseur du
château de la Rabatelière, on voit une somme d’une livre 5 sols payés par des
teneurs de la Racinauzière pour une année de devoirs échus à noël 1758 (6).
À quand remontait cette réunion
de la Racinauzière avec la seigneurie des Bouchauds ? Nous avons vu que
ses teneurs payaient des redevances féodales au seigneur du Coin Foucaud en 1550. Cela
ne suffit pas à faire de ce dernier le suzerain du tènement de la Racinauzière,
il a pu n’être que le possesseur des redevances (cens, rente, terrage, dîme,
corvées), même si le cas est rare à ce point et normalement impossible à
cause du cens. D’autant que la Racinauzière
n’est pas citée dans l’aveu de Languiller pour la seigneurie du Coin, à la même
année 1550 (7). Ainsi, quoique surprenante, cette situation de la Racinauzière à
l’égard du Coin n’emportait pas, semble-t-il, un droit de fief de ce dernier et une mouvance
sur cette métairie limitrophe. D'où le paiement d’un rachat en 1757 fait au baron des Essarts à cause de la mouvance des Bouchauds. Dans un
paiement en 1731 d’un précédent rachat on affirme même que la Racinauzière
relevait de la seigneurie des Bouchauds (8). L’intégration des redevances
seigneuriales avait déjà été faite en 1659 dans la ferme de la Racinauzière, celle-ci d’un montant de 320 livres par an, alors qu’à la même date la ferme voisine de
la Roche Mauvin, d’une surface identique, était de 232 livres par an. Mais si
en 1659 le possesseur de la métairie de la Racinauzière était bien le châtelain
de la Rabatelière, il ne possédait pas encore Languiller, dont le fief dominant des Bouchauds était une annexe,
pour faire la réunion des fiefs. Pourtant la réunion de la Racinauzière à son suzerain
des Bouchauds précède l’aveu cité ci-dessus de 1550 du
seigneur du Coin. Dans les
notes d’Amblard de Guerry on lit qu’une partie de la Racinauzière est du fief
des Bouchauds et que la Mancellière en fit aveu en 1530 (9). Voilà qui confirme une situation mal éclairée
par la documentation disponible sur la dépendance de la
Racinauzière.
Terrier de la Rabatelière de 1651
(Archives départementales de la Vendée) |
Dans le terrier de la
Rabatelière en 1651, on remarque l’importance des menus suffrages dus par
les métayers de la Racinauzière. Le terrier était un recueil portant
l'indication exacte des redevances dues par les tenanciers d'une seigneurie ;
il était établi sous la forme d'un acte judiciaire. On y lit que les métayers
payaient à Pâques un chevreau, à la Pentecôte 6 poulets, 4 oisons, 4 moutons
d’un an, plus deux autres non tondus « tels
qu’ils seront faits marqués par ladite dame à la Saint-Jean-Baptiste », 30
livres de beurre net, un pourceau de mars payable à la Toussaint, 4 chapons, six
aunes de toile de lin, un millier de fagots pris dans le bois taillis de la
métairie et transportés à la Mancellière. Ces différents suffrages ont été payés,
comme on le lit dans le terrier, à « monsieur
de la Rabatelière ou à sa femme pour l’année 1650 ». Ils paraissent
plus importants que les habituels menus suffrages des métayers. Fixés en
nature, ils étaient payés en argent le plus souvent. De plus, les métayers devaient
entretenir leur part de deux planches dans la vigne du château, mais comme ceux
des autres métairies environnantes. Ils étaient aussi « sujets à toutes corvées hommes, femmes et
bœufs », suivant l’usage pour les métayers (10).
Il nous faut aussi remarquer que
nous sommes dans une grande métairie avec ses 40 hectares environ dont 5 ha de prairies
naturelles et 5 ha de pâtis et landes en 1659 (11). Dans une estimation en
1797, lors du partage République/Thérèse Montaudouin, elle est indiquée
contenir 305 boisselées environ, (37 ha). Au bord de la rivière on a
ainsi une importante surface dédiée à l’élevage, et donc une capacité
d’enrichissement plus importante qu’ailleurs, même si elle est aléatoire aux
épizooties. Le total équivaut en surface à la métairie de la Roche Mauvin, avec
seulement 7 champs et 7 prés et landes. Les surfaces des 7 champs en terres
labourables sont grandes : le plus petit fait 7,5 boisselées et le plus
grand fait 80 boisselées. On sait qu’à la Porcelière, la métairie s’est
constituée par achats de petites parcelles foncières, qu’on a conservées. Ici
elles ont été restructurées en de vastes champs après coup, ou peut-être le
tènement est né métairie au Moyen Âge, sans dispersion de l’espace en de
nombreuses tenures par la suite. Et nous le trouvons inchangé au 17e
siècle.
Cette métairie de la Racinauzière
se distinguait des Champs de la Racinauzière situés sur la paroisse de Chauché
et passés à celle de la nouvelle paroisse de la Rabatelière crée en 1640. Ils
étaient délimités précisément entre les terres de la Martinière et celles de la
Bleure d’un côté, et le ruisseau qui descend de l’étang de Languiller de l’autre
côté. Au-delà du ruisseau se trouvaient les terres de Maisonneuve appartenant
alors à la paroisse de Saint-André. Ces champs occupaient une surface de 3
septrées de terres labourables, chaintres et gastes (landes). Elles devaient un
terrage au 1/6 des récoltes à la seigneurie du Coin, et un cens et devoirs annuels de 20 sols,
2 poules et 6 boisseaux de seigle (12).
La métairie en 1659
La métairie est évaluée en 1659 à
5 270 livres, dont 850 livres pour les bâtiments. Le prix moyen d’une boisselée de terre labourable est de 11,4 livres
(variant de 6,6 à 13,7 livres selon les champs), et d’une boisselée dans la
pièce de landes et pâtis de 9,2 livres. Le prix moyen d’une
boisselée de pré est de 31,7 livres dans une fourchette allant de 24 livres à
37 livres (13). C’est plus qu’à la Porcelière et à la Roche Mauvin. Pour apprécier ces valeurs, indiquons
qu’à la même époque le minimum fixé pour la rémunération annuelle d’un curé de
campagne était de 300 livres, salaire important à l’époque pour une fonction
prestigieuse. Et on a vu le régent (instituteur) payé 150 livres en plus du
logement, pour une fonction qui n’était simplement que considérée, il est vrai.
Les prix de ferme pratiqués sont
intéressants à comparer avec ceux de la Roche Mauvin. En 1650, on a 232 livres
à la Roche Mauvin et 320 livres à la Racinauzière (12). Pour une surface à peu
près identique, et une part de prés à peu près équivalente, on explique la
différence de prix des fermes peut-être par la différence de la valeur des terres estimée
à la même date en 1659. À 0,74 £ la boisselée, la terre de la Roche Mauvin est
inférieure de 26 % à celle de la Racinauzière, alors que le prix de ferme est
inférieur de 27 % à la même époque. À partir du milieu du 18e siècle
le prix de ferme de la Roche Mauvin augmentera de manière importante pour se
rapprocher de celui de la Racinauzière, réduisant l’écart à 10 %. L'explication à ces différences de valeur est à chercher dans les
redevances seigneuriales dont tenait compte le montant de la ferme. La
métairie de la Roche Mauvin devait au Essarts deux rentes annuelles de 31
boisseaux de seigle et 15 boisseaux d’avoine, à Languiller une rente annuelle
de 3 livres 14 sols, au curé des Essarts 2 boisseaux de seigle, 15 boisseaux d’avoine
et 16 sols 4 deniers, et enfin au seigneur de Landellière une rente de 2 boisseaux
de seigle, 4 boisseaux d’avoine et 3 sols 6 deniers (14). Le tout pouvait valoir
à cette époque environ 55 livres. Ajoutées aux 232 livres de la ferme, cela
fait un total de 287 livres, inférieur de seulement de 9 % à la ferme
de la Racinauzière en 1650.
Le refroidissement climatique au tournant des 17e et 18e siècles à la Racinauzière
La crise climatique et
frumentaire de la fin du 17e siècle s’est fait sentir à la Racinauzière.
Le prix annuel de la ferme passe de 330 livres en 1662 (15) à 320 livres en 1698
(16), toujours le même vers 1720 (17), puis remonte à 340 livres en 1734 (18) et à
345 livres en 1752 (19), prix conservé jusqu’en 1775 au moins.
Les pluies abondantes du
printemps de 1692, avec des températures froides, suivies d’un été pluvieux,
avaient donné une très maigre moisson. L’année suivante fut pire en humidité,
et la moisson presque totalement compromise, engendrant une famine. S’en suivit
un hiver 1694 parmi les plus rigoureux qu’on ait connu. Le froid vint s’ajouter
à la famine et aux épidémies pour provoquer une perte de plus d’un million
trois cent mille personnes en France. C’était autant de morts que la première
guerre mondiale plus tard, mais dans un pays moitié moins peuplé, et en
l’espace de deux ans seulement (20).
À Saint-André-Goule-d’Oie on observe un doublement
du nombre de décès en 1692 (60 morts) par rapport à celui des trois années
suivantes. À Chavagnes-en-Paillers, où figurent des actes se rapportant à des
habitants de la Racinauzière, à cause de la proximité du bourg de cette
paroisse voisine, on constate cette dépopulation, mais à une faible échelle. En
1693 le nombre de décès n’y est que de 31. Il monte à 63 en 1694, et à 76 en
1695, dépassant le nombre des naissances, qui est respectivement de 41 et 68.
Mais dès 1696 la situation redevient normale : 73 naissances et 29 décès.
Peut-être le sarrasin a-t-il, comme en Bretagne, suppléé au seigle dans la
nourriture de base, sa culture résistant mieux aux intempéries. Des groupes de
mendiants parcouraient alors les campagnes, et c’est peut-être ce qui explique
l’enterrement dans le cimetière de Chavagnes, le 30 septembre 1694, « d’un passant, taillandier originaire
de Lyon, dont on ignore le nom » (vue 10 du registre paroissial
accessible sur le site internet des Archives de la Vendée).
Les dernières années du 17e
siècle et les premières du 18e siècle, ont vu un climat
particulièrement froid et humide, représentatif de ce qu’on a appelé le P.A.P.
(Petit âge glaciaire). À lui seul il a provoqué beaucoup de morts, compte tenu
des modes de vie et d’hygiène de l’époque, et beaucoup de misères. Nul ne saura
isoler ce facteur de celui des impôts et des guerres de la fin de règne de
Louis XIV, pour expliquer l’appauvrissement des campagnes. De celui-ci nous en avons
déjà fait le constat à la Chapelle Begouin : voir notre article publié sur ce
site en décembre 2013 : Les domaines de la seigneurie de la Chapelle Begouin à Chauché. L’histoire du climat a été plus tardivement étudiée, mais sa place dans
l’histoire des hommes est incontournable.
Et puis l’amélioration climatique
et agricole post 1694 fut en demi-teinte. 1696 connut un hiver gélif pour une
partie des semences, suivi d’un été pourri. 1698 fut une mauvaise année. Sur le
registre paroissial de Chavagnes, à la fin de l’année, le curé a écrit : «
le quatrième du mois de mai en 1698, nos
vignes furent vendangées par les vendangeurs de la colère de Dieu vu que
l’année avait été si prime. Il ne s’est pas amassé un verre de vin en toute la
paroisse, ni un quarteron de pommes » (vue 83). C’est la fameuse
gelée du 3 mai 1698 connue des historiens, notée le 4 mai par le curé de
Chavagnes en fin d’année, suivie d’un été pluvieux. Il y aura plus tard le
terrible hiver 1709, tueur des semences d’automne. Le curé de la Rabatelière
s’en est fait l’écho sur son registre paroissial à la fin de l’année
1709 : « Il est à remarquer que
cette année il y a eu un hiver si rigoureux que presque tous les arbres ont
péri par la gelée, aussi bien que le blé, ce qui a causé un cher temps. Le blé
seigle de la mesure de Saint-Fulgent a valu trois livres quinze sols. Cet hiver
commença au commencement de février 1709, a duré quinze jours, qui a fait
porter un deuil à toute la terre. Ce qui n'a jamais été vu, noyers, chateniers,
poiriers, presque tous les pommiers jusqu'aux housins, tout a gelé ; les vignes
mesmes : le vin de Chavagne a valu cent vingt livres le tonneau. » (Vue
60). À Versailles le vin gela dans le
verre du roi (21).
La métairie en 1700
Les réparations à faire sur les
bâtiments de la Racinauzière en 1700 restent modestes comparées à la
Mancellière par exemple. Le devis est de 75 livres seulement. Il faut refaire
une partie de la cheminée du four de la boulangerie, trois portes, et une
partie des couvertures en tuiles des toits des animaux (22). On sait que le
fermier judiciaire qui gérait les domaines de la Rabatelière à l’époque, suite
à leur saisie, obtint une décision du parlement de Paris pour l’autoriser à
faire faire des devis de réparations, signe d’une dégradation résultant très
probablement de la situation de saisie judiciaire.
L’existence d’une boulangerie à
la Racinauzière n’est pas une exception. Elle est due aux habitats dispersés
poussant à l’autarcie de leurs habitants. En même temps cela les exclus du droit
de banalité sur les fours seigneuriaux, appliqué aux habitants des bourgs comme
ceux avérés de Saint-Fulgent et des Essarts.
Le court passage du procès-verbal
de la visite des lieux ne concerne que les bâtiments de la métairie appartenant
au château de la Rabatelière. Faut-il en déduire logiquement qu’il s’agit d’un
habitat isolé, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de village où vivaient
plusieurs feux non dépendants de la métairie ? L’absence, parce que non
significative dans le chartrier de la Rabatelière, avec ses manques, de déclarations roturières
se rapportant au tènement, nous empêche de répondre. On sait que ce sont les
villages, quelle que fût leur taille, qui ont constitué dans les nouveaux
peuplements post carolingiens, le cadre normal de l’existence dans les
campagnes (23). En 1700 à la Racinauzière, le village des origines n’était
peut-être pas encore réduit aux seuls bâtiments de la métairie. Il pouvait y
avoir des habitats pour des laboureurs qui se louaient à la métairie ou
ailleurs.
Les baux de la métairie et ses métayers de 1662 à 1789
Le premier bail que nous avons pu
lire de la métairie de la Racinauzière, a été signé le 18 janvier 1662 par Louis
Penisson, sieur de Sainte-Catherine, demeurant à la Mancellière, et chargé de
la gestion des biens de la Rabatelière pour le compte de sa propriétaire, alors
Marie de La Baume Le Blanc (24). À cette date, la Racinauzière est rattachée à
cette seigneurie voisine, ce qui se comprend parfaitement à cause de la
proximité, et surtout parce que le propriétaire était le même.
Fernand Herbo :
Bord de rivière
|
Nous avons étudié dans le détail
des baux des métairies de Linières au début du 19e siècle. Trois
articles ont été publiés sur ce site pour en rendre compte, d’octobre à
décembre 2011 : Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (Première partie), Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (deuxième partie) et Le statut des métayers de Linières de 1800 à 1830. On remarque que deux siècles auparavant les principales clauses des
baux étaient les mêmes, reflétant les mêmes techniques agricoles et fixant le
même statut des métayers, ceux-ci étant en communauté, c'est-à-dire à plusieurs
couples pour assurer la charge de travail des grandes métairies. On remarquera
seulement que les baux ne commencent pas systématiquement à la Saint Georges comme
deux siècles plus tard.
Il faut aussi souligner,
contrairement à ce qui a pu être écrit parfois, que les baux n’étaient pas à
partage de fruits, mais le plus souvent à prix d’argent en ce 17e
siècle à Saint-André-Goule-d’Oie. Les propriétaires d’alors et leurs
intermédiaires (régisseurs ou fermiers) voulaient du numéraire, sans
s’embarrasser de suivre les exploitations agricoles de près. Et pas seulement à
cause de la situation judiciaire du propriétaire en état de saisie à la Rabatelière, ou de son
éloignement. On a d’autres exemples identiques pour des propriétaires non
poursuivis par des créanciers et habitant sur place. Des historiens ont écrit
que le développement du bail à colonage partiaire, ancêtre du bail à métayage,
où le prix du fermage consistait à partager les fruits du travail entre le
bailleur et le preneur, a été une conséquence de la taille royale (26). C’est
que l’argent paraissait moins dans ce cas, facilitant les tentatives de
minoration du montant de l’impôt. La taille a été créée en 1479, et ce facteur
ne paraît pas avoir joué deux siècles plus tard à Saint-André-Goule-d’Oie pour
favoriser le bail à partage de fruits.
Une précision intéressante cette
fois dans le bail de la Racinauzière : le bétail de la métairie est évalué
à 220 livres en 1662, appartenant au bailleur. À la fin du bail, les preneurs
s’engagent à laisser du bétail pour une somme équivalente. Cela veut dire que
les preneurs garderont pour eux les revenus provenant des naissances, moyennant
une somme forfaitaire à payer de 20 livres chaque année à la Saint Georges,
s’ajoutant au prix de la ferme. C’était une location du bétail à raison d’un
intérêt de 9 % du capital. Voilà qui est intéressant pour le bailleur, mais
aussi pour les preneurs, qui pouvaient garder pour eux le surplus des bénéfices,
sans mise de fonds. La formule est déjà celle des baux de « cheptel de fer » formalisée dans le
code civil de 1804. Mais le risque des épizooties du bétail restait au fermier.
En 1762, le bailleur entreprit
des travaux importants sur la loge (remise) de la métairie de la
Racinauzière : deux longères de murs ont été refaites à neuf par le maçon
Lussaud, et on a posé une charpente et de nouvelles lattes. Pour ce dernier
travail le régisseur a payé à Victor Basty son frère et ses associés 20
journées à raison de 15 sols la journée, tarif habituel à cette époque des
charpentiers (27).
En 1700 le fermier s’appelle René François (28), qui restera à la Racinauzière jusqu’en 1740. Le bail a été renouvelé avec lui à la Saint-Georges 1728 pour 7 ans et 340 livres de ferme par an. La vigne à complant cultivée par le métayer n’est pas comprise, devant revenir au château (29). Il s’était marié à la Rabatelière le 28 août 1699 (vue 48 du registre paroissial, accessible sur le site internet des Archives départementales de la Vendée). Son épouse s’appelait Perrine Herbreteau, née en 1665 à Saint-André-Goule-d’Oie. Elle mourra à l’âge de 70 ans à la Racinauzière le 24 juillet 1735 (vue 107 sur le registre de Saint-André). Sur le registre de la Rabatelière on relève trois naissances de ce couple, avec toujours l’indication de l’origine officielle des parents de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie, c'est-à-dire au village de la Racinauzière : Mathurin, Perrine et Renée. Mathurin, l’aîné, continuera la lignée des François, dont fait partie l’auteur de ces lignes. Il achètera ou plantera des pieds de vigne dans le fief de vigne de la Mancellière, et sera métayer à la Boule, puis à la Giroulière (Rabatelière), et enfin à la Telachere (Chavagnes), tout en possédant une petite borderie à la Boninière (Saint-André). Voir pour la Télachère l’article publié sur ce site en avril 2020 : La métairie de la Télachère à Chavagnes en 1760-1768. À l’époque la situation d’un métayer d’une grande métairie était plus enviable que celle d’un petit bordier propriétaire. La raison en était dans les jachères temporaires qui neutralisaient une partie des terres. La prospérité exigeait alors beaucoup de surface de terres labourables.
château de la Rabatelière |
En
1741 apparaissent deux nouveaux fermiers, Billaud et Louis Piveteau (30). Le 1e décembre 1752, Pierre Billaud et Marguerite Rullleau
sa femme, Jean Gilbert et Jeanne Pillard sa femme, demeurant en communauté à la
métairie de la Racinauzière, renouvellent leur bail pour 9 années qui avait
commencé à la Saint-Georges dernière moyennant
un prix annuel de 345 livres (31). Il sera encore renouvelé pour 7 années.
Du côté du propriétaire bailleur, le signataire est René III Montaudouin, fils
aîné de René II Montaudouin, ce dernier ayant acheté la Rabatelière. Le prix de
la ferme n’a augmenté que de 1,5 % par rapport à la dernière valeur connue en
1734, pour s’établir à 345 livres par an.
En 1771 le bail est renouvelé
avec les mêmes métayers pour le même prix. René III Montaudouin étant décédé,
c’est son frère Nicolas qui lui a succédé, mais il est mort lui-aussi. Au nom
de ses enfants, c’est sa veuve, Anne Montaudouin, qui a donné pouvoir au procureur
fiscal de signer le bail en son nom.
Mais le bail est conclu pour 5 années seulement, et une clause inhabituelle est
insérée. Si Pierre Billaud et sa femme meurent avant la fin du bail, celui-ci
continuera au profit de Gilbert et sa femme seuls, sans que les héritiers des
autres preneurs ne puissent rien prétendre. Le procureur fiscal a voulu
anticiper une mort éventuelle d’un des deux couples en communauté et preneurs au
bail, pour garder toute sa liberté. En droit il l’avait, mais il lui fallait
probablement se prémunir du poids que représentait habituellement la fidélité
aux métayers (31). On est encore loin des réformes du droit rural intervenues
sur ce point en faveur des enfants des métayers au milieu du 20e
siècle !
Ces communautés familiales savaient
se serrer les coudes, puisqu’on voit une Perrine Rulleau, probablement parente
avec les associés de son père, épouser en 1787 le fils de Jean Gilbert et Marie
Billaud, Pierre Gilbert. Le contrat de mariage organise l’entrée de la jeune
épouse dans la communauté de la Racinauzière. Celle-ci est divisée en 7 parts
qu’on appelait des « testées » : deux pour les jeunes mariés,
une pour le père Jean Gilbert, une pour la veuve de l’associé, deux pour le
frère du marié et son épouse, une à partager entre les 3 enfants mineurs du
marié, qui était veuf d’un premier mariage. En exécution de cette nouvelle
répartition et de la valeur des biens meubles, la future épouse apporte à son
mari la somme importante de 550 livres (32). L’année d’avant, en 1786, c’est un
autre jeune de la Racinauzière, Louis Gilbert, qui se marie avec Perrine
Guignardeau et part s’installer dans la
communauté des Fonteneau au Plessis Richard (Saint-Fulgent). Dans son contrat
de mariage, la communauté des biens meubles est composée de 10 testées, où on
trouve deux épouses Guignardeau et une épouse Gilbert déjà. Le père du marié s’engage
à donner 450 livres au chef de la nouvelle communauté de son fils, par avance d’héritage,
plus des meubles estimés à la valeur de 40 livres (33).
Pour effectuer un partage entre
héritiers chez les Montaudouin en 1779, on fit évaluer les revenus des
propriétés. Cette année-là, ceux de la Racinauzière se montaient à 450
livres (34). Ce montant de 450 livres était toujours perçu
dans les années 1786 à 1788 (35). La ferme de la métairie est donc passée de 345 livres en 1776 livres à 450 livres en 1779. Mais cette hausse de 105 livres, soit 30 %, représente pour l'essentiel l'incorporation dans le prix de la ferme des redevances féodales, et peut-être une revalorisation de la ferme elle-même en même temps. On constate la même
chose pour la métairie de la Roche Mauvin à la même époque.
Les changements de propriétaires de la métairie de 1795 à 1828
La métairie de la Racinauzière passa dans l’héritage de
Thérèse Montaudouin, fille d’Anne Montaudouin et épouse de Martel, qui vécut
toute la période de la Révolution dans son hôtel particulier des Montaudouin de
la place de la liberté à Nantes, devenue place du maréchal Foch. De ce fait, et
contrairement à ce qui se passa pour son frère, qui émigra, et dont les biens
furent saisis et vendus comme biens nationaux, la Racinauzière resta sa
propriété. Elle mourut à Nantes le 15 janvier 1827, et sa succession pour ses
biens de la Rabatelière fut déclarée au bureau de Montaigu le 3 juillet suivant
(voir le registre numérisé accessible sur le site internet des Archives
départementales de la Vendée, vue no 182). Veuve et sans enfant, ses biens
passèrent à 6 héritiers du côté maternel et 12 héritiers du côté paternel, cousins,
cousines, neveux et nièces, qui décidèrent de vendre le domaine de la
Rabatelière en 1828 à Charles Henri de la Poëze, dont la Racinauzière.
Le château est estimé en 1827 de revenu annuel : 560 F.
Les deux moulins proches du château sont estimés rapporter annuellement, pour
le moulin à vent 103 F, et le moulin à eau 100 F. « La
Forêt dite de Gralas dans les communes
des Brouzils et de la Copechagnière et dont jouissait la décédée, estimée de
redevances : 4 000 F impôts compris ».
Et puis on a « La
métairie de la Racinauzière affermée
verbalement au sieur Gilbert : 955 F ». En 1797 son revenu
estimé, peut-être à la baisse, était de 500 F (36).
Dans le nouveau cadastre crée en 1838 à Saint-André-Goule-d’Oie, dit « napoléonien », c’est Charles de la Poëze qui est
propriétaire de la métairie de la Racinauzière, comptant alors 45 hectares (37).
(1) Quittance du 13-8-1731 du rachat payé aux Essarts pour la Mancellière et autres, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/F 8.
(3) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61, Coin
Foucaud, aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par le seigneur de
Languiller aux Essarts, reproduisant un aveu de 1550 – deuxième copie.
(4) Quittance du 20-1-1757 du
rachat payé aux Essarts pour Languiller, Archives de Vendée, chartrier de la
Rabatelière : 150 J/F 8.
(5) Partage
du 18-10-1779 de la succession de René de Montaudouin seigneur de la
Rabatelière, pages 9, 35 et 45, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière :
150 J/C 68.
(6) Livre des comptes de la Rabatelière (1755-1767) et titres de propriété, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, page 88.
(7) Aveu de Languiller et autres fiefs aux Essarts le 2 juillet 1605 Archives de Vendée, Travaux de G. de Raignac : 8 J 101 (reproduisant un aveu de 1550).
(6) Livre des comptes de la Rabatelière (1755-1767) et titres de propriété, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, page 88.
(7) Aveu de Languiller et autres fiefs aux Essarts le 2 juillet 1605 Archives de Vendée, Travaux de G. de Raignac : 8 J 101 (reproduisant un aveu de 1550).
(8) Idem (1).
(9) Notes no 3 et 5 sur la Racinauzière à Saint-André-Goule-d'Oie, Archives d'Amblard de Guerry : S-A 3.
(10) 150 J/A 13-1, terrier de
1651 de la Rabatelière, note particulière.
(11) 150 J/A 13-4, arpentements et
estimations en octobre 1659 du château de la Rabatelière et autres terres
jointes.
(12) Notes no 10 et 11 sur la
Racinauzière à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A
3.
(13) Idem (11)
(14) Livre
de recettes en argent de la Rabatelière (1730-1768), Archives de Vendée,
chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 1, page 13.
(15) 150 J/G 48, bail de la
métairie de la Racinauzière du 18-1-1662.
(16) 150 J/A 13-3, état des biens
et revenus en 1698 dépendants de la Rabatelière.
(17) 150 J/A 13-2, inventaire vers
1720 des revenus de divers domaines de la Mancellière.
(18) Idem (10).
(19) 150 J/E 29, original de la
ferme du 1-12-1752 de la métairie de la Racinauzière à Billaud et Gilbert.
(20) E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat,
Fayard 2004, tome I, page 474 et s.(21) Dirk Van der Cruysse, Madame
Palatine, Fayard, 1988, page 458.
(22) 150 J/A 13-1, visites en 08
et 09-1700 des réparations à faire dans les domaines de la Rabatelière.
(23) G. Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes
dans l’Occident médiéval, Champs Flammarion, 1977, page 65.
(24) Idem (15).
(25) Idem (11).
(26) L. Rerolle, Du colonage
partiaire …, Chevallier-Marescq (1888), page 208.
(27) Livre des comptes de la
Rabatelière (1755-1767) et titres de propriété, Archives de Vendée, chartrier
de la Rabatelière : 150 J/K 6, pages 122 et 130.
(28) Idem (22).
(29)
Livre de recettes en argent de la Rabatelière (1730-1768), Archives de Vendée,
chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 1, pages 15, 100 et 177.
(30) Idem (22).
(31) Archives de la Vendée, notaires
de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/6, ferme de la Racinauzière du 4-4-1771.
(32) Contrat de mariage du
30-1-1787 de Pierre Gilbert (Racinauzière) avec Perrine Rulleau Archives de
Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12.
(33) Contrat de mariage du
16-1-1786 de Louis Gilbert, fils de Jean (Racinauzière) avec Perrine
Guignaudeau, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/11.
(34) Archives historiques du
diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 58-12, Rabatelière, partage Montaudouin en 1779.
(35) Livres des recettes et dépenses
du château de la Rabatelière (1785-1789), Archives de Vendée, chartrier de la
Rabatelière : 150 J/I 55.
(36)
Archives de la Vendée, domaines nationaux : 1 Q 342, no 117, partage
Montaudouin et République du 3 pluviôse an 5 (22-1-1797).
(37) Archives de la Vendée,
consulter les archives numérisées, cadastre napoléonien, commune de St André
Goule d’Oie, tableau alphabétique des propriétaires, vues no 289, 290 et 316.
Emmanuel François, tous droits réservés