Dans
mon article sur Simon Charles Guyet (1733-1793), publié sur ce site en avril
2013, j’ai repris les informations données par Maurice Maupilier dans son livre
d’Histoire de Saint-Fulgent. J’écrivais alors : « Étienne Martineau, âgé de vingt-six ans et membre de la municipalité de
Saint-Fulgent présidée par le notaire Frappier, avait apostrophé le curé Gourdon
dans l’église, alors qu’il était en chaire, sur son refus de prêter serment.
Martineau s’était fait accompagner d’un joueur de cornemuse ! ».
La
consultation du fonds de l’abbé Boisson aux Archives historiques de l’évêché de
Luçon, amène à réviser ce récit (1). Le fait est vrai, l’implication de
Martineau est très douteuse.
Professeur
d’histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, puis aumônier de
l’hospice de Saint-Fulgent, l’abbé Paul Boisson (1912-1979), est bien connu de
certains anciens du canton de Saint-Fulgent. Les moins familiers d’entre eux se
souviennent de sa silhouette, sillonnant les routes en soutane sur son vélo,
celui-ci portant accrochée à la garniture de la roue avant une sacoche
contenant des documents, d’Histoire certainement. Qu’a-t-il trouvé sur ce refus
de prestation de serment par le curé de Saint-Fulgent en 1791 ?
Il
s’est d’abord demandé d’où provenait cette information mettant en scène Étienne
Benjamin Martineau à cette occasion, accompagné d’un joueur de vèze lit-on dans
les nombreux livres d’Histoire relatant l’évènement. Il a trouvé le témoignage
original écrit par Alexis des Nouhes, le maire de Saint-Fulgent dans les années
1875-1879 et 1881-1884. Il était licencié en droit et militant royaliste connu.
Il rechercha et écrivit des témoignages des survivants de la guerre de Vendée
dans la région de Saint-Fulgent, quelques dizaines d’années après l’évènement. Il
n’a pas publié de récits, mais ses manuscrits ont ensuite été utilisés par les
historiens (A. Baraud, E. Bourloton, comte de Chabot, abbé Deniau, abbé
Billaud, etc.). Alexis des Nouhes (1808-1889) avait acheté ce qui restait du
château de Saint-Fulgent en 1841 à Mathurin Frogier, et vint de Pouzauges habiter
les lieux. Il construisit à neuf le château actuel de Saint-Fulgent avec sa femme
Henriette de Bejarry (2).
Qu’avait
écrit Alexis des Nouhes ? Voici son passage : « Un jour de dimanche, pendant la grande
messe, alors que M. Gourdon, curé de la paroisse, était en chaire, le
citoyen-maire de Saint-Fulgent,
accompagné des autorités républicaines en armes, précédé d’un joueur de vèze,
le chapeau sur la tête, envahit l’église. S’avançant près de l’autel et lui
tournant le dos, le citoyen maire pose au curé et à son vicaire, M. l’abbé
Brillaud, les questions relatives à la constitution civile du clergé : les
deux prêtres refusent de prêter le serment ; procès-verbal est rédigé
séance tenante. »
Déjà
on voit qu’il ne nomme pas Martineau, mais le citoyen-maire de Saint-Fulgent. Or le
13 février 1791, date de l’évènement, Martineau n’était pas maire de Saint-Fulgent. C’était alors le notaire Frappier. Et Saint-Fulgent n’était pas sa
demeure officielle. Celle-ci était à Pouillé avec sa mère, selon son contrat de
mariage du 16 mai 1791 du notaire Frappier, ou à la Chapelle-Thémer, selon
l’acte de mariage daté du lendemain dans le registre paroissial de Saint-Fulgent.
En réalité le bourg de Saint-Fulgent était sa demeure de fait, peut-être
intermittente. En février il s’apprêtait à se fiancer avec la fille de Simon
Charles Guyet, fermier et ancien maître de postes à Saint-Fulgent, avec laquelle il se
mariera le 17 mai suivant à l’église, avec la bénédiction du curé Gourdon.
Celui-ci aurait-il pu lui pardonner l’affront qu’il aurait subi de sa
part ? Sans désespérer de l’abnégation infinie de ce prêtre, l’abbé
Boisson, historien et prêtre lui-même, reste incrédule dans ses notes en
réponse à la question.
Mais
Alexis des Nouhes n’a certainement pas inventé cette histoire. Elle relate
« un fait qui a été sans doute
déformé dans ses détails et circonstances et est exact dans sa substance »,
note l’abbé Boisson. On peut seulement douter que Martineau, et peut-être le
joueur de vèze, fassent partie de la substance.
Que
ce Benjamin Martineau soit cité ensuite par les historiens n’étonne pas. Il a
été haï dans la région. On a pu aussi montrer dans une autre affaire qu’il a
été victime de sa mauvaise réputation chez les royalistes. Il avait acheté en 1798 les deux
métairies de la Valinière à Saint-Fulgent en tant que bien national, pour le prix
de 110 000 F, alors que l’abbé Deniau dans son livre : « Histoire
de la Vendée », donne le chiffre de 600 F, répétant un témoignage local
exagéré. Le prix payé en faisait un profiteur, mais cela ne justifie pas
l’exagération. Voir la biographie publiée sur ce site en avril 2011 :
Etienne Benjamin Martineau
La
relation du refus de prêter le serment à Saint-Fulgent a fait l’objet d’un
procès-verbal des officiers municipaux de la commune, envoyé au district de
Montaigu, dont le canton de Saint-Fulgent faisait partie. Et le 24 mars 1791,
l’accusateur public du tribunal de Montaigu porta plainte contre le curé de Saint-Fulgent pour propos séditieux, et demanda au juge l’assignation de témoins pour
le 30 mars suivant au tribunal de Montaigu. Le délai est court, mais on a
trouvé 8 témoins, assignés par huissier, et qui sont venus témoigner ce
jour-là. Après quoi le curé fut convoqué le 8 avril 1791 pour un
interrogatoire, fixé devant les juges du tribunal de Montaigu le 4 mai suivant.
Les
pièces de cette procédure se trouvent à Paris aux Archives nationales. L’abbé
Boisson les a copiés à la main, et ses copies sont restées dans ses papiers,
dont il a fait don aux Archives historiques du diocèse de Luçon. Que nous
apprennent-elles ?
Des
membres du conseil municipal de la commune de Saint-Fulgent, ont pénétré dans l’église
paroissiale pour recevoir le serment civique du curé Gourdon et du vicaire
Brillaud, le dimanche 13 février 1791. Ils l’ont fait à l’issue de la messe,
donc sans interrompre le culte, mais déjà cette entrée dans l’église a pu
choquer. La réunion habituelle, en effet, de l’assemblée des paroissiens de Saint-Fulgent se tenait à l’extérieur, sous les halles et devant la grande porte et
principale entrée (3). Les édiles ont rompu un usage.
Prestation de serment obligatoire … |
Le
serment à prononcer avait été lu et affiché à la porte de l’église par le
greffier Bellet le dimanche d’avant. De plus, le procès-verbal de la
municipalité indique que le 10 mars précédant, le curé et le vicaire avaient
fait l’offre de faire le serment. C’est le procureur de la commune qui prit
l’initiative dans l’église, Pierre François Augustin Garnaud, praticien (homme
de lois) demeurant dans le bourg. Il lut même une lettre du procureur syndic du
district de Montaigu au sujet du décret portant obligation de prêter serment à
la constitution civile du clergé devant « tout le peuple qui était à entendre la sainte messe ». Puis il
invita le curé et le vicaire « à se
conformer précisément et uniquement aux dispositions dudit décret ».
Visiblement
chacun avait préparé son rôle à tenir. Le curé avait changé d’avis, et cela
devait se savoir, en final il refusait de prêter serment, d’où l’intrusion des
officiers municipaux dans l’église. Il monta en chaire et lut un discours « tout à fait contraire à l’esprit du susdit
décret ». Il est noté qu’il « veut
bien le faire d’être fidèle à la nation et au roi seulement, ce que le conseil
général (municipal) de la commune a
regardé et pris pour un refus formel de la part dudit sieur curé de faire le
serment ». Le procureur ayant renouvelé sa demande de faire le serment
sous la forme prescrite par le décret, le curé a refusé. Puis il lui a demandé
une copie du discours prononcé en chaire. Le curé le lui a promis, expliquant
qu’il le remettrait sous peu, l’original qu’il avait en mains étant mal
imprimé.
Attardons nous sur l’attitude des
autorités révolutionnaires. Elle paraît excessive dans les normes modernes de
tolérance. Mais pour elles le refus du serment constituait une atteinte à la
constitution en refusant d’appliquer une loi. Cette atteinte était jugée comme
grave, car s’attaquant au fondement sacré du nouveau régime. Ainsi une question
religieuse devint une question politique. La crispation antireligieuse des
révolutionnaires entraîna la tournure anti révolutionnaire des résistances,
provoquant un durcissement des positions dans les deux camps. Pour les
révolutionnaires, les premiers troubles vinrent ainsi des prêtres réfractaires,
nouveaux ennemis à côté des nobles, tandis que la masse des Vendéens se
sentaient agressés par les initiatives révolutionnaires. Quant à comprendre pourquoi de telles réactions, les débats entre historiens durent toujours.
Nous
reviendrons sur ce discours plus loin, lors de l’interrogatoire qui porta sur
son contenu. Mais l’accusateur public de Montaigu lui reprocha des propos
séditieux, se permettant « les
expressions les plus scandaleuses au lieu de prêcher l’obéissance à la loi
comme son état l’exigeait. Il osa dire que ce décret est contraire à la
religion … ». D’où sa plainte auprès des juges du tribunal du district
de Montaigu. Ce qui est frappant ici est la
réaction ressentie comme un outrage par les autorités, au seul motif que des
prêtres discutaient la loi. Celle-ci était pour eux comme un nouveau dieu. La
divergence politique à sa naissance prenait les allures d’une guerre de
religion.
Le tribunal présidé
par le juge Jean Alexandre Marchais le 30 mars 1791 entendit 8
témoins à charge le même jour. Il était bien connu à la Porcelière (Saint-André-Goule-d’Oie), ayant reçu des propriétaires de ce village et terroir une
reconnaissance de rente de 20 boisseaux 3/4 de seigle en 1789. Voir notre
article publié sur ce site en septembre 2016 : Plus de 60 ans de procès à la Porcelière de Saint-André-Goule-d’Oie. Avant
d’être désigné juge à ce nouveau tribunal qu’on venait de créer, il avait été président au siège présidial des tailles foraines (droits
de douane) à Montaigu. Son enregistrement des témoignages est qualifié par lui
« d’information secrète et
criminelle (pénale) ». La notion de contradictoire semble donc en
avoir été exclue, et peut-être que le curé Gourdon n’a jamais connu le nom de
ses témoins à charge.
Nous connaissons
la moitié d’entre eux, tous du camp révolutionnaire :
-
Marie Monnoir, âgée de 58 ans, épouse
de Louis Merlet, marchand, qui sera le commissaire du directoire de la
municipalité cantonale de Saint-Fulgent, de juillet 1796 à avril 1798.
-
Catherine Guyet, âgée de 20 ans, fille
de Charles Simon Guyet, fermier général et révolutionnaire connu de Saint-Fulgent.
Nous avons fait le récit de sa biographie sur ce site en avril 2013 : Simon Charles Guyet à Saint-Fulgent (1733-1793).
-
Jean Baudry, âgé de 48 ans, régisseur
au château de Saint-Fulgent. Il aida l’ex seigneur de Saint-Fulgent, Agnan Fortin (habitant
Nantes), à acheter presque tous les biens du clergé dans la commune.
- Étienne Benjamin Martineau, âgé de
25 ans, le fiancé de Catherine Guyet qu’on ne présente plus, mais dont la
présence comme témoin est importante. Il dit avoir seulement assisté à la
messe. Comme la plupart des autres témoins, il paraît avoir eu une étonnante
mémoire, répétant les nombreux propos « séditieux » du curé dans les
mêmes termes que les autres.
Daumier : gens de justice |
Les autres
témoins ne nous sont pas connus, mais leurs déclarations confirment toutes, elles
aussi, les reproches faits au curé d’avoir tenu des propos séditieux. Ils ont
pour noms :
-
Pierre Claude Baudry, fermier, âgé de 35 ans, demeurant en la ville de
Montaigu paroisse de Saint-Jean,
-
Jean Chatry, bordier, âgé de 42 ans, demeurant à la Courpière de
Saint-Fulgent. Il était originaire de la Bergeonnière,
-
Pierre Barbot, laboureur, âgé de 40 ans, demeurant à la Chapelle
Verre de Saint-Fulgent,
-
Charles Hurtaud, boulanger, âgé de 34 ans, demeurant au bourg de Saint-Fulgent.
Quels
sont donc ces propos séditieux confirmés par ces témoins, et reprochés au curé
de Saint-Fulgent dans son discours en chaire du 13 février, pour justifier son
refus de prêter serment ? Voyons l’interrogatoire du curé le 4 mai 1791,
où ses arguments défilent les uns après les autres, présentés dans le langage
du parti révolutionnaire.
1°
Le serment exigé était contraire à la religion catholique, apostolique et
romaine, il altérait la morale, le dogme et la discipline ecclésiastique. Le
curé Gourdon a répondu « n’avoir
fait qu’une instruction conforme aux principes évangéliques et constamment
suivis par l’Église catholique, apostolique et romaine ».
2°
De la constitution civile du clergé, il était à craindre qu’en découleraient
bientôt le mariage des prêtres et le divorce. Pour le curé c’est une
« accusation fausse et calomnieuse ».
3°
Les prêtres qui le remplaceraient seraient des intrus, qu’ils n’auraient aucuns
pouvoirs et que les sacrements qu’ils administreraient seraient nuls. Le curé
Gourdon a répondu « n’avoir rien dit
à ce sujet que conformément aux principes de la foi enseignée par l’Église
catholique, apostolique et romaine ».
4°
N’a-t-il pas dit à ses paroissiens qu’il ne les abandonnerait pas et qu’il les
priait non plus de ne pas l’abandonner, et à quel dessein il l’a dit ? Le
curé a répondu « qu’il peut l’avoir
dit, mais sans aucun dessein d’exciter du trouble et dans les vues les plus
pacifiques et les plus conformes à la charité chrétienne qui doit exister entre
le pasteur et ses brebis ».
5°
Il a indiqué son espoir dans une contre-révolution, et n’en a-t-il point fomenté
les moyens ? Ce à quoi le curé a « répondu que non, se déclarant avoir toujours eu des vues pacifiques et
avoir en horreur toutes actions sanguinaires ».
6°
La constitution civile était faite pour des gens sans religion. Pour le curé
c’est une « accusation injurieuse et
calomnieuse ».
Que
pensait l’abbé Boisson au terme de la lecture des pièces qu’il a copiées aux
Archives Nationales ? Nous partageons ses réflexions. Plutôt que de se les
approprier, nous préférons les publier. Il
est resté modeste à l’égard du grand public, et pour des raisons qui nous
échappent, il n’a rien publié. L’extrait suivant de son opinion sur le sujet
est reproduit en forme de gratitude pour ses fructueuses recherches :
« À en juger par la concordance des
affirmations des témoins, même si l’on tient compte d’une entente préalable sur
leurs dépositions, les propos du curé semblent bien avoir été tenus. Dans ses
réponses du reste, le curé n’en renie pas l’ensemble. Mais que penser des
propos qu’il juge calomnieux ? Là encore il convient sans doute de se
rappeler qu’il y a eu information secrète et que le curé ignore les dépositions
des témoins. Peut-être les partisans de la Révolution voulurent-ils faire un
exemple ? ».
Pour
être complet sur ce refus de prêter serment, et peut-être mieux le saisir, il
faut évoquer l’affaire de l’encens, qui fit aussi scandale à Saint-Fulgent. Le 6
janvier 1791 déjà, les officiers municipaux de la commune informèrent les
autorités du district de Montaigu que, contrairement au décret du 19 juin
précédent, le curé et le vicaire continuaient à « prendre l’un et l’autre l’encens, tous les jours qu’on a accoutumé d’en
faire brûler dans l’église de ce lieu » (4).
Pour
comprendre, rappelons-nous d’abord cette époque de 1789/1790, prolongeant celle
du Moyen Âge déjà lointain dans une société confondant le religieux et le
temporel. L’usage au cours des cérémonies religieuses, où on brûlait de
l’encens en signe d’honneur à rendre, était d’encenser Dieu bien sûr, mais
aussi les prêtres entre eux, et même le seigneur fondateur de l’église présent.
Cela faisait partie des droits honorifiques de la noblesse. Dans son aveu en 1774 à la
vicomté de Tiffauges, le seigneur de Saint-Fulgent y déclare ses droits, consistant notamment : « dans le droit de fondation et patronage
de l’église de madite ville et bourg de Saint-Fulgent,
banc et sépulture dans le chœur, litres, armoiries et ceinture funèbre tant
au-dedans qu’au dehors, avec tous les droits d’encens, pain bénit et autres
honorifiques en icelle »
(5).
En abolissant la féodalité, l’assemblée constituante voulut en éliminer tous les signes. Dans sa séance du 19 juin 1790, l’assemblée constituante compléta l’œuvre qu’elle avait commencée dans celle du 4 août 1789, supprimant la noblesse héréditaire et toutes les qualifications qui en dérivent. Elle édicta : « L’Assemblée nationale décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie en France ; qu’en conséquence les titres de marquis, chevalier, écuyer, comte, vicomte, messire, prince, baron, vidame, noble, duc, et tous autres titres semblables, ne seront pris par qui que ce soit, ni donnés à personne ; qu’aucun citoyen français ne pourra prendre que le vrai nom de sa famille ; qu’il ne pourra non plus porter, ni faire porter de livrée, ni avoir d’armoiries ; que l’encens ne sera brûlé dans les temples que pour honorer la Divinité, et ne sera offert à qui que ce soit ». Le diable (si l’on ose dire ici) est dans les détails, c’est bien connu. Ces derniers mots : « qui que ce soit », excluaient en toute rigueur les prêtres participant à la célébration des cultes. Alors, chez les révolutionnaires de Montaigu et de Saint-Fulgent on prit l’expression au pied de la lettre, mû par anticléricalisme faut-il le préciser (mais quand le spirituel et le temporel se confondent ….). Le vicaire et le curé de Saint-Fulgent devaient modifier les rituels de leur culte. Ils s’y refusèrent, estimant sur ce point n’avoir à répondre que devant leur évêque.
En abolissant la féodalité, l’assemblée constituante voulut en éliminer tous les signes. Dans sa séance du 19 juin 1790, l’assemblée constituante compléta l’œuvre qu’elle avait commencée dans celle du 4 août 1789, supprimant la noblesse héréditaire et toutes les qualifications qui en dérivent. Elle édicta : « L’Assemblée nationale décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie en France ; qu’en conséquence les titres de marquis, chevalier, écuyer, comte, vicomte, messire, prince, baron, vidame, noble, duc, et tous autres titres semblables, ne seront pris par qui que ce soit, ni donnés à personne ; qu’aucun citoyen français ne pourra prendre que le vrai nom de sa famille ; qu’il ne pourra non plus porter, ni faire porter de livrée, ni avoir d’armoiries ; que l’encens ne sera brûlé dans les temples que pour honorer la Divinité, et ne sera offert à qui que ce soit ». Le diable (si l’on ose dire ici) est dans les détails, c’est bien connu. Ces derniers mots : « qui que ce soit », excluaient en toute rigueur les prêtres participant à la célébration des cultes. Alors, chez les révolutionnaires de Montaigu et de Saint-Fulgent on prit l’expression au pied de la lettre, mû par anticléricalisme faut-il le préciser (mais quand le spirituel et le temporel se confondent ….). Le vicaire et le curé de Saint-Fulgent devaient modifier les rituels de leur culte. Ils s’y refusèrent, estimant sur ce point n’avoir à répondre que devant leur évêque.
Les
sieurs Gourdon et Brillaud contreviennent « au décret du 19 juin dernier, sanctionné par le roi, qui porte que
l’encens ne sera plus brûlé que pour honorer la divinité et ne sera offert à
qui que ce soit », selon les révolutionnaires de Saint-Fulgent (4).
On
se souvient que le curé Gourdon avait d’abord donné son accord pour prêter le
serment exigé au jour du 13 février 1791, puis il changea d’avis. On comprend
qu’il subissait déjà l’adversité des révolutionnaires. De plus les
ecclésiastiques connaissaient une crise de conscience, faite de discussions et d’incertitudes,
alimentée par les hésitations du pape, qui prit du retard pour condamner le
serment, obligeant le roi à contresigner le décret malgré ses interrogations.
Ce revirement du curé de Saint-Fulgent paraît normal. Rappelons qu’au niveau
national, 50 % environ des prêtres jurèrent, mais que dans le Bocage vendéen ce
fut 20 %. Les curés de Chavagnes et Saint-André-Goule-d’Oie refusèrent le serment,
mais le curé et le vicaire de Chauché le prêtèrent.
Quant
au vicaire de Saint-Fulgent, l’abbé Brillaud, il fit comme son curé. Le
procès-verbal des officiers municipaux de Saint-Fulgent note simplement à son
sujet : « Ledit sieur Brillaud,
vicaire, a de sa part déclaré tout simplement ne pouvoir ni ne devoir faire
ledit serment, étant contraire à sa conscience, et après la lecture d’un petit
discours, dont on lui a demandé aussi copie signé de lui. »
Prêtres déportés |
Il
semble que l’accusation de propos séditieux contre le curé Gourdon n’alla pas
loin. A-t-il été emprisonné à
la prison de Montaigu ? On l’a écrit, et on a aussi écrit qu’il en fut
libéré par un groupe de paroissiens qui désarmèrent la garde (6). Ce qui est sûr c’est
qu’il resta dans son église encore pendant plus d’un an. Il maria même
Benjamin Martineau et Catherine Guyet en mai 1791 dans l’église de Saint-Fulgent. On sait qu’arriva au bourg un
nouveau curé pour le remplacer, Jean Baptiste Baudry, ancien vicaire de la Pommeraye
qui avait prêté le serment. Une minorité de paroissiens le soutenait, une
majorité le boudait et voulut même le chasser. Il fallut un renfort de brigade de gendarmerie pour le protéger. Ce fut l’escalade de la violence.
Convoqué
comme d’autres prêtres non jureurs à Fontenay-le-Comte en mars 1792, où
siégeaient les autorités départementales, le curé Gourdon n’obtempéra pas. Un mandat
d’amener fut lancé contre lui et il dut se cacher en juillet 1792, comme son
vicaire et le curé de Saint-André-Goule-d’Oie. Il fut capturé par les bleus et déporté
en Espagne en application de la loi du 26 août 1792. Il s’y trouvait en
décembre 1792, et il y mourut dans la ville de Zumarraga en décembre 1793 (7). Leur sort était celui de réfugiés politiques, recueillis souvent dans
des monastères ou congrégations religieuses. Le roi d’Espagne leur interdisait
toute activité sacerdotale. Cette inaction fut leur plus grande souffrance (8).
Faut-il
rappeler que la révolte armée des masses vendéennes se déclencha en mars
1793 ? Sans une crise bien installée dans la région elle n’eut pas eu
lieu. C’est un des éléments de cette crise qu’illustre le refus de la plupart
des ecclésiastiques vendéens de prêter le serment. Encore faut-il débarrasser
le récit de ce refus à Saint-Fulgent, des rumeurs qui l’y ont déformé.
(1) Archives historiques de l’évêché
de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 6 III, le refus de prestation de
serment du curé de St Fulgent en 1791.
(2)
Maurice Maupilier, Des étoiles au lion
d’or, St Fulgent sur la route royale, Hérault Éditions, 1989, page 246.
(3)
Archives de Vendée, notaires de St Fulgent, Frappier : 3 E 30/12,
assemblée des habitants de St Fulgent du 11-10-1789 sur les réparations à
faire au presbytère.
(4)
Archives de Vendée, fichier historique du diocèse de Luçon de l’abbé
Delhommeau à St Fulgent : 1 Num 47/426, lettre 6-1-1791 des officiers
municipaux de St Fulgent au district de Montaigu sur l’usage de l’encens selon
les rites habituels (vue 16).
(5) Archives historiques de
l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 13, aveu du 23 juin 1774
de Saint-Fulgent (Agnan Fortin) à Tiffauges (A. L. Jousseaume de la Bretesche).
(6) Archives historiques de l’évêché de Luçon, fonds
de l’abbé Boisson : 7 Z 117, origines de la guerre de Vendée.
(7)
Edgar Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue
du Bas-Poitou (1903-3), page 215.
(8) A. Billaud, La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830),
N. E. L. 1961, page 50, note 38.
Emmanuel
François, tous droits réservés
Octobre
2016, complété en août 2018
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