Louis Prevost de la Boutetière,
le dernier propriétaire de 1898 à 1912, a conforté l’existant du domaine de Linières, notamment en
construisant les bâtiments de la Louisière, nouveau nom donné désormais à la
métairie de Linières « droite » ou « métairie de
Linières ». Puis il a changé d’avis et a tout vendu. Linières était une
résidence, devenue secondaire quand il a dû la laisser pour occuper le château
familial de la Boutetière à Saint-Philbert-du-Pont-Charrault en 1911, suite au
départ de son frère qui l’habitait auparavant (1).
Malgré sa passion connue pour les chevaux, on aurait tort de lui faire la
réputation de son prédécesseur Gaston de Marcilly, et d’expliquer la démolition
du château à cause d’un revers de fortune. D’ailleurs, le motif de la vente de
Linières est normalement une chose différente des modalités de cette vente.
Pour celle-ci, on a alors procédé
à une vente au détail des métairies, organisée par un marchand de biens de
Luçon, nommé Libaud. Il s’était associé sur place à un expert de Saint-Fulgent,
nommé Gilbert. Libaud n’a été qu’un mandataire, et dans l’état actuel des
documents consultés, il nous parait avoir agi dans la clarté à l’égard du
vendeur. Alors, pourquoi avoir démoli le château ?
Une enquête de l’abbé Boisson en
1974 nous apporte une précision intéressante. Le château lui-même, dépouillé de
ses métairies qui rapportaient des fermages, fut acquis par le mandataire de M.
de la Boutetière, un nommé Richard, habitant de Poitiers. C’est ce dernier qui
avait choisi Libaud pour vendre les terres, et à la fin le château lui resta
sur les bras. Richard l’acquit lui-même pour le vendre à la construction. M. Charles de Grandcourt songea un
moment à l’acheter pour son fils, mais le bien, sans terres de rapport, était
trop lourd pour sa fortune. La
démolition du château fut surveillée sur place par MM. Gilbert et Fonteneau,
demeurant au bourg de Saint-Fulgent (2).
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Linières, mars 1974. Le bosquet d’arbres les plus hauts au milieu de la photo marque l’emplacement du château démoli |
L’explication la plus rationnelle
pour expliquer le défaut d’acquéreur du château est de se référer à une
situation du marché d’alors pour les châteaux du bocage vendéen, qui aurait été
peu favorable à l’offre. Au point qu’il a paru un moindre mal de vendre le
foncier agricole aux nombreux petits propriétaires qui se sont précipités à
faire monter les enchères. Quant au château lui-même, on a continué dans la
même logique en vendant au détail les pierres, les statues, les grilles, les
boiseries, etc. faute d’avoir trouvé un acquéreur. Et les peintures
d’Amaury-Duval n’avaient pas alors la valeur qu’elles ont aujourd’hui. Il est
probable que si Linières avait été situé proche des Sables-d’Olonne ou de
Nantes, le château aurait eu un acquéreur, avec ou sans les métairies.
Il n’en reste pas moins que la
démolition de ce château tout neuf, construit depuis quarante années seulement,
décoré de manière si raffinée par Amaury-Duval, laisse songeur. D’autant qu’en
même temps que la démolition, l’idée d’un pillage a été répandue par des
témoins ignorant les contrats passés par MM. Gilbert et Fonteneau, chargés de
surveiller la démolition. Ces ventes ont éparpillé des éléments nombreux du château
un peu partout, par exemple :
-
des pierres ont servi à la reconstruction de
l’église de la Boissière-de-Montaigu, peut-être de son école privée.
-
au château de la Rabatelière, on est allé
chercher des pierres à Linières pour refaire les douves.
-
Trois motifs sculptés dans la pierre de
tuffeau : deux têtes plus grandes que nature, très expressives, encadrant
un motif gravé aux initiales enlacées M B (Marcel de Brayer). Le tout a été
récupéré par un maçon de Saint-Fulgent et scellé sur un mur de son jardin.
-
Des pierres en tuffeau d’encadrement
d’ouverture, dont l’une aux initiales M B, ont été achetées par l’ancien
greffier de Saint-Fulgent.
-
La boiserie de la bibliothèque et une cheminée
ont été vendues à Salidieu (Bessay). La
boiserie de la salle à manger a été
vendue à la Vachonnière (Verrie).
-
Dans le vestibule d’entrée d’une maison sur la
place de l’église dans le bourg de Saint-Fulgent, la boiserie venait de
Linières.
-
La
boiserie peinte du fumoir et une cheminée en marbre noir chez un particulier
près de Sainte-Hermine.
-
Deux portes intérieures ont été achetées par un
marchand de tissus de Mouchamps.
-
M. Grolleau du Coudray a acheté un salon ayant
appartenu à M. de Marcilly.
- À la Pouzaire de Saint-Hilaire-le-Vouhis se
trouvaient deux tables et deux chaises.
-
Des cheminées sans style ont été récupérées par
deux particuliers du bourg de Saint-André et de Saint-Fulgent.
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Cheminée de Linières |
Un monsieur Gaby Marmin a acheté de
l’argenterie, Louis de Grandcourt un fauteuil voltaire, Eugène de Grandcourt,
un bureau, un verre et une carafe de cristal aux initiales M B, et aussi des
persiennes installées en bas et à l’étage de sa maison.
-
La grille d’entrée de l’allée qui donnait accès
sur la route de Villeneuve a été achetée, pour se retrouver chez M. Godard,
dans le bourg de Saint-André.
-
Des pieds d’arbres ont été ramenés durant
l’hiver 1913/1914 chez des particuliers de Saint-Fulgent. Le témoin rapporte
que le château en démolition n’était pas encore totalement abattu. Il restait
encore quelques pans de mur. D’autres arbres ont été replantés au logis du
Coudray.
-
Au château de Saint-Fulgent, on a
acheté trois potiches en granit, placées à l’entrée du parc au bord de la
route nationale, et probablement aussi les éléments de la balustrade. En
arrière du château, dans le parc on trouve deux potiches avec
leur stèle. Dans une allée auprès de la rue Tracolette, sur une stèle en
piédestal : un casque de chevalier surmontant les initiales M B.
-
Et puis on a voulu sauver un morceau de fresque
(hors cadre : 240 x 238 mm). Selon Mme de Hargues il provient du vestibule
dit des Quatre Saisons du château, probablement un détail de la fresque des
Quatre saisons, de l’été peut-être, ou de la scène du jeu de volant (une tête
de femme en profil). Mme de Hargues dit qu’il y en avait au moins deux autres
petits fragments au château, mais si fragiles que les coups de plumeau et les
dérangements les ont endommagés, et ils n’existent plus.
-
La marquise de Lespinay acheta les archives du
château qui « étaient par terre dans
un coin ».
Etc. (3).
À l’occasion de cet inventaire,
dû en partie aux recherches de l’abbé Boisson vers l’année 1974, les personnes
rencontrées ont fait part de leurs souvenirs sur le château. Par exemple, Mme
Barbereau, née You, qui habitait dans le bourg de Saint-André, se souvenait à
l’âge de 86 ans : « tous les
ans nous allions au château de Linières, où M. de la Boutetière offrait l’arbre
de noël aux enfants de l’école ».
Mme de la Grandière, l’une des
filles de M. de la Boutetière, se souvenait des peintures « admirables ». Elle aimait surtout
« le bleu de la salle de bain »,
et n’a pas souvenir de la « légèreté »
des motifs. Mme de Hargues, châtelaine de Saint-Fulgent qui avait été amie des
demoiselles de la Boutetière, était marquée elle aussi par les peintures de la
salle de bains « particulièrement
remarquables ». Et pourtant, que n’a-t-on pas rapporté sur leur
« légèreté ». Un témoin
indiquait : « Dans le château
beaucoup de peintures … très légères … par exemple dans la salle de
bains … ». Un autre faisait des allusions discrètes à la réputation de cette demeure où avaient eu
lieu des « orgies ».
Phénomène de rumeur qui part d’une réalité déformée pour se terminer en
grossière invention.
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Jeu des osselets, fresque d’Amaury-Duval
dans la salle de billard
Reproduite à l’huile sur toile
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Lorsque le château fut mis en
vente, tout le monde pu le visiter, et c’est ainsi que naquit la rumeur. Il
était un but de promenade pour les gens de la contrée. On y défilait en foule,
c’était une véritable procession. Une dame écrivit : « l’ai vu toutes les peintures de Linières …
sauf celles de la salle de bains. J’avais alors 14/15 ans. L’entrée en était
alors interdite aux jeunes filles comme nous … l’intérieur de ce château était
merveilleux ». On ne laissait pas rentrer les enfants à cause des
peintures. Un homme précisa soixante
ans après les faits : « à
l’intérieur il y avait des peintures très légères, que mon père m’interdisait
sévèrement d’aller voir ».
Et nous avons des souvenirs des
enfants d’alors, avec leur sensibilité et leur imagination propres. C’est ainsi
que le bijoutier de Saint-Fulgent exagère un peu la réalité : « j’ai entendu dire à ma mère que la terrasse
de Linières était si vaste qu’une charrette attelée de 4 bœufs pouvait
facilement y tourner ». Un autre, habitant la Mesnardière
(Saint-Fulgent), précise : « Mais on avait peur d’y renter, les portes
étaient dissimulées de telle façon qu’on ne savait où les prendre …Un jour
l’instituteur nous a dit : si vous êtes sage je vous conduirai à Linières,
et vous y verrez une voiture sans cheval qui roule à 25 kms à l’heure… C’est là
que j’ai vu la première automobile » (3).
Le pharmacien de Saint-Fulgent au
temps d’Amaury-Duval, René Morat, pu prendre quelques photos du château et des
fresques : Une lecture des Fourchambault par Émile Augier, jeu de volant,
jeu de colin Maillard. Elles ont été reproduites plus tard par le studio Jean
Caillé, de Saint-Fulgent (4). Amaury-Duval avait tenu lui aussi à faire faire
des photographies des fresques. Elles sont précieusement conservées chez de
rares particuliers en dehors de la région semble-t-il.
Indiquons aussi que les Archives départementales
des Yvelines donnent un accès au public par internet d’une lettre de 1902 du
dernier propriétaire de Linières, accompagnant quelques photos des fresques des
murs du château de Linières, aussi visibles sur le site [Archives départementales des Yvelines,
correspondance du musée Maurice Denis, lettre de La Boutetière Comte Louis de, du 04-07-1902] :
Et puis on a les trois desseins
du château à la plume, dont 2 rehaussés d’aquarelle, de Maurice de Gouttepagnon,
du vivant d’Amaury-Duval. Son petit-fils, Guy de Raignac, les a communiqués à
l’abbé Boisson et sont connus maintenant. Ils sont datés du 20 septembre 1883.
Pour terminer nous reproduisons
la phrase, terrible, écrite par le constructeur du château le 9 mars 1874 dans
son testament, Marcel de Brayer, s’adressant à son grand-oncle célibataire âgé
de 66 ans : « Je prie enfin mon oncle de choisir comme héritier celui
qui lui semblera le plus digne de posséder la fortune que je lui laisse et le
mettre à même de conserver intacte la terre et le château de Linières »
(5).
(1) Emmanuel François, Les châtelains de Linières à St André Goule
d’Oie, Lulu.com (2012), page 255.
(2) Archives historiques du
diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, témoignages de Mme
de Hargues et de Mme veuve Fonteneau, née
Gilbert, en 1794.
(3) Archives historiques du
diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, témoignages divers
recueillis vers 1974.
(4) Archives historiques du
diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : Z 32-4, préparatifs de
l’exposition Amaury-Duval de Montrouge en 1974.
(5) Testament de Marcel de
Brayer du 9 mars 1874, Archives nationales, études notariales de
Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/936.
Emmanuel François, tous droits
réservés
Texte de 2014 complété en
septembre 2017 et créé en article indépendant en mai 2018
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