Les débuts
de l’état civil
Les registres paroissiaux, tenus par les curés des
paroisses sous l’Ancien Régime, contenaient l’inscription des baptêmes, mariages
et sépultures faits dans la paroisse. C’étaient des documents officiels
provenant en Vendée de la sénéchaussée de Poitiers. Les autorités
révolutionnaires les ont remplacés par les registres d’état civil tenus par des
officiers de l’état civil (maires), contenant l’inscription des naissances,
mariages et décès survenus chaque année dans la commune. Décrétés par
l’assemblée nationale le 20 septembre 1792, leur entrée en vigueur a été fixée
au 1e janvier 1793. La date de mise en œuvre au 1-1-1793 découlait de la disposition prévoyant
que les registres étaient « envoyés aux municipalités par les directoires,
dans les quinze premiers jours du mois de décembre de chaque année ».
D’ici-là, les curés continuent leur mission, les réfractaires étant remplacés
par les constitutionnels déjà depuis des mois, en théorie. Mais on a vu
des communes où le maire commence la tenue d’un registre d’état civil avant le
1-1-1793, comme à Chauché sur un registre à part. Il est vrai que le curé
constitutionnel était mal vu d’une partie des paroissiens.
Le commencement des nouveaux actes manifeste le culte
de la loi exprimant la souveraineté de la nation. On citera par exemple le
premier registre conservé de Chauché : « le 15 janvier 1793 l’an 2e
de la République Française, nous François Renolleau officier public de la
commune de Chauché, canton de Saint-Fulgent, district de Montaigu, département
de la Vendée, nommé en exécution de l’article 2 du titre 1e de la
loi du 20 septembre 1792, l’an 4e de la liberté, qui détermine le
mode de constatation de l’état civil des citoyens, étant au lieu des séances de
la commune, a été présenté un enfant
reconnu de sexe masculin nommé … » (1).
Pendant la guerre de Vendée, commencée en batailles
rangées en mars 1793, l’action administrative a été fortement perturbée. Dans certaine commune l’état civil n’a pas
existé. (2) De plus, chaque
camp a voulu brûler les papiers de son ennemi. Si bien que l’état civil des
Vendéens de la contrée de Saint-André a presque entièrement disparu de 1793 à
1800. Certes, on voit conservé dans les communes les plus ravagées par la
guerre civile, comme celle de Saint-André, des registres communaux à partir
d’avril 1797 (floréal an V). Mais ceux-ci ont souffert, les premières années,
de leur rejet par les populations. Il faut attendre le retour de la paix par
Napoléon en 1800, pour disposer d’un inventaire sérieux de l’identification des
habitants de Saint-André.
On peut néanmoins accéder aux registres clandestins
des curés réfractaires au serment à la constitution civile du clergé. Ils
étaient clandestins car ses actes étaient non officiels, et parfois réalisés au péril de leur vie
par des prêtres obligés de se cacher pour échapper dans un premier temps à la
déportation, et dans un deuxième temps à la mort. Ce fut le cas de Louis Marie
Allain (1751-1823), curé de Saint-André à partir de 1783 (voir le dictionnaire
des Vendéens sur le site des Archives départementales). Conservés dans les archives
du diocèse de Luçon, ces registres clandestins font partie de l’état civil mis
à la disposition du public par les Archives départementales de la Vendée, pour
en tenir lieu. En pratique en effet, ils suppléent à l’état-civil dont la
conservation a été défaillante quand il a existé.
Au-delà des investigations individuelles qui en
constituent l’objet même, ces registres nous révèlent ou confirment quelques
faits advenus dans la commune de Saint-André-Goule-d’Oie.
1792 :
début des hostilités
D’abord la clandestinité du curé a commencé en
juillet 1792 dans cette commune. On le sait à cause des décisions prises par
les autorités. Par arrêté du 30 juin 1792, le Directoire du département de la
Vendée convoqua tous les prêtres insermentés à Fontenay pour y être internés. Dans
la Vienne les autorités furent moins agressives, provoquant la colère des
jacobins locaux (3). Avec le recul on remarque que ce texte était entaché d’abus
de pouvoir. Mais bientôt la loi devait aller plus loin : celle du 26 août 1792
condamna à la déportation tous les prêtres insermentés, et au bagne les
récalcitrants qui refusaient de partir. Beaucoup de prêtres quittèrent ainsi la
France, notamment ceux du sud de la Vendée. Les embarquements eurent lieu à la
fin de l’année 1792 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou aux Sables-d’Olonne,
concernant 250 prêtres, généralement vers l’Espagne et l’Angleterre. C’est aussi depuis la fin août que fut proscrit le costume clérical par
les autorités (4).
Les historiens s’accordent à fixer le début de la
guerre de Vendée en mars 1793 avec le commencement des batailles rangées. Bien
sûr ils expliquent que « le feu couvait sous la cendre », et que la
levée de 300 000 hommes « mit le feu aux poudres », suivant les
expressions habituellement utilisées. C’est plutôt en juillet 1792 qu’ont
commencé les hostilités avec la traque des prêtres et la clandestinité des
réfractaires parmi eux. Et elles se sont arrêtées avec le retour des survivants en 1800. C’est ce que nous montrent les deux registres clandestins de Saint-André,
suivis en 1797 du début de l’état civil.
Pour savoir ce que
fit le curé Allain dans cette situation, il est intéressant de regarder son
registre paroissial de l’année 1792. Il prolonge apparemment le registre de
1791, mais il n'a
pas été coté. Moisgas, qui l'a ouvert en tant que vice-président du district de
Montaigu, le 2 janvier 1791, annonce 16 feuillets. De fait, les huit premiers
portent le timbre de la généralité de Poitiers. C'était des feuilles A3 pliées
en deux et faisant quatre pages dont seule la première était timbrée. Emboîtées
les unes dans les autres, il est normal qu'on n'ait plus de timbre après la vue
8. Le passage de 1791 à 1792 se fait vue 16. À partir de celle-ci, on a un
timbre "La loi, le roi" correspondant au régime constitutionnel en
place fin 1791. Et ce registre est bien coté et paraphé, mais pas
"ouvert", et pour cause, il commence, vue 16 à droite au recto du folio
2. On a donc en face le verso du folio 1, qui porte bien des actes de 1792 et
ne peut correspondre au recto de la vue d'avant. C’est là une erreur remontant à
la mise en ligne pour internet. Moralité, le dernier acte de 1791, une
sépulture du 28 décembre, est en bas du recto du folio 1 de ce registre (vue
15). On n'a pas numérisé le recto ni le folio 16 recto-verso qui étaient
vierges, mais on n'a pas non plus numérisé le recto du folio 1 de 1792. Enfin, la vue 30 du registre de 1791-1792 présente une page isolée,
un verso, portant trois actes signés Bordron. Mais il les a déjà notés vue 28
(folio13 verso). Ce dernier feuillet est donc tombé du second registre tenu en
double et dont il ne resterait que cette page (5). La numérisation pour l’accès
internet est trompeuse car le verso présenté vue 30 ne correspond pas au recto
en vue 29.
Le dernier acte que signe le curé Allain de façon régulière, vue 23, est un mariage célébré le 18
juin. De la vue 24 à la vue 28, 39 actes, tous de baptême et de sépulture, sont signés
du maire Bordron. Ils courent du 18 juillet au 22 décembre, mais pour sept
d’entre eux dans le désordre, manifestant ainsi un retard de déclaration. À
l’exception du premier acte, tous ceux de baptême portent la formule « tel
jour est né et a été baptisé un tel ». Cette insistance ne doit pas
laisser douter du baptême, même s’il est étonnant qu’il ait toujours été donné
le jour même de la naissance. Depuis le 20 septembre, date de la laïcisation de
l’état civil, il pouvait être normal que le maire remplace le curé, et ici, le maire Bordron signe scrupuleusement
des actes qui demeurent de catholicité, pour les baptêmes comme pour les
sépultures (toujours accompagnées au cimetière par le sacristain. Il agit donc bien en remplaçant du curé et non par substitution. Du reste il
ne célèbre aucun mariage lui-même, ce qu’il avait pourtant le pouvoir de faire
depuis le 20 septembre. De ces observations on conclut
que le curé Allain s'est caché (on en a des témoignages par ailleurs), et a laissé
ses deux registres à la cure ou à la sacristie où le maire Bordron les a
récupérés.
Revenons au registre de 1792. Après le 22 décembre, on retrouve la
main du prieur-curé Allain qui note encore cinq actes. Il s’agit
dans l’ordre de trois baptêmes des 8 septembre, 15 juillet et 29
juillet, tous célébrés à La Rabatelière par le curé de
cette paroisse, donc transcrits ici bien postérieurement. Suit un
baptême du 12 avril 1793 (donc de l’année suivante), mais d’un
enfant né le 7 octobre précédent (est-ce la raison de sa place
dans ce registre ?), enfin un dernier baptême du 1er
septembre, à nouveau célébré à la Rabatelière. Il
s’excuse chaque fois de ce désordre en marge, en précisant :
« ces actes n’est point à sa place à cause de la guerre. »
Celle-ci ne commençant qu’en mars de l’année suivante, on a
bien la preuve, s’il était nécessaire, d’ajouts postérieurs.
Tout pousse donc à penser que le curé Allain s’est caché à
partir du début de l’été
1792, vraisemblablement pour échapper à l’assignation à
résidence des prêtres insermentés à Fontenay, ordonnée le 30
juin. Poursuivait-il encore son ministère dans la clandestinité ?
Les baptêmes rapportés fidèlement par le maire dans le registre,
pourraient lui être attribuées en grande partie. L’analyse
approfondie du registre de 1792 ne montre pas qu’il ait fait des allers et
retours entre le maire et le curé, comme on pourrait le croire à première vue. L'enregistrement des baptêmes par Bordron est néanmoins
très étrange. Le maire paraît suivre à
distance l'activité baptismale du curé avec lequel il ne doit pas avoir de
contacts aisés, sinon, ses « baptêmes » seraient dans l'ordre. Sans
doute a-t-il temporisé, ne dénonçant pas le curé insermenté aux autorités. Mais
qui a écrit les actes signés Bordron ? Ni lui ni le curé. Les actes signalaient
toujours que les convois funèbres étaient conduits par le sacristain seulement
et non le curé.
Pour
vérifier que les actes du registre paroissial de Saint-André ne sont plus au
complet à partir de la mi-1792, un bilan de la totalité des actes de l’année 1792
est intéressant à observer en comparaison des années précédentes :
Nombre de naissance : 27. On rappelle
1791 : 50 - 1790 : 54 - 1789 : 49 - 1788 : 52
Nombre de mariages : 12. On rappelle
1791 : 9 - 1790 : 5 - 1789 : 10 - 1788 : 7
Nombre de sépultures : 29. On rappelle
1791 : 22 - 1790 : 27 - 1789 : 61 - 1788 : 37
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Bourg de Saint-André en 1900
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Comment
comprendre l’intervention du maire ? Son père avait été longtemps fabriqueur de la paroisse et
lui-même avait été syndic en 1787. C’était une personne reconnue, et pour cette
raison il avait été élu le premier maire de la commune en 1790. Son métier de
maréchal dans le bourg le mettait en contact avec beaucoup de monde. À l’été
1790 il a fait une requête au nom du conseil municipal à l’Assemblée Nationale
pour qu’on laisse un peu de biens au curé de la paroisse, au lieu de tout
prendre comme bien national (6). Il a certainement participé aux débats de
l’assemblée votante de la commune en 1790 sur les modalités pratiques des
scrutins, où des oppositions se sont fait jour. Mais on ne sait pas les décrire
ni cerner ses protagonistes.
Son
jeune fils de 25 ans fut nommé agent communal (maire) en septembre 1797 pour
remplacer François Fluzeau, élu mais refusant le serment de haine à la royauté
décidé par les auteurs du coup d’état jacobin. Ce fils Bordron était du camp
des révolutionnaires. Et son père lui-même, notre signataire du registre de 1792,
participa à l’élection du président de la municipalité cantonale en mars 1799.
C’est un indice fort d’appartenance au camp républicain dans le contexte local
de l’époque, d’autant qu’il s’est rangé dans le camp minoritaire (33 sur 78
électeurs présents) de l'extrémiste Benjamin Martineau, qui sorti victorieux de l’élection
en organisant un coup de force avec l’aide des gendarmes de Saint-Fulgent (7). Mais
le même fils Bordron ne trouvait personne en 1798 dans sa commune pour
renseigner les matrices servant au calcul de l’impôt foncier. Il refusait aussi
de faire abattre les croix aux carrefours. Et il laissait faire, en
1799, les prières dominicales du dimanche qui réunissaient dans l’église les
paroissiens sans prêtre (voir notre article :
Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).
Alors pouvait-il être avec son père favorable à la Révolution de 1789 et refuser ensuite les excès de ses partisans ? Loin de Paris, des foyers de propagande en
province,
et des débats théoriques sur les idées nouvelles, une réponse positive est possible pour des Vendéens à l'esprit d'indépendance développé. On aimerait disposer de
plus d’informations pour répondre, et les indices que nous venons d’indiquer
concernant Jean Bordron père sont insuffisants pour dresser son profil
politique avec certitude. Notamment se pose la question de l’opportunisme dans
ses attitudes, à cause de l’achat de biens nationaux par son fils. Alors à qui
a-t-il rendu service en signant les actes du registre paroissial au deuxième
semestre 1792 ? Notre intuition est qu’il a aidé le curé, certes, mais en
même temps il a assumé sa responsabilité à l’égard de la communauté
paroissiale, qui devait tenir à son registre. Le mot de « communauté »
employé ici qualifie bien cette petite société paroissiale. Il mériterait un
développement particulier, et il nous paraît important pour tenter de
comprendre cette signature de Jean Bordron. On fait le même
constat à Chauché avec la famille Cailleteau, dont les membres se sont
politiquement divisés : il y avait des républicains dans la commune au
milieu de la majorité des paysans révoltés. Mais en pleine guerre civile, les
oppositions politiques entre eux ne sont pas devenues criminelles, sauf rares exceptions.
Bref,
un révolutionnaire modéré qui dure, ça pouvait exister.
Le 1e
registre clandestin de Saint-André repris dans les états civils de
Saint-Fulgent, Chauché et la Rabatelière
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Bourg de Saint-Fulgent en 1900
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On dispose de deux registres clandestins à
Saint-André-Goule-d’Oie. Le premier pour l’année 1793 a été repris dans les
registres d’état civil accessibles par internet des communes voisines de
Saint-Fulgent, de La Rabatelière et de Chauché. Pour Saint-Fulgent, la
proximité de son bourg pour certains villages de Saint-André, et les cachettes
probablement communes en partie des desservants réfractaires des deux paroisses,
expliquent que certains habitants sont enregistrés sur le registre de la
commune d’à côté. Il n’y eut pas de curé intrus à Saint-André, et le seul
prêtre disponible était donc le curé réfractaire. À Saint-Fulgent, le curé,
obéissant aux autorités, fut embarqué pour l’Espagne où il y est mort en
décembre 1793. Le vicaire Brillaud est resté sur place, tenant son registre
clandestin où se trouvent quelques habitants de Saint-André. Il y eut bien un
curé officiel à Saint-Fulgent, Jean Baptiste Baudry, élu par les électeurs du
district de Montaigu. Il fut accueilli comme un intrus dans sa nouvelle
fonction à partir de l’été 1791. La plupart des paroissiens se sont détournés
de ses services, recourant massivement au vicaire réfractaire au serment, même
la femme du révolutionnaire extrémiste Benjamin Martineau en 1793 ! (8).
L’ajout du registre clandestin de Saint-André pour
l’année 1793 dans les registres d’état civil de Chauché est normal. Depuis la
création des paroisses au Moyen Âge, les habitants de Chauché demeurant à
proximité du bourg de Saint-André, se sont toujours adressés au curé de ce dernier
bourg pour leurs baptêmes, mariages et sépultures. Mais à partir de 1793 le
nouveau maire de Saint-André ne pouvait pas enregistrer des actes concernant
des citoyens de Chauché. Il n’est pas nécessaire en revanche d’aller chercher
des habitants de Saint-André sur le registre clandestin de Chauché, à cause de
l’éloignement. Celui-ci existe pourtant, car le vicaire de Chauché, élu curé par
le district de Montaigu, fut chassé par ses paroissiens. Un prêtre délivré de
la prison de Fontenay par les Vendéens en mai 1793, Jacques Guyard, s’est caché
dans les environs et a desservi clandestinement les paroissiens de Chauché. On
trouve aussi un acte isolé de lui sur le registre clandestin de Saint-Fulgent.
À La Rabatelière aussi, ses habitants ont peu de
chance de figurer sur un registre de Saint-André. Et le registre clandestin de
cette commune n’a pas été conservé. C’est dommage, car son curé réfractaire,
Guesdon de la Poupardière, se mit au service de tous, intervenant même
ponctuellement sur le registre clandestin de Chauché. La présence du registre
clandestin de Saint-André dans les registres d’état civil de la Rabatelière nous
paraît une précaution, peut-être utile quand les actes concernent des habitants
des villages du Plessis-le-Tiers et Racinauzière de Saint-André, pour prendre
les plus proches du bourg de la Rabatelière.
L’état civil de Chavagnes ne comprend que son
propre registre clandestin. Mais on a vérifié qu’il ne concerne aucun habitant
de Saint-André. On pense que certains habitants des villages de Saint-André
proches de son bourg, ont dû contacter le prêtre réfractaire de Chavagnes. Sous
l’Ancien Régime ils le faisaient déjà parfois. Le registre clandestin de Chavagnes
se présente comme un court martyrologue très incomplet, où défilent
principalement les morts « tués par les républicains ». Et comme à la
Rabatelière et à Chauché, il n’est pas nécessaire d’aller chercher des
habitants de Chavagnes sur le registre clandestin de Saint-André à cause de
l’éloignement.
Les registres
clandestins marquent un engagement politique et religieux.
Le premier n’est autre que celui que le district destinait au maire
pour son état civil de 1793. On notera qu’il est sur papier libre, ce qui
témoigne de la pénurie de papier timbré. Pour Chavagnes-en-Paillers, le
registre ouvert au district portait tout de même un timbre d’Ancien Régime
surchargé du timbre de la Législative (La Loi, le Roi), preuve que la
République n’avait pas déjà pu mettre à jour le matériel de ses
administrations. Plus étrange, le timbre royal ancien est celui de la
généralité voisine de La Rochelle et non celui de Poitiers, témoignage de
pénurie que confirme l’utilisation quelques jours après de papier vierge pour
Saint-André-Goule-d’Oie. Ce cafouillage se confirme dans la définition même des
registres délivrés par le district pourtant très révolutionnaire de Montaigu à
ces deux communes : il y est encore question d’y inscrire des baptêmes,
des mariages et des sépultures, alors que la loi ne prévoyait que des
naissances, des mariages et des décès. Le trouble s’accroît quand on constate à
Saint-André, contrairement à Chavagnes, que le maire n’a procédé à
l’enregistrement d’aucun acte, comme il en avait le devoir et la possibilité
jusqu’au soulèvement. Pire, les actes, qui ne sont pas civils mais de
catholicité, sont tenus par le curé Allain censé être caché, et ce dès le 3
janvier. Ses formulations paraissent cependant bien confirmer sa
présence : « baptisé par moi », et « inhumé au cimetière de
ce lieu par nous soussignés ». La République municipale aurait-elle
abdiqué devant une catholicité à la clandestinité toute formelle ?
En réalité, la présence du curé à l’église et au cimetière, tout aussi
invraisemblable début 1793 qu’auparavant, n’est qu’une sorte d’effet d’optique
(9). Le registre donne le change parce que son rédacteur a pris la peine d’y
inscrire les actes dans l’ordre chronologique, reportant du reste la
responsabilité de la seule discordance – un baptême du 18 mars après un autre
du 18 juin – sur « la négligence des parents » : il avait été
administré par le curé de La Rabatelière et aurait en effet pu être transcrit
plus tôt. Ne nous y trompons cependant pas, cet ordre régulier est le fruit
d’une laborieuse et imparfaite reconstitution bien postérieure. Les premiers
actes comportent en effet tous des blancs pour inscrire les noms des parrains
et marraines qui ne sont effectivement donnés qu’à partir du 16 mars,
c’est-à-dire au surlendemain du renversement de la République en Vendée ou du
moins à Saint-André-Goule-d’Oie, une « révolution » qui avait permis
au curé de retrouver ses fonctions et de commencer à prendre des notes plus
conséquentes. Ce jour-là, l’acte est en effet également le premier à reprendre
la formule habituelle complète : « baptisé dans cette église par
moi ». Le curé n'avait donc pas accès à l’église précédemment, pas plus
qu’il ne dirigeait les convois mortuaires. Le 25 mars, la première sépulture
notée après le soulèvement renoue elle aussi avec l’ancienne formule :
« inhumé au cimetière de ce lieu par moi soussigné », et non plus
« par nous », un collectif ayant masqué l’absence du prêtre. Les
rares signatures de ce registre ne doivent donc pas tromper, elles ont été
apposées bien postérieurement, même si on en trouve dès le 6 février. Du
reste, les rares fois où les témoins sont censés savoir écrire, comme pour une
autre sépulture du 18 février, un blanc a été laissé qui attend leurs
signatures. Enfin le curé ne cache pas « la peine » qu’il a eue à
rassembler ces actes, et il reconnaît qu’il en manque. C’est en effet grâce à
un second registre, tenu pour la même période, qu’on peut compléter leur
collection. De quand date-elle donc ?
Le second registre, également sur papier libre, a été coté et paraphé
mais sans l’avis initial d’une autorité extérieure. Il a perdu deux de ses 21
feuillets (les 8 et 11). Il est ouvert par le curé Allain d’emblée pour deux
les années 1793 et 1794, « années de la guerre civile, ce qui fait qu’on
n’a pu inscrire les actes de suite et dans l’ordre. » Il n’y a en effet
pas d’ambiguïté sur leur nature : il s’agit pour « beaucoup, de
transpositions », car « on n’enregistrait qu’au fur et à mesure qu’on
le pouvait, étant obligé de fuir à tout moment ». Ce registre, dans un
grand désordre chronologique, est forcément antérieur au précédent, or son
introduction fait comprendre qu’il a été tenu après 1794, voire après la paix
de la Jaunaie. Il ne contient donc que des « transpositions » et
aucun acte original, signé du jour même, la date étant du reste parfois laissée
en blanc (vue 3). Dès le folio 4 paraît un acte de juin 1794, tandis que les
dernières pages en rapportent encore de 1793. Les rares signatures sont donc
celles de témoins de « notoriété ». On retiendra la précision
concernant une sépulture du 8 juin 1794 (vue 18) : « J’ai fait les
prières de la sépulture à la maison de la Boutarlière… [Le corps a été] porté
au cimetière sans convoi à cause de la guerre civile. » Telle était bien
aussi la position du curé Allain avant le soulèvement : libre de ses
mouvements tant qu’on ne le dénonçait pas, mais caché par prudence. Il faudra
la sérénité relative de l’année 1795 pour qu’il tente de reconstituer les actes
de catholicité postérieurs à son évanouissement dans la nature, fin juin 1792. Et
il continuera après la fin de la persécution religieuse en 1800, soit 6 à 7
années après les évènements, comme en témoigne un acte daté de 1799. Il suit de
là que ces registres ne sont pas clandestins par leur tenue, mais par les actes
qu’ils contiennent.
Comment le registre destiné au maire s’est retrouvé
dans les mains du curé pour servir de registre clandestin ? Mais d'abord qui est ce maire ? La seule chose qui soit
sûr est qu’il a été tué par une bande de ses concitoyens probablement le 11 mars
1793, parce qu’il avait donné aux autorités la liste des conscrits de la
commune qui devaient être tirés au sort pour la levée des 300 000 hommes.
L’adjoint a aussi été tué et on a indiqué son nom : Marchand, habitant au
village du Plessis le Tiers. Mes proches recherches et celles de l’abbé
Boisson, conduites indépendamment l’une de l’autre (10), désignent la même
personne très probable comme maire assassiné : Jacques Guesdon, beau-frère
de l’adjoint Marchand, habitant dans le même village. Dans la première
municipalité de Saint-André en 1790 il tenait le rôle de procureur. En février 1792 il avait représenté le parti des catholiques « romains »
de Chauché voulant racheter l’église de la Chapelle de Chauché, ce qui
constitue un indice fort d’opposition au camp des catholiques « constitutionnalistes »
de la commune. À la fin de 1792, on avait élu un conseil municipal à majorité
royaliste à Saint-Fulgent, contre la faction révolutionnaire. Il est probable
qu’il en fut de même à Saint-André, où nous ne disposons pas de documentation.
Le curé Allain n'a pas disposé avant mars du
registre officiel de l’année 1793 puisqu'il commence à l’utiliser en parlant de
la guerre et de ses difficultés. Le maire ne s’est pas servi du registre du 1er
janvier au 11 ou 12 mars, date de son assassinat. Probablement que personne n’est
allé lui faire de déclarations, alors que le curé note ses propres actes dès
janvier. C'est bien le renversement de régime dû à l'insurrection qui a permis au
curé de récupérer le registre. Contrairement à une première analyse, le maire ne
lui a pas donné. Et non seulement il n’a pas dénoncé lui non plus le curé qui
se cachait, mais il était sans doute complice de la situation. En revanche il ne pouvait
pas s’abstenir pour établir la liste des conscrits. On invoquera, sans
s’étendre, l’ignorance et l’affolement pour expliquer sa mise à mort par les
jeunes de sa commune, la bêtise aussi, au moins vu d’aujourd’hui.
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Sacre du roi à Reims
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Mais pourquoi constituer un registre à tout
prix ? On cherchera en vain dans les obligations religieuses du
catholicisme la tenue des registres paroissiaux. Ceux-ci ne relevaient après
tout que d’une règle temporelle. On sait que les rois de France avaient fait
des curés des paroisses des agents administratifs de l’État. Écrit longtemps
après les actes, le registre prend l’allure d’un service rendu à la population notamment
pour prouver des âges, ouvrir des successions, gérer des patrimoines de couples
mariés. Écrit pendant la guerre civile par le curé lui-même, le registre est
aussi un acte politique.
En témoigne ainsi clairement le 2e registre
clandestin du vicaire Brillaud de Saint-Fulgent. À la vue 21 de ce registre
numérisé on a la
présentation suivante : « Armée du Centre - Registre
pour servir à inscrire les actes de baptêmes, mariages et sépultures de la
paroisse de Saint-Fulgent, lequel registre contenant 12 feuillets a été coté et
paraphé par nous Jacques Forestier commissaire général pour le roi dans
l'arrondissement de l’armée du Centre, ce jourd’hui 12-11-1794 l’an 2 du
règne de Louis XVII. Signé Forestier commissaire général ». On a le même
texte écrit à la date du 7-1-1795 (vue 35). Nous avons là l’existence parallèle
d’une administration royaliste ayant pris la place de l’administration
officielle, celle-ci vue comme illégitime. Cette administration officielle
municipale ne parait pas avoir existé pendant les combats, au moins en partie
et même à Saint-Fulgent. C’est ce qui ressort des notes qui suivent. À la vue
66 le vicaire écrit : « Les officiers municipaux étant nommés je n’ai
plus le droit de dresser aucun acte public ». On hésite à dater cette
note. À la vue suivante no 67 le même vicaire écrit : « Registre pour
inscrire les actes de baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Saint-Fulgent
pour l’année 1796 (double) ». Il a donc conscience de doubler les
nouvelles autorités municipales installées en juillet 1796, après la fin de
l’état de siège. Et à la vue 78 il note : « Les officiers municipaux
étant nommés je n’ai plus le droit de dresser aucun acte public ». Il
continuera pourtant en 1797 dans le 3e registre clandestin de
Saint-Fulgent. La portée politique de ces registres est signée, pour lui liée à
son activité de prêtre.
Sur la première page du deuxième registre clandestin de Saint-André le curé Allain a
écrit : « Registre destiné à inscrire les actes de baptêmes, mariages
et décès de la paroisse de Saint–André-de-Goule-d’Oie, département de la
Vendée, pour les années 1793 et 1794 années de la guerre civile, ce qui a fait
qu’on n’a pu inscrire les actes de suite et dans l’ordre qu’ils devraient être.
On ne sera point étonné en conséquence d’y trouver beaucoup de transcriptions,
parce qu’on enregistrait qu’au fur et à mesure qu’on le pouvait, étant obligé
de fuir à tout moment. » Ce texte suggère une tenue du registre à une
époque proche des actes enregistrés, du moins à son début. Et cette
justification de n’avoir pas pu respecter l’ordre des actes sur le registre n’exprime
pas seulement qu’un regret. Elle suggère pudiquement une situation dramatique. Le
curé allait de cachette en cachette pour échapper à la mort. Des témoignages
rapportés dans certains livres citent comme refuges la forêt de Gralas, des
bois à Saint-Fulgent, un château à Chavagnes (chez Guerry de Beauregard avec le
curé Remaud de Chavagnes). Deux siècles après, en 1976, il se disait que l’on
conservait toujours dans une famille des environs un chandelier datant de la
Révolution, qui servit à éclairer le prêtre lors de la célébration de la messe
dans un grenier chez un nommé Soulard à la Maigrière (11). La présence du
vicaire Brillaud de Saint-Fulgent est attestée dans une cachette de la
Maigrière, celle du curé Allain y est donc très probable. Au 3e
trimestre 1797 ce sont les autorités de Saint-Fulgent qui signalent le curé
Allain disant des messes clandestines chez François Fluzeau à la Brossière.
Le curé de Saint-André a rédigé ces registres en y
rapportant autant certains des actes qu’il a fait lui-même que ceux faits par
d’autres, comme répondant à une demande d’inscriptions de la part des
paroissiens. D’ailleurs l’abbé Boisson dans ses recherches a relevé une erreur
concernant le baptême de Jean Fluzeau, indiqué par le curé Allain comme né à la
Brossière le 8 octobre 1793 et baptisé le lendemain à la Joussière de
Saint-Fulgent par le vicaire Brillaud (vue 17). Or ce dernier indique dans son
propre registre que Jean Fluzeau est né le 2 octobre 1794 au village des Gâts
et baptisé le même jour par lui à la Joussière (vue 37). Dans les deux actes
l’enfant a les mêmes parents, parrain et marraine. Cette naissance a donc été
enregistrée à une date inconnue, plus tard, sur la foi de témoignages
insuffisants.
La priorité du curé était de rester au service de ses
paroissiens et de sauver sa peau. Les républicains payaient des mouchards et
obligeaient des gens du pays à marcher devant eux pour les conduire dans un
pays aux nombreux chemins sans carte ni panneaux. Les témoignages sur ces
guides forcés sont rares. La réalité vécue derrière ces registres et leurs erreurs
de dates parfois, est celle de la traque et de la peur. On n’y voit qu’un seul
massacre collectif vers la Jaumarière, à la différence des registres du vicaire
de Saint-Fulgent, où la lecture des massacres de Lerandière et de la Fructière,
par exemple, le long de la route de Saint-Fulgent à Montaigu, ne peuvent que
troubler le lecteur encore deux siècles après.
Le curé
sous la protection de l’armée catholique et royale du Centre (mars à juillet
1793)
Le premier registre clandestin du curé Allain concerne
64 actes de l’année 1793 et 2 de l’année 1794. Alors que le deuxième registre
clandestin concerne 54 actes de l’année 1793, et 49 actes de l’année 1794. Au
total cela fait 118 actes pour l’année 1793, dont 54 décès, et 51 actes pour
l’année 1794, dont 29 décès. Et on n’a rien les années suivantes, sauf un acte
de l’année 1799, le registre d’état-civil ne prenant le relais partiellement qu’à
la fin de 1796.
Et pourtant le nombre d’habitants de
Saint-André-Goule-d’Oie est passé de 1300 en 1791 à 1032 en 1800 et 1126 en
1820 (12). Ces chiffres sont à rapprocher d’un nombre des naissances supérieur à
celui des décès presque chaque année dans la période des 20 ans précédent 1791.
Même si des erreurs de comptages ont pu être commises par le maire Jean Bordron
en 1791 et par son successeur Simon Pierre Herbreteau en 1800, elles ne sont
probablement pas significatives. La dépopulation que traduisent ces chiffres
est donc considérable, peut-être incluant un déplacement de populations. Sauf
qu’on n’en a pas vu le moindre indice au cours de nos recherches sur cette
commune. Il ne faut pas exclure non plus des épidémies et famines pendant cette
période, précisément à cause des destructions massives, comme par exemple 53
maisons déclarées incendiées dans la commune dans un état incomplet daté de
1810 (13).
Au mois de janvier 1793 les deux registres clandestins
actent 8 baptêmes et 2 sépultures. Celles-ci, dans le cimetière de Saint-André,
portent la même date du 24 janvier, l’une en présence du curé et l’autre non.
Deux baptêmes sont faits par le curé dans l’église en ce mois de janvier, le 24
janvier aussi et le 20. Pour 5 autres baptêmes que le curé fait lui-même, il ne
précise pas l’endroit. C’est une cachette. Et un baptême est fait à La
Rabatelière par le curé du lieu. Au mois de février la situation est la
même : il baptise clandestinement, et essaie d’assister aux sépultures
dans le cimetière, ce qu’il réussit à faire 5 fois sur 6.
Au mois de mars, changement de situation avec le
soulèvement armé le dimanche 10 mars : il baptise dans l’église 4 fois, et
2 autres baptêmes sont faits, l’un par le curé de La Rabatelière dans son
église, et l’autre de manière clandestine par un autre prêtre non nommé. Il
fait lui-même l’unique sépulture. Il est visiblement alors sous la protection
des paroissiens qui ont pris les armes. Et un nouveau type d’actes apparait,
marqué par la lettre M en marge, qui veut dire mort. Il vient s’ajouter aux
actes de sépultures marqués par la lettre S. Le 17 mars il note un mort à la
bataille de Chantonnay, et le 19 mars il note 2 morts à la bataille de la
Guérinière (aussi appelée du Pont-Charrault dans les livres d’Histoire, située
à Saint-Vincent-Sterlanges). Le curé est apparemment libre de ses mouvements, mais
on relève peu de morts à Saint-André dans les premiers combats de mars 1793,
constat à faire avec prudence pour un registre écrit après les évènements par
un prêtre qui se cachait.
Le mois d’avril confirme la liberté du curé : il
fait 4 sépultures dans le cimetière et 8 baptêmes dans l’église paroissiale.
Même situation en mai, juin et juillet, avec même un mariage célébré le 5 mai
dans l’église, après publication des bans. Il célébrera un autre mariage le 3
juin. Mais il n’y a dans ses actes que des sépultures et pas de morts à la
guerre. Il faut attendre le 29 août pour y voir noter le suivant. Or les gens
de Saint-André ont participé au moins à la première bataille de Luçon à fin
juin 1793, et certainement à d’autres pour lesquels nous n’avons pas de
témoignages écrits. Cette absence de morts sur le registre pour cette époque
pose question. Ce registre serait-il postérieur aux évènements de
plusieurs années ? C’est ce que nous vérifierons dans le chapitre qui suit.
Retour
à la clandestinité (août 1793 à septembre 1794)
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Vitrail : messe clandestine
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Durant les mois d’août et septembre, on voit 11 fois
le curé baptiser et enterrer librement dans sa paroisse. Mais pour 9 autres
actes, c’est le curé de la Rabatelière ou le vicaire de Saint-Fulgent qui
officient. On baptise en effet à Saint-Fulgent 5 fois des enfants de
Saint-André, et on y enterre un « tué par les républicains » de la
Brossière. Il y a même un baptisé par le curé de Boulogne et une sépulture dans
le cimetière de Saint-André par le desservant clandestin de Chauché, Guyard. L’armée
du Centre du général de Royrand ne semble pas suffire pour la protection du
clergé local. On croit deviner derrière ces
précisions la difficulté des paroissiens pour trouver des prêtres clandestins, obligés de changer de cachettes souvent.
Les 7 actes du mois d’octobre 1793 sont des indices du retour
à la clandestinité : 3 sépultures seulement avec la présence du curé dans
le cimetière et 2 autres sans lui. Les 2 baptêmes sont faits par le curé de La
Rabatelière et le vicaire de Saint-Fulgent. En novembre le curé est présent 2
fois dans le cimetière et 1 fois dans l’église. 2 autres sépultures se font
sans lui à Saint André et une autre à La Rabatelière. Et puis il y a un mort
dans la virée de Galerne et un enlèvement à la Brossière. Au mois de décembre,
on ne compte que 2 présences du curé dans l’église pour des baptêmes. Pour la
seule sépulture notée, c’est le sacristain qui conduit les prières à la place
du curé. Et 1 mort au siège d’Angers et 8 morts dans des massacres à la
Jaumarière, Boninière et Brossière. Pour cette période les chiffres ont des
allures d’un échantillon de la réalité.
Sur les 15 actes de janvier et février 1794, on note
un seul baptême qui a été fait pendant la virée de galerne à fin 1793. Une
seule sépulture est faite par le curé, 1 autre par le curé de La Rabatelière, 3
autres par le sacristain et 1 autre sans précision. Et puis on a 4 « tués
par les ennemis de la religion », 3 « tués par les
républicains » et 2 tués aux combats. On remarque ici l’équivalence de
sens entre les mots « républicains » et « ennemis de la
religion ». Parfois on peut relever, mais pas toujours, des lieux de
combats : aux Brouzils (8 janvier) et à Saint-Colombin (29 janvier).
De mars à mai 1794,
baptêmes et sépultures se raréfient, 15 actes au total, mais le
curé, sortant de sa cachette, est presque toujours présent dans son
église et au cimetière. On a même trois
inhumations qui se suivent en présence du curé pour des membres de
la famille Richard du village de la Bourolière en février et mars
1794 (vue 12 du 2e
registre). Et suit une quatrième inhumation le 20 août 1799 de
Marie Richard, âgée de 12 ans, en présence de sa famille
seulement. On a vérifié que l’année 1799 indiquée n’est pas
une erreur en recherchant l’année de naissance de la fillette. Et
le curé Alain explique son absence parfois
à cause de la persécution des prêtres.
Cet ace confirme deux choses. La première est qu’il a été écrit
sur le registre après la fin de la clandestinité du curé au plus
tôt au début de 1800. Et 18 actes des années 1793 et 1794 ont été
inscrits après lui. La deuxième chose est le retour à la
clandestinité du curé Alain, après son évasion de la prison de
Rochefort en janvier 1798. Il avait été victime en effet de la
reprise des persécutions religieuses après le coup d’état
jacobin de septembre 1797. Il était donc bien absent lors des
prières dominicales dans l’église de Saint-André, dénoncées
par le commissaire cantonal de Saint-Fulgent en février 1799.
De juin à septembre 1794, 12 actes seulement,
où il est remplacé par le curé de La Rabatelière, le plus souvent
pour des baptêmes et des sépultures, et une fois par le vicaire de
Saint-Fulgent, et même trois sépultures se font sans les prêtres.
Là, le curé Allain n’ose pas se montrer. Le 8 juin le
curé a créé une rubrique inhabituelle de « décès » pour noter les
« prières de sépulture à la Boutarlière de Me René
Merland (60 ans), et porté au cimetière sans convoi à cause de la guerre
civile ». Il précise les noms de 5 témoins qui ne se sont pas présentés
pour signer l’acte.
La
paix du général Hoche à partir de novembre 1794
|
Laneuville : portrait de Lazare
Hoche
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Mais d’octobre à décembre 1794 on voit un tournant
dans la guerre avec deux mariages faits par le curé dans son église, y compris
les publications des bans, le 28 octobre et le 26 novembre, « les
lois de l'État d'ailleurs dûment observées » a écrit dans les actes le
curé Allain. Certes on ne compte que 4 baptêmes dans l’église et 1 sépulture en
présence du curé. C’est le signe prémonitoire de la pacification du général
républicain Hoche, nommé commandant en chef des armées de l’Ouest 1e novembre
1794. Il promet aux prêtres réfractaires la vie sauve et le libre
exercice du culte. Et il leur demande de prêcher le dépôt des armes, tout en
poursuivant la traque des combattants insurgés.
Le curé de Saint-André va jouer le jeu de Hoche et a
sans doute exercé sa fonction en 1795. On l’a vu cette année-là embaucher une
servante à son presbytère et louer du bétail à ses anciens métayers de Fondion.
On suppose qu’il a dû tenir un registre, mais si c’est le cas il n’a pas été
conservé.
Conclusions
Au terme de cette analyse des deux registres clandestins
du curé de Saint-André-Goule-d’Oie, il est utile de revenir sur leur portée
politique. Ils témoignent de la survivance du rôle administratif des curés des
paroisses dans l’ancien royaume de France. Ce dernier avait été le garant de la
religion catholique, laquelle avait constitué un des éléments constitutifs de
l’État monarchique. Ayant transformé ce dernier, les députés de la Constituante
voulurent en faire autant avec l’Église au moyen de la constitution civile du
clergé. Mais poussés par la nécessité du moment de trouver de l’argent, la politique
définie manqua de réflexion stratégique sur le rôle de l’Église. Son
application enclencha un processus de radicalisation qui s’est terminé en bain
de sang dans certaines régions, notamment en Vendée dont on fit un emblème, là
aussi pour des raisons opportunistes.
Or la constitution d’un État moderne intervenant
dans les domaines de la santé, de l’aide aux pauvres, de l’instruction, exigeait
une nouvelle relation de l’Église avec la société politique. Elle avait en
effet un monopole dans ces domaines. Mais la Révolution désorganisa beaucoup
d’hôpitaux ainsi que l’enseignement de la médecine. L’instruction publique fut
pensée plus tard, une fois le désordre instauré, et très peu mise en œuvre. Ainsi
mal enclenchée, cette affaire de religion catholique et de république resta au
cœur de la vie politique nationale tout au long du 19e siècle
ensuite, contribuant à définir les clivages et les appartenances politiques.
Elle s’estompa ensuite progressivement au 20e siècle autour de la
notion très originale de laïcité. Néanmoins d’autres démocraties européennes
sont nées avec l’économie d’une guerre civile de ce type, et parfois plus tôt
qu’en France. La constitution civile du clergé n’est-elle pas une improvisation
malheureuse, non seulement pour les Vendéens d’alors, mais aussi pour
l’instauration de la démocratie en France ? Celle-ci mit bien du temps à
s’installer à la fin du 19e siècle et à se consolider ensuite,
traînant la terreur révolutionnaire comme un boulet. Il restait heureusement la
déclaration des droits de l’homme de 1789, élevée au niveau d’un mythe, entre
autres pour faire oublier la suite. Mais si la France a acquis la réputation de
« patrie de la déclaration des droits de l’homme », elle n’a pas
celle de « patrie de l’application des droits de l’homme ».
Les nombreux historiens de la Guerre de Vendée sont
restés prisonniers de ce problème politico-religieux omniprésent pendant
presque deux siècles, ne parvenant pas à se dégager d’une dose plus ou moins
forte de militantisme dans les deux camps opposés. La sérénité n’est même pas
totalement acquise autour du sujet, à cause du rôle qu’on veut faire jouer à
l’Histoire dans l’éducation des jeunes. Il reste maintenant aux historiens sans
parti pris à éviter l’écueil de l’anachronisme pour retrouver la société
d’avant la Révolution, hors des clivages qu’elle a créés.
(1) Archives de la Vendée, consulter les archives
numérisées, état-civil de Chauché, registre des naissances et décès de janvier
à mai 1793, vue 2.
(2) Archives de Vendée, notaires de Sainte-Cécile, minutes isolées
étude de Joseph David, acte
de notoriété d’un décès du 4 floréal an 7 (23-4-1799), vue 70.
(3) Jacques
Peret, Histoire de la Révolution
Française en Poitou-Charente 1789-1799, Projets Éditions, Poitiers, 1988,
page 143.
(4) A.
Billaud, La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), NEL,
1961, page 161.
(5) Analyse du 14-11-2023 de T. Heckmann, archiviste
paléographe, ancien directeur des Archives de Vendée.
(6) Rapport du 3-11-1790 de Goupilleau au district
de Montaigu sur la pétition de la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie : no 6, 4.
Médiathèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux, vol. 67.
(7)
Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson :
7 Z 12-III, procès-verbal du 22 ventôse an 7 de Martineau et lettre du
même à Coyaud du 4 et 13 germinal an 7.
(8) Archives départementales de la Vendée,
état-civil Saint-Fulgent : 1er registre clandestin vue 10/78.
(9) Analyse
de novembre 2023 de T. Heckmann, avec le développement qui suit.
(10) Paul Boisson (1912-1979), professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers,
puis aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent. Ses travaux historiques sur le
canton de Saint-Fulgent sont précieux.
(11) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de
l’abbé Boisson : 7 Z 6 III, notes de l’abbé Boisson du 6-3-1796 sur un
chandelier datant de la Révolution.
(12) J. Hussenet, Détruisez la Vendée, Éditions du CVRH, 2007,
page 605
(13) Archives de la Vendée, destructions immobilières
pendant la guerre de Vendée : 1 M 392, commune de Saint-André-Goule-d'Oie.
Emmanuel François, tous droits réservés
Juillet 2018, complété en novembre 2023
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