La Boninière |
L’introduction du testament
La première disposition : déclaration de foi
Après cette introduction, la première disposition du
testament est une déclaration de foi qui s’inspire du Confiteor des catholiques,
avec la demande d’intercession de la mère de Dieu et des saints, ceux-ci ayant
un rôle très important depuis toujours, avec le saint patron personnel du
testateur en particulier : « Premièrement
je recommande mon âme à Dieu le père tout puissant, créateur du ciel et de la
terre, le priant que par les mérites infinis de son très cher fils Jésus Christ,
mon sauveur et rédempteur, mon âme étant séparée de mon corps, il lui plaît la
recevoir en son paradis et la colloquer (placer) au rang des bienheureux, suppliant très humblement
la très sainte vierge Marie et tous les saints et saintes du paradis, et en particulier saint André mon bon patron, de prier
et intercéder pour moi auprès de mon divin sauveur, offrir qu’il lui plaise me
pardonner toutes les offenses que j’ai commises contre sa divine grandeur. »
La réparation des torts et la demande de pardon est ici incluse dans la prière, sans l’insistance qu’on trouvait dans les anciennes
formules. Le testament permettait ainsi à l’Eglise de contrôler la
réconciliation du pécheur avec Dieu avant la mort.
La deuxième disposition : l’inhumation
Chasse de Charlemagne dans la cathédrale d'Aix-la-Chapelle (1215) |
La troisième disposition : les messes
Elle concerne les messes pour le repos de son âme. « Item, après mon dit décès je
veux et ordonne qu’il soit pris et levé sur le plus clair et le plus net de mes
meubles et effets mobiliers la somme de cent livres, nette et quitte de toutes
charges et dettes, qui sera mise entre les mains d’un prêtre approuvé du diocèse,
pour être employée en messes qui seront dites en basses notes (6) pour le repos
de mon âme et de celles de mes feus père et mère. » Rappelons que le
bétail faisait partie des meubles, représentant souvent la part la plus importante
des biens meubles chez les paysans. Pour juger du montant de 100 livres à cette
époque, indiquons qu’un artisan bien payé comme un sabotier gagnait 14 sols par
jour à la Rabatelière, et la valeur de 100 livres équivalait pour lui à 143
jours de travail, soit environ 6 mois de temps dans l’année (7). Pour 100 livres
on avait 200 messes au tarif appliqué par le curé de Saint-André (8). Et en
1765 les prêtres étaient moins nombreux en Bas-Poitou qu’un siècle auparavant,
d’où l’appel à un prêtre désigné au niveau de l’évêché pour assumer un tel nombre
de messes. L’attention pour le repos de l’âme de ses parents dans les messes n’était
pas seulement d’ordre affectif. Le devoir religieux intervenait en plus dans la
relation filiale. Mais l’absence de son épouse décédée dans l’intention des messes
est à relever, et tout le monde ne faisait pas comme André Boudaud sur ce point.
Sauf que nous ne connaissons pas les dispositions qu’il a prises au décès de sa
femme, et l’oubli n’est sans doute qu’apparent. Là aussi la richesse rapprochait
de Dieu, mais pas plus que pour les pauvres, la prière de ces derniers, comme
aussi celle des religieux ayant fait vœu de pauvreté, palliait au manque de
fortune. L’Église enseignait même une « discrimination positive » en
leur faveur, si l’on peut user de cette expression anachronique, déclarant dans
le règlement de la confrérie de Chauché par exemple que les pauvres « sont les membres infirmes de
Jésus Christ ». Plus riche, Louis Moreau en 1676 fait écrire dans son testament :
« je veux et ordonne qu’il soit fait un service avec les vigiles (9) qu’on
chantera, et qu’on en fixe incontinent prix avec M. le prieur de Saint-André,
sinon on ira en la première église ou couvent de religieux qui pourront le
faire, et on le fera faire avec toute diligence, tant pour le repos de mon âme
que de ma défunte femme et autres nos parents ». De plus il demande de
faire dire dans l’église de Saint-André le service d’une messe chaque trimestre
à perpétuité, moyennant une rente de 10 livres donnée à la fabrique par ses
héritiers. La messe « pour mon âme et celles de mes parents » devra
être annoncée au prône le dimanche de la semaine qu’on fera les services, « afin
que mes parents et amis étant avertis du jour y assistent s’il leur plaît. »
La quatrième disposition : don aux œuvres de l’Eglise
L’historien Philippe Ariès explique que, déchiré entre son attachement aux richesses temporelles et sa crainte d’en perdre son âme, le chrétien associait ses biens à son salut, comme un contrat d’assurance conclu entre lui et Dieu par l’intermédiaire de l’Église. Les primes du contrat étaient payées en monnaie temporelle grâce aux legs pieux, et par là légitimait la jouissance des biens d’ici-bas. D’autant que les biens étaient par certains considérés comme envoyés et prêtés par Dieu. Cette pratique dans les testaments explique l’ampleur des biens transférés à l’Église et aux fondations pieuses pendant longtemps. Et cette obsession du salut et de la peur de l’enfer était plus fréquente chez les riches comme il est naturel. L’énormité des donations n’a pas préparé les esprits à la naissance du capitalisme à partir du 19e siècle en France, que les donateurs soient de la noblesse ou de la bourgeoisie. Cette nouvelle forme d’économie exigeait l’accumulation des richesses pour les créer, et s’accommodait moins bien des donations. On a assez dit que l’Église catholique n’aimait pas l’argent et voyait en conséquence le prêt d’argent comme une pratique à prohiber ou à contrôler de très près. À partir de ce constat, il ne faut pas simplifier sa position, comme le montre son attitude à l’égard de la richesse dans les testaments .
Après la Révolution, les testaments du notaire de Saint-Fulgent conservaient encore une référence religieuse, comme un modeste souvenir des temps anciens et révolus. En 1826 on relève seulement la phrase suivante sous la plume du notaire, Jacques Guesdon, il est vrai ancien séminariste : « Au nom du père, du fils et du saint Esprit, ainsi soit-il. Je recommande mon âme et mon corps à Dieu et soit sa divine bonté de me faire miséricorde » (13). Et pourtant les personnes concernées dans notre exemple, profondément marquées par la guerre de Vendée, étaient de bons catholiques. Mais on était entré dans une nouvelle époque où les volontés religieuses des mourants n’étaient plus données dans les testaments, mais oralement ou écrites dans une lettre ou une note en dehors de la présence du notaire. Ce qui concernait l’âme, le corps, le salut, la religion, était retiré du domaine du droit pour devenir une affaire de famille. Et pour une fois la Révolution ne parait pas être dans le coup dans ce changement. À moins de considérer qu’en ayant mis fin au monopole du catholicisme dans la société civile, les notaires furent obligés d’en tenir compte. À moins aussi de considérer que la Révolution n’ait approfondi chez les habitants du bocage leurs conviction religieuses mises à l’épreuve. Celles-ci ont continué de se manifester dans les messes des morts et les dons aux pauvres, mais en se dépouillant désormais sans difficultés de la façade d’un certain catholicisme notarial.
La dévolution des biens
Poussin : Testament
d’Eudamidas (1653)
Et ou
le dit André Boudaud mon fils viendrait à décéder sans avoir d’enfants vivants,
procréés de sa chair en légitime mariage, ou qu’il décéderait avant moi, aussi
sans laisser d’enfants, dans ces cas seulement, la disposition par moi
ci-dessus à lui faite, de la moitié au total de mes dits meubles et effets mobiliers
et de mes acquêts et conquêts d’immeubles, sera pour et au profit des enfants
de défunt René Boudaud et de Marie Chaigneau, mes petits-enfants, partageables
entre eux ainsi qu’il sera dit ci-après, leur en faisant audit cas donation à eux et en plus en tous droits de
propriété, lesquels ne pourront demander ni exiger dudit André Boudaud mon fils,
au cas qu’il recueillerait la susdite donation et qu’il jouirait de l’effet
d’icelle sans qu’il eut d’enfants vivants comme dit est, inventaire, caution
ni visite, l’en déchargeant par les présentes, parce que mes dits petits
enfants prendront les choses par moi léguées audit André Boudaud au moment de
son décès dans l’état qu’elles se trouveront, soit qu’il en ait aliéné partie
ou non
Item
pour la considération et amitié que j’ai pour Marie, René et Jeanne Boudaud, mes
dits petits-enfants, fils et filles du dit défunt René Boudaud et Marie Chaigneau
et pour autres justes causes et raisons à moi connues, de la preuve de quoi je
les ai dispensés et dispense, je leur donne et lègue à eux et aux leurs en tous
droits de propriété, l’autre moitié au total de tous et chacun mes dits meubles
et effets mobiliers tant morts que vifs et choses censées et réputées meubles,
ensemble (en plus) la
moitié aussi de tous mes dits acquêts et conquêts immeubles qui m’appartiendront
au moment de mon décès en quelques lieux et endroits qu’ils se trouvent situés,
partageable la dite moitié par portions égales entre eux, et au cas où un ou
deux d’entre eux fussent décédés lors de mon décès, icelle dite moitié sera et
appartiendra en total à celui qui sera vivant, voulant et entendant que ceux ou
celui d’eux qui existeront au moment d’icelui mon dit décès, en entrent en propriété
et possession et en jouissent comme de leur propre bien, après avoir fait le
partage du total de mes dits meubles, acquêts et conquêts immeubles avec ledit André
Boudaud mon fils ou ses enfants, à qui il en appartiendra ainsi qu’il est dit,
la moitié, et ou comme dit est icelui André Boudaud mon fils décéderait sans
enfant, ou avant moi sans en laisser, la susdite moitié de mes dits meubles et
effets, acquêts et conquêts immeubles à lui léguée, sera pour et au profit des
dits René, Marie et Jeanne Boudaud mes petits-enfants comme j’ai ci-devant dit,
et partageables aussi entre eux par portions égales, et en cas que le décès
dudit André Boudaud mon fils arriverait avant le mien, dans ce cas, ceux, celui
ou celle des dits René, Marie et Jeanne Boudaud qui seront vivants lors de mon
décès, entreront de plein droits en possession et jouissance de tous mes dits
meubles et effets mobiliers, acquêts et conquêts immeubles, sans réserve, à l’exception
de cent livres et hardes par ci-devant léguées, en quoi ils ne prendront rien. »
Dans cette dévolution les deux filles d’André Boudaud, Marie
et Renée, ne sont pas citées. Elles étaient mariées et mère l’une de 7 enfants
déjà, et l’autre de 8 enfants jusqu’en 1775. Leur absence dans la dévolution s’explique
par la dot dont elles bénéficièrent au moment de leurs mariages, faite en
avance d’héritage. Renée Boudaud était mariée à Jean Chaigneau et avait donné
sa dot à sa belle-sœur, Marie Chaigneau, laquelle avait épousé son frère René Boudaud.
Marie Chaigneau lui avait en réciprocité donné sa propre dot d’un montant égal.
En mariant ainsi les deux frères et sœurs, les parents n’avaient pas diminué
leurs patrimoines, car les couples de jeunes mariés vivaient alors en communauté
de biens meubles avec leurs parents. Pour les rois comme pour les paysans, le mariage
servait alors des intérêts considérés comme supérieurs, et ne pouvait être laissé entièrement au
jeu de l’amour et du hasard.
Les sûretés juridiques
Pour terminer, le testament comprend des clauses de sûreté
juridique. On y trouve la formulation d’un jugement (appelée condamnation), le
notaire étant alors assimilé à un magistrat en sa cour (tribunal), conception
née au Moyen-Âge, qui là encore sera supprimée comme telle par la Révolution, laquelle
conservera néanmoins le caractère d’officier public de l’emploi : « Telles sont mes intentions et
ordonnances de dernières volontés, ainsi qu’il a plu à Dieu me les inspirer, que
je veux que soit d’icelles exécuter, renonçant à cet effet à tous autres
testaments ou codicilles (15) que je pourrais avoir fait jusqu’à ce jour, pour
quoi j’ai prié et requis ledit sieur Frappier, notaire royal susdit, à qui j’ai
dicté et nommé de mot à mot sans suggestion, induction ni persuasion de
personne, mais bien de mon propre mouvement, franche et libre volonté, le dit
présent mon testament, en présence des dits Savaton et Mandin ses témoins, de me
juger et condamner du contenu et icelui par le jugement et condamnation de
ladite cour royale de la sénéchaussée de Poitiers. En conséquence, j’ai,
notaire royal susdit soussigné, mes dits témoins présents, jugé et condamné
ledit testateur du contenu en le présent son testament du jugement et condamnation
de notre dite cour, au pouvoir et juridiction de laquelle il s’est soumis et ses
biens y obligés.
Fait et
passé audit bourg de Saint-Fulgent, étude de moi Frappier notaire royal susdit,
où le dit testateur et mes dits témoins se sont transportés cejourd’hui,
septième juin mil sept cent soixante-cinq avant midi. Lecture faite audit
testateur de son présent testament, et icelui à lui lu et relu de mot à mot,
mes dits témoins présents, il y a persisté et persiste, déclare ne vouloir
rien y ajouter ni diminuer. Du tout dûment enquis et interpellé et ne savoir
signer, aussi de ce enquis et interpellé, et se sont mes dits témoins avec moi
soussignés ». Il ne savait donc pas signer, mais il avait laissé à
ses descendants les moyens d’apprendre à lire et à écrire, signe d’une évidente
ascension sociale à l’époque.
Un testament en poème