Livre de Julien de Vaugiraud page 1 (Archives de la Vendée) |
Les 189 pages du
livre de raison de Julien de Vaugiraud couvrent une période de 13 ans et 4 mois
avec beaucoup d’interruptions représentant 45 % du temps dans cette période de
1584 à 1597, en pleine guerres de religion (4). Mais l’abondance des
détails restitue la vie de la famille, même si elle ne répond pas à des
questions importantes que nous nous posons. Avec ce livre nous allons faire
connaissance avec les frères et sœurs et les enfants de l’auteur. Nous verrons
comment ils vivaient : habillements, activités, logis, alimentation,
santé, messagerie. On aura aussi un aperçu de leurs domaines, des artisans et des
domestiques à leur service, et de l’environnement économique à leur époque et dans
leur contrée. Julien de Vaugiraud était venu s’installer au logis de Logerie (devenu
l’Orgerie) à Bazoges-en-Paillers, après un partage de biens avec son frère Charles en 1581 (5). Une dizaine de kilomètres le séparait du bourg de Saint-André dans un
même pays de bocage, une même économie et une même société exclusivement agricole
et rurale, et une même société politique seigneuriale et catholique. Ce livre
nous parle donc à sa façon aussi de Saint-André-Goule-d’Oie à la même période.
Une famille dans le rythme effréné des naissances et des morts
Au début des écritures du mois de juin 1584, le frère aîné
(Jean) et un autre frère, sieur de Villeneuve (Charles) sont cités, étant vivants.
Leurs prénoms ne sont jamais indiqués, mais nous sont connus par le dossier des
titres de famille dans les mêmes archives. Plus loin on voit apparaître une
sœur, appelée mademoiselle de la Grange. On voit un monsieur de la Grange venir
à Logerie le 7 août 1590, probablement son mari, qui n’est jamais cité ensuite.
On suppose qu’il est mort dans les périodes d’interruption du livre. Cette sœur
est toujours en correspondance avec Julien de Vaugiraud en août 1597 à la fin
du journal, mais seule.
Une autre sœur, Marguerite, épouse de Jean Richelet,
seigneur de la Vachonnière (Verrie), était décédée au 26 juin 1584, ayant eu un
fils, Léonard Richelet. Julien a été curateur de ce fils et le prit en charge
comme on le voit le 22 janvier 1592, où il lui paya la confection d’un habit.
Jean de Vaugiraud, le frère aîné, était célibataire. Il est
mort en avril 1590 à l’âge de 41 ans. Ne s’épanchant pas dans son live de comptes,
Julien termine son écriture indiquant brièvement sa mort par cette phrase de
résignation : « Dieu par sa miséricorde veuille avoir son âme ». Elle
donne aussi à voir sa foi religieuse, que nous retrouverons plus loin. Le
défunt laissa derrière lui des dettes que ses frères durent payer, contractées
pour payer sa rançon au capitaine Hazard qui l’avait fait prisonnier. Nous
sommes en pleine guerres de religion et ce capitaine était du camp des
huguenots (6).
L’autre frère cadet de Julien, Charles de Vaugiraud, seigneur
de Villeneuve (Boissière-de-Montaigu) demeurant à la Grange (Saint-Christophe-du-Bois
en Anjou), devint veuf en janvier 1593 de sa première femme, Jeanne Meriault.
Avec elle il eut Jean, Claude, Pierre, Antoine et Gabrielle. Après le décès de
sa femme il envoya les deux derniers à Logerie chez son frère Julien, et se remaria
quelques mois après. Et en janvier 1595, sa seconde femme donna naissance à un
fils, Charles. Mais le père mourut 5 mois plus tard vers le 10 mai 1595 d’une grave
maladie. Il avait reçu la visite de son fils Antoine le 20 avril précédent.
Quelques jours après, tous ceux de Logerie étaient allés assister le mourant à la
Gange. Le décès n’est pas inscrit dans le livre, et dans cette période autour
du 15 avril 1595 il comporte 4 écritures non datées. Faut-il y voir un signe de
pudeur, confiant les naissances au journal, comme les rentrées d’argent, mais
pas son chagrin ? Le curé de Saint-Christophe-du-Bois fut payé par Julien
de l’enterrement et des messes pour le défunt le 20 mai suivant. Il paya aussi la nourrice de Charles jusqu’au 2 janvier 1597 avec
l’argent de ses neveux dont il était devenu le curateur en juillet 1595.
Le 29 mai 1595 Julien de Vaugiraud vint à la Grange pour
assister à l’inventaire des titres de famille de son frère défunt par le
sénéchal de Mortagne, le procureur et le greffier de cette cour seigneuriale.
Le sénéchal décida que le bahut où ils se trouvaient serait transporté à
Mortagne à cause de la grande quantité de parchemins et papiers qui s’y
trouvaient, et où on y ferait l’inventaire plus commodément. Le 5 juin 1595 une
partie de la vaisselle de la succession fut achetée par son frère et l’autre
conservée par la veuve. On remarque que les assiettes s’ajoutaient alors aux écuelles,
d’usage plus ancien. Il faut dire que ces écuelles, qui vont disparaître bientôt
chez les gens aisés, portaient les armes de la Grange et des Rondeau, la famille
de son épouse. Le métal dont elles étaient faites n’est pas indiqué (souvent en
étain).
La veuve de
Charles vint demeurer à Logerie avec son bébé. Et on voit Julien le 2 juillet
1597 payer la pension de son neveu Jean à Angers qui avait débuté le 3 juin
précédent : 37 sols 6 deniers pour un quartier (3 mois), plus 3 £ pour le
régent. Le 15 mars 1597 son neveu avait été malade et il envoya un homme
pour l’aller voir, et lui porter 15 £ pour se soigner. Le 17 avril 1797 il envoya
à nouveau un homme à Angers payer le quartier de la pension, il ajouta 4 £ 6 deniers
à son neveu « pour lui avoir des livres ». Enfin
le 13 juin 1597, Julien partage avec sa sœur, mademoiselle de la Grange, les
gages donnés par cette dernière à une chambrière (femme de chambre) du Plessis
des Landes (Saint-Fulgent), venue assister leur frère défunt.
P. de Champaigne : Les enfants de Habert de Montmor (1649) (Musée des Beaux-Arts de Reims) |
Les bébés étaient placés en nourrice
dans les jours suivant les naissances, et on a pu calculer dans 3 cas qu’ils y
restaient 19 mois, 20 mois et 39 mois. Le prix de 5 £ par trimestre payait la
nourriture et la peine de la nourrice, les frais d’habillement et linges
restant à la charge des parents. Cela veut dire que la mère gardait un lien avec
son bébé. Les nourrices étaient des femmes habitant dans des villages des
alentours. Ensuite la sage-femme, qui venait « gouverner » (garder et
prendre soin) la mère, restait plusieurs jours au logis, sauf une exception où la
sage-femme tomba malade et dû s’en aller aussitôt.
Les de Vaugiraud de Logerie dans les guerres de religion
Nous avons la preuve de l’engagement dans ces guerres pour Jean, le frère aîné, dans le camp des catholiques. Pour Julien et son frère Charles, c’est notre conviction seulement, basée sur des indices concordants. Julien de Vaugiraud avait la foi et une formation religieuse de bon niveau. Son livre de raison commence comme le prêtre commençait son prône, par une citation en latin : « Initium sapientiae, timor Domini. Ne reminiscaris, Domine, delicta nostra vel parentum nostrorum neque vindictam sumas de peccatis nostras. Sed parce, Domine, parce populo tuo quem redemisti precioso sanguine tuo ne in eternum irrascaris nobis ». La traduction en français donne le texte suivant de 3 phrases : « Le début de la sagesse, c’est la crainte de Dieu (9). Ne vous rappelez pas mes fautes, Seigneur, ou celles de mes parents, et ne tirez pas vengeance de mes péchés (10). Épargnez, Seigneur, épargnez votre peuple que vous avez racheté, Christ, par votre sang (11) ». La première phrase est le début du psaume 110, verset 10 du manuscrit de Saint-Gall. La deuxième phrase est un antiphonaire grégorien, d’après Tobie, 3, 3. La troisième phrase est un antiphonaire grégorien d’après Apocalypse 5,9 ; Joël 2, 17 et Isaïe, 64, 9. Le choix de ces chants religieux est personnel. Ces antiphonaires étaient la marque des catholiques, comme la pratique de la messe bien sûr. Ainsi le 12 mai 1597 la veuve de Charles et la femme de Julien de Vaugiraud, étant à la Grange, firent le « cosme » (service religieux) de son frère défunt « qui avait demeuré toujours à cause de l’incommodité du temps » (froids et pluies). Elles y dépensèrent pour les prêtres, clercs, sacristain, pauvres et ornements : 11 £. Le don aux pauvres était alors une obligation religieuse précisée dans les testaments. En 1597 on lit : « Nous avons fait faire service (religieux) à Bazoges ce 1er jour d’an et donné un boisseau froment pour le pain bénit, les prêtres en ont demi écu ». Les de Vaugiraud étaient donc restés catholiques, à la différence de beaucoup de nobles de la contrée, passés au protestantisme.
J. de Gheyn (1607) : dessin du maniement d’arquebuse |
Les activités à la maison noble de Logerie
À Logerie Julien de Vaugiraud affermait sa métairie à partage à moitié fruits (récoltes). En octobre 1590 il a fourni 33 boisseaux de semence de blés à la mesure de Mortagne, dont les métayers lui en devront la moitié. Après les battages des moissons en août 1593 (année moyenne) la récolte totale s’élève à 34 boisseaux de seigle, 80 boisseaux de froment à la mesure de Montaigu, 75 boisseaux d’avoine, 80 boisseaux de méteil (mélange de céréales) et 6,5 boisseaux d’orge. Cette quantité correspond à une métairie d’environ une quarantaine d’hectares. Il est à noter l’importance du méteil, dont la culture disparaîtra progressivement dans les métairies de la Rabatelière voisine. On ne connaît pas le « cheptel » (bail du bétail) des « aumailles » (gros animaux) existants entre le propriétaire et les métayers, mais leur commerce était fait en accord entre eux. Ainsi les métayers allèrent à la foire d’Ardelay le 6 août 1584 pour « harder » (échanger) ou vendre des bêtes. Au final ils échangèrent 2 vieux bœufs pour 2 jeunes âgés de 3 ans. L’opération rapporta 4 £ pour la part de Julien de Vaugiraud. En 1590 on comptait aussi un troupeau de 40 moutons.
Celui-ci note la quantité de suif recueilli lors de l’abattage de ses bœufs : 39 livres, 56 livres ou 60 livres pour un seul bœuf, de 1584 à 1586. Avec le suif on faisait fabriquer les chandelles pour s’éclairer. Une livre de suif valait de 3 sols 6 deniers à 4 sols en 1584/1585, puis 5 sols à partir de 1593. Son voisin, M. de la Rairie, lui en a pris. L’usage des chandelles de suif, dégageant une odeur forte et émettant une fumée noire, révèle un niveau de revenus inférieur à ceux qui utilisaient des bougies à la cire d’abeilles, voire à l’huile d’olive importées du midi. Les titres de noblesse ne suffisaient pas, on le voit dans nos campagnes bas-poitevines en ce 16e siècle, à procurer des revenus suffisants pour s’éclairer à la cire d’abeille. Mme de Vaugiraud, elle, s’occupait de la graisse des porcs. Un jeune porc produisait 12 à 21 livres de graisse lors de son abatage, qu’elle vendait aux Herbiers à 4 sols la livre en 1592.
L’abatage des animaux donnait lieu
aussi au commerce des peaux, vendues à part de la viande et du suif. Ainsi Julien
a-t-il vendu en janvier 1586 une peau de bœuf à un nommé Lorion, tanneur à la Brossière
de Saint-Symphorien (la Bruffière) pour 6 £ 3 sols (7 £ 10 sols en 1596 pour
une autre). Il a vendu une peau de vache pour 6 £ 6 deniers en 1593. Parfois il
récupérait la peau pour avoir du cuir, et il demandait de la corroyer pour
lui donner plus de fermeté, de poli et de souplesse.
Le foin constituait une exploitation particulière d’un pré
réservé au propriétaire du logis, les prairies, uniquement naturelles à l’époque
et dans la contrée, étaient limitées en surface. En 1590 il récolte « 5 grandes charrettes », en 1594 « 10 bonnes
charrettes », et en 1597 « il y en a eu 11 bonnes charrettes ». Une
charrette de foin a été négociée à 3 £ en 1585.
La vigne était aussi une réserve du propriétaire. À l’hiver
1585 il fait débroussailler une haie proche de l’entrée de son jardin pour y faire
planter des ceps de vigne à la place. En 1590 il fait faire à nouveau une plantation
d’un tiers de sa vigne, on suppose qu’il s’agit d’une replantation. On ne sait
pas comment Julien de Vaugiraud exploitait
sa vigne, par bail « à complant » ou « à pic » (régie
directe) aux soins de ses métayers. En 1597 il fit
un marché d’une année avec Pierre Billaud, métayer
en la Grande Villeneuve, pour « accoustrer » (arranger) la vigne de ses
neveux de ses 3 façons, écrit-il, pour le prix de 15 £. Les façons étaient
définies par la coutume du Poitou, consacrant un usage ancestral (tailler,
bêcher et biner). Pour sa vigne de Logerie il a « donné à Mathurin Gaucher
sur ce que lui dois de l’année passée pour avoir gardé ma vigne : 3 écus (9
£) », le 16 septembre 1595, c’est-à-dire au jour des vendanges. De sa
vigne il a récolté 3 pipes de vin en 1590, mais il a dû en acheter (pour 6 £)
pour l’ouillage consistant à ajouter du vin afin de maintenir son niveau
maximal dans le fût lors de son vieillissement. En 1593 il a récolté 6,5 pipes
de vin et en 1594 6 pipes.
On sait qu’il avait un moulin, affermé à un meunier, et dont
les comptes sont muets à son sujet. Et la première « somme » (unité
de mesure) de blé nouveau a été boulangé dès le 20 juillet en 1590 à Logerie.
Comme souvent à cette époque la culture du lin constituait
un appoint dans les métairies. C’était aussi le cas à Logerie. Parfois on le vendait
sur pied au prix de 6 £ la boisselée, mais c’était à une cousine. Il était aussi
récolté et vendu en graines au prix de 18 sols le boisseau. Mais le plus
souvent il était vendu en fils aux Herbiers ou à des particuliers pour être filés,
après l’avoir fait rouir et brayer ou pesseler sur place pour dégager le fil de
sa gangue ligneuse. Les brins plus courts restant après le brayage s’appelaient
de l’étoupe, vendus pour être eux aussi filés (21 livres en 1585). Le fil de
lin à filer était vendu 5 sols, 7 sols 5 deniers et 8 sols le paquet en
1585, ou 10 deniers la livre en 1586. La laine des moutons était vendue 12 sols
la livre en 1592.
La femme du seigneur de Logerie vendait des volailles aux Herbiers : 4 chapons en février 1585, et 9 chapons en décembre 1592 (3 sols 4 deniers le chapon). Et elle s’occupait d’en élever comme on le voit dans son achat en 1585 de 12 petits poulets à la borderie voisine de la Rancunelière. Elle en a donné un boisseau de seigle. On la voit aussi, sans doute en appoint de son mari, vendre une charrette de foin et participer à l’estimation d’animaux, en outre d’acheter des étoffes et autres travaux habituellement dévolus aux femmes. Elle n’est pas absente ou cantonnée dans les activités de Logerie, malgré le temps prit par les nombreuses grossesses. Une collaboration croit se deviner avec son mari, chacun dans son rôle, l’un de chef et l’autre devant obéissance, mais une fois de plus la portée limitée de ces écritures pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses étayées.
Les travaux d’entretien du logis
Bazoges-en-Paillers
vers 1903 |
En octobre il fit mettre (ou
remettre) une porte dans la « muraille » de sa cour. Suivant l’architecture
habituelle des logis, les bâtiments entouraient une cour fermée, et au besoin un
mur complétait cet entourage sur quatre côtés.
En juillet 1585 la porte de devant de la salle du logis fut renforcée,
notamment par de nouvelles genevelles. Puis en septembre/octobre c’est la charpente
et la toiture du logis qui furent remplacées. Dès novembre 1584 il avait fait
choisir à cet effet 8 chênes et avait conclu un marché pour leur abatage et
sciage par un nommé Lanieau des Herbiers. Un charpentier de la Brossière (Landes-Genusson)
prit le marché de la dépose de l’ancienne charpente et de la pose de la nouvelle
pour le prix de 60 livres, 3 boisseaux seigle et 3 boisseaux de froment. On
payait encore parfois en nature à cette époque, ici en partie. On a l’achat
ensuite des tuiles pour recouvrir la toiture, y compris pour la tour du logis. Cette
tour et le nom de salle donnent au logis de Logerie une allure de gentilhommière
et une identité aristocratique. Dommage qu’on n’en sache pas assez pour le
comparer au manoir de Puy Greffier construit vers 1550 par Charles du
Bouchet, à l’architecture inspirée du château Renaissance du Puy du Fou (12). Puy
Greffier étaient distants de 6 kms et le Puy du Fou de 15 kms. On recevait
beaucoup à cette époque dans les logis, des amis, des connaissances, parfois des
nobles de passage, suivant une traditionnelle pratique de l’hospitalité (13).
Parmi les travaux payés et notés dans
le livre de raison, on relève que le 28 novembre 1585 on fit « faire cette
année de la barre, de laquelle j’ai fait faire un marteau pour moi et l’autre pour
mon frère ». Faire de la barre, c’était produire du fer, la matière
première des maréchaux. On en déduit que devait exister une activité métallurgique
artisanale dans la contrée. Pour l’énergie on savait faire du charbon de bois. Pour
le minerai on devait exploiter quelques mines ignorées par la postérité, mais
possibles, malgré leur faible teneur, dans les sols du Bocage.
En avril de l’année 1586 Julien de Vaugiraud passa un marché pour la « maçonne »
du logis, c’est-à-dire des travaux de maçonnerie non précisés. À cet effet on
acheta une charge de chaux à Vendrennes. Les chauniers de ce lieu pouvaient s’approvisionner
en pierres de calcaire de Sainte-Cécile voisine, pour la calciner dans leurs
fours et produire la chaux.
En 1590 il fit refaire la cheminée de la « chambre haute »
du corps de logis. On sait que le mot chambre avait un sens générique ne précisant
pas l’usage de la pièce. Mais l’adjectif est important. Il signifie que le
logis possédait un étage. Les briques pour refaire le foyer furent achetées à
Vendrennes. Les fours y produisaient aussi des carreaux, des briques et des
tuiles en terre cuite d’argile. Le manteau de la cheminée aussi fut refait, on
posa une nouvelle porte à la pièce et des carreaux au sol provenant de Villeneuve
(Boissière-de-Montaigu).
En même temps il fit construire ou
reconstruire une pièce appelée « cul de lampe ». Dans les dictionnaires
l’expression désigne un support, de colonne ou statue par exemple, ce qui n’est
pas le cas ici. Il s’agit d’une pièce d’habitation, car on acheta des genevelles
pour la porte d’entrée, celle-ci fabriquée par Louis Trotin, menuisier à Saint-Fulgent.
On acheta aussi de la tuile à la Guierche de Vendrennes.
En mai 1592 on commença la construction d’une boulangerie, peut-être
en remplacement d’une ancienne en ruine. De la pierrière de Belon (située au
nord de Bazoges-en-Paillers) fut tirée les pierres des murs. La pièce mesurait
16 pieds de large (5,2 m), 18 pieds de long (5,9 m) et 12 pieds de haut (3,9 m).
Le grand four était dimensionné pour cuire la pâte obtenue avec 16 boisseaux
seigle à la mesure de Montaigu. Un petit four à côté pouvait cuire la pâte de 2
boisseaux froment.
Dans l’hiver 1594/1595, la « chambre de l’escalier » bénéficia de
travaux d’entretien : réfection de la fenêtre près l’arcade de la chambre et
de la petite fenêtre carrée qui est à côté de la cheminée, avec fournitures de ferrures
pour mettre aux fenêtres et aux portes. Le menuisier refit aussi 2 placards à neuf.
Et on acheta pour 12 sols de chaux.
Qu’était-il arrivé à la charpente du
logis ? Refaite à neuf en 1585, on dû recommencer en 1595,
10 ans plus tard. Un accident est survenu à n’en pas douter, mais de quelle nature ?
Le livre de raison n’en dit rien, et on pense à un incendie involontaire ou à une
destruction en rapport avec la guerre civile en cours. Les écritures détaillent
les paiements : chênes abattus, pierre à tailler, pipe de chaux de
Vendrennes. Et on a un total : « Le susdit bâtiment me revient en tout à
environ de 235 £ ou 240 £ ».
En août 1595 on cura le « gardoir »
ou « gardre » (vivier) situé en dessous le jardin des métayers. Julien
de Vaugiraud l’entretenait pour y élever des poissons. En 1585 il avait fait
fossoyer le contour du jardin qui le touchait. En 1590 il fit construire un talus
en pierres pour le protéger. En janvier 1596 il y mit 500 carpeaux. Il prévoyait
de les transférer dans l’étang de la Grandinière (Boissière-de-Montaigu) où il
avait fait faire des réparations.
En 1596 les maçons des Landes-Genusson ont mis 23 journées à
tailler des pierres et 8 journées à « bousiller » l’appentis. Lui
aussi avait été renforcé et doublé en 1584. Il paraît avoir connu le même sort funeste
que le logis. On retourna encore à Vendrennes se fournir en chaux.
En 1597 Julien de
Vaugiraud étendit la surface d’un pré, et paya pour cela un journalier
sans indiquer les travaux réalisés. Il entreprit aussi de rénover les « faux »
(talus) entourant sa garenne, « fendus » (troués) par endroits. Des « bessons »
(terrassiers) de la Bruffière sont venus avec leurs outils en tracer de tout
neufs, de 13 pieds de large (15,6 m) et 4,5 pieds de haut (5,4 m) sur des goulots
(orifices d’écoulement des eaux). Il fit aussi construire une petite trappe. Il
élevait des lapins à l’air libre dans sa garenne, activité réservée aux possesseurs
de fiefs en tant que privilège, comme on le voit dans leurs aveux. Paul de Vendée,
lui, fit creuser des clapiers dans sa garenne en 1618.
Les habits de noble de Julien de Vaugiraud
Pourbus le jeune : Henri IV en armure (vers 1610) (Musée du Louvre) |
Madame de Vaugiraud habillée à la mode de la Renaissance
Comme son mari, Jeanne de Vaugiraud
faisait confectionner ses habits par les tailleurs de la contrée. En 1585, Guillaume,
tailleur demeurant à la Grandinière, reçu 30 sols pour la façon d’une robe et 20
sols pour ses journées. Il fournit en même temps un vertugadin. C’était une armature
passée sous la robe pour la faire bouffer. En 1593 elle acheta deux porte-fraises,
l’un pour elle, l’autre pour sa fille Gabrielle (aînée), du fils du Grand Jacquet (colporteur
de Beaurepaire). La fraise était un col de lingerie formé de plis et placé
autour du cou pour le cacher et mettre en valeur le visage de celui qui le (la)
porte. On la désigne également sous le terme de collerette. Les portraits des dames
de cette époque sont nombreux sur les tableaux de peintures, les montrant avec leur
robe bouffante et leur fraise. Qu’on pense à celui de la reine Marie de Médicis.
Jeanne de Vaugiraud aussi fit venir, comme son mari, des étoffes de Nantes en 1586
pour la confection d’habits : une aune de camelot noir (laine avec des poils
de chèvre), et passement noir (bordure ou dentelle). En 1590 elle s’adressa à
un tailleur de Tiffauges, Jean Magnon, pour « sa façon d’une robe ».
Jeanne de Vaugiraud portait un
collier de grains d’ambre assorti avec une bague portant de petits grains d’ambre
aussi (18 deniers le grain en 1584 note le mari dans son livre). En 1592 celui-ci
lui acheta une boucle d’or pour mettre à un pendant (21 sols). Pour sa mercerie
elle faisait ses achats chez le barbier de Bazoges ou aux colporteurs de passage.
On sait que sous l’Ancien Régime le terme de barbier désignait différents métiers,
coiffeur, chirurgien, et à Bazoges-en-Paillers à la fin du 16e siècle :
mercier. Au 14 novembre 1585 on lit : « ma femme a acheté de Barraud contreporteur
des Landes-Genusson pour 30 sols de mercerie, un miroir, des épingles, une
bourse de galée, des ciseaux, une paire de petites chausses de broche pour Jean
(son fils âgé de 17 mois), une once d’épice (31,25 gr), une paire de gants pour
elle ».
Cette femme, qui mit au monde 17 enfants,
montait à cheval pour se déplacer à la foire de Bazoges ou à la métairie de la Grange
près de Mortagne, par exemple. Son mari lui fit fabriquer une selle par le sellier
de Montaigu en 1584. En 1595 elle fit réparer à neuf le harnais de son cheval à
un sellier de Mouchamps nommé Boniface. C’est que le cheval était le seul moyen
de déplacement. Signe de son importance, on relève en 1590 un voyage d’un de
ses valets avec le fils du charpentier de la Roulière (Bazoges) pour mener ses
chevaux à la mer à Saint-Michel-en-l’Herm (80 kms). On devine une sorte de
thérapie recommandée pour une raison qu’on ignore. Le chariot médiéval existait
toujours, le coche et le carrosse étaient des inventions récentes dans le
royaume, mais apparemment encore inconnus à Bazoges-en-Paillers, car jamais dans
les écritures l’existence d’un attelage est mentionnée.
À l’occasion d’un voyage à Angers du valet de Logerie, pour porter des papiers en 1596, on lui demanda de rapporter au retour des cordes de luth. Voilà qui lève le voile sur le type de divertissement pratiqué dans le logis de Logerie : on savait jouer de la musique.
P. L. Mestrallet : Fileuse en Haute Maurienne |
Dans ces écritures de dépenses d’habillements
on a pu suivre le prix d’une paire de souliers pour hommes, comme un indice de
l’évolution du prix d’un bien de consommation. De 15 à 18 sols en 1584, son
prix a monté à 20 sols en 1590, 25 sols en 1592 et 30 sols en 1597. C’est un
doublement du prix en 13 années. La paire à double semelles coûtait 35 sols, au
lieu de 20 sols à semelle unique en 1592.
La nourriture d’un seigneur campagnard
À Logerie on se faisait
livrer de la viande régulièrement par le boucher du bourg de Bazoges. La
fréquence, 2 à 3 fois par mois, hors les saisons du poisson liées aux jeûnes religieux,
s’explique au moins par les conditions précaires de conservation de la viande.
On se servait du sel pour cela et des petits abris en terres (charniers) montés
dans les celliers la protégeait un peu de la chaleur ambiante. Le relevé des
livraisons de l’année 1585 montre que la viande de mouton représentait la
moitié d’entre elles et le veau un tiers. Le reste se rapportait à la viande de
vache et de chevreau. La viande de bœuf était donc absente de la table du seigneur
de Logerie. Et pourtant il vendait des bœufs engraissés pour la boucherie, peut-être
destinés à l’approvisionnement des centres urbains en plus du débouché local. Les
historiens nous apprennent qu’au Moyen Âge les nobles se nourrissaient de
volailles et gibiers principalement. Les viandes de boucherie n’étaient guère
utilisées que pour les bouillons (en particulier avec le bœuf) ou les hachis, longuement cuits. La viande de boucherie a ensuite été, à partir du 15e
siècle, de plus en plus utilisée souvent pour les rôtis braisés notamment (16). Il faut croire
que dans la contrée cette évolution fut plus tardive et (ou) plus lente.
On achetait du poisson et
des crustacés surtout pendant le carême, mais pas seulement. Ainsi voit-on des
achats d’huîtres en septembre et décembre. Et lors d’un repas en mai 1585 avec
son frère Charles, les huîtres figuraient au menu. À l’occasion de voyages dans
les gros bourgs des environs on revenait avec du poisson frais, ou bien on
allait exprès en chercher à Tiffauges, Mortagne, Saint-Symphorien (La Bruffière),
Bazoges, les Essarts, les Herbiers. Le boucher de Bazoges en vendait, mais il
était peu sollicité pour le poisson à Logerie. Saint-Fulgent n’est pas cité
dans cette liste, et il ne serait pas étonnant que le commerce de son bourg souffrît
alors des guerres de religion, car la population y était divisée entre catholiques
et protestants. On remarque une certaine diversité des achats de poisson :
hareng, morue fraîche ou « parée » (en filet), sardine, lamproie, « alouze »
(alose). La consommation de poissons était une obligation religieuse et ne marque
pas à l’époque un train de vie pour gens aisés. C’est la diversité des achats
dans les bourgs des environs qui informe du niveau de vie élevé à Logerie par
rapport aux paysans des alentours. Les poissons d’eau douce ne manquaient pas,
mais échappent aux comptes du livre de raison, car Julien de Vaugiraud exploitait
l’étang de la Grandinière (Boissière-de-Montaigu) et avait un vivier d’élevage
à la Logerie. Il a ainsi vendu le 24 février 1592 à
Louis de la Folliette 4 carpes (3 sols l’une), et le mois suivant il a vendu une douzaine de quarterons de carpes provenant
de l’étang de la Grandinière.
Pour faire des confitures
on achetait de la cassonnade, un produit peu courant à Bazoges. Il fallut envoyer
un valet chez le colporteur de Beaurepaire en acheter 2 livres (12 sols/livre)
en 1590. En 1595 un voisin en rapporta de Luçon 3 livres au même prix. On se faisait
livrer les « épices » du bourg de Bazoges, mais le mot a un sens générique
désignant les ingrédients utilisés en cuisine (nos plantes aromatiques, et pas
forcément que des plantes exotiques). Le litre d’huile coûtait 7 sols 6 deniers
en 1592. Le sel était acheté en boisseau, 10 sols l’un en 1595. Son prix n’était
pas grevé du fameux impôt de la gabelle à Bazoges. Malgré la métairie des lieux
à partage de fruits et l’apport des menus suffrages des autres métairies, on achetait
du beurre de temps à autre, preuve de l’importance des tablées de domestiques
et de journaliers nourris sur place. Une livre de beurre coûtait de 3
à 4 sols dans les années 1594/1597, ayant subi une hausse d’environ 33 % à
partir de 1592.
Puisqu’on parle de
cuisine, indiquons la fabrication d’un garde-manger en 1590 par Louis Trotin,
menuisier à Saint-Fulgent pour 30 £. En 1594 Julien de Vaugiraud fit mettre une
barre de fer à sa « huge » (huche) « pannetière ».
La médecine de la fin du 16e siècle
En mai 1593 Julien de Vaugiraud eut
un apostume (gonflement ou abcès) à l’épaule gauche pour lequel il fit
venir un chirurgien des Herbiers. Il en fut malade pendant un mois et donna une
pistole (6 £) au chirurgien, et aussi 20 sols (1 £) à un rebouteux de village. On
sait que le chirurgien pratiquait toutes sortes d’interventions sur le corps, à
la différence des médecins qui diagnostiquaient des maladies et prescrivaient des
médecines, en récitant des formules en latin des auteurs anciens si l’on en
croit Molière près d’un siècle plus tard (comédie du Malade imaginaire). Le chirurgien
de cette époque faisait son apprentissage sur le tas auprès d’un maître chirurgien,
à l’instar d’un charpentier, tandis que le médecin était diplômé de la faculté.
Dans les 6 £ au chirurgien était comprise la pose de ventouses sur le corps de
la maîtresse de maison. Le remède traitait aussi bien les douleurs musculaires, articulaires que
rhumatismales, et nous ne connaissons pas son mal. Le frère de Julien, Charles,
qui habitait à la Grange près de Mortagne, préféra aller se faire arracher une dent aux Landes-Genusson en 1585,
signe probable que la réputation des arracheurs de dents devait compter. Le
livre de raison reste muet le plus souvent sur le nom des maladies, pourtant si
présentes dans la vie des gens de toutes conditions. On sait que le manque d’hygiène
a beaucoup contribué aux épidémies, aussi l’état arriéré de la médecine de l’époque.
La vie avant la poste
F. Flameng : Le
messager |
Le troc et la monnaie dans les échanges
Comme il était d’usage sous l’Ancien Régime l’unité de compte utilisé pour fixer le prix des choses n’était pas liée
aux monnaies utilisées. Pour payer la valeur d’un produit de 10 £ par exemple,
on utilisait les monnaies ayant cours, émanées du roi de France comme la livre,
l’écu et le franc, ou de princes étrangers. On voit ainsi, même si c’est rare,
Julien de Vaugiraud utiliser des réaux (monnaie espagnole) valant une livre ou
deux livres. Son frère Charles, sieur de Villeneuve, reçut à la Grange où il demeurait,
un real valant 2 £ d’un gentilhomme normand. Ce dernier « lors étant à la Grange
passant par ce pays et courant la fortune » (26 juin 1584). Une fois on
voit l’usage en 1590 d’un franc, et plusieurs fois d’une pistole qui valait 2 écus,
et d’un ducat qui valait 65 sols. Le franc était une pièce d’or valant 1 livre,
que les révolutionnaires choisirent en 1795 comme monnaie officielle pour
remplacer les louis, symboles de la monarchie. Cette monnaie devint ensuite
l’unité de compte officielle en adoptant le système décimal aussi nouvellement créé.
La pistole était une monnaie espagnole et le ducat une monnaie italienne, mais
l’Espagne émettait aussi des pièces appelées ducats. Elles avaient leurs cours
fixés pour leur poids en métal précieux.
Malgré les diverses monnaies en circulation, il semble qu’on en manquait en cette fin du 16e siècle à Bazoges-en-Paillers, mais aussi certaines personnes pratiquaient le troc, au moins par habitude à cette époque, et peut-être par manque de confiance suivant les impressions suggérées par les cas rencontrés. Certaines transactions se réglaient en effet toujours en nature, même si c’était rare. Ainsi le 23 décembre 1585, Julien de Vaugiraud « harda » (échangea) un tonneau de vin, une pipe de vin vieux, une de vin nouveau avec un paysan, Mathurin de la Foliette, « pour du « blé » (céréale), il n’en a voulu prendre de l’argent, je lui dois donner 45 boisseaux seigle ». Pour régler le marché fait pour un an avec un messager des Herbiers (transport du courrier) au début de l’année 1597, il s’engagea à le régler par 3 boisseaux de seigle comptant en janvier et 3 autres en décembre. Il fit porter ces 3 boisseaux au meunier de la Templerie à Bazoges, lequel devait livrer la farine au messager. Et d’autres exemples de troc ne manquent pas.
Q. Metsys : Le prêteur et sa femme (1514) (Musée du Louvre) |
Les domaines et les redevances de Julien de Vaugiraud
Sa richesse reposait sur ses domaines et ses droits seigneuriaux. Ces derniers n’étaient pas importants pour une raison essentielle : ils étaient pour la majorité d’entre eux en valeurs fixes depuis des siècles, et l’inflation des prix les avait réduits à peu de chose. Par exemple, en 1342 le boisseau de seigle valait 7,5 deniers à la Boutarlière (Chauché) (19), et au même endroit il valait 7 sols 6 deniers en 1571, soit 12 fois plus. En 1584 il valait 8 sols 14 deniers à Bazoges-en-Paillers, mais dans une unité de mesure différente. Certes il y avait le droit de terrage, fixé au 1/6 des récoltes dans la région de Saint-André-Goule-d’Oie, qui pesait sur les paysans. Nous ne le connaissons pas à Bazoges, mais en tout état de causes il peinait à maintenir le train de vie d’un noble à l’époque du livre de raison. Dans ce dernier on a rencontré des droits seigneuriaux prélevés dans la région de Mortagne, berceau de la famille. Ce fut le cas en Anjou sur l’abbaye de La Haye (Saint-Christophe-du Bois), au tènement de la Proutière dans la même paroisse, et aux Noyers près de Mortagne, à la Crépelière (Séguinière), aux Roussières (Nueil-les-Aubiers en Deux-Sèvres). En Bas-Poitou on note des prélèvements à Saint-Aubin-des-Ormeaux sur les teneurs de la Jaubretière et à Evrunes sur la Brangerie. Les montants, quand ils sont indiqués, sont faibles car ils ne représentent qu’une part d’indivision.
Les métairies, qui furent souvent à
l’origine des fiefs réservés par le seigneur pour lui-même, et affermées à des
métayers, rapportaient davantage. Elles étaient devenues la vraie source de richesse
des gentilshommes campagnards. Le seigneur recevait tous les fruits de l’exploitation
agricole après paiement des métayers. Dans cette famille de Vaugiraud leurs possessions
trouvent comme souvent leurs origines dans les alliances matrimoniales. Mais
leurs exploitations étaient contraintes par les naissances nombreuses et les aléas
de la mortalité. Alors on les gérait le plus souvent en indivision, soit en
attente du partage d’une succession, soit en exécution de celle-ci.
Commençons là aussi par les domaines en Anjou et par la seigneurie dont sont issus depuis deux siècles les membres de cette famille de Vaugiraud : la Grange (Saint-Christophe-du-Bois). Au-dessus de la porte d'entrée figurait en 1876 encore un aigle à deux têtes, le vol abaissé, inscrit dans un ovale, écusson des Vaugirault, dont une tombe existait dans le cimetière de Mortagne. Dans le mur à gauche de la principale porte, était sculptée une tête grossière et d'apparence très antique. La principale tour, grosse et ronde portait trois étages à fenêtres en plein cintre, et dominait encore le logis moderne dans lequel elle était engagée. La chapelle n'était pas non plus entièrement détruite ; sur la porte se lisait la date 1737, et sur la façade : 1764 (20). Le fief relevait de la seigneurie du Langeron (Maine-et-Loire) pour une moitié soumise à la coutume du Poitou (aveu de 1597), l’autre moitié relevait de la coutume de l’Anjou. Dépendait de la Grange la métairie du Chêne (ferme indivis au moins entre Julien et son frère Charles). En 1595 Julien a récolté sa part de céréales : 85 boisseaux seigle et 7 boisseaux froment. Une partie fournissait en 1595 le meunier des Brognes (Saint-Pierre-des-Echaubrogne en Deux-Sèvres). Au 6 mai 1597 le bétail de la ferme fut estimé à 309 £ au total. C’est une somme importante, si on la compare à la valeur de 100 livres de valeur du bétail estimée à la métairie de la Menantonnière (Rabatelière) en 1568 (21). Les propriétaires s’en partageaient aussi le profit, et disposaient d’un étang pour l’élevage de poissons. Ils y avaient leur propre vigne.
Julien possédait seul la métairie de la Papotière (peut-être Papaudière au nord de Longeron), qu'il affermait à 100 £ par an en 1593. C’était aussi un fief dépendant de la seigneurie de Cholet. En 1584 Julien fut poursuivi par son procureur pour hommage non fait de ce fief. Il avait la particularité que ses droits de rachat relevaient de la coutume du Poitou et ses droits de lods et ventes de la coutume d’Anjou. En 1597 Julien eut encore des ennuis avec son suzerain, qui fit saisir les fruits du domaine, pour un cens de la valeur d’une poule, réclamé contrairement à l’habitude selon lui. Pour arrêter la saisie, l’homme de loi envoyé à Cholet lui coûta 3 £ 10 sols de frais de voyage. Le cens portait d’autres droits comme les redevances lors des mutations de biens, mais on n’est pas sûr ici qu’il ne valait qu’une poule.
En 1577 un frère de Julien avait vendu le quart du village et métairie de la Pommeraie (Saint-Christophe-du-Bois) à un particulier étranger à la famille pour le prix de 300 livres. En avril 1595 Julien et son frère Charles rachetèrent cette part. Elle avait fait l’objet d’une clause de réméré (appelée « rétentions de grâce ») permettant à la famille de reprendre le bien vendu en dédommageant l’acheteur. Julien possédait une part dans la ferme de la métairie en 1597, année où il dut trouver un autre laboureur pour remplacer le métayer pendant les 3 années à finir du bail initial de 5 ans. La ferme fut fixée en nature : par an la valeur de 96 boisseaux de seigle. Les menus suffrages furent : un pourceau d’un an, 10 livres de beurre, 4 chapons, 6 poules, 6 oisons. Deux clauses sont rappelées dans le livre de Julien : l’une habituelle, les bians (corvées) à la « semonce » (demande), l’autre moins courante, la promesse d’un pleige (caution). À cette ferme s’ajoutait un bail à cheptel où on voit le métayer et les propriétaires acheter et vendre à moitié entre eux le bétail, étant possesseurs à moitié de sa valeur.
En 1594 la part de Julien dans la ferme de Saint-Aubin aux Epesses se monte à 64 boisseaux de seigle, et autant de froment, et 100 boisseaux d’avoine. Il fit y fit des réparations aux bâtiments en 1584 et 1594. Cette terre devait une rente en blé à la chapelle de Pinsonneau, dite chapelle de Saint-Aubin, aux Epesses.
La métairie de la Grandinière à
la Boissière-de-Montaigu est bien documentée dans le livre de raison. La part des récoltes de la métairie revenant à Julien en août
1590 est le tiers du propriétaire (il était en indivision avec ses deux frères),
soit le sixième du total dont les métayers gardaient la moitié (« ma partie
et tierce partie en la moitié du maître »). Sa part se monte à 146 boisseaux
de seigle, 30 boisseaux d’avoine, le tout à la mesure de Montaigu. En pois il
eut 2 boisseaux, et en fèves 1 boisseau, reçus au mois de septembre suivant. En
conséquence le total produit dans l’année sur la métairie est en seigle de 876
boisseaux, et en avoine 180 boisseaux. On produisait du lin à la Grandinière dans
le jardin. En 1590 Julien en a reçu sa part en argent, se montant à 3 £.
En 1593 la part de Julien est de 144 boisseaux de
seigle, 30 boisseaux de froment, 13 boisseaux d’avoine et 2 boisseaux de pois. L’écriture
ne dit pas ce que représente cette part dans le total récolté, peut-être un quart.
En 1594 la part de Julien est de 52 boisseaux de seigle,
en froment 3 boisseaux à la mesure de Montaigu, 1 boisseau mesure de Mortagne
de froment blanc, 16 boisseaux mesure de Montaigu de froment Saint-Michel, en
avoine 10 boisseaux mesure de Mortagne et 1,5 boisseau mesure de Montaigu, et
du lin mesuré en 57 douzaines de « fray » (charge). C’est une mauvaise année. Les
deux qualités mentionnées de froments, en utilisant les deux mesures de Montaigu
et Mortagne constitue un défi pour le chercheur, et une défaite en ce qui nous concerne.
Au mois de juin de cette année-là, julien a touché 20 livres de laine provenant
des moutons. Le fief de Logerie relevait de la seigneurie de Boulerot (Boissière-de-Montaigu),
ce qui explique sans doute l’usage de la mesure de Montaigu. Celle de Mortagne
ne nous étonne pas puisque la seigneurie de Saint-Fulgent voisine relevait de
Tiffauges. Les champs d’application des mesures s’interpénétraient sur certains
territoires comme à Bazoges-en-Paillers.
En août 1595 on lit dans le journal : « Je n’ai
eu cette année à la Grandinière à cause de la grêle qui a tout gâté, que 25
boisseaux de seigle, 8 boisseaux de froment de Saint-Michel, 4 boisseaux de
froment blanc et 4 boisseaux d’avoine ».
En 1596 les propriétaires ne sont plus que deux et ils possèdent chacun le quart du total comme il est écrit, dont les métayers gardaient la moitié. La part de Julien est de 250 boisseaux de seigle, 26 boisseaux de froment, 84 boisseaux d’avoine, et 3 boisseaux de fèves et pois. En conséquence le total produit dans l’année sur la métairie est de 1000 boisseaux de seigle, 104 boisseaux de froment, 336 boisseaux d’avoine et 12 boisseaux de fèves et pois. Cette année semble meilleure que 1590 avec une récolte plus diversifiée. Les écritures évoquent surtout les céréales et moins le bétail, dont ils se partageaient le profit dans les mêmes proportions. Un siècle et demi plus tard (1743) il y avait 12 bœufs à la Grandinière, pour 2 bœufs seulement sur la métairie de la Jaumarière (Saint-André) (22). C’était une grande métairie à 6 bœufs de trait correspondant à environ 60 hectares de surface au 18e siècle.
Au mois de janvier 1596 Julien est seul pour exploiter la Grandinère, après la mort de son deuxième frère, Charles, en mai 1595, même si les revenus continuent à être partagés entre lui et les enfants de son frère dont il est le curateur. Il a achevé de faire réparer l’étang des lieux, le renfort d’un talus lui a coûté 18 £ et le « bardeau » 6 £ (construction en bois, ici probablement servant d’écluse). Il a mis 800 carpeaux pris en son « gardoir » (vivier) de Logerie, 180 carpes « assez grands », et encore 140 brèmes.
Bazoges-en-Paillers :
le petit musée |
Le bail de la métairie de la Fontaine
(Landes-Genusson), en indivision dans la famille (Julien en a les deux tiers), est à partage de fruits avec
les métayers, avec en plus un bail à cheptel où le croît du bétail était partagé,
mais comportant une redevance minimale de 6 £. Certains menus suffrages comme
les chapons étaient perçus en nature et en argent.
À Villeneuve (Boissière-de-Montaigu) il y avait deux borderies
possédées par Julien, sa sœur mademoiselle de la Grange, et son frère Charles,
ce dernier en ayant pris le nom : la Petite Villeneuve et la Grande
Villeneuve. Après la mort de son frère Charles, Julien gère seul les borderies
pour le compte de sa sœur et de ses neveux. La vigne était exploitée « à
pic » (régie directe), car on le voit en 1597 faire un marché d’un an avec Pierre
Billaud, métayer en la Grande Villeneuve, pour la cultiver au prix de 15 £.
À la Bedasserie, à partir de 1590, les revenus de la métairie étaient pour l’entretien d’un neveu, Léonard Richelot, devenu orphelin. La métairie des Noirs (Verrie) était en indivision entre Julien et son frère Charles en 1595. Elle devait une rente à Courtison et à la Haye (les deux à Saint-Christophe-du-Bois). La métairie du Verger (Bruffière) était en indivision entre Julien et au moins un de ses frères. De la même façon on le voit une fois recevoir des fermes de faibles montants (soit parce qu’il est en indivision, soit que le domaine est petit, soit que la récolte est mauvaise) sur des lieux non situés : la Veronnière en 1585, et la Bardonnerie en 1590, et la Rivière en 1594.
Quelques prix agricoles à la fin du 16e siècle
Dans la période 1584/1597 que couvre le livre de raison, les
prix sont à la hausse. C’est net pour le bétail et le vin, moins pour les blés (céréales).
Mais ce constat est insuffisant à cause des données parcellaires notées dans le
livre, et sa portée en est limitée sur ce point. Voyons cela de plus près.
Le prix d’un bœuf sur pieds s’appréhende difficilement. Son prix varie suivant son âge, lequel est rarement indiqué dans les écritures. On en trouve de 25 £ à 33 £ dans les années 1584 à 1592. Les prix montent ensuite d’environ 80 % de 1593 à 1596. En 1596 1 bœuf gras est vendu 53 £. En 1597 deux jeunes bœufs apprêtés sont vendus ensemble 66 £, un bœuf de 3 ans est vendu 20 £, de 4 ans 30 £ et un bœuf de 7 ans 42 £ et 50 £.
Le prix des vaches parait connaître une légère hausse sur la période 1584/1592, avec des variations pouvant dépendre, tant de la qualité de l’animal dont le prix est négocié, que de l’influence du marché. On a un prix de 15 £ en 1590 et de 19 £ 15 sols en 1592, avec une moyenne de 17 £ 6 sols entre ces deux dates. En 1593 les prix montent de 25 % à 25 £. Puis de 1594 à 1597 ils retrouvent le niveau de la période 1584/1592. Une torre (jeune vache qui n’a pas vêlé) est vendue 12 £ en 1597, et une autre de 2 ans est vendue 21 £ en 1594.
Les noges (veaux d’un an) se vendent de 3 £ 6 deniers
à 10 £, voire 13 £, en 1584 et 1585. Les veaux de 2 ans se vendent de 15 £ 15
sols à 18 £ dans la période 1584/1594. On trouve un prix de 22 £ en 1595. En
1596 un jeune taureau est vendu 20 £.
En 1593 une jument haquenée est achetée 36 £. En 1590
un cheval est vendu 84 £
Le prix des moutons augmente dans la période
1584/1597. En 1584 un agneau d’un an vaut 12 sols, une agnelle de 2 ans 16 sols,
et un mouton de 3 ans de 16 sols à 19 sols. Le mouton monte à 2 £ en 1590, 2 £
15 sols et 3 £ en 1593. En 1597 on trouve un prix plus bas à 2 £ 3 sols.
On ne détecte pas d’évolution du prix des chapons dans
la période 1584/1597, allant de 6 sols pièce à 10 sols, avec une moyenne de 7
sols 6 deniers.
La pipe de vin parait sujette à une variation plus forte des prix. En 1584 et 1585 on trouve les prix de 5 £. Ceux-ci subissent ensuite des variations erratiques de 1586 à 1593. Ensuite on a 15 £ et 27 £ en 1594, puis 28 £ et 36 £ en 1595, et 27 £ en 1597. On sait que les vins d’Anjou ont connu une baisse de la production de 1586 à 1599 à cause des guerres de la ligue qui ont pu jouer à l’occasion. Mais surtout le climat a sévi, diminuant l’offre de vins et enchérissant les prix (hivers rudes, printemps gelés, étés pourris) (23).
Le prix du boisseau de seigle monte de 8 sols en juin à 30 sols en septembre 1584, pour redescendre à 14 sols
en décembre, révélateur d’une pression spéculative. En 1585 il se fixe autour
de 14 sols, sauf une exception à 8 sols 9 deniers, peut-être un cas particulier.
On le trouve à 15 sols en février 1786. Puis de 1590 à 1592 il varie de 9 sols
à 16 sols. En octobre 1594 il est à 15 sols 9 deniers. Enfin à partir de mai
1595 le prix s’envole à 1 £ 10 sols jusqu’en septembre. En juin 1597 il est encore
à 1 £ 5 sols. On sait qu’à cette dernière date il y a une hausse du prix en France
à cause du climat (24).
Le prix du boisseau de froment est trois fois moins renseigné que celui du seigle, et parait
plus stable de 17 à 18 sols en 1985 et 1986, descendant à 12 sols 5 deniers en 1592
et 13 sols en 1593. Il remonte ensuite en 1594 à 1 £ 11 sols, et en 1597 à 1 £
16 sols. Il est plus élevé que le seigle, mais de peu, et on retient une
fourchette de 12 sols 5 deniers à 1 £ 16 sols dans la période 1584/1597.
Le prix du boisseau d’avoine, la moitié environ de celui du
froment, est stable autour de 5 à 6 sols dans la période 1584/1592, puis monte
à 8 sols en 1594 et 15 sols en 1597.
Les salaires et les gages à Logerie en 1584/1597
Julien de Vaugiraud n’avait pas de
régisseur, il dirigeait toute l’activité de Logerie et de ses domaines lui-même.
À la différence du duc de Thouars à la même époque, on ne trouve pas dans sa
maison d’officier, secrétaire, aumônier, médecin, fauconnier, etc. (25). Julien
confiait lui-même les travaux à faire à des artisans et à des domestiques (valets
et chambrières). Il les appelait par leurs noms et sous sa plume les surnoms
sont très rares : le Grand Jacquet, ou « Vincent Grolleau autrement appelé
Santa Maria ».
Les journaliers paraissent assimilables
aux artisans dans leur statut, faisant des travaux agricoles divers. Les artisans
étaient embauchés soit par marché (pose d’une charpente), ou, ce qui est la
même chose, à la façon (confection d’une robe), soit à la journée. Leur salaire
à la journée était net de nourriture ou au contraire tenait compte du fait qu’on
les nourrissait. Cette précision est rarement mentionnée et laisse une marge dans
l’appréciation du prix payé d’une journée de travail (1sol de différence
environ).
On voit dans le livre le salaire des tailleurs d’habits et des journaliers augmenter d’environ 1/3 entre 1585/1586 et 1590/1597. Pour les autres métiers, l’insuffisance des données nous prive de tout constat sur ce point. Chez les bessons (terrassiers), charpentiers et journaliers, les prix sont différents dans une même année. Cette individualisation des salaires est difficile à analyser. Peut-être une concurrence entre artisans, car on les voit demeurer dans les paroisses environnantes, sans monopole de l’un d’entre eux. Peut-être aussi que la prise en compte de la qualité personnelle et des conditions du travail réalisé y a contribué.
M. Gateau : Les
foins (coll. part.) |
Enfin on ne peut pas passer sous silence la question du pouvoir d’achat de ces salaires en cette fin du 16e siècle. Les salaires et les gages ont augmenté certes, mais sans doute moins que les prix, d’où une détérioration du niveau de vie. F. Braudel cite sur ce point dans ses travaux un autre livre de raison de 1560, connu des historiens car son auteur, le sieur de Gouberville, est plus disert que Julien de Vaugiraud. Voici un extrait significatif : « Du temps de mon père, on avait tous les jours de la viande, les mets étaient abondants, on engouffrait le vin comme si c’eût été de l’eau. Mais aujourd’hui tout a bien changé : tout est coûteux ... la nourriture des paysans les plus à leur aise est bien inférieure à celle des serviteurs d’autrefois » (26). On comprend après cela la formule mythique du roi Henri IV vers 1600 : « Si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu'il n'y a pas de laboureur en mon royaume qui n'ait moyen d'avoir une poule dans son pot. »
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