Il
me paraît nécessaire de compléter et rectifier les brèves informations que j’ai
données dans mon livre au sujet des frères Cougnon, capitaines de paroisse de
Saint-André-Goule-d'Oie au moment des guerres de Vendée. En effet, un article de
la Revue du Souvenir Vendéen No 239 de juin 2007, apporte des précisions dont
je n’ai pas eu connaissance à cette même époque où je commençais mes recherches
sur Linières. Son auteur est Jérôme Biteau, et voici les précisions apportées
dans son article : « Deux capitaines de paroisse : les
frères Cougnon de Saint-André-Goule-d'Oie »
D’abord
il ne faut pas confondre les deux frères : Christophe et François.
Christophe Cougnon
Il est né aux Essarts le 13 août 1761 (vue 21). Il est le fils de Jacques
Cougnon (1733-1807) et de Marie Chacun, ces derniers étant natifs de Saint-André.
Au jour du rachat de Linières par Mme de Lespinay en août 1796, Jacques Cougnon
est noté dans l’acte comme fermier de la Guérinière.
Le grand-père de Christophe Cougnon s’appelait
aussi Christophe, marié à Marie Chaillou en 1730. Il était né en 1706 dans une
ferme de la Ridolière où son propre père, Jean Cougnon (1696-1727) était alors
fermier et marié en 1695 avec Marie Bricou. Jean Cougnon était le fils de
Pierre Cougnon et de Marie Pain.
Puis Jacques Cougnon avait quitté la Ridolière avec son père pour prendre une
métairie au village de la Grange aux Essarts, appartenant à Louis
Gabriel de Lespinay, seigneur de
Beaumont. Il y résidait en 1776 (1). Ensuite il vint s’installer à la
Guérinière, qui dépendait du domaine de Linières, appartenant à Charles
Augustin de Lespinay, neveu du précédent.
Christophe et François Cougnon eurent trois
frères et trois sœurs. Le contrat de mariage de l’un d’eux, Jean, avec une
cousine au 5e degré, Marie Cougnon, en 1778 est accessible par
internet sur le site de la Vendée (2).
Au
moment de la Révolution, Christophe, habitant la Guérinière, occupait les
fonctions de régisseur à l’amenage (ensemble agricole dépendant d’un
propriétaire unique) du château de Linières, selon Jérôme Biteau (3). Cette
information n’est pas forcément en contradiction avec celle que je relate dans
mon livre (page 107) avec l’enterrement du régisseur de Linières, Jacques
Mandin. Ce dernier évènement date de février 1794 et on peut penser qu’il a
succédé dans cet emploi à Christophe Cougnon, qui a été grièvement blessé en
août 1793 et qui avait sans doute dû délaisser sa fonction à Linières. Et puis le mot régisseur employé plusieurs
dizaines d’années après la guerre n’est peut-être pas à prendre au pied de la
lettre. On ne le voit pas superviser son père, un des métayers de l’amenage. En
tout cas il devait avoir des responsabilités à Linières. De toute
façon, le domaine était sous séquestre depuis juin 1792, à cause de
l’émigration de son propriétaire à la fin de l’année précédente (4). Il y avait
eu nomination d’un gardien sur place et les fermages étaient aussi sous
séquestre. Nous n’en savons pas plus, mais il est probable que les hommes de
confiance du vicomte de Lespinay sur place, dont Christophe Cougnon, devaient
ronger leur frein face à cette situation.
Celui-ci
avait épousé le 25 janvier 1785, à Saint-André, Marie Madeleine You, dont il eut 6
enfants. Il avait un surnom : Tophliet, diminutif de Christophe dans le patois local..
Dans
la nuit du 9 au 10 mars 1793, au moulin Briand, dit Dria (aujourd’hui
totalement disparu, entre le bourg de Saint-André et le village de la Brossière),
Christophe prononce un discours aux conscrits de la paroisse, réunis pour
décider que personne n’irait au biet (tirer au biet, au billet, c’est à dire au
sort). Celui-ci devait avoir lieu le lendemain dimanche 10
mars, qui marque en maints endroits de la région le début de l’insurrection
vendéenne (6).
La
loi de réquisition du 24 février 1793 concernait les hommes célibataires ou
veufs sans enfants de 18 à 40 ans. A cet égard, les deux frères Cougnon ne
tombent pas sous le coup de la loi, étant tous deux mariés, contrairement à ce qui
a été écrit. Chaque département devait répartir son
contingent entre les districts, et ces derniers devaient en faire autant entre
les communes. La ponction était lourde, concernant en moyenne 20 % des inscrits
sur les listes. Normalement on commençait par ouvrir un cahier où pouvaient
s’inscrire les volontaires. On pouvait aussi organiser une souscription à leur
profit, et à celui des désignés si les premiers étaient en nombre insuffisant. Dans
les villes ces souscriptions ont été parfois utiles, la misère épaulant le
patriotisme pour susciter des volontaires ou adoucir le sort des désignés.
Faute d’assez de volontaires on procédait au tirage au sort (comme jadis la
milice) ou à un scrutin (5). Ces détails n’apparaissent pas souvent dans les
livres d’histoire sur la Vendée, comme si le tirage au sort avait été la règle
unique et obligatoire. Mais on comprend que le refus massif de se rendre à la
convocation rend ces précisions superflues.
Le Coudray |
Les
exemptions d’inscriptions sur la liste des inscrits au tirage au sort, au profit des membres des administrations des municipalités et
districts, ainsi que des gardes nationaux sur place (perçus comme des ennemis
par les paysans) furent très mal comprises. On a dit que le tirage au sort
utilisé au temps de l’Ancien Régime, faisaient partie des pratiques rejetées,
ce qu’on n’a pas pu vérifier dans les cahiers de doléances. Défendre une république
haïe était impossible pour les jeunes de Saint-André.
Le
11 mars, date très probable, une partie des conscrits assomment mortellement le maire de Saint-André,
Guesdon, parce qu’il a donné la liste des jeunes gens à tirer au sort aux
autorités. Le même jour, l’adjoint Marchand (au Plessis-le-Tiers) est également
assommé.
La
mardi 12 mars se produisit l’épisode appelé « complot » à la foire de
l’Oie. On ne sait pas si des hommes de Saint-André y participaient, mais
contrairement à ce qui a parfois été écrit, on est sûr de la date de
l’évènement (6). On fit prisonnier quelques gendarmes.
Dans
la nuit du 11 au 12 mars une seconde réunion des conscrits a lieu dans le pré
de Rapine près du Coudray. Il porte ce nom dans le cadastre de 1838 (parcelle no
1 de la section E 2 de la Boninière, en nature de pré, située peu avant que le
ruisseau venant du Coudray, qu’il longe, ne se jette dans le ruisseau du Vendrenneau). Tophliet, grimpé sur un chêne élagué, qu’on
montrait encore dans les années 1950, fait un discours mobilisateur pour
attaquer les bleus à Saint-Fulgent le lendemain. Il est acclamé comme chef. On devait
prévoir que l’assassinat du maire et de son adjoint allait attirer l’arrivée
des bleus.
Le
12 mars une colonne de 60 républicains envoyée de Fontenay et commandée par Charles Pierre Marie Rouillé, est attaquée à l’entrée du bourg de Saint-Fulgent. Ils avaient été envoyés par le directoire du conseil
départemental de la Vendée pour combattre les rebelles dans le district de
Montaigu (7). Parmi eux Laparra est
fait prisonnier (8). Les documents disponibles ne disent pas qui commandait alors
les révoltés. À cause de la suite on cite dans les livres Tophliet et ses
hommes de Saint-André, et aussi ceux de Saint-Fulgent avec à leur tête l’aubergiste
Lusson et Gautier, procureur de la commune.
Le
13 mars les révoltés vendéens, dont les hommes de Tophliet, attaquent Rouillé à nouveau, ce dernier renforcé par la garde
nationale de Niort, et les dispersent jusqu’à l’Oie.
La troupe républicaine aurait été de 200
hommes (version de l’abbé Charpentier, ou une centaine dans
la version de l’abbé Deniau). D’autres récits retiennent le chiffre de 3 000 républicains mis en déroute
à Saint-Fulgent (9). C’est apparemment exagéré. Pour Saint-Fulgent et Saint-André cette journée est souvent retenue pour dater le début de l’insurrection, ce qui peut se discuter.
Dès
le lendemain 14 mars les volontaires de toutes les paroisses voisines se rassemblent
à Saint-Fulgent sous les ordres du vieux chevalier de Royrand, (c’est le début
officiel de l’armée du centre).
Le
19 mars suivant les troupes de ce dernier, comprenant les combattants de Saint-André-Goule-d’Oie regroupés autour de Christophe Cougnon, remportaient la première
grande bataille, dite du Pont-Gravereau ou de la Guérinière (Saint-Vincent-Sterlanges),
contre l’armée régulière du général Marcé. Sans même connaître cet évènement, la
Convention, le même jour, décréta la peine de mort dans les 24 heures pour tous
ceux qui prendraient part aux révoltes ou en arboreraient les insignes, désignant
l’ennemi d’un mot : "la Vendée" (10).
Au
mois d’août 1793, Christophe reçoit une balle au cours d’un incident dans la
cour du château de Saint-Fulgent, où il passe pour mort (11). Mais il n’en est pas mort
immédiatement comme cela a longtemps été raconté par plusieurs historiens. Et j’ai repris cette version dans mon livre sur Linières. Sa mort est attestée, portant la date du 17-4-1797, sur le
registre d’état-civil de Saint-André-Goule-d’Oie au jour du mariage de son fils, Jean, en 1813 (12).
François Cougnon
Celle-ci
était la fille de René Loiseau, marchand, qui avait acheté le logis du Coudray en
1767 de Charlotte de Puyrousset, veuve de Louis Corbier. Il rejoignit la
communauté de biens formés entre sa femme et son frère Louis Loizeau, ce
dernier marié en 1758 avec Marie Anne Godard (13). Louis Loizeau avait été élu fabriqueur de
la paroisse de Saint-André-Goule-d'Oie en 1784 (14).
Jeanne et Louis Loiseau avaient une sœur, Marie, qui s’est mariée avec Jean Rochereau (1747-1805),
dont le fils, Pierre, deviendra maire de Saint-André-Goule-d'Oie en 1835.
Charles Sapinaud de la Rairie |
Au
sujet de François Cougnon, on raconte une anecdote où est évoqué aussi le rôle exécrable
de Benjamin Martineau, le futur habitant de Linières en 1799, beau-frère de
Joseph Guyet. Dans
la Revue du Souvenir Vendéen, est relaté l’épisode du « guet-apens de Saint-Fulgent » qui se serait déroulé le 25 janvier 1794. On peut lire :
« Tous les royalistes de la contrée avaient été invités dans la maison du
citoyen Martineau, maire de Saint-Fulgent, à assister à la plantation d’un arbre
de la Liberté moyennant sauf-conduit et amnistie complète. Ce fut un
piège : les portes du Grand-logis furent fermées et les royalistes
présents interrogés. Sur les quarante enfermés dans la cour, quatre seulement
réussirent à tromper la vigilance de leur geôlier, dont François Cougnon. Les
autres furent enfermés à Chantonnay. Quelques-uns encore purent s’enfuir par
une étroite fenêtre. Les derniers périrent à Fontenay au mois de février
1794. » À Legé, le général Turreau avait lui aussi utilisé le même
procédé infâme, pour tuer quatre-vingt-dix hommes des paroisses de Falleron et
Froide-Fond. Maurice Maupilier, historien de Saint-Fulgent, ne relate pas
l’événement, affirmant que B. Martineau avait quitté Saint-Fulgent dès mars 1793
pour se réfugier à Fontenay et y revenir bien plus tard.
Cette histoire, probablement vraie, impute à Martineau une responsabilité qui ne lui est pas due. Il n’était pas maire à cette date, et habitait Luçon. Et on sait que ce n’est pas la seule « accusation » de la postérité à son encontre. Voir sa biographie publiée sur ce site en avril 2011 : Étienne Benjamin Martineau.
À la
Restauration, François Cougnon reçut des mains du Préfet un fusil d’honneur au
titre de capitaine au 2e corps d’armée de l’Ouest. Le capitaine de
paroisse était le chef des insurgés de sa paroisse pendant la guerre de Vendée.
Les officiers comme Charette ont ensuite organisé leurs armées en attribuant
des grades plus conformes aux traditions militaires. La Révolution française avait en effet aboli
toutes les décorations de l’Ancien Régime,
mais sous la Convention, les généraux avaient pris pour
habitude d’attribuer des armes d’honneur (fusil d’honneur, sabre d’honneur, ou
encore tambour d’honneur) pour récompenser les actes de bravoure. C’était un
usage aussi dans les armées du roi. Napoléon continua l’institution. Son fusil fut saisi par le nouveau gouvernement
installé avec le roi Louis Philippe par la Révolution de 1830 (16). C’est qu’il
était craint comme faisant partie des partisans de la branche renversée des Bourbons.
Néanmoins la mesure fut générale et diversement exécutée.
François Cougnon reçut aussi des mains du comte de Suzannet, qui avait commandé le soulèvement
vendéen de 1815, la décoration du lys « en témoignage de son amour et de sa fidélité envers la personne sacrée
du roi ». Son
compatriote de la Brossière, François Fluzeau, l'a reçu aussi le 1e
janvier 1815. Et
un autre habitant reçu un fusil d’honneur, attribué en 1817 et distribué en
1824 comme pour François Cougnon : François Chatry (17). Il avait été
sous-lieutenant dans l’armée du Centre, division de Mouchamps, et était cultivateur.
Il est décédé le 30 janvier 1820 à Saint-André (vue 165) et s’y était marié le
28 messidor an 12 (17-7-1804, vue 115) avec Jeanne Trotin. Il était le fils de
François Chatry et Marie Chaigneau, et nous n’en savons pas plus. Les Chatry à
l’époque étaient nombreux à la Forêt, la Bergeonnière, la Boninière, Saint-Fulgent,
etc.
On
connaît une part de la vie privée de François Cougnon avec les testaments, de
lui et de sa femme en 1801 chez un notaire de Sainte-Cécile, puis en 1813 chez un
autre notaire de Montaigu. Il en est de même avec les déclarations de
succession de sa femme, lui et son fils. Ces informations intéressent plus sa
famille que le grand public, et nous ne les reprendrons pas.
Stèle de François Cougnon |
François
Cougnon est mort à l’âge de 82 ans à St André le 15 décembre 1848 (vue 372),
laissant un fils unique, également prénommé François, qui lui survécut 10 ans.
Sa femme, Jeanne Loizeau était décédée à Saint-André le 4 décembre 1830 (vue 253).
Sa
stèle funéraire est toujours visible au cimetière de Saint-André et une rue à
l’entrée du bourg porte son nom.
(1) Archives historiques du diocèse de Vendée, bibliothèque, Patrick
Molé, François Cougnon un capitaine de
paroisse dans la guerre de Vendée, 1990, mémoire de maîtrise d’Histoire,
Paris Sorbonne IV.
(2) Archives
de Vendée, notaires des Essarts, étude
de (C) A. H. Verdon (1778), contrat de mariage de Jean Cougnon avec Marie
Cougnon du 16-6-1778 (vues 69 à 71).
(3) Information donnée dans une lettre du petit-fils de Christophe Cougnon, nommé Jaud et demeurant à Chantonnay, reprise aussi par F. Charpentier dans son livre : Chez nous en 1793, Saint-André-Goule-d'Oie, récits d'un vieux Vendéen, 1096, page 261.
(4) Archives de Vendée, notaire Allard des Herbiers : 3 E 019, acte de notoriété du 12 germinal an 11 demandé par B. Martineau, (vue 202/492).
(3) Information donnée dans une lettre du petit-fils de Christophe Cougnon, nommé Jaud et demeurant à Chantonnay, reprise aussi par F. Charpentier dans son livre : Chez nous en 1793, Saint-André-Goule-d'Oie, récits d'un vieux Vendéen, 1096, page 261.
(4) Archives de Vendée, notaire Allard des Herbiers : 3 E 019, acte de notoriété du 12 germinal an 11 demandé par B. Martineau, (vue 202/492).
(5) Jacques Peret, Histoire de la
Révolution Française en Poitou-Charente 1789-1799, Projets Éditions,
Poitiers, 1988, page 165.
(7) Compte rendu du directoire du conseil départemental de la
Vendée du 24 fructidor an II (10-9-1794), sur les missions de Rouillé en mars
1793, Archives de Vendée : L 71, vue 10 (en ligne).
(8)
P. Gréau, Charles Aimé de Royrand et l’armée du Centte, Souvenir Vendéen, 2018.
(9) Idem (7).
(10) Alain Gérard, « Par
principe d’humanité … » La Terreur en Vendée, Fayard, 1999, p. 56.
(11) J. Biteau, Deux capitaines de paroisse :
les frères Cougnon de Saint-André-Goule-d’Oie, dans la Revue du Souvenir
Vendéen, no 239 juin, 2007, page 24.
(12) Archives
de Vendée, état civil de Saint-André-Goule-d’Oie, mariage du 5-7-1813 de Jean
Cougnon avec Aimée Mandin (vue 97).
(13)
Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12, acte de
communauté des Loizeau du Coudrais du 23-11-1788.
(14)
Voir l’article la fabrique de St André
Goule d’Oie au 18e siècle publié en janvier 2013 sur ce site,
page 2.
(15)
Collectif dirigé par Alexis des Nouhes, Généraux
et chefs de la Vendée militaire et de la chouannerie, 1887, réédition en
1980 no 230, page 100.
(16)
P. Gréau, Les armes de récompense aux
vétérans des armées de l’Ouest, La Chouette de Vendée, 2019, page 108.
(17)
Ibidem, pages 108, 176 et 190.
Emmanuel FRANCOIS, tous droits réservés