Musée de l’abbaye Sainte-Croix à Poitiers
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Les biens situés dans le département de la Vienne
dont avaient hérités Félicité du Vigier de ses parents, étant l’unique
héritière, furent confisqués et vendus comme biens nationaux à cause de
l’émigration de son mari, Charles Auguste de Lespinay. On ne sait pas s’ils l’ont tous étés, et on a pu
noter que sa fortune ne se réduisait pas qu’à ses biens immobiliers confisqués.
Orpheline à l’âge d’un an, elle fut placée ensuite à une date inconnue au
couvent Sainte-Croix de Poitiers, pour en sortir à l’âge de 16 ans afin de se
marier et aller vivre à Linières dans la commune de Chauché en Vendée. C’est un
grand-oncle maternel, Charles Hilaire Luc Coulard (1726-1806), chevalier seigneur de
Puyrenard et Galmoisin, demeurant en son château de Galmoisin paroisse de
Saint-Maurice-la-Clouère (Vienne), qui fut son tuteur et géra ses biens.
Ceux-ci produisaient près de 2 000 livres de revenus annuels, loin du coût
de la pension du couvent pour jeunes filles de la bonne société, où elle reçut
l’éducation de son époque. Avec ces revenus le tuteur fit des placements en
rentes notamment (1).
Les possessions confisquées de Mme de Lespinay
L’inventaire de ses biens propres confisqués dans
la Vienne a été fait avec précision lors de deux actions de Mme de Lespinay. La première, dès 1797, en
annulation des ventes, et sans succès. La deuxième en 1825, en demande
d’indemnisation des confiscations des biens des émigrés, où elle contesta la
rente obtenue, insuffisante à ses yeux, et dont elle réclama une augmentation,
là aussi sans succès. Quels étaient ces biens ?
Dans le district de Poitiers Mme de Lespinay,
devenue Mme Duvigier, possédait 4 domaines affermés en 3 baux :
1° la métairie des Renardières (Roches-Premarie-Andillé).
Dans un bail du 12 juillet 1786, la ferme annuelle est de 300 livres en argent,
complétée par un bail à cheptel d’une valeur de 900 livres, plus 40 têtes de
brebis.
2° la métairie des Bouchetières (Gizay). Le bail du
28 mai 1782 comprenait aussi une tuilerie en plus de la métairie, le tout pour
une ferme annuelle de 320 livres, à la charge en outre par le preneur de faire
pour le bailleur 4 charrois par an.
3° la métairie de Régnier, (Dienné, canton de
Villedieu). Dans un bail du 7 juin 1784, la ferme annuelle est de 550 livres en
argent, comprenant en même temps les seigneuries de Cognac et Tiron (Notre-Dame-de-Morthemer,
district de Poitiers), avec les cens, rentes, terrages, droits de lods et
ventes et émoluments de fief. Les droits de seigneurie ne furent pas revendus,
car supprimés.
Dans le district de Châtellerault on
trouve la métairie de la Clielle (Scorbé-Clairvaux). Le bail du 2-12-1781 est
consenti moyennant le prix annuel de 300 livres en argent.
Enfin dans le district de Montmorillon on
a la métairie de la Moinerie (Pouzioux). Le bail consenti le 19 mars 1774 est à
la charge d’un prix annuel de 430 livres et d’un « gâteau beurré de la
fleur d’un boisseau de froment ». Était en plus compris dans la ferme, la
seigneurie du Teinturier (Chapelle-Viviers, commune voisine de Pouzioux) (2).
Les ventes dans la Vienne de Mme de Lespinay comme bien national
Archives de la Vienne : 1 Q 503
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Tous ces domaines ont été nationalement vendus sous
le nom de Lépinay ou Lépinoux. Les archives ont conservé seulement la première
publication de l’affiche annonçant la vente de la métairie de Régnier, mise en première
adjudication au décadi 20 prairial an IIe (8-6-1794), comme « Biens provenant
de l’émigré LEPINAY », lit-on sur l’affiche. On remarque aussi que
« Le prix de vente sera acquitté en 10 termes égaux, le premier dans le
mois qui suivra l’adjudication et avant d’entrer en possession, et les 9 autres
d’année en année avec les intérêts à 5 % décroissant à mesure du
remboursement » (3).
Les premières ventes ont dû avoir lieu dès la fin
de 1792, car des acquéreurs, Dorvault et Servauze, ont dû se défendre en janvier
et avril 1793, suite à la réaction de Mme Duvigier. On connaît aussi
l’existence d’une délibération du district de Poitiers du 13 décembre 1792 sur
le sujet (4). Son domaine de Linières où elle vivait, avait déjà fait l’objet
d’un séquestre en juin 1792 (5). Pour sauver ses biens propres, pourtant bien
définis dans son contrat de mariage, elle fit acte de renonciation à la
communauté des biens d’avec son mari dans les derniers mois de 1792 devant l’administration du district de
Montaigu, recommencé devant le directoire du département de la Vendée le 22
prairial an 3 (10-6-1795) (6). Bref elle était bien placée à Linières pour
savoir qu’il fallait réagir vite contre la confiscation de ses biens dans la
Vienne.
Décrivant sa situation d’alors, plus tard en 1827,
elle écrivit : « Devenue étrangère depuis l’âge de 16 ans au
département de la Vienne, que j’ai quitté en me mariant, je n’ai jamais connu
mes propriétés. Échappée par miracle à tous les genres de mort qui ont été
enfantés par la guerre de la Vendée, j’appris que mes biens avaient été vendus
nationalement sous un nom qui n’était ni le mien ni même celui de mon mari, que
les acquéreurs étaient pour la plupart les fermiers qui en jouissaient depuis
de longues années en vertu de baux faits par le tuteur de ma mère ou par le mien »
(7). Quand on perd sa trace en 1793 et 1794, on ne la retrouve que pour les
récits de ses deux échappées miraculeuses de la mort, d’abord lors des
massacres du Mans en décembre 1793, alors qu’elle faisait partie de la Virée de
galerne, puis à Nantes lors des noyades organisées en Loire au début de 1794 par Carrier. Elle a
quitté cette ville en mars 1794, et on ne la retrouve ensuite qu’en février
1795 à Blois, puis à Nantes à partir de mai de la même année, après un séjour à
Saint-André-Goule-d’Oie (8).
Cette vente des biens sous le nom de son mari dénommé par erreur Lépinay ou Lépinoux, a entraîné Joseph Guyet à faire faire en 1804 devant notaires deux acte de notoriété sur les vrais nom et prénoms de sa mère et de plusieurs personnes de la famille de son épouse, dont celui de son premier mari : Lespinay. Il a conduit d’importantes recherches dans les archives familiales et les documents officiels conservés, pour retrouver les prénoms et orthographes correctes des patronymes (9).
Réclamations pour annuler les ventes dans la Vienne
C’est en 1795 qu’apparaissent ses premières
démarches pour faire annuler les ventes de ses biens dans la Vienne :
réclamations le 8 août 1795 au district de Châtellerault et le 23 novembre 1795
au département de la Vienne. Elle n’a pas hésité à saisir les représentants du
peuple à une date non précisée (10), et aussi le gouvernement du Directoire. Le
17 mai 1797 le ministre des finances, Ramel, écrit une lettre aux administrateurs
du département de la Vienne pour leur demander des renseignements complémentaires
sur la réclamation de Mme Duvigier, concernant la vente de ses biens vendus
dans les districts de Poitiers, Montmorillon et Châtellerault. Le ministre
demande de maintenir provisoirement les acquéreurs en jouissance des objets qui
leur ont été vendus jusqu’à décision définitive, conformément à la disposition
de la loi du 29 vendémiaire an 4e (11). Se présentant comme épouse
non commune en biens de Charles Auguste de Lespinay, Mme Duvigier complète son
dossier auprès de l’administration du département de la Vienne en déposant le
19 juin 1797, un récapitulatif de ses démarches (12). Le 26 juillet 1797 le
ministre des finances donne des ordres à l’administration du département pour
qu’une décision soit prise. Il ne l’a prend pas lui-même, et l’affaire resta
sans décision (13). L’arrivée au pouvoir de Napoléon, ne permit pas de compter sur
une intervention politique apparemment. Alors on se résolu à saisir un tribunal
(13). Contestant que les bois futaies et les taillis puissent être revendus par
les acquéreurs de ses métairies, Mme Duvigier constitua un dossier dans lequel a
été conservé un pouvoir signé d’elle à son mari à Linières le 8 janvier 1808
(14).
L’affaire Boncenne
Grande salle du palais de justice de
Poitiers
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Dans la plupart des pièces que nous venons
d’indiquer, apparaît Me Robert Boncenne, avocat de Mme Duvigier, en 1797 et
1800 (jusqu’en juin). Celle-ci va lui faire un procès. Boncenne était avoué
près le tribunal de 1e instance de Poitiers et dénonça des
malversations de certains magistrats, dont un nommé Bera. Il était royaliste et
Bera était un ancien révolutionnaire. Boncenne fut destitué par l’autorité
judiciaire le 22 octobre 1810, apparemment pour royalisme. Ses adversaires
voulurent d’abord le ruiner, notamment en manœuvrant ses clients contre lui.
C’est ce qui arriva dans une affaire entre lui et M. et Mme Guyet en 1811/1812,
car Mme Duvigier était devenue Mme Guyet.
Boncenne était gérant et administrateur, à la suite
de son père, des propriétés de Mme Duvigier situées dans la Vienne. Influencé
par ses adversaires, M. et Mme Guyet intentèrent des procès contre lui en
première instance vers 1809/1810, le faisant condamner à 300 000 F de
paiement en dommages et intérêts. Les Guyet l’accusaient d’avoir aliéné sans pouvoir
des pièces de terre appartenant à Mme Guyet, et d’avoir gardé pour lui des
rentes dues à cette dernière. Boncenne fit appel et la cour accepta en janvier
1812 l’examen de sa demande, ordonnant en avril 1812 aux parties de fournir des
pièces à l’appui de leurs positions respectives.
Joseph Guyet chercha alors un accommodement avec
Boncenne pour mettre fin au procès. Il travaillait à Paris au Trésor impérial
dans les bureaux de son agent judiciaire, M. François Allain (15). Ce dernier
invita Boncenne trois fois de suite par lettres en mai 1812, à venir le
rencontrer dans son bureau, lui proposant un accord amiable avec M. et Mme
Guyet (16). Et les parties signèrent une transaction en date du 27 mai 1812.
Les Guyet se désistèrent de toutes leurs demandes contre Boncenne et le firent
quitte de sa gestion, s’obligeant à cesser toutes les poursuites en cours. Dans
cette affaire M. Guyet a perdu 15 à 16 000 F, « fruits des conseils
perfides » qu’il avait écoutés, écrivit Boncenne.
Pour l’action judiciaire elle-même en
annulation des ventes nous n’avons pas de documents, mais à voir le dossier
suivant de demande d’indemnité, on comprend que les Guyet échouèrent dans leur
action. On a vu que l’administration manœuvra pour éviter la remise en cause
des ventes nationales. L’enjeu était politique autant que financier, prévalant parfois
sur les règles de droit. Les acquéreurs de ces biens étaient devenus de
fervents partisans de la Révolution ou bien avaient acheté parce que fortunés
et partisans de la Révolution. Ils avaient acquis légalement leurs biens auprès
des administrations et même le roi Louis XVIII à son retour dû promettre qu’ils
conserveraient leurs acquisitions. À moins que l’État, qui avait empoché le
produit des ventes, ne rembourse les anciens propriétaires. La Révolution a
commencé et finit dans la faillite des finances publiques, malgré tous les
expédients utilisés, dont la vente des biens nationaux. Quand, pour faire court,
on dit que Napoléon ramena la stabilité monétaire et rétablit les finances de
l’État, il ne faut pas oublier que les épargnants ont payé l’essentiel de la facture.
L’heure était donc aux restrictions financières, d’autant qu’il fallait
financer les guerres, et pas seulement sur le dos des vaincus. Bref, l’État
n’avait pas de sous, et les émigrés attendraient.
L’indemnisation pour les biens confisqués de Charles Auguste de Lespinay (Linières en Vendée)
Château de Linières construit en
1872/1873
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La vente des biens nationaux a beaucoup contribué à
la pérennisation de l’œuvre de la Révolution française, mais aussi à
l’enracinement des divisions qu’elle a suscitées dans la société politique
française. Sans même évoquer les biens du clergé, les points de vue opposés sur
l’émigration, la confiscation des biens des émigrés et leur vente en tant que
biens nationaux, s’enracinant dans la guerre civile en Vendée, ont relevé des choix politiques irréconciliables. Et on peut remarquer que les nouveaux
propriétaires sont devenus par la suite de bons défenseurs de la Révolution,
évidemment. Quant aux anciens propriétaires, leur ressentiment a pu durer
longtemps, on ne peut pas s’en étonner. Or Linières a été déclaré bien national
suite à l’émigration de Charles Augustin de Lespinay. Et Mme Duvigier a racheté
en août 1796 le domaine, avec l’aide de son futur 2e mari, Joseph
Guyet.
En mai 1829, Félicité Guyet a été reçue au château
du Pally à Chantonnay, chez le marquis Alexis de Lespinay, pour s’y voir
remettre sa part dans le partage de la succession de Charles Augustin de
Lespinay après le décès de la fille, Henriette, qu’elle avait eue avec ce
dernier. Celle-ci étant morte en 1811, sa mère était héritière de ses droits
(17).
Mme Duvigier reçut aussi au même titre une rente
pour indemnité versée par l’État en compensation des ventes en bien national
des propriétés de son ex-mari Charles de Lespinay. La loi du 28 avril 1825,
appelée par ses adversaires le « milliard des émigrés »
prévoyait des indemnisations aux nobles spoliés, et avait permis d’indemniser
en Vendée 321 propriétaires, sous forme de rente (18). À cet égard, remarquons
que les finances publiques n’ont pas déboursé un milliard de francs, mais des
rentes sur ce capital pour un montant de 30 millions,
représentant environ 630 millions de capital (19). Gardons-nous de la présentation polémique des chiffres à
cette époque. Mais cette polémique mérite une explication :
l’indemnisation mettait directement en cause l’action révolutionnaire dans la
défense de la patrie (les émigrés ayant aidé les ennemis de la France). Il
fallait oublier et on rouvrit la plaie. De plus, l’indemnisation, réservée aux
nobles émigrés, ne concernait pas les destructions de patrimoines des paysans victimes de la guerre civile.
Alors que les pensions données aux veuves et aux combattants de la guerre de
Vendée, par leurs montants et leurs modalités d’attribution, ont parfois déçu.
Avec le nouveau régime de la monarchie de Juillet
installé en 1830, ce versement à Félicité Guyet fut contesté par le ministère
des Finances, au motif qu’elle avait déjà racheté Linière en 1796. La question
juridique était la suivante : « alors que la femme de l'émigré
se présente en qualité d'héritière de sa fille, cette circonstance peut-elle
empêcher de liquider au prix de rachat, pour les cas de rentrée en possession
par voie d'interposition de personnes ? » Le conseil d’Etat interrogé
répondit par la négative (20), confirmant sa jurisprudence à cette occasion, et
maintenant la pension versée.
L’indemnisation
pour les biens propres confisqués de Mme Duvigier (Vienne)
Il semble que Mme Duvigier hérita après partage
avec la République, en 1809, de biens provenant d’on ne sait qui, et dont un
cohéritier avait émigré, d’où la présence de la République dans ses droits.
Nous n’en savons pas plus. La loi du 28 mars 1793, considérant les émigrés
comme morts civils, avait prévu que la République les représenterait pendant 50
ans dans les successions à venir entre l’État et les héritiers.
Préfecture de la Vienne à Poitiers
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S’agissant de ses biens propres, Mme Duvigier fit
une demande en indemnité en date du 10 septembre 1825, formée en vertu de la
loi du 27 avril 1825 et de l’ordonnance du 1e mai 1825. La demande
concernait ses biens propres « vendus nationalement quoiqu’elle n’eût
point émigré, sous les noms de Lépinay ou de Lépinoux, sous lesquels on a
désigné son premier mari qui était effectivement émigré, lesquelles ventes ont
été faites et maintenues malgré toutes les réclamations par elle faites ».
On n’a pas le texte de cette demande, ni la lettre de la réclamation en date du
20 octobre 1825 qu’elle envoya ensuite.
Le directeur des Domaines de la Vienne établit le 15
septembre 1825 un bordereau faisant ressortir que la valeur en capital des
biens vendus nationalement de Mme Duvigier se montait en 1790 à la somme de
51 216,60 F. C’est sur cette valeur que serait calculée la rente allouée à
titre d’indemnisation. Dans sa réponse du 20 octobre 1825 indiquée ci-dessus,
la demanderesse « ne fait aucune observation sur la rédaction et les
calculs du bordereau, et elle se borne à faire des observations générales sur
la lésion qu’elle prétend éprouver, et à se réserver tous ses droits contre
ceux qui se seraient emparés de quelques parties de ses biens non compris dans
les actes de ventes nationales ». C’est ce qu’on lit dans l’avis du
conseil de préfecture du 30 mars 1826. Celui-ci conclut à l’acceptation de
l’inscription de Mme Duvigier au bénéfice de la rente 3 % sur le capital de
51 216,60 F. Le préfet avalisa l’avis (21).
Ce qui surprend dans l’avis est l’absence de
référence à la lettre du 16 février 1826 de Mme Guyet au conseil de préfecture
et au préfet de la Vienne. On y voit un signe de surdité volontaire. Sans doute
voulut-on ignorer ses observations détaillées sur le bordereau du directeur des
domaines et la somme calculée de 51 216,60 f en valeur de capital. D’abord elle y demande que lui soit accordé
un intérêt particulier à cause du sacrifice qui lui est imposé au nom de la
raison d’État, s’il faut justifier que « les acquéreurs doivent être
maintenus dans la propriété des objets vendus contre toute règle », et que
« le propriétaire, étant appelé à recevoir une indemnité toujours
incomplète ». Cette réflexion personnelle représente bien l’opinion de
beaucoup de demandeurs comme elle. Mais la sincérité du propos a des limites
quand on se rappelle que Linières a été racheté à un prix scandaleusement
faible en 1796, et que son mari fut un grand acquéreur de biens nationaux après
son père et avec ses frères, s’enrichissant ainsi facilement sur le dos des
finances publiques.
En pratique Mme Duvigier, et avec elle son mari,
conteste la méthode de l’administration qui a additionné les fermes inscrites
dans les baux des biens loués pour en connaître les revenus. On multipliait ces
revenus à la date de 1790 par 18 pour estimer la valeur en capital des biens.
Cette méthode ne prend pas en compte plusieurs éléments dans son cas,
avance-t-elle (22) :
- Les biens avaient été régis depuis plus de 80
ans par des tuteurs successifs, négligents dans leur gestion. Elle venait de
naître quand sa mère est morte à l’âge de 18 ans, un an après son mariage, et
son père est mort à l’âge de 45 ans l’année d’après.
- Les redevances payées par les fermiers pour le
compte des propriétaires devaient s’ajouter aux revenus de ces derniers.
C’était le cas des cens, rentes dîmes, même supprimés.
- Les bois futaie et taillis n’étaient pas compris
dans les fermages, et il fallait ajouter leurs revenus aux fermes pour calculer
ce qui revenait aux propriétaires. D’ailleurs ces bois ont été depuis revendus
par les acquéreurs à des prix fort élevés et qui ont dépassé le montant de
l’adjudication, ainsi que cela est de notoriété publique.
Pour la métairie des Bouchardières on n’a pas pris
en compte la valeur du cheptel (900 livres) et des 40 brebis appartenant au
propriétaire bailleur, lesquels ont été vendus par les Domaines. Or le
bordereau d’estimation n’en fait pas état.
Après la décision du préfet du 30 mars 1826, Mme
Duvigier fit recours au ministre des Finance dans une lettre du 5 mai suivant
pour améliorer la pension décidée. Elle accuse le conseil de préfecture d’avoir
ignoré ses observations exprimées le 16 février 1826 et d’y avoir répondu par
le silence (23).
Plus d’un an passa et dans une lettre au préfet de
la Vienne du 26 décembre 1827, on apprend qu’une commission de liquidation,
« qui avait sous les yeux ses observations, a cru juste de faire en
faveur » de Mme Duvigier la réserve de ses droits au fonds commun. Deux jours
après, le 28 décembre, elle forma une réclamation officielle pour cause de
lésion auprès de la préfecture de la Vienne (24). Le conseil de préfecture et le préfet de la Vienne durent
réexaminer la réclamation de Mme Duvigier et rendirent un nouvel avis le 12
janvier 1828. Il refusa ses demandes, sauf éventuellement une petite somme de
2 322 F à ajouter au capital. Les arguments de la commission en réponse à
ses observations paraissent spécieux, voire de mauvaise foi, s’agissant des redevances
payées par les fermiers et de la valeur des bois futaies et taillis. Mais
admettant de décompter les revenus et l’indemnité par métairies, la commission
calcule que pour la métairie des Bouchardières il y a une lésion de 2 322
F. de la valeur du capital, qu’elle est prête à ajouter au montant du capital déjà
fixé (25). En définitive cette loi d’indemnisation des émigrés de 1825 ralluma
des ressentiments qu’il aurait fallu oublier. Et faute de moyens financiers on
biaisa en pratique dans le cas de Mme Guyet pour minorer les montants accordés.
En revanche des historiens ont fait remarquer que l’épisode contribua à ancrer
dans les esprits qu’on ne reviendrait pas en arrière sur ces ventes de biens
nationaux. On ne peut pas s’empêcher de rapprocher les 53 000 F de valeur
en capital, année 1790, des 5 métairies de Mme Guyet dans la Vienne, avec les
22 000 livres payées par l’acquéreur des deux petites métairies en 1789 à
Saint-André de la Boutinière et de la Chevaleraye.
Source : Société Éduenne
d’Autun
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La commission nationale chargée de répartir le
« milliard des émigrés » a été dissoute à la fin d’année 1832 par le
nouveau régime de la Monarchie de Juillet issu de la Révolution de 1830, qui y
avait aussi nommé des fidèles à lui. Félicité Guyet avait encore des demandes
en cours auprès de cette commission en cette année 1832, concernant ses propres
biens dans la Vienne.
Elle a demandé à son fils Marcellin
Guyet-Desfontaines, alors notaire, de s’en occuper. Celui-ci a sollicité, par l’intermédiaire
du directeur du journal le Courrier
Français,
Théophile Chatelain, une entrevue à un membre de cette commission, M. Billy.
C’est qu’un des journalistes du Courrier
Français, un quotidien favorable aux idées libérales, s’appelait Isidore
Guyet, cousin de Marcellin, mais aussi oncle de son épouse, Emma (26). T.
Chatelain précise dans sa lettre du 18 octobre 1832 à M. Billy (27) :
« Je vous prie d’accueillir
avec bienveillance M. Guyet notaire et neveu de mon collaborateur habituel.
Il a des intérêts à débattre devant la commission
d’indemnités dont vous êtes membre. Je lui laisse le soin de vous expliquer
lui-même son affaire et je me borne à vous recommander de ne pas le regarder
comme un émigré. Quoique compris dans la classe des indemnitaires, il n’en est
pas moins plébéien par la naissance et ses origines. Mille compliments d’amitié. »
Il semble que la démarche ne fut pas couronnée de
succès. Le dossier de Mme Guyet a été renvoyé en 1833 par le ministère des
Finances, auprès de qui travaillait la commission d’indemnités, à la préfecture
de la Vienne, pour classement (28). On remarquera que l’objet de la lettre de Chatelain est
de préciser le bon parti du demandeur, celui des « plébéiens »,
autrement dit du peuple. C’est que la commission n’avait que des nobles anciens
émigrés comme clients, la « classe des indemnitaires », est-il écrit pudiquement
pour désigner, entre partisans de la Révolution, des adversaires politiques
favorisés par le régime précédent.
(1) Mémoire du 18-10-1814 de Boncenne
au roi, page 7, Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé
Boisson : 7 Z 32-3 (copie du mémoire à la Médiathèque de Nantes).
(2) Titres de propriété de Mme Duvigier produits le
29-5-1797, et inventaire du 30-1-1808 des pièces du dossier de Mme Duvigier,
Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier/Lepinay : 1 Q 174 no 149.
(3) Archives de la Vienne, affiches de vente de
domaines de 2e origine dans le district de Poitiers 1792-an
IV : 1 Q 503, première adjudication du 8-6-1794 des biens de Quintard et
Lépinay
(4) Inventaire du 19-6-1797 des pétitions,
délibérations et défenses dans le dossier de Mme Duvigier : 1 Q 174 no 149.
(5) Archives de Vendée, étude (A)
notaire Allard des Herbiers : 3 E 019, acte de notoriété du 12 germinal an
11 demandé par B. Martineau, (vue 202/492).
(6) Archives historiques du diocèse de
Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Guyet, réitération de la
renonciation à la communauté des biens du 5 pluviôse 9 par Félicité Duvigier,
signée à Linières.
(7) Lettre du 26-12-1827 de Mme Duvigier au préfet
de la Vienne : 1 Q 174 no 149.
(8) Inventaire des certificats de résidence de Mme
Duvigier entre décembre 1792 et juillet 1795 : 1 Q 174 no 149.
(9) Rectification du nom de Couzin, Duvigier, Lespinay, Guy Jean du Vigier
et Mme Cherprenet, Archives privées de Igor Fitzhebert (dossiers no 1 et 2)
(10) ibidem (4).
(11) Lettre du 17-5-1797 du ministre des finances
au département de la Vienne : 1 Q 174 no 149.
(12) Ibidem (4)
(13) Requête du 21-5-1800 de l’avocat Boncenne au
préfet de la Vienne : 1 Q 174 no 149.
(14) Pouvoir du 8-1-1808 de Mme Duvigier pour son mari
: 1 Q 174 no 149.
(15) Né le 25 juin 1760 à Mouzon
(Ardennes) il fut agent judiciaire du trésor impérial, et nommé chevalier de l’Empire
par lettres patentes du 10-6-1811.
(16) Ibidem (1).
(17) Information donnée par Charles
de Lespinay le 7-1-2009.
(18) E. Gabory, Les Bourbons et la Vendée (1923.
(19) André-Jean Tudesq, La France romantique et bourgeoise, 1815-1848,
dans « Histoire de la France des origines à nos jours », dirigée par
G. Duby, Larousse, 1995, page 594.
(20) Recueil des
arrêts du Conseil d'État, Delhomme (Paris) 1835/0, série 2,
tome 5 (Gallica.fr : arrêt Ministre des finances c/ veuve Guyet du 12
juin 1835 vue 434/818).
(21) Avis du 30-3-1826 du conseil de préfecture de
la Vienne : 1 Q 228 no 234.
(22) Lettre du 16-2-1826 de Mme Guyet au préfet de
la Vienne : 1 Q 228 no 234.
(23) Lettre du 5 mai 1826 de Mme Duvigier au
ministre des finances : 1 Q 228 no 234.
(24) Ibidem (7).
(25) Avis du 12-1-1828 du conseil de préfecture de
la Vienne : 1 Q 228 no 234.
(26) Il avait épousé une sœur de la mère d’Emma
Guyet-Desfontaines et d’Amaury-Duval.
(27) Lettre du
18 octobre 1832 de Marcellin Guyet-Desfontaines à M. Billy, Fonds
Amaury-Duval de la Société Éduenne d’Autun : K8 33.
(28) Archives départementales de la Vienne : 1
Q 228, dossier 234.
Emmanuel François, tous droits réservés