dimanche 2 mars 2014

La ferme des Essarts (1570-1577)


Des recherches sur Linières ne peuvent pas ne pas s’intéresser à son fief suzerain, la baronnie des Essarts. Les archives disponibles de celles-ci aux Archives de la Vendée n’évoquent pas Linières, mais ce qu’on y découvre présente néanmoins un intérêt en soi, notamment son régime de fermage au 16e siècle. Le présent article trouve ses informations dans le petit-fonds de la seigneurie de Penthièvre conservé aux Archives de la Vendée. Il été complété en 2015 d'archives provenant de Turin concernant les baronnies des Essarts et de Riez au 17e et au début du 18e siècle. La baronne des Essarts a été à cette époque duchesse de Savoie et princesse de Piémont. Les archives de Turin sont accessibles sur le site internet des Archives de la Vendée. Ses informations vont bien au-delà de ce que nous avons pu écrire dans le présent article.

Les parties au bail du 17 mai 1572


Les domaines dépendant directement du château des Essarts, hors les terres et fiefs concédés, étaient loués par un bail à ferme : maisons, granges, écuries, greniers, jardins, environs immédiats du château, prés, prairies, bois taillis, terres labourables et gâts (landes provisoires ou jachères), étang, moulin à eau et à vent, four à ban, vignes et complants de vigne.

Nous avons l’exemple de celui signé par Marie de Beaucaire avec Michel Masseau et Toussaint Menanteau le 17 décembre 1571. C’était un bail de cinq ans commençant le 17 mai 1572, pour un montant de 4 900 livres par an (1).

Château de Nantes
Ces trois personnes se sont retrouvées avec deux notaires pour le signer, « en la maison de défunt noble homme Florimond Le Charron vivant trésorier en Bretagne, en laquelle ladite dame est résidante ». Le Charron serait décédé au cours de l’année 1560. Il avait accédé à la trésorerie générale de Bretagne, et il travaillait également au service de quelques grandes familles possessionnées dans le duché de Bretagne. C’est sans doute à ce titre que la baronne des Essarts résidait chez lui à cette date.

Les paiements devaient avoir lieu en deux termes par moitié, à noël et au 1e mai de chaque année. Ils devaient s’effectuer au domicile de Pierre III de Cornulier, conseiller du roi, trésorier général des finances en Bretagne en 1570 (et appelé pour cela le général de la Touche), et maire de Nantes de 1568 à 1572. Il avait été premier secrétaire de Sébastien de Luxembourg (2), gouverneur de Bretagne résidant à Nantes, et continuait de s’occuper des affaires de sa veuve, la baronne des Essarts et duchesse douairière de Penthièvre.

En cas d’augmentation des biens compris dans la ferme, le prix resterait le même, si la valeur de l’augmentation n’excédait pas 200 livres par an. Néanmoins le bailleur ne serait tenu de faire aucun rabais.


Charles IX
Le bail précise que Marie de Beaucaire, baronne des Essarts (3), était tutrice testamentaire (nommée dans le testament de son défunt mari), confirmée par le roi. À cette date, sa fille unique, Marie de Luxembourg (4), avait 9 ans, et le roi Charles IX l’avait prise sous sa protection, en l’honneur de son père mort en combattant, et aussi pour gérer son mariage, c’est à dire son patrimoine. Le bail est conclu en son nom par sa tutrice.

Michel Masseau était le fils d’un ancien procureur fiscal de la baronnie, Pierre Masseau, et demeurait sur le chemin conduisant à la Merlatière, au Roulin près du bourg des Essarts. Il possédait des biens au fief des Potulières (5). On a à la même époque un Louis Masson, sénéchal des Essarts et du Boisreau, seigneur du fief des Potulières, et marié à Marie Moisnier (6). La confusion entre eux est parfois possible, mais les travaux de G. de Raignac permettent de les distinguer.

Toussaint Menanteau habitait dans le bourg des Essarts. Néanmoins on lit dans un bail de 1721 l’existence d’un « logement qui a coutume d’être accordé aux fermiers dans le grand pavillon du château du côté du soleil levant et du côté du bois de haute futaie ». Ce logement de fonction devait servir à l’occasion probablement (7).

Le mot de fermier, qui désigne les preneurs au bail, dérive de la nature de l’acte juridique, et il désignait dans le contexte de cette importante ferme un gestionnaire du domaine pour son propre compte. Dans une quittance de 1730 concernant les Essarts, il est désigné comme « fermier général ». Gérant les droits seigneuriaux on l’appelait aussi « receveur ». Il s’engageait sur un prix fixe, ou ferme, et annuel à l’égard du propriétaire, dégageant ce dernier de toute implication et investissements dans l’exploitation des domaines. Il faisait son affaire de diriger les métayers et d’engranger les revenus d’exploitations, assurant au besoin les aléas de l’activité, en se gardant sa propre marge. Les deux fermiers, Masseau et Menanteau, se partageaient la ferme entre eux à moitié, mais s’engageaient solidairement à l’égard du bailleur. 

Les revenus, droits et domaines affermés


Serge Boisse : Halle de Grenade
(Haute-Garonne)
Les revenus compris dans la ferme comprenaient aussi les droits féodaux des domaines dépendant directement des seigneuries : dîmes, terrages, cens, rentes, dus en argent ou en nature (blés, avoine, chapons, autres grains), aussi les corvées à bœufs et à bras. Le bail cite aussi les droits de la halle, c'est-à-dire des redevances perçues auprès des vendeurs pour entreposer leurs marchandises au marché sous la halle dans le bourg des Essarts. Ces droits se montaient en 1703 à 198 livres 6 sols 4 deniers, dus par un maréchal nommé Audureau qui en était le sous fermier (8). Malheureusement on ne sait pas à quelle durée précise se rapportait cette somme, au plus probablement deux années. S’ajoutaient les droits de rachats et lods et ventes perçus par les nouveaux tenanciers (propriétaires) à l’occasion des héritages ou achats. Les lods et ventes étaient habituellement estimé à 1/6e de la valeur des biens aux Essarts (9). 

Les fermiers devaient même aider à l’exercice de la retenue féodale, qui était pour un seigneur le droit de retenir (dans un délai de 40 jours) la vente d’un bien par un vassal ou un roturier tenancier, compris dans sa seigneurie, à condition d’en payer le prix accepté par l’acquéreur. À cet égard le texte du bail précise que les preneurs promettent, qu’au cas qu’il se ferait en la baronnie « quelques beaux et notables acquêts (achats), à la commodité de ladite dame », d’avertir « le seigneur de la Touche Général en Bretagne pour savoir si ladite dame les voudra prendre par puissance de fief ou non ».

Ce bail faisait suite à celui de Benoît Cicoteau, achevé le 17 mai 1572. Sa famille va prendre de l’importance aux Essarts, y possédant les terres de la Touche. Un Thomas Cicoteau, greffier, habitait au château en 1595. Son petit-fils, Jean Baptiste, fut procureur fiscal des Essarts. Et plus tard un de ses descendants, Louis Cicoteau, fut magistrat civil et criminel au siège de Fontenay en 1697, et secrétaire auditeur à la chambre des comptes de Bretagne à Nantes en 1716. Anobli en 1701, c’est lui qui acheta le fief de Linières à la fin du 17e siècle, situé dans la mouvance des Essarts.

L’objet de la ferme se rapporte aux divers revenus de la baronnie des Essarts, et aussi de la seigneurie en dépendant de l’Aublonnière à Sainte-Cécile. Plus tard celle-ci sera affermée à part. Le texte cite aussi la seigneurie de la Pillotière comprise dans le bail. Il s’agit probablement du village actuel de la Piltière aux Essarts. Font aussi partie de la ferme, le fief noble et appartenance des Bouchauds (Essarts), et la terre et seigneurie des Cresches (Bourg-sous-la-Roche), ayant elle aussi fait l’objet d’un retrait féodal. Le bail cite aussi quelques domaines particuliers (landes de Lalion Landereau, des Touches Tabart, l’entrée du Javreau, un pré situé près du village du Plessis-Cosson). Néanmoins, le château, sa cour et le jardin à proximité, sont réservés par la propriétaire pour elle-même, et sont exclus de la ferme.

Vieux château des Essarts, tour du 11e siècle
Il est convenu que les deux moulins à eau et à vent, « étant près le château des dits Essarts », font partie de la ferme, mais seulement à l’issue du bail en cours, fixée un an après la Saint-Jean-Baptiste prochaine. C’est qu’ils avaient été affermés par le « feu seigneur et prince » Sébastien de Luxembourg aux nommés Faron. Pour le temps à échoir du bail en cours, Marie de Beaucaire accepte de réduire la ferme de 200 livres par an, ce qui représente un montant total de deux cent vingt une livres seize sols huit deniers. Au 17e siècle la baronne des Essarts fera construire deux moulins à vent à Sainte-Cécile et achètera celui de l’Aublonnière (10)

Le bail comprend le four à ban des Essarts, emportant l’obligation des habitants des domaines de l’utiliser pour faire cuire leurs pains, moyennant un prélèvement du fermier du ban, souvent une part de la pâte à cuire. En 1703 le four banal était sous-loué à un nommé Jannière pour 6 livres par an, somme bien faible, ce qui veut dire qu’il était d’un faible rapport, probablement concurrencé par les boulangeries existant par ailleurs dans la paroisse des Essarts (11). 

Dans un bail de 1721 on cite en plus les fours à ban de l’Aublonnière et de Sainte-Cécile. Il est alors précisé le droit des fermiers de se fournir en bois dans la forêt des Essarts proche, pour le chauffage du four, « sans pouvoir couper aucuns jeunes arbres, ni endommager les bois de haute futaie », ni utiliser le bois à une autre destination. Ils auront le droit de couper les fournilles (menu bois et branchages), houx, bourdaines (arbrisseau répandu dans les clairières et les sous-bois), garas (en français : le fusain commun), et « autres choses semblables ». Mais ils devront en même temps respecter le droit donné par le seigneur dans la forêt aux habitants des Essarts, suivant la coutume, de faire manger les glands par les cochons, aussi de faire pâturer et pacager, et de ramasser le bois mort.

On sait aussi que le four du bourg des Essarts était alimenté par une redevance seigneuriale prélevée sur les propriétaires du Plessis-Duranceau, autrefois appelé le fief Jousselin. Ils devaient chaque année « un cent de fournilles prises dans la forêt du château des Essarts pour le four banal du bourg », est-il écrit dans une déclaration de 1649 (12). De plus les teneurs des Landes-Gâteaux devaient chaque année au mois de mai, 18 « bians » (corvées) de charrette attelée de bœufs, et deux hommes pour les conduire, pour amener de votre forêt desdits Essarts, fournille pour chauffer votre four à ban de votre baronnie » (13)). Les teneurs de la Robinerie de Chauché devaient, eux, « 9 bians pour aller chercher de la fournille dans la forêt des Essarts pour l’usage du four du lieu » (14).

De même ils devront respecter le bail en cours contracté auprès du défunt Sébastien de Luxembourg, de coupes de bois par les marchands de poutres des Essarts. Les deux principaux d’entre eux étaient Jean Simounier et Jacques Bricou. Ce bail doit encore durer deux années et deux coupes, après quoi les fermiers de la baronnie reprendront les coupes de bois dans leur ferme. En attendant, Marie de Beaucaire accepte de diminuer le prix convenu de la ferme de 600 livres par an. En plus, les nouveaux fermiers Masseau et Menanteau, toucheront directement les 200 livres par an dues par les marchands de poutres, au titre de leur bail en cours. C’est que la propriétaire « a trouvé les taillis et ladite forêt être de la valeur par chacun an de huit cent livres tournois ».

Les preneurs s’engagent à entretenir les lieux et endroits compris dans la ferme, partout où il en sera nécessaire. Le bail prévoit l’éventualité d’un procès-verbal d’état des lieux à l’entrée dans la ferme. Pour les réparations, la propriétaire « a promis et sera tenue de fournir le bois sur pied seulement », ayant « le marc et marteau de ladite forêt ». Le marc était un poids servant à peser, et le marteau un fer avec lequel les officiers des Eaux et Forêts marquaient les arbres à couper lorsqu’ils avaient été vendus. Mais cette obligation ne s’étend pas au château, « à la maison et chapelle de Sainte-Croix, la maison rouge appelée Saint-Germain, ni ses murailles de l’enclôture des autres tours ».

Les fermiers pourront prendre les « brochets en l’étang desdits Essarts au-dessous d’un pied de longueur (30 cm) et pêchant seuls en personne ». En dessous des 30 cm, ils auront l’obligation de remettre les poissons à l’eau.

La ferme comprend la valeur du bétail appartenant à la propriétaire, étant en la métairie de sa Maison Rouge en la garde de Benoît Giraud. Cette métairie était située proche du château, sur le chemin qui conduit des Essarts à Sainte-Florence-de-l’Oie. À la sortie du bail les preneurs devront laisser du bétail pour une valeur identique, fixée par estimation d’experts, choisis en commun, à l’entrée et à la sortie de la ferme. En 1721, c’est le fermier qui possède le bétail des métairies, avec une clause de reprise obligatoire par son successeur. Il y a eu désinvestissement du baron des Essarts en ce domaine, alors que le prix de la ferme a presque doublé entre 1572 et 1721, passant de 4 900 livres à  9 200 livres par an.

Les fermiers seront aussi tenus « de faire tous frais de justice pour la poursuite, conduite instruction et insinuation de tous procès civils et criminels, tant en première instance au dit lieu des Essarts et ailleurs où les causes iront par appel ». Ils assureront les frais et profits entraînés par ces instances judiciaires, notamment en payant tous les officiers de la baronnie pour les charges et devoirs des domaines compris dans la ferme. De plus ils « feront encore la justice de juridiction dont ils auront tous les émoluments et profits ». Il s’agissait ici de la justice foncière.




Les contentieux Masseau et Cicoteau


Enfin, le bail traite d’un contentieux propre à l’un des preneurs, Michel Masseau. Il s’agissait d’une dette du défunt seigneur Sébastien de Luxembourg de 430 livres qu’il devait au père du fermier, Pierre Masseau, de son vivant procureur des Essarts. Celui-ci l’avait réclamé le 9 septembre 1567 et son fils revenait à la charge. Il est convenu de diminuer les quatre prochains termes de la ferme dus par Michel Masseau, du quart de cette somme à chaque fois.

Par contre le bail n’évoque pas les problèmes pendant entre le frère de Toussaint Menanteau, Michel, et la baronne des Essarts. En effet, Michel Menanteau avait tenu la recette de la baronnie des Essarts pour le compte de Sébastien de Luxembourg. Ses enfants réclamaient le paiement de plusieurs dettes de Sébastien de Luxembourg et de sa sœur, Madeleine, dame de Royan (15). Or Marie de Beaucaire refusait de payer ces dettes de son défunt mari, insuffisamment établies selon elle. Quant à celles de sa belle-sœur, elle ne s’en sentait pas responsable (16).

Ce bail faisait suite à celui de Benoît Cicoteau, nous l’avons dit plus haut. En date du 11 février 1570, il n’avait été conclu que pour deux ans, courant du 17 mai 1570 au 17 mai 1572. Nous disposons des comptes de cette ferme, rendus par Jacquette Regnard veuve du défunt Benoît Cicoteau (17), comprenant certaines réceptions de sommes reçues et des dépenses faites par le fermier pour le compte de la propriétaire. Il nous permet d’apprendre un certain nombre de détails concernant la vie au château des Essarts, dans ces deux premières années de la décennie 1570.

Le fermier règle les frais de la poste


Courrier à cheval
Le fermier réglait en particulier les frais de transport des lettres et colis, fréquents notamment entre les Essarts et Poitiers et les Essarts et Nantes. L’institution de la poste, assurant en même temps la poste aux chevaux pour les voyageurs et la poste aux lettres, sera relancée et élargie quelques dizaines d’années plus tard par Sully, le célèbre ministre d’Henri IV. Elle va entraîner plus tard la création de relais de postes, aux Essarts et à Saint-Fulgent notamment. Mais en 1570, le fermier du château des Essarts payait quelqu’un spécialement pour chaque transport. Pour aller à Poitiers, cela coûtait deux sols, et autant pour en revenir. On passait alors par Mouchamps, Pouzauges et Parthenay pour joindre l’avocat Morin et le procureur Guinreau (avoué-avocat d’aujourd’hui), qui défendaient et représentaient, auprès du présidial de la sénéchaussée du Poitou (tribunal), les intérêts de la baronne des Essarts. La distance était de 30 lieux en partant de Puy Mest (Essarts) en 1746 (18). Les courriers avec Nantes étaient fréquents aussi, alors lieu de résidence habituel de Mm de Pouillac qui assurait la correspondance. C’était le maître d’hôtel de la châtelaine, de condition noble, et résidant dans son hôtel particulier à Nantes. Mais on écrivait aussi à monsieur de la Touche, que nous avons évoqué plus haut, et au secrétaire de la baronne, monsieur de Bruc.

Sur le fonctionnement de la poste plus tard, il faut évoquer la pratique policière d’ouverture du courrier dès sa création. Nous en avons un témoignage dans une lettre de Pierre de Vaugiraud, seigneur de Logerie à Bazoges-en-Paillers. Dans une lettre qu’il écrivit le 17 juillet 1727 à un de ses correspondants de Poitiers, il termine ainsi : « Vous m’accuserez s’il vous plaît la réception du tout à l’adresse de M. Boivineau, notaire et procureur aux Essarts, ayant à suspect présentement la poste de Saint-Fulgent … » (19). Celle-ci, établie à l’hôtel du Chêne-Vert, était alors tenue par Louis Guyet, le père de Simon Charles Guyet, dont avons publié une biographie de ce dernier en avril 2013. 

Sans commettre d’indiscrétion, nous apprenons ainsi dans les comptes du fermier, l’envoie d’un courrier de Marie de Beaucaire aux Roches-Baritaud (Saint-Germain-de-Prinçay), pour Philippe de Chateaubriand, comte de Grassais, un temps gouverneur de Fontenay-le-Comte dans le camp des catholiques. De même elle écrit au seigneur de Languiller (Chauché), alors Jules Harpedanne de Belleville, marié à Jeanne du Bouchet, fille du seigneur protestant de Puy Greffier (Saint-Fulgent). Pour porter une lettre à André de Bourdeille (près de Périgueux), ancien commandant de l’armée de Guyenne, dans le camp catholique lors des guerres de religion, le voyage a duré douze jours, et a coûté quinze sols par jour.

Trésor des titres
Plus naturellement on correspond des Essarts avec le fermier de Rié (Saint-Hilaire-de-Riez), dont Marie de Beaucaire était aussi baronne. C’est elle qui entreprit des travaux d’aménagement d’un port à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, situé sur ses terres. Des « avoirs pour Rié » sont d’ailleurs entreposés dans « la chambre du trésor des titres » du château des Essarts. On appelait ainsi le réceptacle des archives domaniales d’une châtellenie importante.

Le seigneur de Vaucelles, demeurant aux Brouzils, fait aussi partie de ceux qui travaillent pour le compte de la baronne des Essarts, notamment dans des démêlés judiciaires concernant le fief de Rié. Des courriers lui sont adressés, des frais de déplacements et des honoraires lui sont payés.

On correspond aussi avec les officiers de la Chaize-le-Vicomte, où se trouvait un lieutenant pour le roi en Bas-Poitou. Le duc de Thouars leur confiait à la fin du 16e siècle le suivi de ses affaires concernant la baronnie des Essarts (20).


Le fermier règle les frais de voyage


Le fermier règle les dépenses de Jacques Aubert venu aux Essarts le 26 janvier 1570 s’occuper des intérêts de la baronne des Essarts, et écrire à Poitiers pour ses affaires. Il était venu avec « son homme et deux chevaux ». Jacques Aubert était seigneur de Garnault et du Bois Pothuiau, sénéchal, et habitait près du bourg de la Merlatière (21).

Louis III de la Tremoïlle
Et le lendemain, le fermier règle la dépense pour le déplacement du même à Montaigu « pour s’opposer à l’enchère que voulait faire monseigneur de la Trémoïlle des sous-rachats des Essarts ». La vicomté de Thouars, dont le seigneur Louis III de la Trémoïlle était suzerain des Essarts, venait d’être érigée en duché. Le suzerain réclamait à son vassal le paiement de sous-rachats remontant au temps de Sébastien de Luxembourg. On ne sait pas ce qu’étaient ces sous-rachats, en principe des droits du suzerain sur des fiefs tenus par un vassal de son vassal.

Le 15 juin, ce sont les frais de déplacements à Thouars de deux huissiers des Essarts, Guillaume Douheteau et Olivier Cormier, qui sont payés pour une signification de la baronne des lieux à son suzerain, Louis de la Trémoïlle.

Le 23 juin 1571, pour rendre l’hommage du fief des Essarts à ce dernier, le fermier se déplace à Thouars, avec M. de Garnault et son secrétaire. Ils comptent en même temps proposer une transaction sur le litige des sous-rachats. Le seigneur des lieux est absent. Les voyageurs prennent une auberge à Thouars, vont ensuite à Saint-Laurent, puis à Montaigu. Finalement c’est à Sainte-Hermine que le fermier fera l’hommage à L. de la Trémoïlle, le dernier jour de juin. Rappelons qu’à la fin du 16e siècle, le château de Sainte-Hermine appartenait à Charlotte de la Trémoille, qui, pour être princesse, épousa le prince de Condé, beaucoup plus âgé qu’elle et grabataire.

D’autres frais de déplacements aux Essarts sont aussi réglés quand les avocats de Poitiers et le maître d’hôtel de Nantes s’y rendent.


La commanderie de Malte et les notaires


Un huissier a dû être envoyé le 26 juillet 1570 à Launay porter plainte contre son commandeur, qui voulait abolir le devoir qu’il devait à la baronnie. Cette commanderie de Saint-Jean-de-Launay à Sainte-Cécile, très anciennement implantée, appartenait à l’ordre de Malte. Elle devait chaque année à la fête de Saint-Jean-Baptiste, nourrir six hommes et six chevaux, six chiens et deux oiseaux appartenant au seigneur des Essarts. Un procès s’en suivit, gagné par ce dernier.

Un autre détail intéressant à noter, est la présence de l’étude d’un notaire dans le château lui-même des Essarts. Le notaire était un officier de justice à l’époque, et c’est probablement à ce titre qu'il y avait son étude près du tribunal de la baronnie. En 1760, Landais le jeune indique dans un acte que celui-ci est « fait et passé au château des dits Essarts » en son étude (22).


L’entretien et les travaux neufs au château des Essarts


Outre les courriers et frais de déplacements, les comptes de la ferme révèlent d’autres aspects de la vie au château des Essarts. Ainsi, le concierge du château est payé sur la base de 5 sols par jour, ce qui fait un salaire mensuel de 7 livres 10 sols par mois. En 1571 il s’appelle Jean Bordier, veuf de Jacquine Bordier, qui avait aussi été rémunérée comme concierge. Au début de 1572 il s’agit de Jacqueme. Il y avait aussi une portière au château, nommée Nicole Cossart en mai 1571, et le jardinier s’appelait René Paillard en 1569/1570.

Au début de l’année 1571 est livré un « bateau que j’ai fait faire tout neuf pour servir à l’étang de ce lieu ».

En août 1571, le fermier a payé « pour cinq milliers de clous de lattes d’ardoise et de chevilles qui ont été employées par le commandement de ma dite dame à son château ». Dans le bail de 1721, le paiement « des gages de deux couvreurs d’ardoises et de tuiles pour l’entretien des couvertures du château », faisait partie des obligations du fermier. De même il devait prendre à sa charge jusqu’à 6 corvées de bœufs par an pour les réparations du château des Essarts, et charroyer les matériaux nécessaires.

En octobre 1570, on refit la chaussée conduisant au château, en y utilisant « dix septiers (4,5 tonnes) de chaux bonne ».

De même on a payé six journées d’artisan « tant pour habiller par ladite brèche que pour fermer une porte de muraille vers le grand jardin, que les huguenots avaient rompu ». Cela nous rappelle que nous sommes en pleine troisième guerre de religion (1568-1570), où périra Bastien de Luxembourg, baron des Essarts. Le Bas-Poitou fut dévasté par les troupes des deux camps. Au château des Essarts les huguenots s’attaquaient à un seigneur du camp catholique.

On pressent les dégâts de cette guerre aux Essarts dans une supplique du fermier Cicoteau à Marie de Beaucaire, pour diminuer le prix de sa ferme. Il explique qu’il s’est fait voler d’une somme de 1500 livres dans le château, où il se trouvait, envoyé par Marie de Beaucaire alors qu’il se soignait à Nantes. De plus il rappelle avoir perdu beaucoup de ses revenus « par les guerres ».

Et encore ce n’était pas fini. En 1588, poursuivant le duc de Mercœur (gendre de Bastien de Luxembourg), aussi baron des Essarts, qui s’était replié vers Nantes après avoir vainement tenté de s’emparer de Montaigu, le roi de Navarre, futur Henri IV, passera une nuit aux Essarts. Déterminé à faire ses preuves comme zélé ligueur, le duc de Mercœur avait passé de Bretagne en Poitou avec plus de 2000 hommes, dans l’intention de ravager le pays et d’en exterminer les "novateurs", désignant ainsi les protestants (23).

En mars 1571, un charpentier (Rabault) répare les portes d’un bâtiment et le pont du grand jardin. On paye aussi au maréchal-serrurier quatre sols pour la fabrication de « deux gonds pour tenir l’âme des portes du château », plus trois sols cinq deniers pour leur pose par un maçon nommé Vitte. Au mois d’août suivant, le même Rabault crée de nouvelles mangeoires dans l’écurie.

Le mois d’après, Étienne Bretault et Martin Besson, charpentiers, sont payés de leur marché de fabrication de nouvelles échelles pour monter aux greniers situés « au bout des écuries de ce lieu » (huit livres). Les six charrois venant de la forêt, pour livrer le bois nécessaire, ont été payés à part (quatre livres), de même que « la chaux qu’il y a fallu » pour quinze sols. Les arbres avaient été marqués par le maître d’hôtel nantais (monsieur de Pouillac).

Les séjours de la châtelaine


Arcimboldo : le sommelier
On apprend par ailleurs un séjour de Marie de Beaucaire en son château des Essarts. C’est ainsi qu’elle s’y trouve au mois de juillet 1571 et qu’elle y retourne le 25 août suivant. À cette occasion certaines dépenses, payées pour son compte par le fermier, sont intéressantes à noter :

-        quatre pipes de vin à Luçon. Plus, pour « l’ordinaire du train » de Marie de Beaucaire, quatorze pipes de vin nouveau, fûts et vin (douze livres dix sols la pipe).
-        six verres déparés « fournis pour le service de ma dite dame à ses sommeliers ».
-        une taille de lin pour faire de la doublure d’un corps de robe pour mademoiselle la duchesse sa fille, alors âgée de 9 ans.
-        déplacement de maître de La Salette, de Notre Dame de Nantes, qui était venu aux Essarts pour accorder l’épinette de sa fille. C’était un instrument de musique de la famille des clavecins, très à la mode à partir du 16e siècle.

Plus tard, en novembre, on note la livraison de nouvelles roues et de leurs ferrures pour la coche (voiture) de la châtelaine. Il semble qu’elle a séjourné aux Essarts du 25 août au 30 novembre 1571, au regard du décompte des frais payés pour l’entretien de ses 15 chevaux pendant cette période : soins et paille, 474 raz (24) d’avoine (37 livres 10 sols les cent). Certains de ces chevaux resteront encore aux Essarts jusqu’à fin avril 1572.  

Les comptes du fermier donnent aussi un aperçu de certaines cultures agricoles. En dehors de la vente des céréales et de foins, on note aussi la culture de vignes dans les domaines du château ou de Sainte-Cécile et la vente de vin. La châtelaine envoie quelqu’un de Nantes au début de 1572, chercher aux Essarts trois boisseaux de fèves et deux boisseaux de pois.

On apprend aussi que le fermier a payé, à la demande de la baronne des Essarts, la pension de sœur Louise de Penthièvre, religieuse de Cerisier, pour un montant de cinquante livres correspondant au tiers de sa valeur annuelle. Ce couvent était situé non loin du château des Essarts, sur la paroisse de Fougeré, près de la Chaize-le-Vicomte. C’était un couvent de religieuses appartenant à l’ordre de Fontevraud (Maine-et-Loire).

Église des Cordeliers - Gingamp
Enfin, le fermier a dû prendre en charge un muletier et ses deux mulets, venu aux Essarts pour le transport du corps de Sébastien de Luxembourg à Nantes. On apprend ainsi qu’après son décès, parfois indiqué à Saint-Jean-d’Angely dans certains documents, le corps de Bastien de Luxembourg, qui fut blessé pendant ce siège le 19 novembre 1569, fut exposé dans la chapelle du château des Essarts du 17 décembre 1569 au 14 janvier 1570. Des messes et des prières, faites en la chapelle du château pendant que le corps du "défunt monseigneur" y était exposé, ont été payées pour un montant de 14 livres. On sait que le corps du défunt fut ensuite transporté dans l’église des Cordeliers à Guingamp (Morbihan).


(1) Archives de Vendée, baronnie des Essarts-Brosse et Luxembourg (1435-1642), 19 J 1, ferme de la baronnie des Essarts à Masseau et Menanteau le 17-12-1571.
(2) Sébastien de Luxembourg, duc de Penthièvre, fut le dernier mâle de la branche de Luxembourg Martigues. Sa valeur lui fit donner le surnom de Chevalier sans peur. Son père était François III de Luxembourg, marié à Charlotte de Brosse, dite de Bretagne. Ils eurent quatre enfants dont Sébastien qui lui succéda.
Ce dernier vécut sous les règnes des rois Henri II, François II et Charles IX. On le trouva aux sièges de Metz, Terouanne, Calais, Guines, Leith, Rouen, Orléans, et à la bataille de Dreux. Il fut tué malheureusement d’une blessure qu'il reçut au siège de Saint-Jean-d'Angély, le 19 Novembre 1569.
Il avait épousé Marie de Beaucaire, fille de Jean, seigneur de Puyguillon, sénéchal du Poitou. Ils eurent deux filles, dont Jeanne morte à un an et Marie qui hérita.
(3) Marie de Beaucaire (1535-1613), était fille de Jean de Beaucaire (1505-1578) et de Guyonne du Breuil, et se maria en première noces à François Authier. En 1561, elle se remaria à Meaux avec Sébastien de Luxembourg. Baronne de Saint-Hilaire-de-Riez, princesse de Martigues, duchesse de Penthièvre, elle fut une personnalité du département de la Vendée. Elle œuvra pour l'essor de la cité de Saint-Hilaire-de-Riez en Vendée et de sa dépendance Croix-de-Vie. Son mari construisit pour elle aux Essarts un logis Renaissance.
(4) Fille unique, elle fut un personnage important de l'histoire du duché de Bretagne : lointaine descendante de la duchesse Jeanne de Penthièvre et de son mari Charles de Blois, elle a ambitionné de rétablir la souveraineté du duché, et de monter sur le trône avec son mari, le duc de Mercoeur, beau-frère du roi Henri III et gouverneur de Bretagne par la faveur de celui-ci. La victoire d’Henri IV l'empêcha de réaliser son projet (Wikipedia).
(5) Archives de Vendée, G. de Raignac, Généalogies vendéennes des familles Masseau des Roullins : 8 J 41-2, page 151.
(6) Archives de Vendée, G. de Raignac, Généalogies vendéennes des familles Masson etc. : 8 J 37-2, et 8 J 40-1, page 32.
(7) Bail du 10-10-1721 de la baronnie des Essarts à Merland, page 6, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(8) Inventaire et partage du 1-4-1703 de la succession de Jeanne Jeullin, veuve Merland, Archives de Vendée, famille Babin et Cicoteau : 25 J/4, pages 30 et 31.
(9) Ibidem, page 21.
(10) Bail du 10-10-1721 de la baronnie des Essarts à Merland, page 10, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(11) Inventaire et partage du 1-4-1703 de la succession de Jeanne Jeullin, veuve Merland, Archives de Vendée, famille Babin et Cicoteau : 25 J/4, page 6.
(12) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/A 3, déclaration roturière du 2-8-1649 de 11 teneurs du Plessis-Duranceau (Essarts) à la baronnie des Essarts (Charles Amédée de Savoie), pour des domaines en ce tènement.
(13) 150 J/A 12-4, déclaration roturière du 12-6-1749 de la métairie des Landes-Gâteaux par Jacques Merland aux Essarts.
(14) 150 J/C 42, déclaration roturière du 14-5-1753 par Jacques Piveteau de domaines à la Robinerie de Chauché.
(15) Madeleine de Luxembourg, fille de François de Luxembourg (1492-1553) et de Charlotte de Brosse. Elle était aussi sœur de Sébastien de Luxembourg. Elle fut mariée le 13 novembre 1563 avec Georges de La Trémoïlle, baron de Royan.
(16) Archives de Vendée, baronnie des Essarts-Brosse et Luxembourg (1435-1642), 19 J 1, procès des enfants Menanteau contre Marie de Beaucaire.
(17) Ibidem : 19 J 1, comptes de la ferme des Essarts arrêtés au 17 mai 1572.
(19) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, lettre de P. de Vaugiraud à Mouton le 17-7-1727 au sujet de la métairie du Pinier.
(20) Quittance du rachat des Essarts du 29-11-1566, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135. 
(21) Appartenant à une famille ancienne de la noblesse du Bas-Poitou, Jacques Aubert, IIe du nom, seigneur de la Normandelière, épousa en 1554 Perrette de Chabot. Il fut enterré dans la paroisse de Saint-Sulpice-le-Verdon, le 1er septembre 1573. Son frère, René Aubert, épousa Jeanne Châteigner, et de ce fait fut seigneur de Saint-Fulgent quelques années avant Christophe Bertrand vers la fin du 16e siècle [Dictionnaire historique, biographique et généalogique des familles de l'ancien Poitou. Tome 1 / par feu M. Henri Filleau,... ; publié par son petit-fils H. Beauchet-Filleau et Ch. de Chergé (Gallica Identifiant : ark:/12148/bpt6k65647548), page 123]
(22) Archives privées Gilbert, amortissement le 11-12-1760 d’une rente de 9 livres appartenant à Marguerite Merland.
(23) La Vendée au temps des guerres de religion, éditée par M. N. Baudouin-Matuszek, Éditions du CVRH, 2013, page 398 et 403.
(24) Ray ou retz ou raze ou rat, est une ancienne mesure de grains utilisée  pour l’avoine dans la région. Le contenant en bois, appelé raz, devait être plein après sa mise au ras avec un morceau de bois appelé raze.

Emmanuel François, tous droits réservés
Mars 2014, complété en février 2023

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