jeudi 2 octobre 2014

Le standing au 18e siècle d'un bourgeois de Saint-André-Goule-d’Oie.


En décrivant l’architecture du logis de Louis Corbier, bourgeois habitant le logis du Coudray en 1762, nous avons pu en souligner son importance par rapport aux habitations des gens du peuple de la campagne du Bas-Poitou. En même temps, son standing est bien éloigné de l’aisance et du luxe des plus riches dans les vrais châteaux de l’époque. L’inventaire de ses biens meubles et effets après son décès, nous confirme cette impression de richesse « médiane ». Poursuivons maintenant la description de cet inventaire en commençant par un élément primordial dans le confort intérieur : les lits.

Les lits


Ceux-ci comprenaient d’abord la « boisure » ou châssis en bois. Sa partie basse, le « châlit », soutenait les matelas et paillasse avec la lingerie. Sa partie haute comprenait des piliers soutenant un plafond. Des rideaux en descendaient pour éviter les courants d’air et protéger l’intimité. Ce n’était pas des lit-armoires comme en Savoie. Dans le « petit renfermi » du valet de ferme au bout du toit aux vaches, on note néanmoins l’absence de rideaux de lit.

Les rideaux du lit tombereau pour enfant dans la cuisine, ainsi que le lit de domestique à coté,  étaient de couleur verte de « cadis », une grossière étoffe de laine. La laine était plus finement travaillé pour les rideaux de « sargette » de couleur « dolline » (rougêatre) au lit du sieur de Beauvais, le maître des lieux. De plus l’inventaire indique « une frange de soie auxdits rideaux ». Quant au lit de sa femme, ils étaient en tissu de « Bellegarre ».

René Robin : Intérieur vendéen
Dans la chambre du haut on trouve un « fond de lit de vergettes ». Celles-ci étaient les ancêtres de nos modernes lattes de sommier. Dans les autres lits il y avait une « paillasse » en guise de sommier. C’était un grand sac de toile bourré de matières solides qui ne nous sont pas indiquées ici. Ce pouvait être de la paille par exemple. Il faut souligner qu’un matelas reposait sur cette paillasse, signe évident de confort, en un temps ou un seul élément faisait fonction à la fois de sommier et de matelas chez les gens modestes, les plus nombreux. D’ailleurs, le lit de la domestique dans la cuisine n’a qu’une paillasse. Encore est-elle mieux lotie que dans beaucoup de maisons ou on a dormi longtemps sur la paille elle-même. Les registres paroissiaux nous livrent de temps en temps dans les actes de baptême l’expression de baptême « sur la paille ». On voit bien qu’à chaque fois celui-ci a été fait de toute urgence dans la crainte d’une mort prématurée du nouveau-né. L’expression est révélatrice, même si l’usage du mot a duré plus longtemps que l’usage de la paille elle-même, devenant une expression consacrée.

Les matelas utilisés ne nous sont pas décrits autrement qu’avec ces simples mots : « matelas de toile ». Nous savons néanmoins que la toile renfermait une matière souple et moelleuse, textile ou végétale.

En dehors des draps, les couvertures, constituaient l’élément important de la literie, elles étaient tissées en « toile », ou en « taffetas ». Dans le lit de la domestique il n’y a qu’une couverture de toile jaune.

Dans le lit de madame de Puyrousset on trouve trois couvertures, de toile jaune, de toile blanche et la dernière de « colmande de plusieurs couleurs ». Son mari a deux couvertures de laine, l’une de laine croisée (façon « sargette ») de couleur « dolline » (rougeâtre), et l’autre verte. Et dans la chambre du haut on trouve deux couvertures. La première est une « catalogne » blanche (désigne une couverture belle et fine). La deuxième est une couverture  de « droguet » jaune (laine), comme les rideaux. Enfin le valet de ferme a une couverture dans son lit et deux « bernes d’étoupe » (gros draps épais et tissés avec des fibres grossières). Rappelons que les fils d’étoupe ont longtemps servi aux plombiers pour l’étanchéité des raccords de tuyaux.

Les traversins existaient bien sûr à l’époque. La domestique n’en avait pas, alors que le valet de ferme disposait d’un « travers » (traversin). Il était garni de plumes comme les deux autres traversins de la maison, celui de madame et celui de monsieur. Mais seule madame avait un oreiller en plus.

Le chauffage, l’éclairage et l’hygiène


Le moyen de chauffage se résumait à la cheminée chez Louis Corbier, comme chez ses métayers. Alors que les plus riches bénéficiaient des poêles construits en briques dans un coin des pièces, parfois recouverts de magnifiques faïences ou mosaïques. Outre la cuisine, trois chambres avaient leur cheminée au Coudray, ce qui est à souligner. Les cheminées contribuaient aussi à renouveler l’air dans les pièces quand elles fonctionnaient. À une époque et dans un pays ignorant beaucoup des règles élémentaires d’hygiène, ce rôle était important. Dans le grenier du logis il y avait un tas de charbon, pour des usages domestiques particuliers, mais certainement pas pour alimenter les cheminées. Celles-ci bénéficiaient de la place réservée à l’économie des haies dans l’activité agricole de l’époque, les fournissant en fagots de bois.


Évoquer le confort dans ce logis du 18e siècle exige de faire l’impasse sur l’éclairage, la salle de bain et les toilettes. Pour la lumière on disposait de « chandelières de cuivre avec leur mouchette et porte mouchette ». Celle-ci servait à moucher la chandelle, c'est-à-dire à couper la portion de mèche brûlée. Nous avons déjà relevé dans notre article précédent l’existence d’une « fontaine » dans la chambre de la maîtresse des lieux, c’est à dire d’un vase, réservoir d’eau, pour faire sa toilette. Énumérant les meubles de sa chambre, il nous a paru logique de la citer, comme meuble servant à la toilette. Quant aux pots de chambre, l’inventaire les ignore.


Les ustensiles de cuisine et l’équipement ménager


L’équipement de la cuisine en ustensiles ne présente pas un grand intérêt, malgré son importance. Il est évalué en effet à 93 livres au total, ce qui représente une belle somme en valeur d’occasion. Et pourtant il n’y a même pas de cuisinière. Pour conserver les viandes séchées on avait un « charnier » dans le cellier : petite construction en terre, isolant de la chaleur extérieure. Pour laver le linge, les larges lavoirs extérieurs constituaient le moyen universel à cet effet. Mais dans ce logis on utilisait aussi une petite « poêle à lessive » : elle permettait de chauffer l’eau contenue dans une cuve grâce à un compartiment situé en dessous, où on allumait un feu de charbon.

Certains pots, cuillères ou chaudrons dans la cuisine étaient en fer, mais aussi en « airain », métal proche du bronze actuel, fait d’un alliage de cuivre avec d’autres métaux. Les casseroles et les chandeliers étaient en cuivre rouge bien connu, mais aussi en « cuivre jaune » (laiton). Il y avait une « seille » (seau) en bois avec sa « brellière » en fer (la beurlère du patois « moderne », si l’on peut dire). Pour conserver le lait on utilisait des « ponnes » en terre (grand vase ou cuve).

Enfin, un équipement de la cuisine attire l’attention : deux fusils, de chasse probablement. Et dans une armoire de la chambre de Louis Corbier, on trouve en plus deux pistolets et une épée à poignée d’argent « lame à l’arrelet », équipement indispensable de l’honnête homme d’autrefois, conservé sans doute par tradition.

À cet équipement de la cuisine il faut associer la vaisselle du ménage entreposée dans des armoires des chambres à coucher : 68 assiettes, 11 mazarines (assiettes creuses introduites en France par Mazarin pour servir le potage, remplaçant les écuelles), 4 saladiers, 2 plats d’étain, 12 cuillères d’étain, 4 pots de faïence, 2 salières de cristal, etc. Certains éléments étaient décorés « aux armes de ladite dame de Puyrousset et de sa famille », d’origine noble. Il y avait aussi des objets en argent : boucles d’oreilles, cuillère potagère, couverts, gobelets, écuelle, boucles. Les notaires les pesaient avec des trébuchets, qui étaient de petites balances servant à peser des objets précieux. On obtenait ainsi le poids en once d’argent, dont le cours était fixé pour un marc (poids de référence en cuivre, correspondant dans notre cas à 8 onces d’argent). Le tout de l'inventaire pesait 48,25 onces valant 297 livres, à 48 livres le marc d’argent. Là encore, pauvreté en comparaison de Versailles, mais richesse  en comparaison de la métairie d’à côté.

Le linge


Cette aisance de la société campagnarde que nous montre l’inventaire se remarque aussi dans le linge de maison, où règne l’abondance. On entassait le linge comme on épargnait l’argent : 37 nappes de table en lin, 13 nappes d’étoupe, 39 draps, 20 bernes, 27 essuie-mains, 19 douzaines de serviettes, etc. Cette abondance se retrouve dans les gardes robes. Pour madame : 113 coiffes et 24 coiffes de nuit, 71 chemises, 8 robes, 15 jupes ou jupons, 18 bonnets, etc. Monsieur est plus raisonnable : 7 paires de bas, 14 mouchoirs, 3 perruques, 2 chapeaux, 45 chemises, 11 tours de col, etc. Cette abondance n’était-elle pas autant due au désir de ne rien jeter qu’à l’aisance ? On hésite à répondre. Néanmoins il ne faut pas oublier, pour comprendre cette abondance de linge, les techniques de lessive de l’époque. Dans les bonnes maisons, les draps et nappes sales bénéficiaient après usage d’une pré-lessive ou dé-trempage. Séchées, elles attendaient ensuite la lessive annuelle de Pâques (la bujaille). On utilisait pour cela de la cendre, à laquelle on ajoutait des feuilles de lierre ou de saponaire pour obtenir un produit moussant. Celui-ci était enfermé dans de petits sacs de toiles spéciaux disposés sous le linge au fond de la cuve. On versait l’eau ensuite, récupérée puis reversée plusieurs fois de suite dans la même cuve avec un pouvoir détergent de plus en plus fort à chaque fois.

Il n’y a pas que le nombre à considérer, la qualité était diverse bien sûr. Ainsi la plupart des chemises étaient en lin (on disait « de lin en lin »), mais d’autres en toile, et certaines ouvrées, comme les nappes, en lin ou en étoupe.

Les habits


Il en était de même pour les habits. Une robe et une jupe doublées de taffetas, ont été estimées ensemble à 100 livres, mais on en trouve d’autres à 36, 24 ou 18 livres. Ce qu’on désignait de « robe » était le haut uniquement, accompagnée de sa jupe assortie, descendant jusqu’aux chevilles. On a ainsi « une robe de taffetas verte, avec la jupe de même façon, une cape de taffetas, couleur de gorge de pigeon (de couleur changeante, suivant qu’il est exposé à la lumière, comme fait la gorge d’un pigeon) et une mante de taffetas noire, estimées le tout ensemble eu égard à la vétusté, la somme de cinquante livres ». Mme de Puyrousset variait les styles comme il se doit, comme par exemple, avec cette « robe d’indienne (coton imprimé, que cite aussi le Bourgeois Gentilhomme dans la scène II) à fleurs, fonds blanc avec la jupe de même façon, doublée de toile », ou « une autre robe de gros détour rayée avec la jupe aussi rayée de couleurs différentes ».

Dans les grandes occasions, Louis Corbier portait par exemple « un habit de drap couleur de gris de lin (couleur douce de la fleur de lin) avec la veste de la même façon, brodée d’un galon d’argent et boutonnière de la même façon ». L’inventaire décrit aussi « un habit de camelot (laine ou poil de chèvres) blanc cannelé à boutons de poils de chèvre » et « une veste de soie couleur jaune à bouton d’argent et une calotte de la façon de l’habit ».

Ses bas étaient pour la plupart en laine de différentes couleurs ou en coton blanc. Mais il avait aussi deux paires de bas de soie, l’une blanche et l’autre gris de lin. Il faut se rappeler que le pantalon est une mode vestimentaire répandue par la Révolution Française. Avant, et y compris pour les paysans, on portait des culottes ou haut de chausses, descendant jusqu’aux genoux. C’est pourquoi on désigna les révolutionnaires de « sans culotte ». Les jambes étaient couvertes par des bas ou chausses. Les paysans dessinés dans les livres sur la Guerre de Vendée, avaient eux aussi leurs hauts de chausse et leurs chausses, les pieds dans des sabots en bois.Leurs chapeaux aux larges bords, appelés « chapia rabalet », était d’usage pour les cérémonies et les sorties, et pas pour travailler dans les champs, selon l’abbé Boisson (2).
 

Tous ces habits évalués d’occasion se montaient à la somme de 940 livres, dont 300 pour Louis Corbier. Le mobilier a été évalué pour un montant de 560 livres, les ustensiles de cuisine et la vaisselle pour 130 livres, le linge de maison pour 450 livres et les objets divers pour 530 livres. Les objets précieux et l’argent liquide se montaient à 740 livres.

Le bétail


L’inventaire comprenait aussi le bétail, faisant partie des biens meubles, évalué au total à 1160 livres. Sur la métairie du Coudray, attenante au logis, le propriétaire possédait une jument de huit ans, évaluée 100 livres, 134 livres avec son équipement. Il avait aussi deux vaches et un cochon (136 livres). Le bétail servant à l’exploitation de la métairie, à finalité de trait principalement, était possédé par moitié entre le propriétaire et le métayer. Il en était de même à la borderie du Gast (Saint-André-Goule d’Oie), où l’inventaire a aussi eu lieu. Pour la première exploitation, la part du propriétaire a été évaluée à 330 livres, et pour la deuxième à 180 livres. Enfin il a été déclaré dans l’inventaire l’évaluation de la souche de bétail revenant au propriétaire à la métairie de Villeneuve (Chauché) : 380 livres. Pour aider à faire un lien avec les valeurs d’aujourd’hui, on relève les valeurs retenues par les deux experts pour chacune des bêtes suivantes :

Un bœuf : 50 livres (3 ans) à 85 livres (7ans)
Une vache : 15 à 18 livres
Un taureau de 2 ans : 25 livres
Une torre : 12 livres (2 ans) à 15 livres (3 ans). C’est une jeune vache qui n’a pas encore porté)
Un veau : 22 livres
Une brebis : 1 livre

François Brillaud : Vieille femme et sa vache
Quelle différence dans ces cheptels de bétail entre la métairie du Coudray et la borderie du Gast ? Les brebis étaient plus nombreuses au Coudray (30 au lieu de 18), mais au Gast il y avait en plus 2 chèvres et un daim (nom vulgaire du bouc ou du chevreau). Dans les deux exploitations il y avait 3 vaches avec 3 veaux et torres. La différence résidait principalement au nombre de bœufs : 6 au Coudray, avec 2 taureaux en plus, et 2 seulement au Gast.

L’inventaire conservé dans les archives du notaire de Saint-Fulgent du 8 au 13 février 1762 (1) comprend cinquante pages. On voit qu’elles contiennent des informations intéressantes pour comprendre cette époque lointaine de seulement deux siècles et demi. Il est vrai que depuis presque deux siècles, les progrès scientifiques et techniques, ainsi que les évolutions politiques et sociales, nous ont éloignés en accéléré de cette période, nous la rendant tellement éloignée de nous.

L’inventaire comprend aussi le contenu de la petite bibliothèque de la maison. Nous avons publié un article en mars 2013 : La bibliothèque d’un bourgeois de St André Goule d’Oie en 1762. S’y ajoutent les créances, au niveau d’un fonds de roulement de trésorerie apparaissant comme normal pour ce propriétaire aisé de plusieurs métairies. Les papiers de famille sont seulement répertoriés dans l’inventaire, et leur contenu n’apparaît que dans le libellé des titres. C’est pauvre en informations, mais constitue bien sur une source intéressante de données que nous avons déjà exploitées.


(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/3, inventaire après-décès de Louis Corbier de Beauvais du 8 au 13 février 1762.
(2) iconographie et notes biographiques de Vendéens, Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 113.

Emmanuel François, tous droits réservés