dimanche 27 mai 2018

La fin du domaine et la démolition du château de Linières

Louis Prevost de la Boutetière, le dernier propriétaire de 1898 à 1912, a conforté l’existant du domaine de Linières, notamment en construisant les bâtiments de la Louisière, nouveau nom donné désormais à la métairie de Linières « droite » ou « métairie de Linières ». Puis il a changé d’avis et a tout vendu. Linières était une résidence, devenue secondaire quand il a dû la laisser pour occuper le château familial de la Boutetière à Saint-Philbert-du-Pont-Charrault en 1911, suite au départ de son frère qui l’habitait auparavant (1). Malgré sa passion connue pour les chevaux, on aurait tort de lui faire la réputation de son prédécesseur Gaston de Marcilly, et d’expliquer la démolition du château à cause d’un revers de fortune. D’ailleurs, le motif de la vente de Linières est normalement une chose différente des modalités de cette vente.

Pour celle-ci, on a alors procédé à une vente au détail des métairies, organisée par un marchand de biens de Luçon, nommé Libaud. Il s’était associé sur place à un expert de Saint-Fulgent, nommé Gilbert. Libaud n’a été qu’un mandataire, et dans l’état actuel des documents consultés, il nous parait avoir agi dans la clarté à l’égard du vendeur. Alors, pourquoi avoir démoli le château ?

Une enquête de l’abbé Boisson en 1974 nous apporte une précision intéressante. Le château lui-même, dépouillé de ses métairies qui rapportaient des fermages, fut acquis par le mandataire de M. de la Boutetière, un nommé Richard, habitant de Poitiers. C’est ce dernier qui avait choisi Libaud pour vendre les terres, et à la fin le château lui resta sur les bras. Richard l’acquit lui-même pour le vendre à la construction. M. Charles de Grandcourt songea un moment à l’acheter pour son fils, mais le bien, sans terres de rapport, était trop lourd pour sa fortune. La démolition du château fut surveillée sur place par MM. Gilbert et Fonteneau, demeurant au bourg de Saint-Fulgent (2).

Linières, mars 1974. Le bosquet d’arbres
les plus hauts 
au milieu de la photo marque
l’emplacement du château démol
i
L’explication la plus rationnelle pour expliquer le défaut d’acquéreur du château est de se référer à une situation du marché d’alors pour les châteaux du bocage vendéen, qui aurait été peu favorable à l’offre. Au point qu’il a paru un moindre mal de vendre le foncier agricole aux nombreux petits propriétaires qui se sont précipités à faire monter les enchères. Quant au château lui-même, on a continué dans la même logique en vendant au détail les pierres, les statues, les grilles, les boiseries, etc. faute d’avoir trouvé un acquéreur. Et les peintures d’Amaury-Duval n’avaient pas alors la valeur qu’elles ont aujourd’hui. Il est probable que si Linières avait été situé proche des Sables-d’Olonne ou de Nantes, le château aurait eu un acquéreur, avec ou sans les métairies.

Il n’en reste pas moins que la démolition de ce château tout neuf, construit depuis quarante années seulement, décoré de manière si raffinée par Amaury-Duval, laisse songeur. D’autant qu’en même temps que la démolition, l’idée d’un pillage a été répandue par des témoins ignorant les contrats passés par MM. Gilbert et Fonteneau, chargés de surveiller la démolition. Ces ventes ont éparpillé des éléments nombreux du château un peu partout, par exemple :
-        des pierres ont servi à la reconstruction de l’église de la Boissière-de-Montaigu, peut-être de son école privée.
-        au château de la Rabatelière, on est allé chercher des pierres à Linières pour refaire les douves.
-        Trois motifs sculptés dans la pierre de tuffeau : deux têtes plus grandes que nature, très expressives, encadrant un motif gravé aux initiales enlacées M B (Marcel de Brayer). Le tout a été récupéré par un maçon de Saint-Fulgent et scellé sur un mur de son jardin.
-        Des pierres en tuffeau d’encadrement d’ouverture, dont l’une aux initiales M B, ont été achetées par l’ancien greffier de Saint-Fulgent.
-        La boiserie de la bibliothèque et une cheminée ont été vendues à Salidieu (Bessay). La boiserie de la salle à manger a été vendue à la Vachonnière (Verrie).
-        Dans le vestibule d’entrée d’une maison sur la place de l’église dans le bourg de Saint-Fulgent, la boiserie venait de Linières.
-        La boiserie peinte du fumoir et une cheminée en marbre noir chez un particulier près de Sainte-Hermine.
-        Deux portes intérieures ont été achetées par un marchand de tissus de Mouchamps.
-        M. Grolleau du Coudray a acheté un salon ayant appartenu à M. de Marcilly.
-        À la Pouzaire de Saint-Hilaire-le-Vouhis se trouvaient deux tables et deux chaises.
-        Des cheminées sans style ont été récupérées par deux particuliers du bourg de Saint-André et de Saint-Fulgent.

Cheminée de Linières
     Un monsieur Gaby Marmin a acheté de l’argenterie, Louis de Grandcourt un fauteuil voltaire, Eugène de Grandcourt, un bureau, un verre et une carafe de cristal aux initiales M B, et aussi des persiennes installées en bas et à l’étage de sa maison.
-        La grille d’entrée de l’allée qui donnait accès sur la route de Villeneuve a été achetée, pour se retrouver chez M. Godard, dans le bourg de Saint-André.
-        Des pieds d’arbres ont été ramenés durant l’hiver 1913/1914 chez des particuliers de Saint-Fulgent. Le témoin rapporte que le château en démolition n’était pas encore totalement abattu. Il restait encore quelques pans de mur. D’autres arbres ont été replantés au logis du Coudray.
-        Au château de Saint-Fulgent, on a acheté trois potiches en granit, placées à l’entrée du parc au bord de la route nationale, et probablement aussi les éléments de la balustrade. En arrière du château, dans le parc on trouve deux potiches avec leur stèle. Dans une allée auprès de la rue Tracolette, sur une stèle en piédestal : un casque de chevalier surmontant les initiales M B.
-        Et puis on a voulu sauver un morceau de fresque (hors cadre : 240 x 238 mm). Selon Mme de Hargues il provient du vestibule dit des Quatre Saisons du château, probablement un détail de la fresque des Quatre saisons, de l’été peut-être, ou de la scène du jeu de volant (une tête de femme en profil). Mme de Hargues dit qu’il y en avait au moins deux autres petits fragments au château, mais si fragiles que les coups de plumeau et les dérangements les ont endommagés, et ils n’existent plus.
-        La marquise de Lespinay acheta les archives du château qui « étaient par terre dans un coin ».
Etc. (3).

À l’occasion de cet inventaire, dû en partie aux recherches de l’abbé Boisson vers l’année 1974, les personnes rencontrées ont fait part de leurs souvenirs sur le château. Par exemple, Mme Barbereau, née You, qui habitait dans le bourg de Saint-André, se souvenait à l’âge de 86 ans : « tous les ans nous allions au château de Linières, où M. de la Boutetière offrait l’arbre de noël aux enfants de l’école ».
Mme de la Grandière, l’une des filles de M. de la Boutetière, se souvenait des peintures « admirables ». Elle aimait surtout « le bleu de la salle de bain », et n’a pas souvenir de la « légèreté » des motifs. Mme de Hargues, châtelaine de Saint-Fulgent qui avait été amie des demoiselles de la Boutetière, était marquée elle aussi par les peintures de la salle de bains « particulièrement remarquables ». Et pourtant, que n’a-t-on pas rapporté sur leur « légèreté ». Un témoin indiquait : « Dans le château beaucoup de peintures … très légères … par exemple dans la salle de bains … ». Un autre faisait des allusions discrètes à la réputation de cette demeure où avaient eu lieu des « orgies ». Phénomène de rumeur qui part d’une réalité déformée pour se terminer en grossière invention.

Jeu des osselets, fresque 
d’Amaury-Duval 
dans la salle de billard
Reproduite à l’huile sur toile

Lorsque le château fut mis en vente, tout le monde pu le visiter, et c’est ainsi que naquit la rumeur. Il était un but de promenade pour les gens de la contrée. On y défilait en foule, c’était une véritable procession. Une dame écrivit : « l’ai vu toutes les peintures de Linières … sauf celles de la salle de bains. J’avais alors 14/15 ans. L’entrée en était alors interdite aux jeunes filles comme nous … l’intérieur de ce château était merveilleux ». On ne laissait pas rentrer les enfants à cause des peintures. Un homme précisa soixante ans après les faits : « à l’intérieur il y avait des peintures très légères, que mon père m’interdisait sévèrement d’aller voir ».

Et nous avons des souvenirs des enfants d’alors, avec leur sensibilité et leur imagination propres. C’est ainsi que le bijoutier de Saint-Fulgent exagère un peu la réalité : « j’ai entendu dire à ma mère que la terrasse de Linières était si vaste qu’une charrette attelée de 4 bœufs pouvait facilement y tourner ». Un autre, habitant la Mesnardière (Saint-Fulgent), précise : « Mais on avait peur d’y renter, les portes étaient dissimulées de telle façon qu’on ne savait où les prendre …Un jour l’instituteur nous a dit : si vous êtes sage je vous conduirai à Linières, et vous y verrez une voiture sans cheval qui roule à 25 kms à l’heure… C’est là que j’ai vu la première automobile » (3).

Le pharmacien de Saint-Fulgent au temps d’Amaury-Duval, René Morat, pu prendre quelques photos du château et des fresques : Une lecture des Fourchambault par Émile Augier, jeu de volant, jeu de colin Maillard. Elles ont été reproduites plus tard par le studio Jean Caillé, de Saint-Fulgent (4). Amaury-Duval avait tenu lui aussi à faire faire des photographies des fresques. Elles sont précieusement conservées chez de rares particuliers en dehors de la région semble-t-il. Indiquons aussi que les Archives départementales des Yvelines donnent un accès au public par internet d’une lettre de 1902 du dernier propriétaire de Linières, accompagnant quelques photos des fresques des murs du château de Linières, aussi visibles sur le site [Archives départementales des Yvelines, correspondance du musée Maurice Denis, lettre de La Boutetière Comte Louis de, du 04-07-1902] :
Et puis on a les trois desseins du château à la plume, dont 2 rehaussés d’aquarelle, de Maurice de Gouttepagnon, du vivant d’Amaury-Duval. Son petit-fils, Guy de Raignac, les a communiqués à l’abbé Boisson et sont connus maintenant. Ils sont datés du 20 septembre 1883.

Pour terminer nous reproduisons la phrase, terrible, écrite par le constructeur du château le 9 mars 1874 dans son testament, Marcel de Brayer, s’adressant à son grand-oncle célibataire âgé de 66 ans : « Je prie enfin mon oncle de choisir comme héritier celui qui lui semblera le plus digne de posséder la fortune que je lui laisse et le mettre à même de conserver intacte la terre et le château de Linières » (5).


(1) Emmanuel François, Les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie, Lulu.com (2012), page 255.
(2) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, témoignages de Mme de Hargues et de Mme veuve Fonteneau, née Gilbert, en 1794.
(3) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, témoignages divers recueillis vers 1974.
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : Z 32-4, préparatifs de l’exposition Amaury-Duval de Montrouge en 1974.   
(5) Testament de Marcel de Brayer du 9 mars 1874, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/936.

Emmanuel François, tous droits réservés
Texte de 2014 complété en septembre 2017 et créé en article indépendant en mai 2018