Nous avons publié en janvier et février 2011 le journal du jeune maire de Saint-André-Goule-d’Oie relatant sa vie dans la commune, et principalement les évènements de la guerre de 1870/1871. Un peu après, Marcel de Brayer, puisqu’il s’agit de lui, écrit un texte retrouvé comme brouillon dans ses archives personnelles, pour évoquer sa vie à Linières. Il a l’apparence d’une lettre à un ami, mais qu’importe, c’est le poète qui s’exprime. Voici ce qu’il observe de la campagne de Saint-André-Goule-d’Oie, au temps des bougies, il y cent quarante ans. En voici le texte, ou plutôt le projet de texte, un premier jet (1) :
« Nous nous sommes promis mon cher ami de nous communiquer par lettre toutes les impressions que les circonstances diverses feraient susciter dans nos deux vies…
La vie que je mène ici est vous le savez fort monotone, loin de la ville et d’une route fréquentée, notre château n’offre comme distraction que la ferme et les bois qui l’entourent. Il faut aimer la campagne pour s’y plaire, tout y est calme, tranquille, et l’on oublierait vite les hommes si les liens du cœur ne vous attachaient à quelques-uns d’entre eux. Aussi n’attends pas dans les lettres que vous recevrez de moi des impressions bien variées, celles que j’éprouve ici dans mes courses au milieu des bois, qui suivent de cette existence solitaire, sont de ces impressions que l’on sent, mais qu’on ne peut décrire.
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Eglise de Saint-André-Goule-d'Oie |
C’est un point de vue, un horizon changeant à chaque minute d’effet et de couleur, comme les flots de la mer. C’est une clairière au milieu des bois toute remplie de la vapeur légère du matin, c’est le soleil le soir avant de disparaître sur la cime des grands arbres et les toits de chaume de la ferme, c’est la cloche de l’église voisine qui sonne à cette heure de demie obscurité qui précède la nuit. Ce sont ces mille voix de la nature qui sont si douces à qui les entend, si chères à qui sait les comprendre. Vous riez habitants de la ville, et vous m’appelez poète et rimeur. C’est que vous ne comprenez rien à ce que je vous dis. Vous qui ne connaissez que la lumière des bougies d’un bal ou le pâle soleil qui enchante les villes et vos rues, chers citadins que vous êtes, que devez-vous vous moquez de nos bougies !
Mais je vous ferai grâce de toutes ces belles choses qui ne sont pas à votre hauteur, prenez ceci comme vous l’entendez…
Vous savez quel a toujours été mon goût pour la politique, non comme application, mais comme conviction. Cette science qui apprend aux hommes à se régir en société a toujours eu d’attrait pour moi.
Ici dans ma solitude je passe en rêve tous ces sujets…C’est une bien belle et bien noble tâche que cette recherche des meilleures lois par lesquelles se puissent gouverner les hommes. Mais c’est une tâche aussi qui nous montre d’une façon bien désillusionnante le peu de perfection dont nous sommes capables…Vous ne savez pas combien il est doux de rêver à toutes ces choses sous l’ombrage de mes arbres chéris, au milieu de ces campagnes charmantes que le soleil rend si fécondes, le cœur et les yeux remplis de cette harmonie de la nature, qui, celle-là du moins, ne se trouble jamais. »
On sait que le paysage du
Bocage a disparu à Saint-André-Goule-d’Oie à la fin du 20e siècle avec
le remembrement des parcelles foncières. Petites et dispersées, leur
agrandissement était nécessaire à l’utilisation plus facile et rentable du
tracteur agricole et des autres outils de travail modernes. La survie des
exploitations exigeait un abaissement des coûts de production. Du coup on
arracha les haies et le Bocage disparu, offrant à la vue un paysage dénudé tout
nouveau. Très vite, on s’aperçut qu’on était allé trop loin en oubliant les
bénéfices apportés par les haies à l’agriculture. Certes, on n’avait
plus besoin de bois de chauffage, ni d’alimenter l’artisanat en matière
première. Mais les haies filtrent et absorbent l’eau, protègent de l’érosion
des sols, et nourrissent la faune nécessaire à la terre.
Il n’est pas le lieu ici de
savoir si on aurait pu sauvegarder certaines haies. Déjà que le nouveau
découpage froissa des intérêts de propriétaires, alors comment choisir les
haies à conserver ? Certains d’entre eux replantent des arbres maintenant.
Pour accompagner les mots du poète
Marcel de Brayer, il est intéressant de ressusciter ce Bocage disparu grâce à
un Vendéen de souche, Edmond Bocquier
(1881-1948). Originaire de Chaillé-sous-les-Ormeaux, enseignant, homme de
lettres, journaliste, érudit, voici des extraits d’un de ses écrits en 1901.
« La campagne est un système palpable, animée, vivante, où l’âme se plaît à
admirer, à se reposer, à vivre. Je veux parler de la campagne boisée,
accidentée, sillonnée de rivières encaissées et pittoresques, d’une terre
sauvage comme le Bocage …
Des haies, des champs, des collines de chez nous, il se dégage comme une
essence légère, ce charme intime qui agit tant sur l’âme, cette poésie, qui le
pénètre et captive …
Mais ici, l’artiste ce n’est plus l’homme,
mais le Bocage lui-même, le sauvage et mélancolique poète aux milles voix, qui parle
par ses vallées ombreuses, ses chemins encaissés, ses chênes aux plaintes susurrantes,
par ses habitants même et leurs travaux.
…. Mais cette mélancolie semble s’allier à
quelque chose de fantastique et d’un peu sombre … L’esprit populaire, essentiellement
inventif et lyrique, l’esprit du « bocain » surtout, un peu froid et
naïf, ne pouvait mieux placer ses légendes bizarres, ses contes, ses farouches
histoires de sortilèges, d’évocations, de revenants, que dans ce Bocage mystérieux
et sauvage, au cadre rude et sévère. … Nos arbres aussi ont leur poésie, et j’ose
le dire, j’en ai presque le culte, amoureux que je suis des vieux noms, des
vieilles choses, de tout ce qui a vécu et souffert, de tout ce qui a un nom et
une place dans le passé …
Mais ce qui charme le plus dans notre Bocage, ce sont les grands coteaux et les landes recouverte de genêts aux cimes ondoyantes et aux fleurs jaunes … Jadis nos aïeux, les Pictons, et les fiers gaulois du pays d’Herbauges, chantaient les louanges des vieux chênes … Les fiers Celtes, les druides austères, les Immobiles sacrés, ne sont plus : mais le Bocage aura encore, parmi les humbles, des bardes naïfs et inspirés pour chanter ses beautés et les travaux et ses robustes enfants… » (2).
(1) Lettre à un ami de M. de Brayer, Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 36.
(2) Edmond Bocquier, Le Petit Poitevin, 26-9-1901, p 19.
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