L’église actuelle de Saint-André-Goule-d’Oie a été bénite en 1877 après trois années de construction. Plus
grande que l’ancien édifice qu’elle a remplacé, celui-ci était situé lui aussi
au centre du bourg et comportait un ballet, sorte de préau devant le portail
d’entrée, où se tenaient autrefois les réunions des paroissiens. Le presbytère,
qui lui était adossé, a lui aussi disparu après l’ancienne église. Dans celle-ci
une chapelle, dédiée à saint Pierre, avait été construite vers la fin du 17e
siècle. Les archives de la famille Moreau (1) nous apprennent son existence,
parfois difficile, nous replongeant dans les mœurs oubliées de l’Ancien Régime.
Le curé de Saint-André fonde une chapelle dans l’église paroissiale
La famille des Moreau a été « l’une des plus anciennes et plus
considérables de la paroisse de St André de Gouldois » au cours du 17e
siècle. Ses membres y possédaient de nombreux biens et ont aidé au gros entretien
ou reconstruction de l’église paroissiale. C'est probablement à ce titre qu'ils avaient acquis le
droit de s’y faire enterrer. De 1639 à 1665, le prieur-curé n’était autre que
Pierre Moreau, frère de Jacques, sieur du Coudray et fermier ou procureur fiscal de Linières, et de
René, sieur de Villeneuve. C’est ce prêtre qui eut l’idée de fonder une
chapelle dédiée à saint Pierre dans son église paroissiale.
Cette chapelle devint un bénéfice
suivant le vœu de son neveu, bachelier en théologie, Jean Moreau, prieur-curé
de la Couture (près de Mareuil), dans son testament en 1685 : « et ajoutant à la fondation faite par feu
maître Pierre Moreau mon oncle vivant prêtre curé de St André Goulldois, je
veux et entends qu’il soit dit et célébré deux messes … à mon intention en la
chapelle par lui fondée en l’église du dit lieu » (2).
Le titre de fondation de la
chapelle est un acte notarié du 3 décembre 1685 (3), signé par les héritiers de
Jean Moreau : ses frères Pierre, sieur du Coudray et l’ainé, Louis, sieur
de la Maigrière, et René de Vaugiraud, mari de sa sœur Renée décédée, pour le
compte de leurs enfants héritiers de leur oncle. Les héritiers de Jean Moreau créent
un fonds de deux messes par semaine, alimenté par les paiements d’une rente
foncière due par le comte de Bessay. Elles devront être dites « en l’église de St André à la chapelle qui
doit être bâtie ». Pour réaliser sa construction dans la nef, l’acte
prévoit de prélever trois mille livres sur les paiements déjà dus des rentes. Le mot chapelle avait deux sens, l’un d’édifice physique,
l’autre de fondation de messes (4). La chapelle des Moreau avait ces deux sens
à la fois.
La Maigrière |
Ce fonds de deux messes par
semaine devait être dévolu à un clerc, chargé d’assurer l’entretien de la
chapelle et de dire, ou faire dire, les messes. Il constituait un bénéfice
ecclésiastique comme on disait alors. Cette dévolution se faisait en deux
temps : la présentation, puis la collation.
La présentation était un droit
réservé au(x) créateur(s) du fonds et à ses héritiers. Il consistait à choisir
et à présenter le titulaire du bénéfice. La collation consistait à nommer le
titulaire, ici par l’évêque de Luçon. Le titre de fondation de 1685 règle ainsi
les modalités du droit de présentation : le titulaire est nécessairement un
héritier masculin, choisi par priorité d’ordre de naissance, du frère aîné
Pierre Moreau, sieur du Coudray. En cas d’insuffisance de garçons, le droit passe
dans la branche cadette des garçons de Louis Moreau, sieur de la Maigrière. Et
en cas d’insuffisance à nouveau, le droit passe aux garçons descendants de René
de Vaugiraud et Renée Moreau.
Les titulaires de la chapelle des Moreau
Le premier titulaire de la
chapelle, présenté par Christophe Moreau, fils aîné de Pierre Moreau, a reçu son visa de collation de l’évêque de
Luçon le 27 novembre 1687. Il s’appelait Jean Pringault, alors vicaire à la
Couture, et choisi probablement selon le vœu de l’ancien prieur des lieux, Jean
Moreau. De plus, il avait été vicaire à Saint-André-Goule-d’Oie de 1679 à 1684
(5). Il sera nommé ensuite à Sainte-Cécile puis Avrillé, et il fera dire les messes
par quelqu’un d’autre que lui dans l’église de Saint-André. Mais c’est lui qui
recevait la pension attachée à ce bénéfice et en gardait le revenu net. On le voit,
cette présentation permettait au fondateur et présentateur de la chapelle
d’apporter des moyens financiers au clerc de son choix.
Séminaire de Luçon |
Le clerc choisi n’était pas
nécessairement prêtre. On a ainsi comme titulaire de la chapelle des Moreau, collationné
en décembre 1719, Pierre René Gabriel de Vaugiraud, écuyer, clerc tonsuré du
diocèse de Luçon, étudiant au séminaire (6). La
tonsure, donnée par l’évêque, était une entrée dans les ordres ecclésiastiques,
sans les engagements du sacerdoce, notamment le célibat. On aidait ainsi par
cette attribution un séminariste de la famille à faire ses études à Luçon. Surtout
que depuis le concile de Trente qui l’avait réformée, l’Église catholique ne
voulait plus que les ecclésiastiques soient obligés de travailler. Le concile
ordonnait de n’élever aucun clerc au sacerdoce « s’il n’était juridiquement prouvé auparavant qu’il possédait
paisiblement un bénéfice suffisant pour l’entretenir honnêtement ». C’était
l’institution du titre clérical créé par l’ordonnance royale d’Orléans en 1561,
la fixant alors à 50 livres de rente par an (7).
Pierre
René Gabriel de Vaugiraud quittera le séminaire et se mariera en 1732 avec
Madeleine Chitton, fille du seigneur de Languiller (Chauché). Il avait été
présenté à la collation de la chapelle par son cousin, Claude Moreau, fils de
Pierre et sieur du Coudray lui aussi, devenu l’aîné des garçons après le décès
de son frère Christophe.
Le
bénéfice était devenu vacant par le décès, le 26 octobre 1719, de Pierre
Lemaçon, « prieur-curé dudit
Saint André Degoulledois, dernier titulaire et paisible possesseur »
de la chapelle (8). Pierre René Gabriel de Vaugiraud a été présenté et
collationné à sa place et tout aussitôt il a constitué, le 3 décembre 1719, Jacques
Benoist, curé de Saint-Fulgent depuis 1713 (9), comme son procureur pour la
gestion du bénéfice. Pourquoi n’a-t-il pas choisit le nouveau curé de Saint-André-Goule-d’Oie, Nicolas Reaud, titulaire du prieuré depuis le 21 octobre
1719 ? Nous ne le savons pas, mais on ne peut pas s’empêcher de se poser
la question. Les parents du curé de Saint-Fulgent, habitant au lieu noble de la
Valinière situé dans cette paroisse, avaient été autrefois les fermiers du père de Pierre
René Gabriel de Vaugiraud, pour les domaines de la famille situés à Saint-André-Goule-d’Oie. Peut-être ces liens anciens dans la famille ont compté (10).
Des héritiers divisés au Coudray sur le droit de présentation
Le droit de présentation à la
chapelle des Moreau a alimenté les querelles existant entre les deux branches
de la famille Moreau. La branche aînée, représentée par Pierre Moreau et ensuite
ses fils Christophe et Claude Moreau, s’est vu contester ce droit de
présentation par un descendant d’une branche cadette, les Moreau, sieurs de
Villeneuve. Un membre de celle-ci, Marie Moreau, s’était mariée avec Artus
Corbier, sieur de Beauvais. Ce dernier prétendait exercer aussi le droit de
présentation à la chapelle. Il est vrai qu’il fréquentait l’église paroissiale
et habitait au Coudray, alors que Claude Moreau, avocat au parlement, habitait
Angers puis Paris. On saisit l’évêque de Luçon qui trancha en faveur de la
branche aînée.
Les arguments présentés à l’évêque sont intéressants à connaître. Dans son mémoire à monseigneur Henri de Barillon, Claude Moreau commence par indiquer que le seul fait de ne pas porter le nom des Moreau, enlève toute légitimité au sieur Corbier d’exercer ce droit, tel qu’il avait été prévu dans le titre fondateur de 1685. « Il dit qu’il est marié avec Marie Moreau, c’est ce qui n’est que trop vrai pour le repos de la famille. Mais ladite Moreau sa femme n’étant qu’une cadette, fille d’un cadet de cadet de ladite famille », précise Claude Moreau, qui se présente comme « le seul chef du nom et armes de la famille » (3).
Les arguments présentés à l’évêque sont intéressants à connaître. Dans son mémoire à monseigneur Henri de Barillon, Claude Moreau commence par indiquer que le seul fait de ne pas porter le nom des Moreau, enlève toute légitimité au sieur Corbier d’exercer ce droit, tel qu’il avait été prévu dans le titre fondateur de 1685. « Il dit qu’il est marié avec Marie Moreau, c’est ce qui n’est que trop vrai pour le repos de la famille. Mais ladite Moreau sa femme n’étant qu’une cadette, fille d’un cadet de cadet de ladite famille », précise Claude Moreau, qui se présente comme « le seul chef du nom et armes de la famille » (3).
Claude
Moreau, tout imprégné de ses cours de droit à Poitiers, indique dans son
mémoire à l’évêque de Luçon : « C’est une loi aussi vieille que le monde, religieusement observée par
toutes les familles, de laisser aux aînés de chacune toutes les prérogatives
d’honneur que chaque maison possède comme dans leurs sources …, il n’y a que
l’étranger, comme est le sieur Corbier, qui cherche au contraire à la détruire
et à se parer de ses dépouilles, il ne le pourra faire, le droit commun s’y oppose,
et le droit naturel plus fortement encore. Il est un étranger, et un étranger
présenté et proposé par une cadette, le droit naturel le rejette comme
indigène. » Malheur aux « rapportés » !
Dans les phrases que nous venons de
citer, Claude Moreau n’indique pas s’il faut faire une différence entre les
nobles et les roturiers. Au contraire, il s’appuie sur le droit naturel et
universel des familles, qui transcende naturellement les catégories sociales. La notion de droit naturel, intrinsèque à la nature et à toute l’humanité,
était supérieure au droit positif construit par les hommes. Étant roturier lui-même, il avait intérêt à cette présentation. Et il prend à
son compte ce qui était un droit reconnu chez les nobles : les
prérogatives d’honneur qui, comme le droit de présentation, étaient exercées
par les aînés chefs de famille. On sent l’envie de noblesse dans
ses propos, évoquant « les armes de
la famille ». Pour un riche bourgeois c’était tout naturel, mais il
fallait de l’astuce, de la fortune et de la persévérance pour accéder à la
classe des nobles. À la même époque, le nouveau propriétaire de Linières, Louis
Cicoteau, venait d’y parvenir.
Le bénéfice de la chapelle
Dans l’acte de fondation du 3
décembre 1685, le bénéfice de la chapelle fut fixé à 75 livres par an, dues à
son titulaire (11). Il se présentait sous forme d’une rente fixe, dont les
débiteurs en 1712 étaient, pour la moitié chacun, le seigneur de Vaugiraud de
Logerie (Bazoges-en-Paillers) et le comte de Bessay, « à condition qu’elle demeurera affectée au
paiement de pareille somme de soixante-quinze livres pour l’acquittement du
service de la chapelle fondée par les auteurs des dits sieur et demoiselle
Moreau en l’église de Saint-André » (12).
François de Bessay et sa femme
avaient emprunté 3 000 livres en 1683 à Jean Moreau, prieur de la Couture, à
l’origine de la fondation du bénéfice, moyennant le versement d’une rente
perpétuelle de 150 livres par an (13). Son héritier, Bernard de Bessay, était
tenu de continuer le versement de la rente, et celle-ci avait été affectée par
les héritiers de Jean Moreau au bénéfice de la chapelle Saint Pierre pour la
moitié de sa valeur, c'est-à-dire 75 livres. Les de Bessay, famille noble et ancienne du Bas-Poitou provenant d’une branche
des Lusignan vers 1200, possédaient la terre qui lui a donné son nom près de
Mareuil et de la Couture.
Tour de l'ancien château de Bessay construite en 1577 |
C’est normalement Pierre de Vaugiraud qui reprit, à la mort
de Claude Moreau en 1729, le droit de présentation à la chapelle. Ce dernier était
mort sans descendance, n’ayant plus de frère et sœur vivants, et la branche de
Louis Moreau, sieur de la Maigrière s’était éteinte aussi.
Le fils de Pierre de Vaugiraud, Pierre René Gabriel, ayant
quitté les ordres ecclésiastiques a dû être remplacé dans ce bénéfice. Nous ne
disposons malheureusement d’aucune information sur ce point. Et c’est lui qui
succéda à son père en 1731 comme aîné de la famille et hérita du droit de
présentation à la chapelle.
Et les impôts du roi ?
Quoique modeste, le bénéfice de
la chapelle des Moreau n’échappait pas aux impôts ecclésiastiques. En 1727,
« monsieur le titulaire de la
chapelle des Moreau à Gouldoye » reçut un avis à payer un montant de 4
livres, 15 sols et 3 deniers, soit le total de neuf petites sommes dues entre
1711 et 1728 (14).
On sait que le clergé ne payait
pas d’impôt officiellement, mais Louis XIV et Louis XV, continuant les initiatives des derniers Valois
au temps des guerres de religion, ont su le faire participer au
financement de leurs guerres. Exonéré de l’impôt de capitation créé en 1695, le
clergé devait payer en compensation des prélèvements sur les biens d’Église appelés
« dons gratuits » ! Le
langage politique n’a pas attendu des époques plus récentes pour se faire manipulateur.
Et s’il existe une graduation en ce domaine, le « roi soleil » se
place, évidemment, en haut de l’échelle. En 1730 le titulaire de la chapelle
des Moreau « est imposé par les
rôles arrêtés en la chambre ecclésiastique et bureau des décimes de ce diocèse
de Luçon pour les quatre millions de don gratuit accordé au roi dans
l’assemblée générale du clergé de France, tenue à Paris l’année 1730, en
conséquence du département, arrêtée en ladite assemblée, à la somme d'une
livre payable par chacun des termes … » (15). Le décime fut justifié par le
financement des croisades à l’origine, puis par toutes guerres approuvées par
le pape ensuite. Il était de 1/10 des fruits des bénéfices portant sur les
biens ecclésiastiques. Il se transforma en contribution de l’Église aux charges
du monde laïc. Le clergé, dans des assemblées régulières, décidaient du versement d’une partie des revenus des temporels ecclésiastiques,
qu’il prélevait lui-même avec sa propre administration fiscale des décimes.
Cette imposition n’allait pas de
soi pour le chapelain qui s’est montré réticent, au point d’obliger en 1734 et 1736
le « receveur des décimes et autres
impositions ecclésiastiques du clergé et diocèse de Luçon », Pierre
Coutouly, de faire signifier par voie d’huissier à Pierre Mandin, sacristain de
Saint-André, et à Jacques Mandin, aubergiste, une injonction à payer (16). Une
affiche fut même placardée « en la
grande porte de l’église paroissiale du dit St André de Gouledoye »
(17).
Source : Archives Départementales de la Vendée |
Le chapelain finit par payer et reçu une quittance le 16
août 1738, ainsi que « main levée de
toutes saisies » (18).
Pour terminer il faut indiquer que l’histoire de ce
bénéfice de la chapelle des Moreau à Saint-André-Goule-d’Oie, telle qu’elle nous
la découvrons dans les documents d’archives, n’est pas représentative des
bénéfices ecclésiastiques dans le royaume de France à la même époque. Ceux-ci
ont constitués parfois des revenus très importants. De plus, la présentation
des titulaires des bénéfices a subi les influences d’intérêts de tous ordres, sortant
parfois de toute considération
religieuse.
(1) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille
Moreau : 22 J 29.
(2) 22 J 29, testament de Jean
Moreau, prieur de la Couture, le 20-11-1685.
(3) 22 J 29, mémoire de Claude Prosper
Moreau à l’évêque de Luçon pour le banc de l’église et la présentation de la
chapelle, sans date.
(4) Philippe Ariès, L’homme
devant la mort, Seuil, 1977, page 179.
(5) Archives de Vendée,
Dictionnaire des Vendéens, Jean Pringault.
(6) 22 J 29, pouvoir pour
desservir la chapelle des Moreau de P. R. G. de Vaugiraud à J. Benoist, le
3-12-1719.
(7)
Françoise Hildesheimer, Rendez à César,
l’Église et le pouvoir, Flammarion, 2017, page 131.
(8) Archives de Vendée, registre
paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie, enterrement de Pierre Lemaçon le 26-10-1719
(vue 45/253).
(9) Archives de Vendée,
Dictionnaire des Vendéens, Jacques Benoist de
la Caillaudière.
(10) Archives de Vendée, chartrier
de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 31, ferme des biens de
Vaugiraud à Saint-André à Benoist le 7-8-1692.
(11) 22 J 29, sentence d’ordre du
9-9-1727 des syndics des créanciers de Moreau et Menard (copie du 9-3-1754).
(12) 22 J 29, transaction pour le
partage des successions Moreau et Hullin le 10-3-1712, copie à la requête de P.
de Vaugiraud du 28-7-1727.
(13) 22 J 29, exploit du
21-9-1729 de Proust au comte de Bessay pour être condamné à payer la rente de
75 livres.
(14) 22 J 29, impositions
exceptionnelles du clergé sur la chapelle des Moreau en 1727.
(15) 22 J 29, imposition
exceptionnelle du clergé sur la chapelle des Moreau en 1730.
(16) 22 J 29, injonctions à payer
pour la chapelle des Moreau du 3-7-1734 et du 28-6-1736.
(17) 22 J 29, saisie des revenus
de la chapelle des Moreau du 28-6-1736.
(18) 22 J 29, quittance des dettes
de la chapelle des Moreau du 16-8-1736.
Emmanuel François, tous droits réservés