L ’essor de la 2e moitié du 19e
siècle
Archives départementales de Vendée |
Le percepteur de Saint-Fulgent, qui gérait la comptabilité de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie au 19e siècle et y recouvrait les impôts, fournit dans les archives de la préfecture de la Vendée concernant la commune, des attestations sur le montant des quatre contributions directes. Celles-ci, créées par la Révolution, pesaient sur les biens plutôt que sur les personnes et alimentaient le budget de l’État, alors que l’impôt sur le revenu n’existait pas. Les révolutionnaires ont voulu faire oublier par-là l’ancienne taille royale, et les nombreux possédants parmi-eux éviter de déclarer leurs revenus personnels. Les « quatre vieilles », suivant le vocable d’autrefois, étaient :
-
La contribution foncière portant
sur tous les terrains, distinguée à partir de
1881 entre non-bâtis et bâtis. Elle fut transférée aux
communes et départements, entièrement en 1948.
-
La contribution personnelle et
mobilière portant sur tous les revenus qui ne sont pas tirés du commerce ou de
la terre, transférée en 1917 aux
communes et départements. Plus tard elle fut calculée sur les valeurs locatives
des logements et devint la taxe d’habitation. Elle a commencé de disparapitre
depuis 2018.
-
La contribution de la patente, qui
taxait les professions selon des signes extérieurs, transférée en 1917 aux communes et départements. Elle fut transformée en taxe
professionnelle en 1975.
- La contribution sur les portes et
fenêtres, supprimée en 1926.
Rappelons que l’impôt sur les revenus est une création
postérieure (1914) et que s’ajoutaient des taxes diverses, qui allèrent en augmentant
pour répondre aux besoins croissants de l’État. À l’époque la TVA n’existait
pas. À Saint-André-Goule-d’Oie les
quatre contributions ont évolué de la manière suivante (1) :
|
1862 |
1874 |
1880 |
1886 |
Foncière |
3154 |
3200 |
3231 |
3246 |
Personnelle mobilière |
780 |
893 |
996 |
1046 |
Portes et fenêtres |
331 |
404 |
458 |
487 |
Patente |
329 |
482 |
478 |
451 |
Total |
4594 |
4979 |
5164 |
5230 |
Augmentations |
|
8,3 % |
3,8 % |
1,3 % |
On voit qu’en 15 années, de 1862 à 1886, les impôts
ont augmenté de 13,8 %, près de 1 % par an. L’INSEE n’existait pas à l’époque,
mais on sait que la période est marquée par la stabilité des prix et
l’enrichissement des habitants du Bocage vendéen. La taxe foncière représentait
la part la plus importante : 68 % du total en 1862, ramenée à 62 % en
1886. Elle n’a augmenté que de 3 % en effet, alors que les autres contributions
ont augmenté de 34 % pour la mobilière à 47 % pour les portes et fenêtres. Ces
augmentations traduisent l’augmentation de la population par les naissances, de
1443 à 1690 habitants, soit une hausse de 17 %, et aussi une élévation du
pouvoir d’achat des propriétaires fonciers, des agriculteurs et des artisans. On
n’a pas de données sur les ouvriers, travaillant de manière dispersée alors
surtout dans l’agriculture et un peu chez les artisans. L’industrie
métallurgique avait révolutionné les techniques agricoles à partir du milieu du
siècle. Les nouveaux fours ont produit la chaux nécessaire aux terres acides du
bocage à un prix devenu abordable. Elle fut l’engrais du miracle économique
dans la région, suivi rapidement d’engrais plus élaborés. Les outils métalliques
de travail de la terre ont permis de mieux labourer et enfouir les "mauvaises" herbes et de mécaniser des tâches. La suppression des jachères longues dans
l’assolement des terres, qui en a été la conséquence, a pu augmenter d’un tiers
environ à elle seule les rendements des exploitations. Elle a favorisé aussi la culture
des prairies artificielles et augmenter en conséquence la part de l’élevage
dans les exploitations. Bref, on s’est enrichi, et plus qu’on le voit dans l’augmentation
ci-dessus des quatre contributions directes. Sur les exploitations agricoles
modernisées, voir l’article publié sur ce site en juillet 2014 : La fortune foncière des châtelains de Linières au 19e siècle.
Dans les 8 métairies du domaine de Linières en 1897, les prés, pâtures
et guérets occupaient 20 % des surfaces, et les plantes fourragères destinées à
l’élevage occupaient 40 %. Les champs emblavés en céréales représentaient
30 % du total, dont 60 % en froment, 37 % en avoine et 3 % en seigle (2).
Jean Droillard : Intérieur vendéen (coll. part.) |
Cet enrichissement général dans la 2e moitié du 19e siècle se traduit dans les frais de fonctionnement de la commune. Les frais administratifs et d’entretien passent de 287 F par an en 1861 à 686 F en 1886. Les salaires annuels du secrétaire de mairie et du garde champêtre montent de 120 F à 340 F dans la même période. Les dépenses d’entretien des nouveaux chemins vicinaux récemment construits augmentent de 2 547 F par an à 2 777 F par an. Surtout les dépenses totales annuelles pour les écoles augmentent de 990 F à 5 075 F, à cause du nombre d’instituteurs (trices) rétribués par la commune. Mais la subvention reçue de l’État pour faire face à cette dépense passe dans le même temps de 727 F à 4 528 F (3).
Les recettes de la commune consistaient d’abord en centimes additionnels aux quatre contributions, soit 1/100 de leurs valeurs, multiplié par le nombre de centimes. Ainsi en 1886 le centime de la commune valait 51,75 F, et la loi prévoyait pour Saint-André le prélèvement automatique de 4 centimes additionnels ordinaires, représentant 210 F. Elle prévoyait aussi 11 centimes additionnels spéciaux au titre des dépenses de garde-champêtre, de l’entretien des chemins vicinaux et routes et des écoles, représentant 570 F. Pour rembourser des emprunts nécessaires au financement de la construction des routes il y avait aussi 7,5 centimes additionnels extraordinaires pour un montant de 388 F. Comme autre recette on avait la taxe sur les chiens qui rapportait 120 F. Des attributions sur des taxes et des impôts perçus par l’État complétaient les ressources de la commune à hauteur de 149 F. Les rentes d’État et autres placements de la commune rapportèrent cette année-là 247 F. Enfin il y avait la prestation pour l’entretien des chemins vicinaux qui se montait à 2 517 F. Chaque contribuable devait 3 journées de travail à la commune pour cet entretien, et on pouvait se soustraire à cette prestation en nature en payant son équivalent. Puis la partie en nature fut remplacée par la seule contribution financière. La subvention d’État pour les écoles, d’un montant de 4 528 F, représentait à elle seule 52 % du budget (3).
La construction des routes, surtout à partir des années 1860
à Saint-André, a été la grande affaire de la commune. On empierra les chemins
séculaires pour faciliter la circulation, notamment des engrais venus de
l’extérieur, et du bétail vers les foires plus lointaines. Les investissements
nécessaires, aidés dans une grande proportion par l’État et le département, ont
été financés par des emprunts. Pour les rembourser le conseil municipal vota
des impositions de centimes additionnels extraordinaires aux quatre
contributions directes.
L’autre grande affaire a été la construction en 1874 d’une
école des garçons de deux classes, et d’un bâtiment servant de logement à
l’instituteur et de mairie, aussi aidée par l’État, puis son agrandissement d’une
classe supplémentaire en 1882. Il faut ajouter la construction de l’école des
filles en 1848 et de l’église en 1875, sous la conduite et le financement de la
fabrique de la paroisse. L’argent venait des mêmes personnes, cette fois-ci sur
un registre bénévole et avec une aide de l’État assez mince.
Toutes ces initiatives ont permis de tirer profit de la révolution technique dans l’agriculture, qui en avait donné les moyens financiers. L’apogée de cette époque de prospérité peut être située par le chiffre du nombre d’habitants en 1891 : 1735. Il ne fera que baisser ensuite à cause d’une main d’œuvre en surnombre qui émigra vers des régions du sud de la France, conséquence de la hausse de la productivité dans une économie presque uniquement centrée sur l’agriculture.
Les débuts du 20e siècle à l’ère du progrès
Avec une valeur de 53 F l’unité, la commune de Saint-André prélevait 55 centimes en 1909. Les centimes additionnels ordinaires et spéciaux étaient au nombre de 36,2, dont 19 pour insuffisance de revenu. En revanche le nombre de centimes additionnels extraordinaires pour remboursement d’emprunts était de 18,8 (4).
Ce début du siècle a connu des évènements importants dans la vie de Saint-André-Goule-d’Oie : la séparation de l’Église et de l’État et l’expansion des écoles libres. Ce sont des sujets que nous avons abordés dans deux articles déjà publiés sur ce site. Le premier en mai 2019 : L’inventaire des biens d’Église en 1906 à Saint-André-Goule-d’Oie. Le deuxième en juin 2019 : Les écoles libres de Saint-André-Goule-d’Oie. Présentement nous restons sur une vision principalement économique de la vie de la commune. Après la révolution technique agricole du milieu du milieu du 19e siècle en Vendée, les progrès techniques du 20e siècle ont concerné le département comme partout ailleurs. Ainsi en consultant les archives de la préfecture pour la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, les arrêtés du maire et les délibérations du conseil municipal, quelques dates retiennent l’attention.
En 1905 la commune de Saint-André profite de la création d’un réseau téléphonique cantonal à l’initiative du département, établissant une ligne reliant les Essarts à Saint-Fulgent. Mais, « très économe de ses deniers », le conseil municipal veut faire « le moins de sacrifices possibles » pour son usage (5). L’enthousiasme n’est pas au rendez-vous apparemment. Un service téléphonique a donc été mis en place pour la commune entière par demi-journée seulement. Il était assuré par Jean Chatry, préposé au téléphone dans l’administration des PTT (Postes, Télégraphes et Téléphones). En 1929 il demanda une augmentation de 600 F pour doubler son salaire. Son traitement fut fixé par la commune à 1000 F au lieu de 600 F. On était en période d’inflation des prix et le pouvoir d’achat des salariés était devenu un problème après la première guerre mondiale. En 1936 son salaire était toujours de 1 000 F. Cette année-là la direction des PTT augmenta son tarif pour le port des dépêches et messages téléphoniques en dehors du bourg. Pour que ce service reste assuré gratuitement dans toute la commune, le conseil décida d’augmenter à compter du 1e août 1836 de 200 F le salaire de Jean Chatry. L’administration des PTT avait proposé au mois de février précédent de prolonger le service téléphonique de 12 h à 14 h. Le conseil municipal refusa le 23 février 1936 de le faire. En 1938 il vota un crédit de 85 F pour l’ajustement du traitement du préposé au téléphone (6).
Nous n’avons pas de données locales pour apprécier la politique salariale pratiquée dans ce cas. Mais il nous parait intéressant de s’attarder sur l’attitude du conseil municipal au moment de se lancer dans le service téléphonique en 1905. Non pas tant sur son manque d’audace dans un domaine dont nous connaissons l’avenir qu’il a eu depuis. C’est le sens de l’économie animant les conseillers municipaux qu’il faut relever. Ils ne jetaient pas l’argent par les fenêtres comme on le voit, et c’est plutôt une vertu au premier abord. Évidemment sur ce point la vertu et le vice se côtoient séparés par une certaine subjectivité. Ce qu’il importe de noter ici c’est la propension à l’économie dans la dépense chez les habitants du Bocage. Ils ont vécu si longtemps dans une économie de subsistance qu’on peut aisément les comprendre et éviter d’en sourire par simple ignorance. Ce détail ne peut pas être oublié quand on verra à la fin du 20e siècle des artisans devenir industriels avec leurs patrimoines, et avec des salariés issus des mêmes territoires.
En 1907 le maire décide que les couvertures des toits en paille sont interdites dans les constructions neuve, ainsi que l’utilisation du plomb dans les canalisations, et les sols en terre battue dans les maisons d’habitation (7). On a relevé des tuiles sur quelques toitures dans les villages dès le 17e siècle, et probablement y en avait-il avant. Mais dans les années 1870 des toitures en chaume font encore partie des paysages décrits autour de Linières par son propriétaire et poète, Marcel de Brayer. La décision de 1907 sur ce point indique une volonté, mais aussi que les habitants avaient désormais la capacité financière de l’exécuter.
En 1920 le département a voté 60 000 F pour l’érection
des monuments aux morts en Vendée. La commune demanda de s'associer à
l’opération moyennant une participation de 1 300 F auxquels s’ajoutèrent
2 250 F de souscription par des particuliers (8). En 1938 il est décidé de
remettre à neuf le monument aux morts de la guerre
1914-1918 : 300 F « pour redorer les noms des morts et peindre
l’entourage comme il convient » (9).
En 1923 la société centrale de distribution d’énergie
électrique dont le siège était à Paris, proposa l’électrification de la commune
de Saint-André. Le conseil municipal donna son accord de principe aussitôt (10).
On voit ensuite qu’en 1930 la commission administrative du bureau de
bienfaisance de la commune décide l’installation de l’électricité chez M.
Brochard, ferblantier, locataire dans le bourg du bureau de bienfaisance, à la
condition que le loyer annuel soit augmenté de 50 F (11). Le « Syndicat
intercommunal d’électrification de la région de Montaigu » fut créé en février
1937. En faisait partie Saint-André-Goule-d’Oie. Le conseil municipal vota en
1938 une somme de 100 F pour payer les honoraires de M. Jeanot qui avait
préparé le dossier de demande de participation de la commune au fonds d’amortissement des dépenses d’électrification (11). Cette
décision en 1938 révèle aussi, après celle concernant le téléphone, l’entrée
des habitants dans la coopération avec d’autres. À l’époque ce fut l’affaire
des élus, mais plus tard tout le monde s’y mit sous diverses appellations
(syndicat, coopérative, mutuelle, etc.), et dans bien des domaines. On sait
l’influence de l’Église catholique sur ce phénomène en Vendée, emmenée notamment
par l’abbé Constant Charpentier (1872-1957), fils d’Alexis
Charpentier et Jeanne Guilmineau
du Clouin. Il fut secrétaire des Œuvres Diocésaines
en 1908, et directeur du secrétariat social de la Vendée en 1922. La modernité
et l’importance de son action apostolique en font un des acteurs qui a compté
dans le développement de la Vendée au cours du 20e siècle (12).
La construction des routes n’était pas terminée dans la 1e
moitié du 20e siècle. On a l’exemple de la construction d’un chemin reliant Fondion à la
route de la Brossière à Saint-André. La commune vota 10 000 F de crédit en
1923 pour financer la dépense estimée approximativement à 20 000 F, les
propriétaires concernés devant combler le déficit (13). Il fallut aussi
poursuivre la construction du chemin du Pin. Pour cela la commune emprunta
15 000 F en 1934, remboursable en 15 ans au taux de 4 %. Le financement
sera assuré au moyen des ressources ordinaires de la commune, plus une
imposition extraordinaire de 23 centimes additionnels au principal des
contributions directes pendant 15 ans à partir de 1935. Mais ces centimes ne
seront mis en recouvrement qu’en cas d’insuffisance des ressources ordinaires,
dit la décision du conseil (14).
Citroën AC4 ou torpédo en 1930 |
Sans doute certaines voitures automobiles traversaient le
bourg de Saint-André à « vive » allure à cette époque. Peut-être déplora-t-on
un accident. La Citroën C4 par exemple pouvait atteindre 90 km/h maximum. On
imagine de plus le choc provoqué par l’irruption de cette innovation dans le
silence des campagnes régnant depuis les débuts de l’humanité.
La pose et fourniture en 1931 d’une horloge dans le clocher
de l’église est décidée pour le prix de 9 850 F. Le fournisseur est Lussault
fabricant d’horloges publiques à Tiffauges (15).
Et après ?
Notre démarche commence par les documents d’archives,
continuent par les accès internet, et nos récits en proviennent. En
s’approchant plus près de nous, les règles d’accès à certains documents
restreignent à juste titre la connaissance des données personnelles qu’elles
peuvent contenir. De plus, s’approcher de notre propre vie comporte le risque
accru de garder avec soi les « lunettes » dont notre cerveau se sert
d’habitude. La maladie de l’anachronisme guette alors encore plus l’observateur
du passé proche. Pourtant ce regard est très intéressant. Il nous touche et
fournit l’occasion d’approfondir notre expérience. Mais par goût, je préfère l’aventure
des voyages dans l’Histoire lointaine. Le passé proche abonde pourtant en
données, et leur étude est à cet égard une lourde tâche. En revanche elle
réclame elle aussi, au-delà de cette abondance, des témoignages humains
personnels. Beaucoup d’anciens qui meurent emportent avec eux une part de
matière historique. L’urgence serait d’abord de la recueillir.
Une remarque pour Saint-André-Goule-d’Oie : 1968 constitue
un point bas dans son histoire, 1087 habitants. L’exode rural a dépeuplé la
commune pendant presque un siècle jusqu'au niveau atteint jadis en 1826, après
les exterminations de la guerre de Vendée. En 2018 elle compte 1844 habitants
avec un nombre infime d’étrangers, dépassant le pic de la fin du 19e
siècle et résultant d’un besoin accru de main-d’œuvre. À son activité agricole
elle a ajouté, avec son environnement, l’industrie et les services. Sans
ressources naturelles, à l’écart des grands axes de communication et de
l’implantation de grandes entreprises publiques, ses habitants ont participé de
leur propre initiative à un mouvement puissant de créations d’activités dans la
région. Quel historien pourra comprendre les particularités de ces hommes et de
ces femmes ? Et quelle part celles-ci doivent à leur Histoire ?