Dans les archives de la
médiathèque de Nantes, 24 quai de la Fosse, on trouve une lettre du curé de Saint-André-Goule-d'Oie au procureur-syndic de Montaigu, en date du 24 décembre 1790
(1). Nous la reproduisons à la fin de notre article. À cette date la Révolution
est commencée depuis un an et demi, mais nous sommes encore loin des débuts de
la guerre de Vendée, en mars 1793. Et déjà le curé de la paroisse est surveillé
par les nouvelles autorités politiques.
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Goupilleau de Montaigu |
Quelles sont ces nouvelles
autorités ? Les départements ont été mis en place à partir du mois de mars
1790. Puis dans chaque département on a installé des districts, dont celui de
Montaigu, comprenant le canton de Saint-Fulgent. Le président du district de
Montaigu est un médecin, Rousse, et son procureur-syndic est un avocat, vendéen
d’origine, Philippe Charles Aimé Goupilleau. Chargé de l’exécution des lois, le
procureur-syndic apparaît comme le représentant du pouvoir exécutif. Avec Philippe
Charles Aimé Goupilleau, on se trouve en présence d’un militant sourcilleux et
dévoué de la cause révolutionnaire. Il sera élu député de Vendée l’année
suivante et il se distinguera alors par ses motions contre les prêtres et les
nobles. Le 17
avril 1792, il dénoncera à la tribune de l’Assemblée législative les
prêtres de Vendée comme fauteurs de guerre civile. Il a cultivé un
anticléricalisme virulent jusqu’à la fin de sa vie. Bref, pour le curé de Saint-André-Goule-d'Oie, c’était un manque de chance d’être surveillé par lui. La
Vendée est connue pour ses contrerévolutionnaires, on ne reconnaît pas assez
l’importance de ses propres révolutionnaires pour expliquer ce qui s’y est passé
à cette époque.
Mais le curé, Louis Marie Allain,
avait du caractère, comme il le montrera pendant toute la période des
persécutions religieuses. Dans une lettre à l’abbé Pierre
François Remaud de Chavagnes en 1817, il écrit : « Je ne parlerai point de moi. On sait que
j’ai été traîné de prison en prison, maltraité, condamné à la déportation, et
ai souffert tout ce qu’on peut souffrir, excepté la mort, que je n’ai évité
que, parce qu’en me sauvant des prisons de Rochefort, j’ai été assez heureux
pour n’être pas tombé sous le couteau de nos ennemis. » On voit ici,
avec les mots employés dix-sept ans après l’arrêt des persécutions, la violence
des luttes.
La constitution civile du clergé
Avant d’examiner la lettre du
curé, rappelons brièvement son contexte. Depuis l’été de 1789, l’Assemblée
constituante, appelée Assemblée nationale, a voté les principales lois donnant
naissance à un nouvel ordre politique. On appelait à l’époque ces lois des
décrets le plus souvent, émanant de l’Assemblée nationale.
Depuis quelques mois une
municipalité a été élue à Saint-André-Goule-d'Oie, avec son premier maire, Jean
Bordron, maréchal au bourg. N’ayant aucune archive le concernant, nous
ignorions quand il avait été élu. Avec cette lettre du curé, nous apprenons que la commune avait commencé sa vie municipale comme généralement partout
en France, en 1790.
La grande affaire qui préoccupait les curés comme celui de Saint-André en cette fin d’année 1790, était la confiscation des biens du clergé, votée en novembre 1789. Le déficit des finances publiques était énorme. En s’appropriant les biens de l’Eglise pour les revendre aux particuliers, on comptait ainsi renflouer les caisses de l’État.
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Caricature du ministre des Finances
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Talleyrand |
Le promoteur de l’initiative, le très anticlérical évêque d’Autun, Talleyrand, expliquait que la propriété de
l’Église était particulière. Celle-ci n’était que dépositaire de ses biens, et
pour assurer ses missions religieuses et sociales il suffisait d’organiser les choses
autrement. Votée le 12 décembre 1790, une Constitution civile du clergé créa
une nouvelle organisation de l’Église de France. Pour remplacer les biens
confisqués, mais qui assuraient pour partie la subsistance des membres du
clergé, l’État versera désormais un salaire à ces derniers. De plus on
réorganisa les évêchés et on décida d’élire les curés, et même les évêques,
opérant ainsi une coupure avec l’Église de Rome, c’est à dire imposant un
schisme au sein de l’Église catholique. Vu d’aujourd’hui cela peut
paraitre très cavalier, révolutionnaire pour tout dire. Vu de l’époque, ce l’était
un peu moins à cause du penchant à l’indépendance de l’Église de France à l’égard
du pape depuis au moins plus de deux siècles (appelé le gallicanisme), très partagé
dans la sphère politique d’alors.
Le curé de Saint-André-Goule-d’Oie en accusation
À partir de là, les conditions
d’un conflit entre les révolutionnaires et les catholiques sont réunies. Et
c’est ce qui ressort de la lettre du prieur Allain du 24 décembre 1790. En fait
le prieur répond à une lettre du procureur-syndic de Montaigu dont nous n’avons
pas connaissance. Ce dernier lui demande de s’expliquer sur des accusations
portées contre lui et il le menace de le traduire en justice.
Qui a porté ces accusations ?
Le curé lui-même indique qu’il aimerait bien connaître ses délateurs, comme il
les appelle. On peut évidemment soupçonner quelques révolutionnaires de Saint-Fulgent comme le médecin Martineau ou le maître de postes Guyet ou le marchand
Louis Merlet. On peut même s’interroger sur quelques notables de la
municipalité de Saint-André, Jean Bordron notamment, le maire de la commune. On
le verra rester dans le camp des partisans de la Révolution jusqu’au bout. Mais
on ne connaîtra pas ces délateurs.
Quelles sont ces
accusations portées contre le curé ? Le prieur Allain rempli mal son rôle
d’information des paroissiens sur les décrets de l’Assemblée nationale, il
complote pour demander la suspension de la vente des biens de la cure, il
prétend les acquérir lui-même, il intervient à tort dans les délibérations des
assemblées de citoyens de sa commune, et il a même une mauvaise influence dans
son confessionnal. C’est beaucoup d’accusations, mélangeant l’intérêt matériel,
la politique et la religion. Elles constituent un de ces nombreux faits qui ont
concouru, avec d’autres et par accumulation, à créer et alimenter l’explosion
populaire de mars 1793. Examinons ces accusations l’une après l’autre.
Publication des décrets au
prône de la messe du dimanche
Rappelons que la religion
catholique était religion d’État sous l’Ancien Régime et que le roi était chef
de l’Église catholique, choisissant les évêques proposés ensuite à la
nomination du pape, suivant un concordat conclut entre le roi de France et le
pape au temps de François 1e. L’administration locale n’existait pas
et les paroisses en tenaient lieu, le curé ayant un rôle administratif. Il
fournissait des statistiques à l’Intendant de la province, tenait l’état civil
(les registres paroissiaux), informait les paroissiens des lois nouvelles, etc.
Il s’occupait de l’éducation et de l’action sociale, distribuant à l’occasion
des subsides royaux en cas de calamités. L’éducation et la santé entraient dans
les compétences exclusives de l’Église.
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Chaire portative
(cathédrale de Luçon)
Décorée par Mgr
Nivelle
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Ce bref rappel de la situation
est nécessaire pour éviter de comprendre l’action des révolutionnaires,
seulement avec les yeux d’aujourd’hui sur l’Église catholique, en ignorant le
contexte de départ. Les députés avaient « du pain sur la planche »,
si l’on peut dire, pour créer un État moderne plus impliqué au service des
français. Les autres nations européennes ont évolué dans le même sens, chacune
à sa manière, la France ayant commencé sa démarche dans une débauche de
passions anticléricales, dont l’examen de la lettre nous donne un petit aperçu.
Le curé de Saint-André-Goule-d'Oie a-t-il lu à ses fidèles, de manière neutre et exhaustive, la Constitution
civile du clergé, pour ne prendre que cette loi ? Nous n’avons pas de
compte-rendu indépendant et objectif pour répondre, mais il est arrivé aux
oreilles de procureur-syndic des informations négatives sur ce point. Celles-ci
ne sauraient nous surprendre, néanmoins. Mais le curé s’en défend. J’ai tout
publié, écrit-il, même les textes les plus longs. Parfois j’ai abrégé la
lecture, en expliquant le sens du texte. Mais je l’ai fait de bonne foi et avec
l’accord des paroissiens. On peut conclure de cet échange que le curé admet la
légitimité de la remarque, même s’il en conteste le bien-fondé. Il sait ce
qu’il doit à César, si l’on veut paraphraser l’Évangile.
L’urgence, pour les nouveaux
fonctionnaires, de mettre en place les communes et de faire remplir ce rôle
d’information par de nouvelles autorités municipales apparaît clairement ici.
Et c’était en train de se faire. Alors pourquoi quereller le curé sur un sujet
appelé rapidement à disparaître ? Il y a bien des façons de pratiquer
l’action politique, Goupilleau de Montaigu ignore ici la souplesse et se braque
le clergé inutilement.
Requête pour conserver les
biens de la cure de Saint-André-Goule-d’Oie
Les biens d’Église à Saint-André-Goule-d'Oie comprenaient, outre le presbytère et l’église, des rentes foncières,
une borderie dans le bourg, la métairie de Fondion, un moulin et d’autres domaines que
nous ne connaissons pas. Une part des revenus allait au prieur, et le reste remontait à l’abbaye
de Nieul au Moyen Âge. Au début du 18e siècle la communauté de Nieul
fut supprimée supprimée au profit de l’évêché
de La Rochelle. À la suite, ce dernier abandonna
son droit de présentation du titulaire du prieuré, mais il garda les bénéfices
en provenant (2).
Au départ, les membres de la
première municipalité de Saint-André, élus au début de l’année 1790, paraissent
en harmonie avec les lois votées l’année d’avant. Dans cette unanimité on voit
même la garde nationale de Saint-André commandée par le seul militaire de
formation habitant dans la commune, Jean Aimé de Vaugiraud. Quelques mois après,
et sur le problème de la religion, les élus vont se diviser. Le destin de quelques-uns
nous est connu, le maire va se découvrir "républicain", et la majorité des autres
conseillers vont se découvrir "royalistes", deux catégories nouvelles, forgées par
le processus révolutionnaire.
Au cours de l’année 1790, la municipalité de Saint-André-Goule-d'Oie avait envoyé une requête à
l’Assemblée nationale pour conserver à la cure un peu de biens. Cette idée de garder un lopin de terre aux curés de campagne
avait d’ailleurs été plaidée, sans succès, par l’abbé Grégoire à Assemblé
Nationale (3). Dans une lettre
du 3 novembre 1790, Goupilleau de Montaigu avait répondu par une protestation
ferme à la municipalité, là aussi dépourvue de nuances : « c’est une position criminelle », avait-il affirmé (4).
La démarche de ces élus tendant à ne pas appliquer intégralement une loi votée par l’Assemblée nationale constituait donc un crime pour ce révolutionnaire intransigeant qu'était Goupilleau. Et il accuse le prieur de la paroisse d’avoir exhorté ses paroissiens dans cette démarche.
Ce dernier répond que l’idée n’est pas venue de lui, et il qu’il a même prédit son échec. Mais il ajoute qu’on se soumet au refus en bons citoyens. Ce « on » concerne la communauté de Saint-André-Goule-d'Oie, alors que le curé affirme n’avoir pas été dans le coup. N’est-ce pas ambigu ?
Dans cette lettre de Goupilleau on
apprend que le curé Allain voulait lui-même acquérir des biens de la cure. Mais
on ne sait pas pourquoi cela ne s’est pas fait. S’il en avait personnellement la
capacité financière, il s’assurait ainsi un complément de revenus dont on ne
saura pas ce qu’il voulait en faire. Après tout, dans le département voisin de
la Vienne on a compté 116 curés ayant acquis des biens d’Église par conviction
révolutionnaire, par goût de la propriété et de la terre, ou par sens
pratique (5).
Acquisition des biens de la
cure
En cette fin d’année 1790 les
adjudications pour la vente des biens d’Église avaient commencé à Saint-André. Le
curé avait fait une offre pour acheter en son nom, des membres de la
municipalité aussi. Nous ne savons pas s’ils se sont concertés. Mais cela ne
plaît pas à l’administration du district de Montaigu.
Dans sa lettre, le prieur
justifie sa démarche, autorisée selon lui par la loi. Il informe avoir expliqué
aux membres de la municipalité comment monter le dossier de soumission à
l’adjudication. La commune n’avait pas l’autonomie pour acheter ces biens, il
s’agit donc de démarches personnelles de conseillers municipaux.
Voulant apaiser son
interlocuteur, le prieur informe dans sa lettre à Goupilleau de Montaigu qu’il
abandonne son offre d’achat au profit des membres de la municipalité. Mais il
le fait avec une accusation voilée de duplicité de leur part. Faute d’en savoir
plus, on reste étonné de cette allusion. D’autant que le maire Jean Bordron, s’il participa à
des élections locales du côté des révolutionnaires en 1799, aida en 1792 le
curé de Saint-André à tenir le registre paroissial alors que ce dernier se
cachait comme prêtre réfractaire. Les faits sont rares et la documentation inexistante
pour les expliquer. Les interrogations ne manquent donc pas. Néanmoins Bordron, le futur républicain, n’est visiblement pas un extrémiste, et les divisions politiques
parmi les habitants de la commune à Saint-André paraissent être restées à l’abri
de l’hystérie la plus terrifiante à Paris.
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Assignats gagés sur la vente des biens nationaux |
On ne peut pas non plus écarter l’idée que le prieur cherche ici à
brouiller les pistes. Les jésuites avaient été expulsés du royaume de France,
mais le prieur Allain aurait pu être leur élève, quand on observe ses attitudes
en cette période. La fermeté dans ses convictions ne l’a pas privé de souplesse
d’exécution, à l’occasion notamment des nombreux serments auxquels il a été
soumis, les refusant quand la religion lui paraissait en cause, et les acceptant
quand l’enjeu ne lui semblait que politique. Dans l’adversité il a montré du
courage pour rompre avec les autorités au péril de sa vie, tout en essayant de
garder la tête froide, comme on le voit dans cette lettre.
Sur ces ventes des biens
d’Église, indiquons que la métairie de Fondion fut vendue le 28 février 1791 à
René Robin de Sainte-Florence. Celui-ci avait déjà effectué des achats identiques
dans sa paroisse. Le 14 avril 1791 le « temporel du cy-devant prieuré de
Saint-André-Goule-d'Oie » fut adjugé à Nicolas Lefeuvre Couzartière de
Cholet, pour le prix de 45 500 livres. La borderie de
la cure fut adjugée à Jean de Vaugiraud le 5 mai 1791 pour 7 000 livres et le
19 mai suivant une rente de 4 boisseaux de seigle due sur le village de
la Maigrière, provenant du prieuré de Saint-André-Goule-d'Oie, fut acquise par
Jean Boisson, bordier au Cormier de Chavagnes-en-Paillers, pour le prix de 200
livres. Jean Boisson est connu pour se situer plutôt du côté royaliste.
Intervention
dans les délibérations de la dernière assemblée
Le prieur se
justifie d’être intervenu dans le déroulement de la dernière assemblée à
Saint-André-Goule-d'Oie. On ne nous précise
pas de quelle assemblée il s’agit. Ce pouvait
être une assemblée délibérative de la municipalité, mais on voit mal ce que le
prieur y avait à faire. Plus probablement il pourrait s’agir d’une assemblée
élective concernant tous les citoyens actifs. À l’époque les isoloirs
n’existaient pas et les votes constituaient une nouveauté à laquelle il fallait
s’initier. Ils avaient lieu en assemblée. Devait-on voter par acclamation, en
levant la main, avec un bulletin ? Tout le monde ne savait pas lire et
écrire. On sait que bien des formes ont été pratiquées à cette époque, et les
procès-verbaux ont disparu dans les combats ensuite. Les étudiants qui ont eu la
chance de fréquenter les « assemblées générales » de nos facultés
contemporaines, où sont officiellement décidées les manifestations politiques
diverses, pourront se faire une idée de ce que furent les pratiques des votes
dans les débuts de la démocratie élective en 1790.
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Henri Leys : Prêcheur |
Il semble
qu’ici les organisateurs de l’assemblée, président et scrutateurs, aient été
désignés « de vive voix ». Et puis l’assemblée devait renouveler
les « membres et les notables ». On l’a fait en votant avec des
billets au lieu d’utiliser le tirage au sort selon les instructions reçues.
Rappelons que l’administration de la commune appartenait à un conseil général
composé d’un conseil municipal et de notables, tous élus pour deux ans par les
citoyens actifs. Dans la lettre, le curé évoque un changement des membres et
des notables. Nous n’en savons pas assez, faute d’archives, pour comprendre à
quel changement d’élus on a procédé ici. On pense à une manœuvre de certains d’entre eux pour échapper à la fin de leur mandat.
Ce qui est
intéressant de noter sur ce point c’est que le prieur se justifie de sa prise
de position lors de cette assemblée. Il s’est mêlé de politique, même si le
sujet était de pure procédure, tout au moins apparemment.
Le prieur
s’est rangé, dit-il, du côté des instructions officielles et de
l’administration. Mais alors, pourquoi Goupilleau a été mal renseigné ? Ne
serait-ce pas trop facile de soupçonner un de ces révolutionnaires bien connus
de Saint-Fulgent ? Le délateur ne serait-il pas plutôt un notable de Saint-André-Goule-d'Oie auquel le prieur s’est opposé dans cette affaire de vote ? Il ne faudrait
pas sur ce point plaquer sur cette époque les idées de maintenant, plutôt défavorables
à l’intervention des curés dans la vie politique locale. Ils étaient souvent
les chefs naturels des communautés, ils ont été élus parfois maires de leurs
communes dans plus de 50 communes de la Vienne par exemple en 1790 (6).
Confesseur
de mauvaise influence
Comment oser
évoquer ce qui se passe dans mon confessionnal ? Goupilleau a osé le faire
et le prieur lui répond que cela ne le regarde pas. Il veut bien rendre à César
ce qui est à César, mais il rendra à Dieu, ce qui est à Dieu. Sur ce précepte,
le curé est péremptoire et sa réponse est brève. On sent qu’il ne s’en laissera
pas compter par le procureur-syndic.
On le voit,
même s’il nous manque des détails sur les sujets évoqués pour tout comprendre,
cette lettre nous apporte plusieurs informations sur la situation politique à
Saint-André-Goule-d'Oie en cette fin de 1790 :
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Le conseil municipal a
été installé au cours de cette année-là. Le maire Jean Bordron aidera ensuite
le prieur à tenir le registre paroissial, à partir du moment où ce dernier a dû
se cacher dans l’été 1792, et avant l’entrée en vigueur de l’état-civil officiel au
1-1-1793. À cause de la suite et
de cette lettre, on devine que lui et le curé n’ont pas toujours été d’accord
dans la mise en œuvre des réformes. Mais les deux hommes semblent n’avoir
jamais rompu leurs relations.
-
Le rôle central du
curé dans les paroisses sous l’Ancien Régime ne pouvait que l’impliquer d’une
manière ou d’une autre dans le processus révolutionnaire à ses débuts. Ses
rapports avec les autorités locales émergentes (districts et municipalités) ont
dû constituer un élément essentiel de l’acceptation du nouveau régime par les
populations. Et dans ces rapports, le politique avait autant d’importance que
l’ecclésiastique.
-
La vente des biens
d’Église dans le bocage vendéen ne semble pas avoir posé de problèmes si l’on
en croit la plupart des historiens de la guerre de Vendée des deux bords. En
revanche, tous mettent l’accent sur la Constitution civile du clergé. À Saint-André-Goule-d'Oie, cette vente a fait débat et le prieur a participé au débat,
même si nous cernons mal son rôle sur ce point.
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Les modalités de vote
dans les assemblées électives ont constitué un élément novateur important pour
les populations. On sait qu’elles ne sont pas nées du néant, faisant suite aux
assemblées de paroisses. On sait aussi qu’elles furent assimilées au parti
révolutionnaire et finirent par être rejetées par les royalistes. Elles ont
contribué, telles qu’elles ont été pratiquées, à couper les populations du
bocage vendéen des partisans de la Révolution. Mais sait-on à quel point ?
(1) Bibliothèque municipale de Nantes, collection Dugast-Matifeux : I, volume 25,
no 1.(2) Charles Arnaud, Petite Histoire de l’abbaye de Nieuil-sur-l’Autize, Éditions des régionalismes, 2013, page 42 ; et Histoire
du Poitou par Thibaudeau, 1839, page 187.
(3) Ségolène de Dainville-Barbiche, notes bibliographiques dans la
revue d’Histoire de l’Église de France, no 102, 2016, page 176 sur le livre de Rodney
J. Dean (2014), l’Assemblée constituante
et la réforme ecclésiastique. 1790 : la constitution civile du clergé du
12 juillet et le serment ecclésiastique du 27 novembre.
(4) Fichier historique du diocèse
de Luçon, Saint-André-Goule-d'Oie : 1 Num 47/404.
(5) Jacques Peret, Histoire de la Révolution française en Poitou-Charentes 1789-1799, Projets Éditions, 1988, page 267
(6) Jacques Peret, Histoire de la Révolution française en
Poitou-Charentes 1789-1799, Projets Éditions, 1988, page 96.
Emmanuel François, tous droits réservés
Texte de la lettre :
Le 24 décembre 1790
Monsieur
Les connaissances que vous avez
exigées de ma conduite et les menaces que vous m’avez fait faire en cas de
délit, m’annoncent qu’on vous en a imposé sur mon compte. La confiance que j’ai
toujours eue en vous et les avis que j’en ai reçu sur les affaires du temps,
auraient dû vous prévenir en ma faveur et empêcher qu’on ne parvienne si
parfaitement à vous indisposer contre moi. Si vous eussiez daigné me faire
connaître mes délateurs et leurs dépositions, je vous aurais témoigné la plus
vive reconnaissance et n’aurais pas eu de peine à vous faire connaître mon
innocence, et si quelqu’un, témoin et indigné des faussetés qu’on débite contre
moi, n’en eut la charité de m’en instruire, j’aurais été coupable à vos yeux
sans savoir pourquoi et sans jamais penser à me disculper, ce que ma
sensibilité me fait entreprendre aujourd’hui.
Vous vous êtes informé, Monsieur,
si j’étais exact à publier les décrets qui nous sont envoyés par l’assemblée
nationale, j’ignore la réponse qu’on vous a fait à ce sujet, mais je prends à
témoin mes paroissiens et leur demande qu’ils vous disent en âme et conscience
si jamais j’ai manqué à publier indistinctement, au prône de notre messe
paroissiale, les décrets et les ordonnances qui nous viennent soit de
l’assemblée nationale, soit du département, soit du district ? Je me suis
permis quelques fois de représenter qu’on pouvait peut-être se dispenser de
publier au prône certains décrets, mais que malgré mes observations, j’ai
toujours publié pour ne pas être répréhensible. Je me suis aussi permis
quelques fois de les abréger lorsqu’ils étaient multipliés et que la lecture
exigeait au moins deux heures de temps, et me suis contenté d’en expliquer le
sens. Je croyais en cela entrer dans les vues de l’assemblée nationale et dans
les vôtres, et c’était le vœu des paroissiens et de la municipalité.
On m’impute, Monsieur, d’avoir
exhorté mes paroissiens à présenter une requête à l’assemblée nationale pour
conserver un peu de biens fonds à leur curé. Cette idée n’est jamais venue de
moi. J’en ai eu connaissance il est vrai et ne l’ai eu que pour prédire et
assurer qu’elle serait inutile, ce qui est arrivé ; mais je puis vous
assurer qu’on en a vu le refus avec toute la soumission possible aux décrets.
On m’impute d’avoir fait ma
souscription pour l’acquisition de ce même bien ; n’y étais-je pas
autorisé par les décrets ? N’en ai-je pas d’ailleurs donné connaissance
aux membres de la municipalité ? Ma souscription empêchait-elle la
leur ? Ne leur ai-je pas au contraire expliqué plusieurs fois la manière
dont ils devaient la faire pour qu’elle fût valide ? Au reste j’abandonne
mes prétentions en leur faveur, que ne vous adressent-ils donc encore leur
souscription, s’ils désirent autant qu’ils veulent le paraître faire
l’acquisition de ces biens, ce n’est donc feinte de leur part ?
On m’impute de m’être récrié à
l’occasion de la dernière assemblée pour le changement des membres et des
notables. Serais-je coupable, Monsieur, pour avoir désiré, ce à quoi je n’ai pu
cependant parvenir, qu’on suivit la forme qui nous est prescrite dans les
instructions pour la tenue des assemblées, et notamment de la dernière, où on a
proclamé de vive voix le président et les scrutateurs, et où, au lieu de tirer
au sort pour le changement des membres et des notables, on a préféré de faire
des billets, contre l’avis de plusieurs, pour faire sortir les uns et faire
enter les autres ; le serment n’oblige-t-il pas à observer la loi telle
qu’elle a été portée et à suivre invariablement les décrets pour la composition
du bien commun.
Enfin, Monsieur, on a porté les
choses jusqu’à vous entretenir de ce qui se passait à ce sujet au tribunal de
la pénitence, avouez donc que l’esprit de parti est porté à son comble,
convenez que ce tribunal n’est pas de votre ressort et que je ne dois là compte
de ma conduite qu’à Dieu seul, convenez aussi que je ne suis cité à votre tribunal
que parce que je prêche la fidélité aux décrets que je me suis toujours fait un
devoir d’observer exactement et plus exactement que ne le désirent mes
délateurs. Et si je leur parais coupable en cela, c’est une faute dont je ne me
corrigerai jamais. J’aurais cru agir contre ma conscience et ma religion si je
leur avais parlé un autre langage sur tout ce qui s’est fait jusqu’à ce moment.
Je reconnais trop ce que peut exiger une puissance temporelle pour ne pas m’y
soumettre avec autant de plaisir que je me soumets à ce qu’exige de moi la
puissance spirituelle. Voici ma profession de foi sur laquelle vous voudrez
bien décider.
J’ai l’honneur d’être avec les
sentiments les plus distingués, Monsieur, votre très humble et très obligé
serviteur.
Allain prieur-curé de Saint-André-Goule-de-d'Oye.