mardi 6 novembre 2012

Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (deuxième partie)

Nous présentons ici la deuxième partie de l’activité agricole des métairies de Linières, telles qu’elles existaient pour l’essentiel depuis le Moyen Âge, jusqu’à la veille de la révolution des techniques utilisées, à partir des années 1840/1850 en Vendée.

Les cultures


Nous connaissons la liste des cultures dans le bocage vendéen par Cavoleau. Mais il nous paraît préférable de rester au plus près de Linières. Pour cela, rendons-nous le 21 février 1790 à Saint-Fulgent, à la métairie de l’Oiselière, appartenant encore à cette époque au chapitre de Luçon. Ce jour-là on signe le bail de la métairie. Le bailleur est « Simon Charles Guyet maître de poste, fermier du revenu temporel de l’Oiselière », le père de Joseph, qui sous-affermait à colonage partiaire (devenu bail à métairie) la métairie à des cultivateurs, Maindron et Enfrin (1). Dans le texte du bail on donne la liste des cultures pratiquées, soit : froment (blé), seigle, baillarge (orge distique ou orge de printemps), orge (de mars), avoine, pois, fèves, lin et vigne.

D’habitude, le premier labour s’effectuait en avril. Début juin le deuxième labour était suivi d’un hersage. Un troisième labour s’effectuait en août dans les terres humides et fortes (argileuses), accompagné d’engrais. Le dernier labour (le troisième dans les terres légères et le quatrième dans les terres fortes) précédait les semailles d’octobre.

Le blé froment (blé d’aujourd’hui ; à l’époque le mot blé, seul, désignait toutes les céréales) était la céréale noble dont les excédents étaient vendus dans la région nantaise. On râtelait (binait) les sillons avec un marochon (bêche) pour enlever les herbes parasites au début du printemps. Puis on bêchait en avril et on sarclait à la main jusqu’à la floraison, toujours pour éliminer les chardons, ravenelles (radis sauvages), ail sauvage, oseilles (rumex), etc. Sans ce travail, le rendement diminuait sensiblement. En moyenne on obtenait ainsi 10 quintaux à l’hectare, à rapprocher des 25 à 30 quintaux obtenus dans les mêmes champs dans les années 1950 et à 75 quintaux obtenus de nos jours.

Champ de seigle
Pour leur consommation habituelle, les habitants cultivaient le seigle. Pour une même quantité que le blé froment, on fabriquait plus de pain avec le seigle. Ce dernier était la première récolte des landes défrichées, alors que l’avoine était leur dernière récolte, que l’on obtenait sans fumure, dans une terre qui était destinée à la jachère permanente ensuite.

Nous n’avons pas relevé de culture de méture ou méteil. C’était une récolte que l'on obtenait en semant ensemble des grains de différentes natures. Le mot désignait aussi un mélange de grains pour faire du pain. Dans le Bas-Poitou, était composé le plus souvent d’orge d’automne avec un peu de froment.

La récolte du blé a été bien décrite par Louis Merle dans son livre sur la Gâtine poitevine. On peut penser que les techniques étaient les mêmes à Chauché à cette époque. Cela commençait par les métives (moisson) en été, où l’on coupait le blé, assemblé tout de suite en gerbes. Celles-ci restaient d’abord à « soleiller » pour sécher les herbes folles qui se trouvaient mélangées avec les épis. Ensuite on mettait les gerbes en meules sur le champ, les épis vers le centre pour mieux les protéger des effets de la pluie. On rentrait ensuite les gerbes au bord de l’aire de battage.

Alors venait le temps des batteries. C’était le battage des épis au fléau, travail pénible au soleil avec de nombreux passages sur les épis retournés. Dans les métairies on engageait des méstiviers, payés et nourris par les métayers, pour faire face aux quantités de gerbes à battre. 

Avec une raballe en bois (râteau) on entassait le grain en tas. Il fallait alors le vanner, c'est-à-dire séparer les grains de leur balle (enveloppe) par ventilation. Le batteur muni de sa pelle en bois, en forme de grande cuillère, en projetait vivement le contenu à contre vent, en lui faisant décrire une courbe de 3 à 4 m de rayon. Le partage du blé avec le propriétaire se faisait sur l’aire à la fin du vannage. Et dans les greniers en hiver, on nettoyait les grains à l’aide de la grelle ou grelleau (crible) ou de la herpe (tamis).

Moulin à vanner le blé
Quand on lit dans les baux à colonage partiaire que les grains partagés doivent être « bien vannés et qu’ils seront nets de toutes impuretés », on voit le travail important qui se trouve derrière la formule simple, et comme légère, laissée sur les vieux documents par la plume des notaires. Enfin indiquons tout de suite que dans les années 1840 les rouleaux sont venus aider à battre le blé, puis les premières machines à vapeur ont fait leur apparition dans les années 1850, pour remplacer l’usage des fléaux et des rouleaux. Mais on a continué encore à vanner séparément avec des machines, mues à bras souvent (2).

Le mil était cultivé, généralement sur de petites surfaces, fournissant une graine dont la farine ajoutait de la saveur à la farine de seigle. Dépourvue de son écorce il donnait une bouillie dont se contentaient les moins riches. Sa culture ne réussissait qu’à force de binages répétés, exécutés par les femmes et les enfants.

Le blé noir, ou sarrasin, servait de fourrage pour le bétail.

Le lin était semé fin septembre ou début mars sur de petites surfaces, produisant en moyenne une trentaine de kilos de fils de lin par exploitation.

 Le bétail et les fourrages


On trouvait généralement de quatre à dix bœufs dans les métairies et la moitié de vaches. Chaque année ou presque on vendait une paire de bœufs, remplacée pour les labours par les naissances des années précédentes. C’était soit des bœufs aparagés (dressés à travailler en paire) pour les labours, soit des bœufs gras destinés à l’abattage. Le commerce des bestiaux se faisait dans les foires, à l’Oie et aux Essarts, proches de Linières. À cette époque la vache avait en priorité une fonction reproductrice et accessoirement laitière, voire de trait. La race dominante était la parthenaise, dont on avait renforcé la robustesse par croisement avec des taureaux importés de Suisse, à la fin du 18e siècle.

On élevait des moutons pour la laine, sur la ferme de Linières par exemple.

On élevait aussi des chevaux comme bête de somme et parfois pour la monture. À la Roche au Roi (Saint-Fulgent) on était tenu « de fournir au propriétaire ou à gens de sa part un cheval lorsqu’il ira ou enverra sur ladite métairie. » (Bail signé le 19 avril 1815). Aux Noues (Saint-André) en 1830, alors que le bail est à prix fixe, on fait un cas particulier pour une jument : « le bailleur aura droit à tenir sur la métairie une jument dont le prix sera payé moitié par lui et l’autre moitié par les fermiers, les bénéfices et les produits de cette jument seront partagés par égale portion ou mieux par moitié. » La jument avait été évaluée 180 F.

Dans les baux à colonage partiaire, le bétail, possédé à moitié, était prisé (évalué) par deux experts représentant l’un le propriétaire et l’autre le fermier, à l’entrée en jouissance. Ces experts étaient souvent des propriétaires voisins faisant autorité. La valeur qu’ils fixaient au départ du bail s’appelait la souche morte (bail de la Gagnolière en 1800). La même opération était répétée à la sortie du bail, et l’on partageait les pertes ou les bénéfices à moitié. Les ventes et achats réalisés en cours de bail étaient à valoir sur l’estimation de sortie, mais ne pouvaient se faire qu’avec l’accord des deux parties.

Il est arrivé, mais semble-t-il peu fréquemment, que Joseph Guyet loue à son fermier à prix fixe du bétail lui appartenant. Des règles propres s’appliquaient alors sur ce qu’on appelait le cheptel de fer. Dans ce type de bail, le fermier s’engageait à fournir, à l’expiration du contrat, du bétail d’une égale valeur à celui reçu à l’entrée en jouissance. On a ainsi un bail à la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) qui stipule en 1826 : « reconnaissent les preneurs que M. Guyet leur a baillé avec ladite métairie des bestiaux à titre de cheptel de fer pour une valeur de 1330 F suivant l’estimation qui en a été faite entre le bailleur et les preneurs, et ils rendront à leur sortie des bestiaux de pareille valeur, conformément aux articles 1821 et suivants du code civil. ». Dans le bail suivant de 1829, la clause a été reprise, mais en bas du texte a été ajoutée après coup la courte phrase suivante : « les bestiaux donnés à titre de cheptel de fer par l’article 18 du présent ont été remboursés à M. Guyet le 9 novembre 1831. »

Les pâtis (landes) nourrissaient ce bétail à la belle saison, et en hiver on pouvait compter sur des fourrages, mais en quantité limitée. De plus, les prairies naturelles étaient insuffisantes. La révolution à venir de la charrue en métal et de la chaux va débloquer cette insuffisance des fourrages. L’élevage va prendre alors de l’ampleur et enrichir les agriculteurs. Mais au temps de Joseph Guyet, les techniques utilisées freinaient les cultures de fourrages.

À cette époque dominaient principalement le rèbe (chou-rave) et le chou. On semait le rèbe vers la mi-août, son bulbe et ses feuilles étaient consommés pendant l’hiver. Le chou était semé en pépinière à la mi-mars. On plantait ensuite les jeunes plants en juin dans des champs labourés au moins trois fois, et en octobre. On récoltait les feuilles dès la fin août, jusqu’à fin janvier, suivant les espèces.
On cultivait d’autres fourrages ou assimilés bien sûr, mais en quantité moindre à cette époque : sainfoin, vesce, trèfle, et aussi maïs, carottes, topinambours et pommes de terre.

Les haies et les arbres


« Les champs sont entourés de haies épaisses, élevées, d’arbres, de futaies, dont on coupe les branches tous les sept ans, de sorte que le pays présente l’aspect d’une forêt. » Ainsi s’exprime Cavoleau en 1800 dans sa "Description abrégée du département de la Vendée". A. D. de La Fontenelle de Vaudoré précise que les haies avaient de deux à trois mètres de haut avec des arbres au milieu, dont quelques-uns étaient conservés en haute tige et les autres abattus à deux ou trois mètres de hauteur. Le Bocage est un pays où sont nombreux les bois, bosquets et buissons. Il est né en Vendée avec les défrichements du Moyen Âge, puis les haies sont devenues plus nombreuses au fil du temps. Les paysages de Bocage sont œuvres humaines et artificielles avant tout, et les haies étaient un témoin de l’intervention humaine aussi certain qu’un tesson de poterie (3).


La Révolution avait renforcé le droit de clore les champs. Ainsi l’article 4 du décret du 28 septembre 1791 (titre 1, section 4) édictait que : « Le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. L'Assemblée nationale abroge toutes lois et coutumes qui peuvent contrarier ce droit ». L’objectif était de limiter le droit de parcours et de vaine pâture permettant dans certaines conditions de faire paître le bétail dans les champs d’autrui après la récolte ou dans les bois d’autrui. Cela arrangeait les plus démunis, mais pas les propriétaires qui dominaient à l'Assemblée Nationale désormais.

Un arbre têtard est un arbre dont la tête a été élaguée à 2 ou 3 mètres du sol, et sur laquelle un recépage a provoqué le développement de bourgeons formant des branches coupées régulièrement, tous les cinq ans dans les métairies de Linières, des Essarts, aux Landes-Génusson. Le têtard était souvent un chêne, mais aussi un aulne, un frêne, un saule, un orme, etc. (3). Son émondage constituait la récolte du métayer qui en consommait une partie pour son chauffage et pouvait vendre le reste. Pour faire des bûches, à mettre dans la cheminée du métayer, certains propriétaires accordaient le droit d’abattre un arbre têtard par an (4). Nous n’avons pas rencontré cet usage dans les clauses écrites des baux étudiés. C’est aussi avec ces branches que le métayer fabriquait les barrières des champs. Il devait aussi conserver l’épaisseur nécessaire à la haie pour remplir sa fonction de clôture. Ce travail d’hiver (selon la règle coutumière, du 1e novembre au 15 mars) était rude et mettait à l’épreuve l’adresse et la résistance physique des hommes. Après avoir émondé (coupé) les branches, ils les fagotaient (mettre en gerbe tenue par une rorte - lien en bois souple) et les émouchaient (mettre les fagots en tas). On vendait les fagots par cordes, équivalentes à 3 stères ou 3 m3.

Dans les baux à colonage partiaire, les coupes dans les taillis et les bois étaient partagées avec le propriétaire. Seuls les bois des haies étaient exclusivement réservés aux fermiers.

Villeneuve (Chauché)
Dans les baux à prix fixe, Joseph Guyet se réservait, suivant l’usage, les taillis, futaies, bois, fournilles (menu bois et branchages pour mettre en chauffe le four et allumer une cheminée), gîtes, giborages, dans ses métairies pour les faire exploiter à son profit. Il les désignait dans ses baux. Il demandait aussi aux métayers d’entretenir les fossés et les haies qui les entouraient et tolérait à certaines conditions d’y faire pâturer des chevaux. Ainsi dans la métairie de Villeneuve en 1825 : « Le pacage du bois-futaie du Vergnais étant réservé à la métairie, les fermetures, même dans la partie qui joint le champ des Essarts comprise dans la présente ferme, seront faites et entretenues par le fermier ou colon de la métairie. » Auparavant le bailleur avait précisé que le « gîte du Vergnais, dont ils (preneurs) n’auront que le pacage, sera également à la charge du fermier pour les fermetures, sans pour cela qu’il puisse prétendre à prendre le bois des haies autrement que pour les clôturer s’il y a lieu. »

Les haies comportaient un fossé pour l’écoulement des eaux sur les côtés, servant à drainer les eaux de ruissellement. Et sur le rejet des fossés on plantait des arbres. Ainsi le bail de la métairie de la Touche (Essarts) précise en 1823 : « Ils (preneurs) promettent et s’obligent de bêcher et sarcler les plants des fossés nouveaux que le sieur bailleur fera faire dans le cours du bail. »

Les haies maintenaient aussi l’humidité des champs et leur fertilité microbienne à cause de la faune qu’elles favorisaient.

On voit qu’elles avaient une place déterminante pour se chauffer et se procurer un revenu. Mais l’ombre des arbres et leurs racines rendaient inculte sur une largeur d’au moins un mètre le pourtour du champ le long des haies. À cela il faut ajouter l’épaisseur des haies (environ deux mètres), soustraites aux cultures. C’est donc environ 8 % des terres qui étaient sacrifiés aux avantages apportés par les haies.

Il ne faut pas oublier leur fonction de clôture, quoique les « haies mortes » existaient aussi. À cet égard la barrière avait une grande importance. Généralement elle était constituée de deux taillers (pieux verticaux), bien enfoncés dans le sol à chaque extrémité, dont le bois était fourni par le propriétaire. Le métayer fournissait les barrons (traverses en bois), parallèles au sol et glissant dans les trous des taillers ou attachés à ces derniers par des rortes (liens d’osier). Lors des visites de fermes, les experts portaient une attention particulière sur l’état de la barrière de clôture et l’âge des gis (rejeton) des plantes dans les haies. Les règles de la coutume précisaient cette économie de la haie que nous venons de rappeler. Les clauses des baux nous en donnent un aperçu.

Arbre têtard
Le bail de la Morelière, signé en 1830, indique sur ce point que les preneurs « jouiront d’émonder les haies et arbres têtards, se conformant à l’usage pour ce qu’il faudra laisser pendant le cours du bail et à leur sortie pour l’entretien des clôtures, mais ils ne pourront en abattre ni par pied ni par tête sans le consentement de M. Guyet ou gens de sa part ; ils s’obligent d’entretenir les arbres fruitiers existant et d’en planter au moins dix par an ». Cet usage concernant le cinquième à conserver était précisé dans le langage de l’époque de cette manière : « n’ébrancheront que ceux (arbres des haies) qui ont ordinaire de l’être en temps et saisons convenables, en observant d’en laisser de 5 têtes l’une comme il est d’usage pour la clôture des haies des lieux » (bail de la Morelière de 1806). Le bail de la métairie de la Touche (Essarts) en 1823 est encore plus précis : « Ils (fermiers) ne pourront abattre par pied ou par tête aucun arbre mort ou vif sans le consentement du sieur bailleur ; ils émonderont ou ébrancheront seulement ceux qui ont coutume de l’être en temps et saisons convenables, seront tenu d’en laisser de cinq têtes une pour la clôture des lieux ; de distribuer ou partager les coupes par cinquième, de manière à ce qu’il y en ait une entière de tous les âges postérieurs, le tout conformément à l’usage ; ils seront tenus de planter par an sur chacune des dites métairies (la Touche et Bellevue) la quantité de dix pieds d’arbres à fruits, tels que pommiers, poiriers, cerisiers. » À Villeneuve (Chauché) en 1825, il est indiqué : « Il ne coupera (le preneur) par pied ni par tête vifs ni morts aucun arbre sans le consentement du sieur bailleur qui marquera ceux qu’il lui donne pour chauffage et pour ses charrues ; il aura cependant les branches des têtards qu’il sera tenu d’émonder en temps et saison convenable, en en laissant pour la clôture des haies. » On voit ici que Joseph Guyet va plus loin que l’usage pour donner du bois de chauffage avec ses arbres, sans doute une situation particulière, car le cas est rare. Pour se chauffer, le métayer disposait habituellement des haies et des arbres têtards. Au passage de la métairie de la Mauvelonnière (Chauché) du bail à colonage partiaire au bail à prix fixe en 1823, Joseph Guyet, qui rédige le bail, insiste sur l’entretien des arbres : « Les fermiers élèveront tous les arbrisseaux susceptibles de l’être comme ainsi ils grefferont et enterreront (bineront) en bons fruits les sujets qui croîtront. »

Compositions d’une haie.

Très peu de textes nous informent du nom des arbres, arbustes et lianes composant les haies dans la contrée. Les souvenirs d’anciens y suppléent pour le début du 20e siècle et la fin du 19e siècle. C’est sans certitude qu’on les projette sur un passé plus lointain. On a un exemple précis néanmoins en 1828 dans un champ du bourg de Saint-André loué par Joseph Guyet, de création d’une haie associée au creusement d’un fossé de 90 cm de large et 90 cm de profondeur. La terre était jetée sur un côté, formant un talus semé de gazon et garni de plants d’aubépine « en suffisante quantité ». Le talus retenait l’eau, la filtrait et l’obligeait à pénétrer dans la terre. Et tous les 3 mètres on planta des « jis » (rejets) d’arbres, sur lesquels plus tard on greffa des fruitiers. Ces derniers ne sont pas indiqués, mais on pouvait trouver des poiriers, noyers, néfliers (meliers), cormiers. Les pêchers, souvent non greffés, étaient plantés dans les haies des vignes, voire au milieu d’un rang, d’où le nom de pêches de vigne de leurs fruits. L’aubépine ne drageonne pas et de ce fait assurait la fixité des limites dans le temps en véritable amie des propriétaires. On pouvait aussi trouver des pruneliers ou épine noire dans les haies, base d’un apéritif très prisé. Avec lui on fabriquait aussi des balais solides pour nettoyer les aires et autres surfaces à usage agricole. L’églantier (ou églantine, rosa canina), servait en particulier pour y greffer des variétés de rosiers des jardins. Le bois de chèvrefeuille faisait des bâtons de conscrits. Les lianes fendues et préparées de ronce (ou éronde) servaient de ligatures en vannerie. Le houx servait d’arbre de noël. Les fagots de fournilles servaient à lancer un feu avant d’y mette à brûler des branches épaisses et des cosses (bûches). Ils étaient constitués de ronces, aubépines, chèvrefeuille, et aussi de branches de sureau, troène, genêt, noisetier (coudrier).

Les espèces d’arbres utilisées dans les haies avait des usages subsidiaires en fonction de leurs qualités particulières. Citons pour la menuiserie la préférence pour le chêne, le noyer et le poirier. L’ébénisterie et la sculpture privilégiaient les bois durs du poirier, du cormier (notamment pour les pignons des axes dans les moulins). Le frêne était prisé des charrons. Les charpentiers préféraient le chêne, le châtaigner et l’orme pour les charpentes et les lattes. L’orme et l’aulne était une matière première importante pour fabriquer des sabots et des jougs de bœufs. Les arbres têtard, à cause de la dureté des nœuds de bois au grain serré, avaient leur utilité particulière, notamment pour fabriquer des jougs bœufs avec du frêne et de l’orme, à la fois dur et léger. Le houx et le châtaigner fournissaient les manches d’outils des connaisseurs, mais aussi la galle (bâton) pour battre la mogette ou la canne (et bâton de marche), ou l’aiguillon des bœufs (châtaigner). On passait la branche coupée d’abord dans un four pour dégorger la sève, puis on l’écorçait et on l’affinait avec une plane (couteau en fer à 2 poignées rondes). La vannerie, au temps où le plastique n’avait été inventé, fournissait des paniers et des dessous pour sécher les fruits, ou reposer des crêpes (sur des crépoués). Les célèbres paniers de coutin étaient fabriqués avec des branches de châtaigner. Avec la paille sauvage, longue et rigide, appelée palène (ou guinche, la molonia caerula des scientifiques), tressée et ligaturée avec une liane (ronce), on fabriquait des bourgnes ou palissins ou paneton (contenant des céréales ou produits alimentaires), des bournées (ruches) ou des baillottes (pour recevoir les bébés emmaillotés). Les branches de troène servaient à fabriquer les larges paniers pour sécher les fruits.

Des usages variés avaient besoin d’arbres bien particuliers : les piquets de vigne en châtaigner, les comportes de raisins, porte-verres dans les caves et bâtons de conscrits en frêne, les rameaux bénis avant Pâques par le curé en buis ou pin parasol, la baguette du sourcier ou de chasseur de vipère en noisetier, sans parler du vin de noix et de la piquette (vin de cormier).

Les fougères venaient parfois compléter les litières de paille du bétail, et fournir un matériau pour les couvertures des bâtiments en végétal séché. Les genêts servaient aussi aux couvertures, mais sans qu’on ait une source sûre pour connaître le matériau principal utilisé dans le Bocage pour ces couvertures de maison en végétal. En le brûlant dans les landes et pâtis, leur cendre apportait de l’azote au sol. On appelait osier vert, les jeunes branches du saule, un bois blanc tendre de peu de valeur qui brûle bien qui était très utilisée en vannerie. Mais le saule ne se trouvait pas dans les haies, de même que les pin parasols, qu’on plantait pour marquer la naissance de l’aîné des garçons.

Architecture d’une haie

Parmi des ronces, aubépines et autres lianes et arbustes formant une haie, il y avait des ouvrages particuliers. Les arbres tortillards d’abord, élagués régulièrement pour produire des bois durs et noueux, poussaient en hauteur à côté des arbres têtards, dont on coupait les branches régulièrement (3, 5 ou 7 ans selon les lieux), en limitant sa hauteur définitivement. Les plisses obtenues par le couchage d’une branche à la hauteur désirée près du sol, fournissaient des branches épaississant la haie. La musse était un passage étroit de faible hauteur et épaisseur, bouchée par un fagot d’épines pour laisser passer un homme. L’échala était une échelle d’un mètre de large fixée solidement dans la haie pour permettre le passage par escalade, lui-même inaccessible aux animaux. Les barrière (1 battant) ou clions (2 battants), obstruaient l’entrée du champ ou du pré et comprenaient une partie ouvrante.

Entretien d’une haie

Le paruchage (ou débroussaillage) consistait à couper les épines pour maîtriser la hauteur et l’épaisseur des buissons. Pour cela une grande blouse de coton bleu, se boutonnant dans le dos, couvrait le corps du cou jusqu’à mi-jambe. Un cuir épais protégeait le cou et avant-bras gauche. La main gauche, qui tirait les épines, était protégée par une mitaine en cuir dur. La main droite, qui tenait les outils de coupe, était protégée par un cuir souple sur les doigts et le pouce s’articulant sur la paume. Des coudes, guêtres et sabarins (talons de cuir dans les sabots) complétaient l’équipement fabriqué sur mesure par le cordonnier.   

On travaillait à deux dans les jours les plus froids, quand l’émondage des branches gelées des arbres était impossible. Le premier homme paruchait et le deuxième derrière, fagotait les fournilles coupées avec des rotes (liens en frêne, chêne - quescus sessiflora -, orme) préparées à l’avance, à l’aide d’une serpe. La formation et la composition du fagot des diverses épines et essences végétales, obéissaient à un savoir-faire, de même que leur alignement sur l’aire de travail. Au paruchage et à la fabrication des fagots, s’ajoutait le plissage des branches d’arbres.

L’élagage ou émondage des têtards donnait des fagots de bois (de branches) et des bûches. On montait sur la tête de l’arbre avec une échelle pour couper les branches avec une cognée à petit manche. On laissait une branche, dite tire-sève pour assurer la reprise jusqu’à la fin d’une période de 5 ans dans la contrée, où on recommençait l’élagage. Les arbres fruitiers, bien sûr, n’étaient pas émondés. Selon la taille des branches coupées on triait les perches, les grosses branches pour faire des bûches, des petites pour les manches d’outils et les branchettes pour les fagots de bois. Ces derniers étaient rassemblés en mouches (60 fagots environ) sur le champ. Puis ils étaient transportés et mis en un tas définitif dans la cour de la ferme, suivant, là-aussi, un savoir-faire précis. Tout ce travail devait être terminé à Mardi-Gras.  

Source : Christian Hongrois, Bocage Vendéen des haies et des hommes, La Geste, 2024.


 L’entretien des prairies naturelles et des chaintres, et l’interdiction de la chasse


À cette époque les prairies naturelles représentaient environ de 10 % à 15 % des terres. Elles se situaient dans les zones humides pour produire de l’herbe à faucher dès le début du printemps, puis du foin à la fin du printemps. Ne rapportant pas de fruits à partager, elles nourrissaient les animaux voués en final à la culture. Il n’y avait pas encore de prairies artificielles, faute de l’engrais nécessaire, ou si peu.

Les petites parcelles en zone quasi marécageuse, parfois pourvues d’une source, s’appelaient des noues, qu’on fauchait quand la météo s’y prêtait. Les bandes de prés le long des ruisseaux, où l’on plantait des peupliers ou des vergnes (aulnes) s’appelait des vergnayes ou vergnasses.

À côté de ces espaces dédiés au bétail, existaient d’autres espaces pour les cultures qui, comme les précédents, n’étaient pas compris dans les règles d’assolement. Dans cette catégorie on trouvait les parcelles de jardin bien sûr, réservées à l’usage du fermier, et aussi les ouches. Celles-ci étaient des petites parcelles, souvent à proximité des bâtiments d’habitation, réservées à l’origine à l’usage de l’occupant des lieux, comme une prolongation du jardin. Le fermier y choisissait son usage à l’origine : pré ou culture de toute sorte ou verger. Au fil du temps le mot a perdu de son sens originel et on y trouvait principalement diverses cultures.

L’entretien de ces prairies naturelles était aussi réglementé par la coutume. Les clauses des baux de Joseph Guyet permettent de s’en faire une idée. Il fallait arracher les épines et les broussailles qui pouvaient y pousser et étaupiner, autrement dit « faire prendre les taupes », afin que ces prés « soient fauchables de haies en haies », c'est-à-dire à l’état de « faux courante » comme on disait. Le bail de la métairie de la Gagnolière (Essarts) indique en 1800 que le fermier « élaguera les prés de toutes épines et halliers (buisson) de façon qu’ils soient fauchables de haies en haies, abattra et égaillera (éliminer) les taupinières de façon que les dits prés soient bien unis ; fera et entretiendra les rouères (rigoles d’écoulement des eaux) ». Les fermiers devaient aussi pratiquer de nouvelles rigoles pour mieux agouter (écouler) l’eau.

Dans certaines métairies on trouve une clause concernant les chaintres. On appelait chaintre, la partie non labourée qui suit la haie, avec souvent des fossés en bout de champ, perpendiculaires au sens d’écoulement naturel des eaux, afin de recueillir celles-ci. Ils se remplissaient de bonne terre emmenée par les ruissellements, qu’il fallait récupérer pour la remettre dans le champ. En 1822, le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) indique que les preneurs « charroieront les chaintres des pièces de terre qu’ils emblaveront. » En 1823 le bail des métairies de la Touche et de Bellevue (Essarts) précise l’obligation de « de charroyer les chaintres des champs ensemencés en se conformant pour cela aux usages et coutumes du pays ». Ce sens du mot chaintre, tel qu’il apparaît dans les baux de Linières, est plus restreint que celui donné par Louis Merle dans son étude sur la Gâtine poitevine. Il désigne de ce mot l’espace, dédié à l’herbe et inculte, qui se trouvait le long des haies des champs. Il précise même que ces chaintres servaient de passages quand les fondrières des chemins rendaient ceux-ci impraticables. Il est possible que cette définition, plus large et englobant celle que nous avons rencontrée à Linières, pourrait s’appliquer au bocage de Chauché et des environs.

Cette rigueur imposée au fermier sur l’entretien des prairies naturelles, n’empêchait pas la coutume de réserver un statut privilégié au propriétaire chasseur de gibier, naturellement au détriment des cultures. Il était interdit au fermier de chercher à détruire le gibier. Et les oiseaux et bêtes sauvages pouvaient prospérer dans les landes et les haies. La chasse était un privilège des propriétaires des fiefs avant la Révolution, souvent des seigneurs. Cependant le droit des fiefs de l’Ancien régime interdisait de « chasser à cheval ou à pied sur les terres ensemencées depuis que le blé est en tuyau » (coutume du Poitou). La règle avait aussi interdit l’affermage du droit de chasse ou garenne, et l’administration des eaux et forêts « devait y tenir la main » (veiller à l’application) (5). Dans la pratique la chasse constituait bien un privilège seigneurial, y compris avec l’affermage du droit de chasse, qui fut aboli le 4 août 1789, et y compris avec son contournement par des braconniers

Des abus de braconnages s’en suivirent, et un décret du 30 avril 1790 dû réglementer le droit de chasse. Les propriétaires pouvaient chasser sur leurs terres closes sans restriction, et sur leurs terres non closes sauf en période fixée d’avance pour la sauvegarde des récoltes. Les propriétaires fonciers ont jalousement conservé ensuite ce privilège pendant longtemps. Dans son décret du 28 septembre 1791 sur la police rurale, l’Assemblée nationale avait édicté en son article 39 : « Conformément au décret sur les fonctions de la gendarmerie nationale, tout dévastateur des bois, des récoltes, ou chasseur masqué, pris sur le fait, pourra être saisi par tout gendarme national, sans aucune réquisition d'officier civil. »

Dans trois métairies de Joseph Guyet on repère une clause rappelant ce que la loi rendait déjà obligatoire. De là à penser que les métayers avaient besoin de ce rappel à l’ordre, nous franchirons volontiers le pas. Les coupables désignés à la postérité sont ainsi les fermiers de la Fontaine et de la Grande Roussière à Saint-Fulgent et ceux de la Morelière à Chauché. Au fermier il « est fait expresse défense de chasser sur ladite métairie et d’y tendre des pièges, lacets ou autres instruments propre à prendre ou détruire le gibier, ce droit étant réservé pour le propriétaire ; ils ne laisseront chasser personne sans la permission du bailleur ; ils feront à cet égard toutes diligences et poursuites nécessaires. »

Les vignes


La culture de la vigne obéissait à deux régimes différents.  Nous en avons un exemple à Sainte-Florence-de-l’Oie dans l’acte d’achat du fief de Puyberneau en 1775, où se trouvaient à la fois des vignes à pied et à complant. Ce bail particulier, appelé baillette de vigne à complant, obéissait à des règles définies dans des baillettes à complant (actes unilatéraux du bailleur), tenant compte du temps nécessaire à la montée en production de la vigne, à la durée de vie des ceps et aux soins particuliers dont ils ont besoin. Les journaux de terre de vigne (1 journal valait 50 ares environ) étaient traditionnellement appelés des « fiefs » en Bas-Poitou. C’est dire si les dénominations commerciales modernes des vins vendéens puisent leurs racines dans les profondeurs de leur histoire ! Le cultivateur complanteur possédait un droit de plantation de la vigne, indépendant de la propriété du sol. Il donnait en contrepartie un sixième ou un cinquième de la vendange au bailleur, à condition de cultiver suivant les règles de la coutume du Poitou officialisées dès le 16e siècle (6).

Pour Joseph Guyet, la vigne, comme les bois et taillis, étaient réservée par le propriétaire, et sa culture continuait d’être réglée par les usages. C’est ce qui explique sans doute qu’on en parle peu dans les trente-deux baux étudiés, seulement six fois dans quatre métairies.

Dans une courte clause du bail de la Mauvelonnière en 1828, il est écrit : « les fermiers seront tenus de recevoir et soigner le produit du complant de la vigne de la Mauvelonnière qui est réservé au propriétaire. » Un peu plus précise, est la clause du bail de la métairie de la Touche (Essarts) en 1822 : « la vigne dépendant de la métairie de la Touche demeure réservée au sieur Guyet, mais les preneurs s’obligent à la cultiver à moitié, comme avant les présentes, et lui donneront toutes les façons nécessaires. Ils y planteront des provins où il en manquera, la fumeront même, s’il est reconnu qu’elle en a besoin. » Ce partage à moitié est du colonage partiaire et non plus un bail à complant, mais remplacer les ceps morts par de nouveaux (provins) et fumer si nécessaire, représentait une charge significative, en plus du travail normal de la vigne, très réglementé avec des travaux précis à faire chaque saison (les façons). En 1826, le propriétaire fait un geste pour tenir compte du travail d’entretien et de replantation nécessaire. « Pour contribuer à la dépense, M. Guyet, à titre d’indemnité, abandonne la part qui lui revient dans la récolte de cette vigne pour la présente année 1827 ; en conséquence la vigne devra être maintenue en bon état de culture et laissée à la sortie bien plantée et n’avoir besoin d’aucune réparation à peine de tous dommages et intérêts. »

Dans le même esprit on a le bail de la Godelinière (Landes-Genusson) en 1821 qui précise : « les preneurs bêcheront et entretiendront la vigne qui fait partie de la ferme, la tailleront, replanteront et y feront des provins de manière à ce qu’elle soit convenablement plantée. » Et cinq ans plus tard on écrit : « Ils (preneurs) donneront à la vigne dépendant de ladite propriété toutes les façons usitées en cette contrée et la provigneront s’il est nécessaire. »

À la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent), le bail de 1815 réserve au propriétaire « le complant de deux fiefs de vigne qui était précédemment réunis à ladite métairie ». En 1829, changement de formule à nouveau : le propriétaire incorpore la vigne dans le bail de la métairie en se réservant un cinquième de la récolte : « en y joignant (à la métairie) le produit du complant, au cinquième, qui est dû sur les deux fiefs de vigne dépendants de ladite métairie. » Cette clause était celle des baux à complant d’autrefois.

Le matériel vinicole appartenait au propriétaire et celui-ci fournissait les fûts nécessaires au stockage de son vin. À la Roche au Roi, on trouve une exception, révélant un cas particulier. En bas du bail en cours, signé en 1829, on a ajouté : « Je soussigné, fondé de pouvoir de M. Guyet, certifie que le petit pressoir à vin qui existe sur la métairie de la Roche au Roi appartient en toute propriété au fermier Pierre Arnou qui l’a fait faire à ses frais de main d’œuvre et de matériaux. Saint-Fulgent le 15 septembre 1832 ».

Il ressort de ces clauses que le régime appliqué, tantôt ressemble à celui des complants d’autrefois, tantôt en diffère. Sans doute éloigné par principe de l’ancien droit féodal, auquel on assimilait le complant, le propriétaire semble s’être peu soucié de le maintenir. D’autant que les preneurs possédaient le droit de vendre leurs ceps de vigne et de le transmettre par héritage. C’était une manière d’introduire un étranger dans la métairie, peu compatible avec le caractère exclusif qu’avait pris le droit de propriété lors de la Révolution. Nous en avons un exemple avec un acte de rachat rédigé par le notaire de Saint-Fulgent, Frappier, le 27 juillet 1791. Les huit propriétaires d’une vigne d’à peine un hectare à Chavagnes-en-Paillers, la revendent au propriétaire du sol pour 181 livres. Ils l’exploitaient « à la cinquième partie des fruits y croissant et à quelques deniers de cens envers le seigneur Montaudouin (de la Rabatelière) comme propriétaire du fief de la Robretière » (7). Si la propriété de la vigne était transmissible, elle n’était pas absolue.  En cas de mauvais entretien de la vigne, le propriétaire du sol pouvait la reprendre à son compte. Or les clauses de Joseph Guyet, qui insistent sur le remplacement des ceps, ne sont pas cohérentes avec ce droit de la propriété de la vigne propre aux complants.

Rappelons qu’on a voulu abolir le régime du complant au moment de la Révolution, assimilé à un droit féodal ; il y eut discussions, puis après avis favorable du Conseil d’État, le gouvernement prit la décision exceptionnelle de le maintenir dans la Loire Inférieure. Il s’agissait pour les vignerons du muscadet de conserver la propriété des pieds de vigne, quitte à continuer de rétribuer le propriétaire du sol. Les Vendéens obtinrent le même régime en justice ensuite (8).

Les étangs


Nouvel étang des Noues (Saint-André)
Il y en avait un, qu’on appelait réservoir, à la métairie des Noues à Saint-André-Goule-d’Oie, et réservé au bailleur. En 1807 le bail indique : « le bailleur pourra faire mettre du poisson dans les fossés et réservoirs qu’il fera pêcher tout seul et quand bon lui semblera, le poisson devant toujours lui appartenir en entier ». Les enfants ne savaient pas plus lire les baux que leurs parents, mais on imagine la coutume bien connue de tous…

À la métairie de la Godelinière (Landes-Génusson) en revanche, il confie en 1821 l’exploitation des étangs aux métayers, en prenant sa part, alors qu’il s’agit d’un bail à prix fixe. La clause indique que les preneurs « jouiront des 3 étangs ou réservoirs, M. Guyet se réservant de prendre aux pêches qui seront faites par eux dans le cours du bail 36 carpes à son choix par chacune des dites pêches, ainsi que la moitié des anguilles ; les dits étangs et réservoirs seront laissés à l’expiration du présent bail suffisamment empoissonnés. Les preneurs les ayant reçus garnis du poisson nécessaire, et s’obligeant en cas de pêche de le repeupler en présence du bailleur. L’entretien et réparations des dits étangs ou réservoirs seront à la charge des preneurs. »

Le charbon de bois


En 1826 à la métairie de la Gagnolière des Essarts, il est indiqué : « de ne pouvoir faire du charbon sur ladite métairie ou avec le bois en provenant. » Et la même année à la métairie de Bellevue, toujours aux Essart, le bail prévoit la même clause. Cette production était-elle une spécialité locale ?


(1) Bail de l’Oiselière du 21-2-1790 de C. Guyet à Maindron et Enfrin, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13.
(2) Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1856-A2), page 145.
(3) Christian Hongrois, Bocage Vendéen des haies et des hommes, La Geste, 2024, pages 105 et 121.
(4) Ferme de la Boutinière de A. Tinguy à Roy du 7-6-1771, Archives de Vendée, Etude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/6.
(5) J. B. L. Archer, Traité des fiefs sur la coutume du Poitou, (1762), tome II, chapitre 12
(6) Douteau, Mémoire sur les complants du département de la Vendée 18 février 1822, Société d’Émulation de la Vendée, 1895 page 115, et 1896 page 59. 
(7) Rachat d’un complant de vignes à Chavagnes le 27-7-1791 par de Montaudouin, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13. 
(8) Idem (6).


Emmanuel François, tous droits réservés
Novembre 2012, complété en juillet 2024

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mardi 2 octobre 2012

Deuxième édition des « châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oie »

Le livre que j’ai édité moi-même en 2009 étant épuisé, j’ai hésité pour envisager une deuxième édition.

La portée limitée du sujet traité ne permet pas d’envisager un élargissement sensible du public touché par la première édition.

La poursuite des recherches, tant sur Linières que sur Saint-André-Goule-d’Oie, n’est pas terminée et une nouvelle édition devrait nécessairement modifier et compléter le contenu édité en 2009.

Mais il reste des lecteurs potentiels, même s’ils sont devenus rares, qui cherchent à acquérir le livre. On leur répond depuis un an qu’il est épuisé, ce qui est dommage.

Or l’arrivée des sites internet d’éditeurs en ligne apportent une solution tout à fait intéressante pour produire un livre dans cette situation. Certes, ils ne possèdent pas les mêmes atouts qu’un éditeur traditionnel, ayant pignon sur rue, pour promouvoir et distribuer leurs livres auprès des distributeurs habituels et ceux qui vendent sur internet. Mais les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie n’ont pas nécessairement besoin de ce type d’exposition habituelle sur son marché.

En revanche, ces nouveaux éditeurs savent concevoir et imprimer un livre à un prix abordable et adapté à un public réduit.

Ils proposent sur leur site des options de fabrication du produit : format, reliure, impression, papier, au choix de l’auteur. Leur logiciel permet ensuite d’accueillir les fichiers composant le livre, de composer une couverture et d’obtenir un numéro ISBN. C’est l’auteur qui crée lui-même le produit en maîtrisant son coût de fabrication. Cette création se présente sous forme d’un fichier de données numériques prêt pour l’impression.

Les nouvelles machines industrielles d’impression numérique opèrent comme les imprimantes personnelles, à la demande. Il n’y a plus de stock de livres à imprimer d’un coup pour l’éditeur. Le clic d’un acheteur sur le site de l’éditeur déclenche l’impression du livre et son envoi par la poste, dans un délai égal à celui de la commande d’un vieux livre déjà imprimé et stocké sur un site de vente par internet ou chez l’éditeur.

Bien sûr, la conversion des fichiers provenant d’un logiciel de traitement de texte en fichiers PDF demande un paramétrage particulier qu’on ne trouve pas dans OpenOffice. Bien sûr, l’auteur se retrouve seul pour les relectures du texte et concevoir une infographie présentable. Mais le site de l’éditeur accepte généralement les corrections à venir de l’auteur.

Passons sur le nombre de sites d’éditeurs en ligne, dont le service offert n’est pas à la hauteur de la description que nous venons de faire. Leur prix est très variable. Pour ma part j’ai choisi un site qui ne demande aucune participation financière de l’auteur, permettant en même temps de fixer un prix de vente compétitif.

De plus il prévoit, au choix, la possibilité d’une édition en livre électronique, que je n’ai pas prise pour l’instant. Son usage en France est confidentiel en ce moment, mais 15% des nouveaux livres publiés aux USA bénéficient en 2011 de cette nouvelle forme de lecture sur écran plat, les liseuses.
C’est ainsi que je me suis résolu, dans ces conditions, à une deuxième édition des châtelains de Linières à St André Goule d’Oie. Elle ne comprend pas de photos, pour limiter le coût d’impression, mais la plupart sont accessibles par internet. Le texte a été revu bien entendu et complété, principalement dans la période révolutionnaire, pour Marcel de Brayer et Amaury-Duval.


J’invite maintenant les curieux à utiliser le lien suivant pour faire connaissance avec la deuxième édition du livre (ctrl + clic gauche) : http://lulu.com/spotlight/efrancois




















Le nouveau sommaire a été mis à jour dans mon site (voir janvier 2010)



Emmanuel François

Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (Première partie)

Un des intérêts des baux écrits de Joseph Guyet avec ses métayers entre 1800 et 1830, réside dans leur illustration des techniques utilisées en agriculture à Chauché et aux alentours.

Déjà, l’étude très précise de Louis Merle en 1958, "La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la Révolution", donne des informations intéressantes. Mais l’aire géographique de la Gâtine poitevine, dans son étude, ne comprend pas la région de Chauché, se concentrant sur l’est vendéen et une partie des Deux-Sèvres. Certains critères mis en avant, comme les dates de débuts des baux, conduisent à ne pas confondre les deux régions, selon l’auteur.

La "Statistique ou description générale du département de la Vendée" de Cavoleau (1800), secrétaire général de la préfecture de Vendée, nous donne aussi des informations intéressantes sur les activités agricoles et les techniques utilisées dans notre bocage au temps de Joseph Guyet. Plus intéressant, car plus précis, est le même ouvrage annoté par A. D. de La Fontenelle de Vaudoré de 1844. Ces deux derniers documents sont accessibles par internet.

Toutes les informations puisées dans ces ouvrages, nous permettent de décrire l’activité agricole dans les métairies de Linières, car les clauses des baux viennent confirmer et illustrer ces informations. Plus que l’aspect juridique, c’est le contenu sur l’activité agricole révélé par ces baux qui est surtout intéressant. Et derrière l’activité, il y a les hommes et leur mode de vie.

Tous les baux écrits de l’époque n’entraient pas dans les détails de l’activité agricole. Ce n’était pas nécessaire car cette activité était encadrée par l’usage, qui s’imposait comme source prépondérante d’obligations en ce domaine. Nous disposons, à titre d’exemple de cette force de l’usage, d’un bail signé entre le propriétaire, un bourgeois de Luçon, et le fermier, un marchand du village de la Brossière, le 4 décembre 1743. Il s’agit d’affermer une borderie au village de la Ridolière de Saint-André-Goule-d’Oie (1). Rien n’est dit sur les obligations locatives ni les conditions d’exploitation. C’est pourquoi les baux de Joseph Guyet nous intéressent, car ils entrent dans bien des détails.

La charrue et les autres instruments de travail


Araire des Égyptiens
Le premier développement qui s’impose concerne l’état des techniques utilisées, à la base de tout pour décrire l’activité économique. Or la situation n’a pas beaucoup changé en ce domaine depuis le Moyen-Âge, qui avait vu la charrue remplacer l’araire héritée de l’antiquité. Les instruments et outils, qu’on appelait le cheptel mort, appartenaient au métayer. Étaient en métal, les socs des charrues, les dails, faucilles, serpes et quelques accessoires. Le reste était en bois : charrues, herses (de forme triangulaire), fourches, fléaux, charrettes (à deux roues) (2).


Charrue du Moyen Âge
 La charrue possédait un timon, ou aiguille en bois, qui s’articulait sur le joug des bœufs (pièce montée sur leur garrot), avec un anbllet ou ombier (3). Le joug (en frêne souvent) était lui-même attaché avec des jouilles (lanières en cuir). Elle comprenait trois pièces principales :
-        Un cep, pièce en bois d’un mètre de long, se terminant à l’avant par une pièce triangulaire en métal, le soc. Un versoir ou oreille rejetait la terre que le soc avait soulevée. C’était une planche en bois disposée à angle aigu sur le cep.

-        Une perche de deux à trois mètres de long, se dirigeant vers l’avant, adaptée au cep et qui recevait l’effort de traction de l’attelage.

-        Le mancheron qui s’adaptait à l’arrière de la perche sur le cep et servait à manœuvrer l’instrument.

Le bois de cette charrue était souvent le vergne ou aulne, léger et facile à travailler. Le soc de charrue provenait d’un vergne têtard plus dur. Ce dernier était aussi utilisé par les sabotiers, et pour fabriquer des pots à vin et des coussottes (sceau à eau) (3). La charrue ne labourait pas profond et nécessitait une paire, voire deux paires de bœufs. On attachait une paire supplémentaire de bœufs en la reliant à celle de derrière par un aplet (perche en bois). De plus, le laboureur devait appuyer sur la charrue à la force de ses bras pour l’aider à s’enfoncer dans la terre. On labourait en sillons séparés par des raïzes (entre-deux des sillons ou raies) le peu de terre remuée par le labour. Dans une première opération d’écrêtage, on divisait l’ancien sillon en trois parties : l’écrête du milieu restait en place et les deux côtés étaient rejetés dans les raïzes adjacentes par l’oreille de la charrue. Puis dans une deuxième opération de récurage, on fendait l’écrête du milieu, rejeté à droite et à gauche, en un ou deux passages, selon qu’il y avait une ou deux oreilles sur la charrue. Ces labours se faisaient au beau temps pour éviter de s’embourber dans les sols trop humides. Parfois on recommençait le labour du champ dans le sens perpendiculaire au précédent. On le voit, on ne labourait pas vraiment, on binait surtout, favorisant en même temps la croissance des "mauvaises herbes". La tradition s’amuse à rappeler la manière de toucher (conduire) les bœufs par les bouviers en dariolant (chantant) pour les entraîner. Les noms des bœufs étaient associés par deux, puisqu’ils travaillaient ensemble, non sans humour parfois : « L’amoureux-Galant », « Carreau-Cassé », Chatouillez-Nichons ».

Parmi les outils en fer, les principaux étaient les faucilles (à lame ouverte) qui avaient de petites dents pour scier, plutôt que couper, les céréales. Le volant était une serpe à long manche pour émonder les branches d’arbustes. Le croissant à long manche avait une lame courbe en forme de croissant pour débroussailler les buissons. La fourche à fagots avait 2 dents et un long manche. Le râteau servait à ramasser le petit bois et les copeaux. Le maillet avait une masse de fer ou en bois (orme), servant à fendre les cosses (bûches) à l’aide de coins métalliques. Le passe-partout était une grande scie métallique munie à chaque extrémité d’une poignée, pour scier les cosses, souches et troncs. La cognée était une hache servant à abattre les arbres ou à les tailler. 

Dail
Le dail (faux longue) servait à couper l’herbe et les ronces (3). En ce qui le concerne nous avons une incertitude sur le moment de son apparition dans l’agriculture du Bocage. Les historiens de la guerre de Vendée sont nombreux à l’avoir érigé en arme de guerre des insurgés. La serpe servait pour l’entretien des haies, et le couteau à parer les sabots servait à fabriquer ces derniers. À titre d’illustration, indiquons que le bail de la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent) du 19 avril 1815 prévoit que « le bailleur accorde aux preneurs deux vergnes (aulnes) par an pour leur faire des sabots et le bois nécessaire à leurs charrues ; le tout leur sera préalablement désigné par le propriétaire ou gens de sa part. » Le pic servait à extraire la cosse (au sens de racine profonde et non de bûche) des mauvaises plantes laissées par la charrue des labours.

Les engrais


           Au Moyen Âge                                           et maintenant                                                                
Les engrais ou pourrains, comprenaient les litières des animaux et les plantes pourries. Les fougères, ajoncs, genêts, bruyères, provenant des champs de landes, mais aussi les pailles, buailles (chaume), étaient répandues dans les trous des cours et des chemins pleins d’eau pour y pourrir. On abourrait (répandait) ainsi les ruages (chemins privés) pour obtenir un engrais appelé la bourrée, que l’on entassait en fumier avant de le répandre dans les champs. On utilisait un maximum de 25 m3 à l’hectare en Gâtine poitevine. Son utilisation était obligatoire dans la métairie et les baux interdisaient de la vendre. À titre d’exemple une clause du bail de la métairie de la Gagnolière (les Essarts), indique en 1826 que les fermiers s’obligent « de consommer sur les lieux tous les fourrages ainsi que les landes, ajoncs, et autres produits pouvant servir aux engrais. » En 1822, le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) dit clairement : « ils convertiront en fumier pour l’engrais des dites terres, toutes les productions à ce destiné sans pouvoir en vendre ni détourner aucune partie en façon quelconque. » En 1824, le bail de la métairie du Bourg de Saint-André-Goule-d’Oie précise : « Il est interdit aux fermiers de faire aucun déplacement ou enlèvement de terre dans les jardins sous prétexte de l’employer pour fumier d’engrais sans la permission express du propriétaire. » C’est qu’il existait une pratique chez les mauvais métayers, bien à courte vue, consistant à répandre de la terre de jardin dans les champs en guise d’engrais. Leur précarité dans des baux de cinq ans peut aussi expliquer leur tentation pour cette pratique.

Par contre on ne relève aucune trace dans les baux étudiés de l’écobuage pour obtenir de l’engrais. Il n’était sans doute pas pratiqué dans la région mais l’a été ailleurs dans le bocage. Cela consistait à enlever au printemps des carrés de surfaces gazonnées et à les mettre en tas les uns sur les autres, la partie gazonnée en bas. Les tas séchaient jusqu’à l’été, puis on les brûlait alors à l’étouffé. Les cendres étaient enfin étendues sur la terre quelques jours avant les semailles. La méthode épuisait très vite les sols et coûtait cher. Les brûlis ont pu exister, mais sans qu’ils soient évoqués dans nos baux. Ils consistaient à produire des cendres, utilisées comme engrais, en brûlant des plantes sauvages (ajoncs, bruyères et fougères). Ils apportaient soude et potasse à la terre. Notamment le genêt était la plante principale des pâtis ou terre en jachère. En le brûlant, la cendre enrichissait le sol en azote (3). L’usage des cendres du marais était marginal à cause de son coût, considéré comme élevé.

Les terres du Bocage, acides et grasses, nécessitaient, plus qu’en plaine, des moyens pour améliorer leur fertilité. On a par exemple une indication d’une sorte de gisement de marne à la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent), lors de sa visite du 10 mai 1824 (4). Les experts notent alors que dans le champ de la Landette, le long de la grande route, qu’« il y a été tiré de la terre de maçon ». Les engrais étaient réservés aux céréales nobles et il en manquait pour les fourrages, et pour envisager de créer des prairies artificielles. 

Mine de charbon de Faymoreau (Vendée)
On sait qu’à partir de 1840/1850, c'est-à-dire peu de temps après la période observée, va se produire progressivement dans la région la révolution des charrues en acier et du chaulage des terres (avec la chaux), qui va transformer l’agriculture du bocage. La naissance de la sidérurgie va apporter de nouvelles charrues, nées en Angleterre à la fin du 18e siècle et retournant la terre en profondeur. On attendra avant d’en voir apparaître en Vendée. Le charbon de Faymoreau va permettre de chauffer les premiers fours à chaux, en particulier vers Chantonnay, produisant la chaux en plus grande quantité à un coût abordable (5). Il faudra ensuite encore attendre la construction des routes pour amener ce nouvel engrais partout dans le bocage.

C’est le fils de Joseph Guyet qui connaîtra ces progrès à la fin de sa vie, et surtout ses successeurs. Les baux de notre période ne s’appliquent qu’aux techniques d’avant, que nous venons de décrire. Et de ces techniques, il s’en suit un système ancestral d’assolement des terres, peu productif.

Les règles d’assolement


En général une métairie comprenait une petite part en pairies naturelles, ouches, jardins et vergers, et le reste en trois parties, la première ensemencée en grains et cultivée de fourrages, la deuxième en jachère annuelle et la dernière en jachère permanente, qu’on appelait pâtis ou landes.

Les terres étaient emblavées (ensemencées) deux années (la première en blé, la deuxième en d’autres espèces de céréales ou plantes fourragères), puis laissées en guéret (terre labourée non ensemencée), c'est-à-dire en jachère (repos) la troisième année, le tout pendant un cycle de six à huit ans. Après quoi le champ était abandonné à lui-même pour devenir un pâtis, servant au pâturage, qu’on appelait aussi une lande. Il entrait en jachère permanente, quoique ce dernier mot ne soit pas à prendre au pied de la lettre. Mais si cette terre ne produisait pas d’elle-même des genêts par exemple, on en plantait avec les dernières semailles qui précédaient l’abandon en jachère permanente. Puis on cultivait ces landes en laissant une largeur suffisante entre les sillons, où poussaient genêts, ajoncs, bruyères, fougères, suivant la nature du sol. On laissait les plantes croître pendant trois ou quatre années, avant de faire pacager le champ. On a vu que les genêts servaient à fabriquer les bourrées (engrais de plantes pourries), mais on pouvait aussi les vendre, ainsi que les ajoncs, pour alimenter les fours à chaux et à tuile de la région. Ainsi les jachères permanentes subsistaient de six à dix ans et ensuite on les défrichait pour les convertir en terres labourables, mettant fin à un cycle complet d’assolement de la terre.

Ces règles de jachère étaient gravées dans le marbre. La coutume du Poitou qui s’appliquait sous l’Ancien Régime, écrit dans son article 104 pour les terres labourables seulement : « Quant aucun tient terre à terrage (6) au pays de bocage, il doit à tout le moins avoir emblavé la tierce partie, l’autre tierce tenir en guérets (terre en repos) et l’autre tierce partie laissée en pâturage (pâtis). Et au pays de plaine, il doit emblaver la moitié et l’autre moitié avoir en guérets » (7).

Ces règles, appliquées avec des accommodements propres à chaque petite région, quoique souffrant des calamités climatiques, étaient une exigence pour le propriétaire qui ne voulait pas voir épuiser le sol. Le métayer entrant voulait une surface suffisante de terre à ensemencer. Le collecteur d’impôts voulait des revenus constants d’une année sur l’autre. La taille répartie entre les propriétaires était répercutée sur les métayers, et l’appauvrissement de ces derniers constituait une charge pour les autres. Elle était répartie en effet au sein des paroisses entre les familles en fonction du revenu apparent.

Terre en jachère
Certains baux de Linières ont tenu à rappeler au respect de ces règles. Ainsi le bail des métairies de la Touche et de Bellevue (les Essarts) en 1823 dispose que les métayers « promettent de labourer, fumer, cultiver, ensemencer par soles de saisons convenables ». En 1826, la clause ajoute qu’ils s’obligent : « de lever (premier labour) chaque année une quantité convenable de landes et de les laisser en bon état de culture et de se conformer pour l’ensemencement et les guérets à l’usage des lieux. » En 1822 le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) comporte cette clause : « Ils (fermiers) laboureront, cultiveront, sèmeront et ensemenceront les terres par soles et guérets sans pouvoir les surcharger, ni dessaisonner. Ils laisseront quantité de guérets anciens et nouveaux lors de leur sortie, suivant les usages locaux. » Parfois le propriétaire met les points sur les « i », montrant qu’il surveille l’application des règles, comme à la métairie de la Mauvelonnière (Chauché) : les fermiers « s’obligent également à jeter à plat et à laisser en bonne nature de pré et en état de fauche le pré dit le pré Long des Landes qu’ils ont ensemencé depuis plusieurs années. » Et cinq ans plus tard il précise pour le même pré : « le pré dit le pré Long des Landes, devant être en nature de pré au terme du présent bail, il ne pourra être labouré, les preneurs devront le faucher et le laisser en bonne nature de pré à faucher. »

Ce respect des règles d’assolement conduisait le propriétaire à surveiller les défrichements des jachères permanentes. Il avait adopté des durées de baux de cinq ans en général, n’intégrant pas le cycle, parfois du double, de ces jachères souvent appelées landes. Ceci l’amenait à inclure des clauses propres à ces défrichements et propres à chaque bail dans la moitié des baux de l’échantillon étudié. Elles concernaient tant les baux à colonage partiaire que les baux à prix fixe. Il y en avait de deux sortes : celles qui désignaient les champs à défricher et les travaux à y faire (40 %), et celles qui fixaient une surface à défricher dans un temps imparti (60 %).

Métairie des Noues (Saint-André)
Ainsi pour la métairie des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie) en 1816, il est indiqué que les preneurs s’obligent « de lever (premier labour) pendant le présent bail les deux champs des Landes et le champ Bruleau ». En 1823 à la Mauvelonnière (Chauché), « les preneurs s’obligent à lever, dégâter (enlever les plantes sauvages) et mettre en bon état de labour le champ des landes de la moitié actuellement en landes qui sera laissée en nature de terre labourable et en bon état à la fin du présent bail ». En revanche pour la métairie du Bourg (Saint-André-Goule-d’Oie), la clause indique en 1824 et 1828 que les preneurs « s’obligent à les dégâter et mettre en bon état de labour la quantité de cinq boisselées de landes. » De même, pour la métairie de la Grande Roussière (Saint-Fulgent), le bail précise en 1822 que les preneurs « … défricheront annuellement 72 ares 90 centiares ou 6 boisselées, mesure locale, de landes. Néanmoins cette quantité n’est pas rigoureusement exigée chaque année, pourvu qu’il s’en trouve à l’expiration du présent bail 3 ha, 64 a, 50 c, 30 boisselées de défrichés, qu’ils renfermeront dans une clôture morte dont le bois sera pris sur ladite métairie. »

À cette occasion nous voyons le notaire indiquer les surfaces avec les deux mesures employées. Celles que tout le monde utilisait, la boisselée, et celle qui avait seule valeur légale, et que le notaire était bien obligé d’écrire, l’hectare avec ses subdivisions. Si la mesure légale était la même pour tous, la boisselée variait en fonction des anciennes juridictions seigneuriales de l’Ancien Régime. Le notaire précisait parfois quelle mesure locale il appliquait. Faute de le faire ici, cela veut dire qu’il s’agit de la mesure locale du lieu loué. Il faut savoir que la boisselée de Saint-André était celle des Essarts (1216 m2) et d’une partie de Chauché. L’autre partie de Chauché appliquait la mesure de la Jarrie, dite de la Rabatelière (1046 m2). Enfin à Saint-Fulgent, la boisselée valait 1215 m2, comme on le voit dans notre exemple. C’est à la fin du 19e siècle qu’on décidera d’unifier la valeur d’une boisselée pour tout le canton de Saint-Fulgent à 10 ares ou 1000 m2 (8). C’est dire que la boisselée a survécut longtemps dans l’usage, malgré son défaut de valeur légale et ses différences de valeur entre communes. 

Enluminure
Le défrichement consistait à araser le sol après avoir enlevé les érondes (ronces) et coupé tous les genets, ajoncs etc. qui se trouvaient dans la lande. On enlevait les mottes d’herbes pour dégager la terre arable sous-jacente. L’opération s’appelait pelage, et certains journaliers s’en faisaient une spécialité, on les appelait des « peliers » (9). En novembre et décembre on labourait avec un fort attelage de bœufs. Un deuxième labour et hersage s’effectuaient au début du printemps suivant, qu’on recommençait à la fin du printemps. En août on labourait une quatrième fois pour former les sillons et on recommençait une cinquième fois pour les semailles en octobre. L’année suivante on semait souvent sur un seul labour.

Ces règles d’assolement, on l’aura compris, résultait de l’état des techniques utilisées. Elles ont déterminé elles-mêmes l’orientation de l’activité agricole vers la culture principalement, ne faisant presque de l’élevage que son accessoire sur les sols pas assez humides et trop acides. En final, on va constater que la richesse produite va dépendre de la taille de l’exploitation. Compte tenu de la part d’environ un tiers à la moitié de sa surface utile à la culture, produisant les trois quarts des revenus, une borderie de 5 ha produisait peu de richesse et enfermait son propriétaire exploitant dans une économie de subsistance, l’obligeant même le plus souvent à une activité complémentaire. Par contre, une métairie de 40 ha, produisait de la richesse pour le métayer, bien au-delà du fermage à payer. On comprend aussi pourquoi le métayage de la petite borderie ne pouvait exister qu’en association avec d’autres surfaces à cultiver. Sa dimension réduite ne pouvait offrir, à elle seule, qu’un espace de propriété. 

Mais ce constat pour la grande métairie trouve sa limite dans le coût de la main d’œuvre. Il était réduit dans les communautés familiales composées du père et de ses enfants, ou de plusieurs frères et beaux-frères. Cette communauté ne pouvait exploiter une trop grande surface sans faire appel à une main d’œuvre supplétive qu’il fallait payer. Au-delà d’une certaine surface, la création marginale de richesse diminuait sensiblement.

Quand, à partir des années 1840/1850, la révolution de la charrue en métal et du chaulage des terres va modifier les règles d’assolement, et augmenter les possibilités d’élevage, on va voir les exploitations se démembrer pour répartir les revenus sur un plus grand nombre d’entre elles. En devenant plus petites elles se sont adaptées à la dimension intangible des communautés de métayers. C’est que la structure de ces communautés familiales n’a pas changé tout au long du 19e siècle, et la révolution technique, ne concernant que l’outil de travail, a été mise à leur service dans un premier temps, ne faisant que retarder, semble-t-il  dans un deuxième temps, l’exode rural. Au départ, outil d’adaptation à une nécessité technique, les communautés familiales étaient devenues une norme sociale. Elles disparurent au 20e siècle avec l’évolution des mœurs.  


Les défrichements de bois


Les bois futaie (à usage du bois de charpente) et les taillis (à usage de bois de serpe ou chauffage) étaient souvent réservés par le propriétaire dans les baux des métairies pour garder le produit des ventes. Les coupes devaient alors obéir à l’Ordonnance royale des eaux et forêts, celle-ci ayant pour but de réserver à l’État la priorité du bois de charpente nécessaire aux constructions des bateaux (10).

Les défrichements de landes que nous venons de décrire ne sont pas à confondre avec des opérations de défrichement entreprises par Joseph Guyet pour mettre des bois en culture, continuant ainsi l’œuvre commencée dans la région au Moyen Âge. Nous avons rencontré la première aux Essarts sur la métairie de Bellevue en 1823. Le propriétaire s’engage à arracher une gîte (bois ou taillis), dans le cours des deux premières années de la jouissance des preneurs. De leur côté les preneurs s’engagent à défricher, cultiver et ensemencer comme les autres terres cette gîte au fur et à mesure qu’elle sera arrachée.

Aux Landes-Génusson, Joseph Guyet vend sa superficie de bois qui est sur la pièce de terre dite du Bois de la Cure, faisant normalement partie de la métairie de la Godelinière, à Gabriel Maillard forgeron demeurant au bourg de la commune, le 24 octobre 1827. Le prix de vente est de 200 F et le délai maximum pour faire les coupes et arrachages est fixé au mois de mai 1830. Après quoi, les portions de terrain seront déblayées et labourées de suite « de telle manière que la pièce de terre soit mise en bonne et pleine culture. »

C’est une autre opération de même nature qui est convenue dans le bail de Villeneuve (Chauché) signé le 8 juillet 1829, Joseph Guyet afferme la métairie pour le prix de 720 F par an pendant sept ans, durée inhabituellement longue chez lui. Les nouveaux fermiers, originaires du bourg des Brouzils, sont trois couples : Bossu, Brodu et Belamy. Ils s’engagent à garder le métayer actuel dans le même statut de colonage partiaire et sont donc autorisés à sous-affermer, c’est le seul cas rencontré de sous-affermage. De même, « Il est observé qu’une partie des bâtiments de Villeneuve est occupée par la veuve Fonteneau qui est fait à titre de bail verbal. Les preneurs sont chargés de l’exécution de son bail ou de le résilier si bon leur semble à leurs risques et périls. » L’objet principal du bail est de défricher le bois futaie de la métairie « pour mettre en emblaison (ensemencé) en 1836. Le bailleur fait faire les fossés et les preneurs feront les haies. Le champ de Vergnasse sera dégâté (enlever les plantes sauvages) puis ensemencé et ensuite mis en pré. Seront également mis à plat et laissé en nature de pré deux ans au moins avant la fin du bail les deux parties du pré dit Etang de la Morlière qui se labourent actuellement, alors que le métayer était tenu de mettre à pré. Il est interdit de faire pacager sur les nouveaux prés ainsi disposés dans les temps et saisons pluvieux et où les bestiaux seraient dans le cas de faire des dégradations. » Ce défrichement ne concerne pas néanmoins le bois taillis connu sous le nom de Gîte des Vergnais et celui connu sous le nom de Petite Gîte de la Pague.

Dans le même esprit de restructuration de l’espace dédié à l’agriculture, Joseph Guyet a entrepris de faire creuser par les métayers un important fossé dans la métairie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, en 1828. Il s’agissait de partager le champ du Martinet en deux parties égales par un nouveau fossé de trois mètres de large, garni de gazon mais aussi planté « tout du long de plants d’aubépine et de jets d’arbres de bonne semence de trente mètres de distance, greffés à bons fruits ensuite. »

Article à suivre …

(1) Bail du 4-12-1743 de P. Coutouly à F. Fluzeau, Archives départementales de la Vendée, Don Boisson : 84 J 30. 
(2) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la RévolutionÉditions Jean Touzot, SEVPEN, Paris, 1958.
(3) Anneau en nerfs de bœuf ou en chêne tressé, Christian Hongrois, Bocage Vendéens Des haies et des hommes, La Geste, 2024, pages 216, 266, 157 et 249.
(4) Visite du 10 mai 1824 de la métairie de la Roche au Roi, Archives de la Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138. 
(5) Statistique ou description générale du département de la Vendée de Cavoleau, annotée par A. D. de La Fontenelle de Vaudoré, 1844.
(6) En Poitou le terrage était un droit très répandu de gerbes de blé et de légumes dus au propriétaire par le tenancier d'une terre cultivée. Accompagné d’un cens, c’était une simple charge foncière. S’il était seul, sans le cens, c’était un droit seigneurial emportant les autres (lods et ventes etc.).
(7) Cité par L. Merle dans l’ouvrage indiqué ci-dessus (note 4).
(8) Archives de la Vendée, Usages locaux du canton de Saint-Fulgent (édition 1897).
(9) Livre de recettes en argent de la Rabatelière (1730-1768), Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, pages 42, 54, 103 et 118.
(10) Ferme du 12-7-1786 de la métairie des Renardières, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier/Lepinay : 1 Q 228 no 234.


Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2012, complété en juillet 2024

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