mercredi 1 avril 2020

La métairie de la Télachère à Chavagnes en 1760-1768


La métairie de la Télachère à Chavagnes-en-Paillers fait partie, dans la période de 1760 à 1768, des 4 métairies affermées à colonage partiaire à moitié fruits, dont on suit les recettes chaque année dans un livre de comptes de son propriétaire, le seigneur de la Rabatelière (1). La notion de colonage partiaire était issue du droit romain et l’emploi de l’expression a disparu progressivement au 19e siècle. Elle désignait un type de bail où la rémunération du bailleur consistait à lui donner, non pas une somme d’argent mais une quotité (la moitié souvent) de toutes les récoltes et productions de l’exploitation. À ces 4 métairies s’ajoutaient 14 autres métairies appartenant à la même seigneurie et affermées à prix d’argent, pour lesquelles n’apparaissaient dans les comptes que les montants des fermes perçus aux termes de leurs échéances annuelles ou semestrielles. Ces 18 exploitations ne comprennent pas d’autres métairies dépendant des seigneuries de Languiller ou la Chapelle par exemple, appartenant aussi à la Rabatelière, et dont cette dernière n’enregistrait là aussi que le revenu final. Dans cet ensemble de métairies on constate que le type de ferme à partage de fruits était peu répandu. Et la remarque vaut aussi pour d’autres propriétaires de la région. L’intérêt pour nous est qu’avec le partage à moitié des produits de l’exploitation, on enregistrait les recettes données au bailleur en distinguant les blés (céréales) et les bestiaux. Cela nous donne des informations précieuses sur l’activité de la métairie, représentatives de l’agriculture d’alors dans la contrée.

La métairie, les métayers et les propriétaires


Bois de la Télachère
Les terres et les bâtiments de la métairie de la Télachère avaient été arpentés et estimés en 1659. Les surfaces exploitées totalisaient alors 367 boisselées à la mesure en vigueur à Chavagnes-en-Paillers, soit 37 ha environ, plus 8 boisselées de surface de bâtiments et jardins. Les prés n’occupaient que 18 % des 367 boisselées et les terres 82 %, suivant une proportion habituelle à l’époque dans la contrée (2). Il est très probable que ces chiffres n’ont pas beaucoup bougé un siècle plus tard. On aurait pu s’attendre à une surface de prairies naturelles plus importante, car certains espaces ne devaient pas manquer d’eau, à cause d’une source vers le bois de la Télachère qui donnait naissance à un ruisseau descendant vers la Menardière (3). En 1760 la métairie comportait 3 paires de bœufs, dont 2 paires étaient utilisées au trait et l’autre paire était dédiée à l’engraissage des bœufs âgé ou l’appareillage des jeunes bœufs. Ils confirment qu'une métairie à 4 boeufs faisait en viron 40 hectares, qu'une métairie à 2 boeufs en faisait environ 20, et qu'une métairie à 6 boeufs, faisait environ 60 hectares. L’arpentement de 1659 ne nous donne pas malheureusement les surfaces occupées par les cultures, la part la plus importante étant en repos temporaire appelé jachère.

Dans la période de 1760 à 1768 les métayers sont Mathurin François et ses enfants, qui étaient arrivés de la Boule (Rabatelière) en 1755, après avoir quitté en 1741 la Boninière (Saint-André-Goule-d’Oie). Mathurin François était né en 1700 à la Racinauzière (Saint-André), où son père, René François, était métayer. Il décédera à la Télachère dans la période étudiée en 1766, mais la communauté d’une partie de ses enfants continuera le bail. Le choix de cette métairie pour une étude tient entre autres à une curiosité toute personnelle, puisqu’il s’agit de mes ancêtres. Pendant la période 1760-1768 la famille possédait une borderie de 6 ha environ à la Boninière, exploitée par un des enfants de Mathurin, Louis François. À cause des jachères nécessaires pour reposer la terre pauvre, car trop acide de ce bocage vendéen, l’enrichissement de l’exploitant nécessitait une surface de sol importante. Et mieux valait pour faire fortune louer une grande métairie qu’exploiter une petite borderie à soi. Le choix de Mathurin François par le châtelain de la Rabatelière marque la confiance placée en lui à cause du type de bail, où on partageait les fruits du travail du métayer, c’est-à-dire sa qualité, et aussi les aléas de l’activité agricole. Mathurin François avait un atout, ses 8 enfants vivant en majorité en communauté de biens meubles avec lui. Il avait dans sa communauté en 1760 trois fils mariés : Jean l’aîné, Jacques et René, et deux jeunes filles célibataires : Louise et Marie. La communauté avait ainsi une force de travail nécessaire et suffisante pour faire tourner la métairie, compte tenu de l’état des techniques agricoles de l’époque héritées du Moyen Âge. La main d’œuvre suppléait ainsi à l’archaïsme de ces techniques. Et outre son expérience, Mathurin François avait eu le temps d’apprendre à lire et à compter, comme on le voit à la qualité de sa signature, ce qui n’était pas si fréquent. Enfin, il faut noter le peu de concurrence chez les métayers, qui aurait affaibli leur capacité économique. Les conditions du métayage étaient stables à cette époque dans les domaines du château de la Rabatelière, fixées par les propriétaires, lesquels choisissaient leurs métayers d'abord sur leurs capacités. L’itinéraire de Mathurin François a été celle d’un entrepreneur, qui a changé d’horizons pour faire fortune. Pour l’histoire de la Racinauzière, voir l’article publié sur ce site en mars 2016 : La Racinauzière

Château de la Rabatelière
L’écriture des comptes de la seigneurie de la Rabatelière parait être celle du régisseur à partir de 1756, remplaçant le propriétaire lui-même, René Montaudouin, qui avait vécu, fait exceptionnel, depuis une quinzaine d’années avant sa mort au château de la Rabatelière. Il a très probablement choisi personnellement Mathurin François pour venir exploiter la Télachère. Il mourra sans descendance en juin 1755, deux mois après l’installation du métayer. Sa succession ne fut partagée qu’en 1779, et ses frères la gérèrent en indivision en attendant. D’abord Nicolas Montaudouin, mort en 1762, puis Thomas, mort en 1768. C’est ensuite Anne Montaudouin, veuve de Nicolas, qui assumera la gestion de l’indivision jusqu’à son terme.

Comparaison des revenus avec la ferme à prix d’argent


Le bail de la Télachère en 1727 avec un prédécesseur de Mathurin François, était à prix d’argent de 220 £ par an (4). En 1740 le propriétaire dut accepter une baisse de la ferme à 200 £ par an. De plus il y possédait une valeur de bestiaux de 600 £ sans rémunération pour lui, ce qui était rare (5). Foulloneau, le métayer de 1727, devait cette même année à Pierre Bruneau, seigneur de la Rabatelière, la somme de 314 £. C’est ce qu’on lit dans un état des créances établit après la mort du bailleur en avril de la même année, qualifié d’« état des mauvais crédits ». On y trouve aussi d’autres métayers dans huit autres métairies dans la même situation pour un total de 2 400 £. (6). Ces constats révèlent des difficultés d’exploitations que nous ne connaissons pas, probablement liées aux ravages de la glaciation climatique de la fin du 17e siècle, qui a engendré une forte mortalité. Les terribles années 1692/1696 et l’hiver 1709 ont laissé des traces à Chavagnes-en-Paillers sur le nombre de morts, moins fort qu’ailleurs néanmoins, et sur les fortunes. On en voit la manifestation par exemple dans les 10 petits achats effectués en 1726/1728 pour un total de 508 £ à la Guibonnière (Chavagnes) par François Marchais, licencié ès lois (7). On mit du temps visiblement à la Télachère pour effacer les séquelles du refroidissement climatique ayant pris fin en 1711. 

Le bail de 1727 à prix d’argent à la Télachère fut renouvelé jusqu’en 1747. Après nous n’avons pas de baux conservés mais des écritures de recettes dans les comptes du châtelain de la Rabatelière pour cette métairie. Il y apparaît que la ferme en argent fut payée jusqu’en mai 1749 et qu’ensuite les rentrées d’argent provenaient des ventes de bestiaux par le même métayer en place depuis 1740, un nommé Thomazeau. Ainsi de 1750 jusqu’à l’arrivée des François en 1755, le bail de la métairie n’était plus à prix d’argent mais à partage de fruits à moitié entre le bailleur et le preneur (8). Il semble bien qu’il ait fallut attendre les années 1750 pour faire sortir l’exploitation de la Télachère d’une situation médiocre, comme trainant toujours les séquelles des désastres climatiques du début du siècle. Le phénomène apparait moins dans les montants des fermes à prix d’argent, mais plutôt dans leurs retards de paiements. Néanmoins le montant de la ferme de la Roche Mauvin a remonté en 1726, celui de la Mancelière en 1728, et celui de la Racinauzière en 1734.

Le nouveau bail de 1755 avec les François indique une valeur de bétail investie par le bailleur à 909 £, qui était peut-être celle déjà estimée depuis 1750. La rémunération du bailleur, mesurée dans une nouvelle tenue des comptes plus détaillée, augmenta sensiblement dans la période 1760/1768, et peut-être un peu avant. La moyenne annuelle des revenus perçus dans cette période par le bailleur a été de 472 £, dont 53 % provenant de la culture des céréales, le reste de l’élevage du bétail et divers. Et ce montant représente la moitié des revenus générés par l’exploitation.

La métairie passera à prix à prix d’argent en 1781, mais pour un montant global non détaillé de 550 £, comprenant des droits féodaux à percevoir à la Giroulière (Rabatelière) et à la Rabaudière (Essarts) (9). Ceux-ci peuvent être évalués à 120 £ environ (10 et 11). De ce fait le bailleur passa d’une rémunération pour la Télachère de 472 £, au temps du partage des fruits à moitié, à 430 £ (550 £ – 120 £), soit une perte de l’ordre de 42 £, imputable au changement de type de bail en grande partie. Ainsi dans le cas de la Télachère, le bail à prix d’argent parait moins rémunérateur au bailleur, de l’ordre de 10 %, que le bail à partage à moitié fruits.

Maison à la Télachère (2020)
Par ailleurs on possède les montants des droits de rachats déclarés en 1755 par le propriétaire. C’était un droit payé par le vassal à son seigneur suite à la mutation d’un bien immeuble, par héritage notamment. Il a été de 150 £ pour la Télachère (12). Or on sait que pour le suzerain seigneur des Bouchauds (aux Essarts), ce droit équivalait au montant d'une ferme annuelle d’une métairie. La règle fixant le montant était peut-être la même chez le suzerain de la Télachère. Or le bail des François à la Télachère avait commencé en 1755 et fut renouvelé en 1768 aux mêmes conditions (13). On déduit donc de cette valeur de 150 £ que son montant déclaré en rachat sous estimait la valeur réelle des revenus, ce qui n’aurait pas été possible de faire avec les fermes à prix d’argent. Et on fait le même constat avec la grande métairie de la Maisonneuve aussi à partage de fruits à cette époque. Il suit de cette constatation que le droit de rachat ne peut pas servir de base pour comparer les revenus tirés du partage à moitié fruits et ceux d’une ferme à prix d’argent. Cela fait penser aux déclarations fiscales : quand on peut minorer un montant déclaré on n’hésite pas à le faire.

De plus, le montant des fermes à prix d’argent tenait compte des montants des redevances féodales et autres qu’elles supportaient, payées par le métayer. À la Télachère aussi la métairie devait une redevance de 18 boisseaux de seigle au seigneur de la Grallière (Chavagnes). Mais le seigle était prélevé avant le partage à moitié des récoltes entre le preneur et le bailleur, c’est-à-dire qu’ils partageaient cette charge entre eux par moitié. Ces situations de charges seigneuriales variaient pour chaque métairie et il faut en tenir compte, quand on le peut, pour des comparaisons de revenus entre elles et entre types de baux.

Nous avons une autre approche chiffrée avec la métairie de la Martinière. De 1760 à 1768 les revenus du bailleur tirés du partage à moitié des fruits s’y élèvent en moyenne à 265 £ par an, alors qu’elle était affermée à prix d’argent en 1698 à 230 £, plus des redevances en nature (petits animaux surtout) qui, cette année-là (32 £), montaient le revenu à 262 £ (14). La somme de 32 £ est anormalement élevée pour de simples menus suffrages, et cette pratique n’est pas une ferme à prix d’argent exclusivement, plutôt un mix entre les deux types de baux. Et faute de connaître le montant total des redevances en nature en moyenne annuelle dans ce cas, la comparaison entre les baux devient difficile.

M. Gateau : Les foins (coll. Part.)
Le bail à prix d’argent garantissait un revenu stable et régulier au bailleur, alors que le bail à partage de fruits subissait les habituels aléas agricoles et nécessitait un suivi de l’exploitation. Celui-ci était propre à chaque propriétaire et il est difficile de l’apprécier dans l’absolu. En effet les céréales apportées aux greniers du bailleur étaient vendues par lui. Or le château de la Rabatelière avait beaucoup de terrages et rentes en nature de blés et vins, dont il devait vendre les produits au bon moment en cours d’année, n’en gardant qu’une petite partie pour la consommer ou la verser lui aussi en rentes à d’autres seigneuries. Pour peser sur les prix, un fort volume de vente pouvait faciliter sa position, et les fruits de quelques métairies contribuaient ainsi à ce volume. En 1760 les terrages de seigle rapportaient 335 boisseaux au château, auxquels s’ajoutaient 748 boisseaux de seigle provenant des 4 métairies à partage de fruits (15), plus une quantité inconnue cette année-là provenant des rentes dues au château.

L’achat et la vente des bestiaux pouvaient être délégués au métayer, mais à la Télachère le bailleur en pratiquait lui-même parfois. À voir le détail des ventes on retient l’idée que certains animaux de la métairie approvisionnaient le boucher auprès de qui le château se fournissait en viandes (16). Il en avait été de même quelques dizaines d’années plus tôt à la Martinière. En conclusion on retiendra que la tendance générale valorisait davantage les revenus avec le partage à moitié fruits qu’avec les fermes à prix d’argent, mais qu’il est bien difficile d’évaluer cette différence avec précision au château de la Rabatelière, de l’ordre de 10 % à la Télachère. Cette différence était réduite par une contrepartie de coûts chez le bailleur, les régisseurs ne travaillant pas gratuitement.

Les cultures


S’agissant des cultures de céréales le seigle dominait, représentant 71 % du nombre de 420 boisseaux de toutes céréales récoltées au total en moyenne annuelle sur les 9 années connues. Les semences étaient à charge à moitié entre le bailleur et le preneur à la Télachère. En 1760 et 1761, on compta 40 et 36 boisseaux chaque année pour les semences de seigle. On peut ainsi calculer un rendement en 1761 de 5,9 boisseaux récoltés pour 1 boisseau semé. C’est peu, mais pour une année faible en récoltes qui se traduisit par une crise frumentaire dans la paroisse voisine de Chauché (voir les comptes de la confrérie de la charité de cette paroisse, publiés en avril 2017 dans La confrérie de la Charité de Chauché (1685-1788). En 1763 le rendement de cette bonne année se suppute à 10,4 boisseaux environ récoltés pour 1 boisseau semé de seigle. On ne peut pas rapporter le rendement à la surface cultivée faute de connaître cette dernière. Néanmoins un rapprochement avec les rendements d’aujourd’hui sur les terres semblables de Linières (Chauché), permet d’approcher ces chiffres de rendement. Certes la méthode est audacieuse et pas académique, mais c’est la seule façon ici de contourner le vide documentaire. C’est de l’anachronisme sous couvert d’arithmétique, car on ne connaît pas le type de semence de seigle utilisée en 1760 et son rendement. Et en Histoire l’anachronisme s’apparente à une faute, mais ici avouée … ! En agriculture conventionnelle on récolte aujourd’hui 66 fois en moyenne le volume semé pour le froment, ce qui correspond à 75 quintaux à l’hectare à Linières (18). En transposant cette correspondance au rendement de 1760 de 10,4 quantités récoltées pour une semée, on obtint 12 quintaux à l’hectare, chiffre qui est en cohérence avec ceux trouvés dans les publications d’historiens pour ce milieu du 18e siècle. 

Dans le village de la Télachère 
À Chavagnes la densité du seigle valait 0,89 de celle du froment en 1769 (18). En transposant ce rapport cela donne un rendement du seigle de 11 quintaux à l’hectare environ. En agriculture biologique ces chiffres sont moitié moindres de nos jours. Le seigle n’est plus cultivé à Linières, et la documentation statistique actuelle donne des rendements en culture biologique allant de 20 à 50 quintaux à l’hectare suivant le type de sol et le choix des semences. Nous ne connaissons pas non plus les semences de seigle utilisées en 1760, et la fourchette de résultats proposés rend la comparaison trop hypothétique. De plus, si le seigle est d’un rendement plus faible que celui du froment, il résiste mieux au froid et a moins besoin d’azote, ce qui explique probablement sa prépondérance dans la contrée autrefois. Le pain de seigle revient à la mode dans les boulangeries, étant plus riche en protéines et ignorant qu’il fut longtemps considéré comme le pain des pauvres ! Alors qui sait si dans l’avenir sa culture ne reviendra pas sur les terres de la contrée, nous permettant des comparaisons instructives avec les cultures de la Télachère en 1760. Pour la petite histoire, un seigneur de Mortagne, Jean de Vaugiraud, nous indique en 1621 que 205 gerbes avaient donné 222 boisseaux à la mesure de Mortagne. Mais là encore on ignore la surface du champ ainsi cultivée, et même la céréale, la désignant du mot générique de « blé », même s’il s’agit probablement de seigle (19). Ainsi ces chiffres de rendement, pourtant bien précis, gardent leur mystère définitivement.

De ces calculs sur une approche des rendements des cultures, on peut remonter aux surfaces cultivées, même si l’exercice est paradoxal. Ainsi en partant du rendement de 11 quintaux de seigle pour un hectare on obtient, à 15 kg le boisseau (à la mesure des Essarts), 73 boisseaux à l’hectare. Et 298 boisseaux de seigle récoltés en moyenne nécessitent alors près de 4 hectares. En ajoutant les cultures des autres céréales, de quelques plantes fourragères et les ouches, on arrive à environ 8 hectares de cultures. C'est peu. On a vu plus haut que les 37 hectares de la métairie en 1659 étaient répartis entre 7 ha de prairies naturelles et 30 hectares de terres labourables et landes. Ces 30 hectares étaient répartis généralement entre un tiers en jachère longue d’environ 10 ans, un tiers en jachère courte de 2 à 3 ans (en guéret) et un tiers en terres ensemencées. Cette répartition pour le bocage, un peu théorique et par ailleurs inscrite dans la coutume du Poitou, variait d’une métairie à l’autre. Ce dernier tiers d’environ 10 ha est plus important que nos 8 hectares de culture estimés ci-dessus. La différence réside au moins dans l’inconnue des surfaces en jachère. On verra en effet plus loin que dans la période étudiée on défrichait des landes. Mais si nos calculs comprennent une marge d’aléas, ils permettent au moins une présentation des conditions des cultures d’alors.

Télachère
Dans les 9 années de la période 1760/1768, la moyenne récoltée en seigle est de 298 boisseaux et la médiane de 297 boisseaux. Mais les variations d’une année sur l’autre pouvaient être importantes, jusqu’à 50 %. Ainsi l’hiver 1762/1763 fut très froid, et la Loire gela à son embouchure. Mais les récoltes de 1763 furent bonnes, avec 276 boisseaux de seigle récoltés à la Télachère. Alors qu’en en 1762 on ne récolta que 235 boisseaux de seigle. 1768 fut la meilleure année avec 360 boisseaux de seigle. Mais en considérant l’ensemble des récoltes de chaque année, les variations sont moindres par compensation entre les différentes céréales cultivées. On a un écart de 24% seulement entre la plus mauvaise année (1761) et la meilleure (1764). Et sur la période des 9 années observées les bonnes années de récoltes paraissent avoir compensé les mauvaises années.  

La métairie de la Télachère récoltait 71 % des céréales en seigle, mais dans la borderie du château cette part était de 82 %, et dans la grande métairie de la Maisonneuve de 85 %. Les autres céréales cultivées étaient à la Télachère : le froment (26 boisseaux par an en moyenne), le baillarge ou orge de printemps (25 boisseaux par an), l’orge (26 boisseaux par an), l’avoine (51 boisseaux par an). Enfin certaines années on récoltait un peu de mil (2 boisseaux par an sur 5 années) et de blé noir, ou sarrasin (3 boisseaux par an sur 5 années). En 1763 seulement on trouve le mélange de grains appelé gaboret ou gaborage ou méture ou méteil (mélange de seigle, de froment et d’orge), d’ailleurs peu pratiqué dans les métairies de la Rabatelière. Dans les comptes, le sarrasin était assimilé aux autres céréales, ce que la classification de Linné des plantes (1735) n’aurait pas permis bien sûr. Le lin ne fut pas cultivé à la Télachère dans cette période, sauf en 1760 où on note la livraison de 24 douzaines de bottes de lin brut au château.

Les plantes fourragères pour nourrir le bétail n’avaient pas leur place dans les recettes du propriétaire, et on n’en connaît donc pas l’importance chiffrée. À cette époque les prairies artificielles étaient rares dans la région, et on cultivait des choux, raves, luzerne, trèfle, gesse et vesce ou garobe en quantité limitée, au vu de quelques achats de graines constatés. En conséquence l’élevage ne pouvait pas s’accroître, qui aurait apporté de l’engrais naturel aux cultures pour produire plus de plantes fourragères. Il y avait bien les surfaces importantes des jachères, servant temporairement à l’élevage. Mais il faudra attendre l’arrivée des engrais chimiques un siècle plus tard pour rompre cette logique néfaste de sous-développement agricole due au manque d’engrais.

Vigne de la Mancellière (2015)
Il était d’usage que les vignes fussent régies par un régime à part, comme les baux à complant. D’ailleurs Mathurin François possédait un bail de cette sorte dans le fief de vigne de la Mancellière dépendant du château de la Rabatelière (20). Il y était propriétaire à vie de 7 planches de ceps de vigne (environ 5 000 m2) et le sol appartenait au château, moyennant certaines conditions, la principale étant de laisser 1/5 de la vendange au propriétaire. Une partie de ses enfants en hériteront. À la Télachère la vigne de la métairie était louée à part par les François, le propriétaire du sol possédant aussi les ceps, moyennant une redevance annuelle de 25 £. C’est ce qu’on appelait une « vigne à pic », par différence avec une « vigne à complant ». Le vin allait à la consommation personnelle, et peut-être à la vente en cas de surplus si la surface cultivée le permettait.

Indiquons enfin que la gîte de la Télachère (bois) ne faisait pas partie de la ferme de la métairie. En 1659 elle occupait une petite surface de 9 arpents et 3/5e d’arpent (quelques hectares). Les propriétaires se réservaient les bois et forêts, comme aussi les arbres des haies des champs. La vente des arbres, coupés ou sur pieds, constituait un revenu à part pour eux. Ces bois et forêts constituaient en même temps des réserves de chasse pour les propriétaires. Le bois de la Télachère était trop petit pour bénéficier d’un garde-chasse, alors qu’il y en avait un en 1759 aux bois de Languiller, de Vrignais, de Thibaut (Chauché) et Pothé (Saint-André), et un autre pour la forêt de Gralas (les Brouzils).

Les bestiaux


Le bétail peuplant la métairie de la Télachère appartenait au bailleur, estimé valoir 909 livres de 1755 à 1768. C’était une somme significative, augmentée de 309 £ par rapport à l’année 1747, 8 années auparavant, en cohérence avec une surface importante de la métairie, dont 18% était occupée par des prairies naturelles (7 ha). Les profits ou pertes des souches de bétail étaient partagés par moitié entre les parties au bail. Dans une reconnaissance du 27 mai 1755, Mathurin François signera un texte valant bail à cheptel comme convenu dans le bail de la métairie (21). Mais on confondait rarement les deux baux, d’où ce texte supplémentaire. Le métayer pouvait louer une métairie et y mettre son propre bétail, ce que faisaient en partie les Cailleteau dans la ferme de la Chapelle de Chauché dépendant de la Rabatelière. Mais pour les propriétaires la possession des bestiaux constituait un investissement très rentable en sachant choisir ses métayers.

Dans les comptes arrêtés au 12 mai 1761 on fait le détail des ventes de bétail réalisées par Mathurin François depuis le 15 juin 1760. Il y en a au total pour 392 £, comprenant une torre (jeune vache qui n’a pas porté) pour 38 £, une bode de lait (jeune veau femelle) pour 7 £, un veau d’un an pour 33 £, 13 brebis pour 24 £, une paire de bœufs de 15 ans pour 290 £. De cette somme on retire des achats et dépenses faites par le fermier (21 £) : échange de jument coûtant 17 £, sucre candis pour traiter les bestiaux (1 £), un boisseau de jarosse pour 2 £ 10 sols. En déduisant ces 21 £ de 392 £, on obtient un reste net de 371 £, « dont la moitié revient au maître » est-il écrit dans les comptes, c’est-à-dire un montant de 185 £ 10 sols. Ramené à la valeur des bestiaux lui appartenant, cela fait un revenu net d’exploitation de 20% cette année-là. Et la communauté des métayers gagne la même somme sans investissement ni location, comme fruit de son travail. Le gain est donc très important, mais le risque aussi, ça dépendait des années.

L. Haudeville (coll. part.) : 
Marché aux cochons à Challans
Dans une estimation datée de 1781 on a un inventaire des gros bestiaux de la Télachère qui nous permet de mieux apprécier la situation (22). Il comprend 3 paires de bœufs, 4 vaches, 3 taureaux, 5 veaux, une jument et un mulet. Ce sont avant tout des bêtes pour le trait et la reproduction, et un peu à la vente avec les veaux, deux taureaux et une jeune paire de bœufs. Le troupeau de moutons vaut alors 170 livres, correspondant à environ 50 à 80 têtes. On valorisait la laine plus que la boucherie (25 sols la livre de laine en 1756). L’indication du poil des vaches dans cet inventaire montre du n’importe quoi dans le choix des races à cette époque. D’ailleurs le secrétaire général de la Préfecture de la Vendée, Cavoleau, voulu au lendemain de la Révolution, engager les paysans vendéens à évoluer en ce domaine (23). C’est ce qu’on fit au 19e siècle avec la vache de race parthenaise. Cet inventaire à la date du 21 avril 1781 est représentatif du cheptel, et c’est en moyenne 185 £ qui sont allées dans la poche du bailleur chaque année de la période 1760/1768. Comme dans l’année 1760/1761 ci-dessus, on produisait aussi pour la vente en boucherie et pour l’élevage. Mathurin François se déplaçait aux foires de Montaigu, Saint-Georges-de-Montaigu, l’Herbergement, Bazoges-en-Paillers pour ce commerce, ou vendait directement à un boucher de Montaigu ou de Chavagnes-en-Paillers. En 1762 on vendit 2 taureaux, 17 brebis, 2 bœufs, 1 vieille vache et une bode. La grosse part dans cette vente provenait des ventes de bœufs, jeunes ou vieux. Au total le bétail rapportait 40 % des fruits partagés, les cultures 53 % et les divers 7%.

On relève l’absence d’élevage de cochons à la Télachère dans la période observée, tout au moins dans les baux la concernant, mais il s’agit plutôt d’une exception, car on en trouve souvent dans les métairies, mais peu nombreux, faute de nourriture. Certains baux indiquaient un « droit de cochon » payé par le métayer au bailleur. Cela voulait dire que l’animal n’était pas compris dans la souche de bétail appartenant à ce dernier, mais élevé par le métayer à son seul profit. La pomme de terre n’avait pas encore fait son apparition dans la région, (24) et les sous-produits du lait étaient peu abondants. D’ailleurs le cochon n’était pas bon marché sur les foires : un cochon gras pour saler valait 40 £ voire 49 £, soit au minimum l’équivalent de 26 brebis ou le tiers d’un petit bœuf gras dans la période observée. Précisons enfin que le lait, le fromage, et le beurre n’étaient pas partagés avec le bailleur.

Télachère
En comparant la même composition de souche de bestiaux à la Menantonnière (Rabatelière) en 1568 et à la Télachère en 1781, soit à 2 siècles de distance, on passe d’une valeur de 100 livres à celle de 1 100 livres (25). Pendant ce temps le même boisseau de seigle avait vu son prix multiplié par 4 seulement. On voit donc la part montante de l’élevage dans les revenus agricoles de la contrée au cours des 17e et 18e siècles.

Par ailleurs on ne saurait dire si les aléas d’épizooties étaient plus importants que les aléas climatiques régissant les cultures. Ils existaient fortement comme en témoigne un procès-verbal d’assemblée d’habitants à Vendrennes en 1783. Les collecteurs de la taille (impôt royal) indiquèrent les difficultés attendues à « l’amas » de l’impôt à cause du « fléau dont leur paroisse a été infligée cette année par la mortalité des bestiaux » (26).

Revenus


Si dans la période observée les comptes enregistrent une moyenne annuelle de 472 £ de revenus pour le propriétaire, ce chiffre ne constitue pas un bénéfice net. Il y avait les impôts royaux qu’il devait payer, le 10e et le 20e selon les années, tout à fait significatifs, même si les nobles comme le châtelain de la Rabatelière ne payaient pas la taille. Il y avait aussi les droits de rachats et de lods et ventes, tout aussi importants à payer ou à encaisser suivant les cas, lors des successions. Et puis les charges d’entretien des biens venaient aussi diminuer le bénéfice.

En 1736 on a refait une pièce à usage de boulangerie à la Télachère (Chavagnes). Le propriétaire a payé les dépenses pour tirer la pierre, maçonner et faire une nouvelle charpente. En janvier 1756 il a payé 20 sols pour relever un mur du cellier de la Télachère nécessitant 1,5 journée de maçon. En avril 1757, il a payé 28 journées de maçon à raison de 13 sols par jour pour remonter le mur d’un petit toit de la Télachère. En septembre 1759 il a payé 17 jours de maçon à enduire la maison d’habitation de la Télachère à chaux et à sable, et à réparer des brèches aux toiteries et grange de la métairie. En mai 1761 il a dû faire démolir et rétablir le pignon de la grange de la Télachère puis le recouvrir. En septembre 1766 il y a fait refaire un toit.

Il y avait aussi les travaux de « pelage » des pâtis et landes pris en charge à moitié par le propriétaire à la Télachère. Dans la contrée on appelait pelage l’opération de défrichement consistant à enlever des mottes d’herbes dans les landes et pâtis, de plusieurs décimètres de circonférences pour dégager la terre arable sous-jacente. Certains journaliers s’en faisaient une spécialité, on les appelait des « peliers ». Le 16 juin 1755 Étienne Goillandeau (métayer de la Petite Robretière voisine) a été payé 3 £ 11 sols pour le pelage de 52 gaulées (664 m2) fait dans le pâtis de la Telachère. En mai 1756, c’est le nouveau métayer de la Télachère, Mathurin François, qui pèle 2 boisselées dans les landes de la Télachère. Le travail est estimé 6 £ 10 sols la boisselée, mais le métayer n’en est remboursé que de la moitié, car son bail est à partage de fruits à moitié avec le propriétaire. En mai puis en octobre 1757 Mathurin François pèle à nouveau 11 boisselées de landes dans le champ du Pâtis de la Télachère, à raison de 5 £ 10 sols la boisselée, remboursé de la moitié du prix. En mai 1760 ce sont à nouveau 8 boisselées et 61 gaulées qui sont pelées dans le même champ et dans les mêmes conditions.

L’entretien des rouères ou rigoles d’écoulement des eaux dans les prairies était une obligation des métayers. Mais la création des « fossés » (haies (27)) des champs était à la charge du propriétaire. En janvier 1758 celui-ci paya à un journalier de la Haye (Rabatelière) le coût de 39 brasses de fossés faits à la Télachère à raison de 4 sols la brasse. En janvier 1759 ce sont 132 brasses de fossés qui ont été payées au même prix à un autre journalier de Benaston (Chavagnes) dans le Grand Pâtis des landes de la Télachère « afin de mettre en labourage » est-il indiqué. L’indication du lieu précis ici nous permet d’associer pelage et création de haies dans le défrichement des landes à la Télachère.

On tiendra pour presque rien dans les revenus du bailleur les menus suffrages, pratiqués systématiquement dans tous les types de baux de la contrée, au contenu variable. À la Télachère ils consistaient en 20 livres de beurre, 4 chapons et 6 poulets, le tout par an donnés par le métayer au bailleur, représentant à cette époque une somme de 10 livres environ, soit 2 % du total des revenus perçus par le propriétaire.

Le bail comprenait aussi une astreinte propre aux métairies dépendantes de la Rabatelière. Les métayers avaient chacun une portion de vigne à entretenir, vendanges comprises, dans la vigne du château. Le bail comprenait aussi l’usage général dans tous les baux des corvées gratuites, libellé de la manière suivante : « faire les corvées, mandées tant d’hommes que de femmes que de bœufs et charrettes à ma semonce ». La "semonce" d'alors était "l'ordre" d'aujourd'hui. S’agissant de clauses contractuelles, ces corvées, et aussi les menus suffrages, ne furent pas supprimés par les réformes de la Révolution. Elles disparurent progressivement à partir de la fin du 19e avec l’évolution des mentalités.

Conclusion


Village de la Télachère
Pour conclure on retiendra que ces grandes métairies d’environ 40 hectares du bocage du Bas-Poitou produisaient presque 1 000 £ de revenu net par an dans les années 1760, avant la rémunération du propriétaire et ses dépenses exceptionnelles d’impôts (10e et 20e), de droits de mutations seigneuriaux et de gros entretien. Leurs terres pauvres, en augmentant les jachères et faute d’engrais naturel suffisant, limitaient à la fois les cultures et l’élevage. Celui-ci était destiné surtout au trait et en complément seulement à la boucherie. On comprend l’enrichissement important dans ces métairies apporté un siècle après par l’arrivée des engrais chimiques, grâce à la métallurgie des fours pour produire la chaux et à la construction des routes pour la transporter. Longtemps on a écrit que les labours profonds, permis à la même époque par l’arrivée des charrues métalliques, avaient aussi contribué à l’amélioration des rendements. Les récents progrès apportés par les techniques modernes de cultures biologiques mettent en cause cette croyance. En revanche les labours profonds ont constitué une amélioration incontestable pour éliminer les plantes adventices aux céréales et autres plantes cultivées, les « mauvaises herbes » comme on disait alors.

Ce revenu constituait un bon placement financier pour le propriétaire et une bonne source de revenus pour les métayers. Mais ces derniers y consacraient une main d’œuvre abondante, et y sacrifiaient leurs vies personnelles dans leurs communautés de biens mobiliers, vivant au « même pain et pot » dans un espace réduit d’une à deux pièces généralement. Ramené à un travailleur adulte, le bon revenu de la communauté réduisait ce dernier à la pauvreté. De plus, les épidémies et les famines n’avaient pas encore disparu, mais se faisaient plus rares en ce milieu du 18e siècle. Ainsi verra-t-on 5 membres de la famille François mourir au cours du même mois de décembre 1777 à la Télachère.

L’enrichissement du 19e siècle profita aux propriétaires et aux métayers. Mais pour ces derniers, ses répercussions s’étalèrent sur un peu plus d’un siècle, alimenté par de nouveaux progrès techniques, et enclenchant une mise en cause profonde de la société rurale d’alors.


(1) Livre de recettes en argent de la Rabatelière (1730-1768), Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 1, pages 156 à 159.
(2) Ibidem : 150 J/A 13-4, arpentements et estimations en octobre 1659 du château de la Rabatelière et autres terres jointes.
(3) Ibidem : 150 J/F 15, confrontations du tènement de la Drolinière de Chavagnes-en-Paillers.
(4) Ibidem : 150 J/E 34, ferme de la Télachère du 1-8-1727 à Foulonneau.
(5) Ibidem : 150 J/E 34, ferme de la métairie de la Télachère du 8-6-1740 aux Thomazeau et Navare.
(7) Ibidem : 150 J/F L supp la Robretière, papier d’insinuation des Robretières, Chavagnes et autres lieux (1727 à 1730).
(8) Ibidem : 150 J/K 3, livre des recettes et dépenses (1735-1755), 30e à 40e page.
(9) Ibidem : 150 J/E 34, conditions de ferme de la métairie de la Télachère du 12-3-1781 aux François.
(10) Ibidem : 150 J/A 13-5, droits de rachats dus en 1755.
(11) Ibidem : 150 J/C 34, ferme du 4-3-1742 du terrage de la Rabaudière.
(12) Idem (10).
(13) Ibidem : 150 J/E 34, ferme de la métairie de la Télachère du 10-10-1754 à Mathurin François, et ferme de la métairie de la Télachère du 17-10-1768 aux François.
(14) Ibidem : 150 J/A 13-3, état des biens et revenus en 1698 dépendants de la Rabatelière.
(15) Ibidem : 150 J/A 13-3, état des terrages et rentes en céréales perçus à la Rabatelière en 1760.
(16) Ibidem : 150 J/K 6, pages 98, 103, 112, 118, 114,156, livre des comptes de la Rabatelière (1755-1767) et titres de propriété
(17) Renseignements fournis par Jean Michel et Cathy Soulard en 2019.
(18) Déclaration des biens de la cure de Chavagnes du 3 décembre 1769, minute André Joseph Gourraud, Archives d’Amblard de Guerry, classeur des Prix et mesures.
(19) Journal de Jean de Vaugiraud, Archives d’Amblard de Guerry, classeur Prix et mesures. Et Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, livre de raison de Jean de Vaugiraud de 1618 à 1625 : 22 J 10.
(20) Ibidem : 150 J/G 38, déclaration roturière du 21-11-1788 des teneurs du fief de vigne de la Mancellière.
(21) Ibidem : 150 J/E 34, bail du cheptel de bestiaux du 27-5-1755 de la métairie de la Télachère.
(22) Ibidem (9).
(23) Jean-Alexandre Cavoleau, Statistique ou description générale du département de la Vendée, éd. A.D. de La Fontenelle de Vaudoré, Fontenay-le-Comte : Robuchon, Paris : Dumoulin, 184, Archives de la Vendée, bibliothèque historique : BIB B 1427.
(24) Philippe Bossis, Le milieu paysan aux confins de l’Anjou, du Poitou et de la Bretagne (1771-1789), Études rurales, 1972, page 129.
(25) Prix des bestiaux à la Benastonnière en 1568, Archives d’Amblard de Guerry, classeur Prix et mesures Et conditions de ferme de la métairie de la Télachère du 12-3-1781 aux François, Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/E 34.
(26) Assemblée des habitants de Vendrennes du 23-11-1783, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10.
(27) Domestiques du château de la Rabatelière, Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 58-7.

Emmanuel François, tous droits réservés
Avril 2020, complété en avril 2021

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dimanche 1 mars 2020

Les seigneurs des Essarts en Vendée (1716-1789)


Blason de la maison d'Urfé
Joseph Marie de Lascaris, marquis d’Urfé, acheta la baronnie des Essarts vers 1716 à Marie Jeanne Baptiste de Savoie-Lorraine et à son fils Victor Amédée de Savoie, duc de Savoie et roi de Sardaigne. Les Lascaris d’Urfé puis les Lascaris de La Rochefoucauld jouiront de la baronnie des Essarts jusqu’en 1757, date de sa saisie par les créanciers suite à leur banqueroute. Le marquis de Lespinay l’acheta en 1787, puis la Révolution Française vint clore peu après cette longue histoire des seigneurs des Essarts.  

Joseph Marie de Lascaris d’Urfé (1652-1724)


Dans son aveu en 1718 des Essarts à Charles Bretagne de la Tremoïlle, duc de Thouars, le nouveau propriétaire se présente ainsi : « messire Joseph Marie de Lascaris d’Urfé, marquis d’Urfé et de Bâge, comte de Virieu-le-Grand, Valromey, de Saint-Just-en-Chevalet et de Bussy, baron des Essarts, seigneur de la Bastie, Rochefort, Saint-Didier et autres lieux, grand bailli du Forez et l’un des gentilshommes choisis par sa majesté pour la personne de monseigneur le dauphin » (1). La maison d’Urfé était originaire du Forez où elle possédait le château de la Bastie d’Urfé (Saint-Étienne-le-Molard), les seigneuries de Rochefort (Saint-Laurent-de-Rochefort) et Saint-Didier-sur-Rochefort, et les comtés de Bussy (Bussy-Albieux) et Saint-Just-en-Chevalet. Tous ces lieux sont situés actuellement dans la Loire en pays de Forez, comté dont ils étaient baillis depuis des générations. Le bailli tenait à peu près le même rôle que le sénéchal en Poitou, judiciaire et militaire essentiellement au début, puis surtout judiciaire ensuite. Il exerçait son pouvoir au nom du roi en son comté et ressort de Forez (2). Les d’Urfé avaient aussi des possessions dans la Bresse, avec le comté de Virieu-le-Grand et Valromey (Ain) et le marquisat de Bâge (Saône-et-Loire près de Mâcon).

Depuis Jacques Ier d’Urfé (1534-1574) la famille portait le nom de Lascaris d’Urfé. Le motif remonte à la grand-mère de sa femme, Anne de Lascaris (1487-1554). Celle-ci, fille de Jean Antoine de Lascaris, comte de Tende, avait épousé d’abord Louis de Clermont-Lodève avec qui elle n’eut pas d’enfant. Elle se remaria avec René de Savoie en 1501, fils bâtard du duc de Savoie et demi-frère de Louise de Savoie, la mère de François Ier. Anne de Lascaris eut 5 enfants de son second mari. Quand sa petite-fille, Renée de Savoie, fille de Claude de Savoie (1507-1566), épousa en 1554 Jacques Ier d’Urfé, elle imposa qu’à défaut de mâles dans la famille d’Urfé, l’aînée des filles ferait prendre à son mari le nom et les armes des Lascaris (3). Elle mourut 2 mois après la signature du contrat de mariage. Le prestigieux nom de Lascaris qu’elle voulait sauvegarder provenait des anciens empereurs de l’empire de Nicée constitué après la prise de Byzance par les latins au début du 13e siècle. Le mari et les descendants de Renée de Savoie s’intitulèrent désormais Lascaris d’Urfé. L’acquéreur de la baronnie des Essarts était un des arrière-petits-fils de Jacques 1er de Lascaris d’Urfé et de Renée de Savoie.

Il était marquis d'Urfé et de Bâge, comte de Sommerive (province de Coni en Italie), lieutenant du Haut et du Bas Limousin en 1686, alors que son frère aîné était évêque de Limoges. Il avait épousé Louise de Gontaut-Biron et mourut à Paris le 13 octobre 1724 à l'âge de 72 ans sans laisser de postérité. Ses biens allèrent à son petit-neveu, Louis Christophe de La Rochefoucauld, petit-fils de sa sœur Marie-Françoise d’Urfé, qui avait épousé Jean de la Rochefoucauld.

Louis Christophe de La Rochefoucauld Lascaris (1704-1734) et Jeanne Camus de Pontcarré (1705-1775)


Louis Christophe de La Rochefoucauld Lascaris était fils de Jean Antoine de La Rochefoucauld (1653-1720) et de Marie Thérèse Guerin de Lugéac. Son père était mort en 1720 et à cette date il devint l’héritier à venir de son grand-oncle, Joseph Marie de Lascaris d’Urfé, avec une condition : ajouter le nom de Lascaris à son patronyme. Il épousa le 11 septembre 1724 Jeanne Camus de Pontcarré, un mois avant le décès de son grand-oncle. Il appartenait à la famille La Rochefoucauld, de la branche de Barbezieux et des marquis de Langeac, à cette époque marquis de Langeac (Haute-Loire) et comte de Saint-Ilpize (Haute-Loire). Il devint au décès de son grand-oncle, un mois après son mariage, marquis d’Urfé et de Bâge, et aussi baron des Essarts.

Le droit de rachat de la baronnie des Essarts dû au duc de la Tremoïlle et duc de Thouars, suite au décès de Joseph Marie de Lascaris d’Urfé, devait être payé par le fermier de la baronnie, Jacques Merland, sieur de Champeau, suivant son bail en cours. Il se montait à une année de revenus et il en paya la moitié, soit « 4 650 livres en une lettre de change payable à vue à l’ordre de sa dite altesse par lui tirée sur M. Claude Groux banquier à Paris », correspondant aux revenus de l’année 1729 (4). On observe que cette année-là les revenus étaient encore inférieurs d’environ 2 000 livres à ceux de l’année 1649. Et pourtant la période du Petit Âge Glaciaire, avec ses calamités climatiques, s'estompait progressivement, et le pays entrait dans une période de reprise économique qui allait durer longtemps. Mais on a pu constater dans certaines métairies du château voisin de la Rabatelière que la remontée des revenus a pris du temps, parfois trois décennies, et on n’est donc pas surpris du constat fait des difficultés économiques de la baronnie des Essarts à cette date.

Jeanne Camus de Pontcarré
Jeanne Camus de Pontacarré (1705-1775) était la fille du premier président du parlement de Rouen (cour de justice) et de Françoise Michelle de Braguelonne. Celle-ci eut pour demi-frère l’abbé Christophe Bernard de Braguelonne, qui fut membre de l’Académie des sciences. Jeanne est connue pour ses extravagances et ses fréquentations avec le comte de Saint-Germain et le comte de Cagliostro, qui l’entraînèrent dans l’univers des sciences occultes. Elle entretint même des relations avec le célèbre aventurier italien Casanova.

Louis-Christophe de La Rochefoucauld Lascaris demeurait ordinairement au château de Langeac en Auvergne, résidant aussi à Paris, soit chez monsieur Pelichon, rue du Batoir (près de Saint-André-des-Arts), soit chez son oncle, l’abbé de Braguelonne rue des Deux Postes, ou chez son beau-frère, monsieur de Pontcarré, maître des requêtes (5). Il servit comme capitaine d’une compagnie dans le régiment de cavalerie de la Roche-Guyon, puis fut nommé colonel du régiment en 1731. Il mourut de la petite vérole (variole) au camp de Tortonne dans le Milanais le 7 janvier 1734 (6).

Devenue veuve à 29 ans, Madame d’Urfé, ne se remaria pas et dilapida une partie de sa fortune avec les personnages douteux cités plus haut. Elle devint la tutrice de ses enfants et intervint en leur nom dans les affaires de la baronnie des Essarts. Son fils unique mourut en 1742 à l’âge de 16 ans. Il lui resta deux filles, Adélaïde Marie Thérèse née en 1727, et Agnès Marie née en 1732.

Le duc de Thouars fit une saisie féodale des revenus de la baronnie en mai et juin 1751 faute de devoirs remplis (7). Elle fut signifiée à Landais, greffier et régisseur du château des Essarts. Un mémoire non daté (situé vers fin 1751) et non signé, mais pour le compte de « Mademoiselle de La Rochefoucauld d’Urfé », explique que cette dernière ne refuse point ce qu’elle doit, et qu’elle croit avoir rendu la foi et hommage qu’on lui demande. Mais le dénombrement à suivre nécessite un temps considérable pour le mettre en état, car le papier censaire (liste des titres de propriétés) de la terre des Essarts est en cours de réfection. Le fermier qui devait le remettre est mort le 8 juillet 1750 sans l’avoir mis à jour. Il s’agit de Jacques Merland sieur de Champeau, dit le texte, le même fermier qu’en 1721, le texte ajoutant : « Mademoiselle de La Rochefoucauld espère que le conseil de M. le duc de la Tremoïlle voudra bien lui accorder 1° la main levée de la saisie féodale sous l’offre qu’elle fait de prêter la foi et hommage, supposé que cette formalité n’ait point été remplie ; 2° un temps convenable pour rendre son dénombrement. Elle est certaine que ses gens d’affaires ne perdront pas un instant à le mettre en état » (8). On pense que la situation se régularisa ensuite avec le duché de Thouars. Mais voilà bien un indice de la lourdeur inhérente à la mise à jour des papiers censaires, inhérente aussi à la propriété féodale, même si le décès du fermier n’a pas arrangé la situation. On voit aussi à quel point la terre des Essarts paraissait bien lointaine à ses propriétaires parisiens. 

Logis de Beaumanoir
On ignore les manières d’agir des officiers de la baronnie sur place. Fonctionnaires du seigneur ayant acheté leurs offices, leur activité était encadrée par la réglementation en vigueur, mais restait guidée par son caractère patrimonial. On le voit dans une querelle opposant la Rabatelière aux Essarts sur une affaire de scellées apposées au château de Beaumanoir en la paroisse de Dompierre-sur-Yon. C’est dans ce château, où il avait vécu, que mourut René Esprit Baudry d’Asson, seigneur de Landelière, Beaumanoir et de la Boissière-de-Montaigu. Aussitôt après la mort, le juge des Essarts fit apposer des scellées sur les meubles et papiers du défunt. Le juge de la Rabatelière et de la Jarrie lui dénia ce droit, et fit enlever les scellées pour en apposer de nouvelles. L’affaire fut portée au présidial de Poitiers, et le seigneur de la Rabatelière affirma en 1754 « que l’ouvrage des officiers des Essarts est un trouble à la possession des seigneurs de la Rabatelière » (9). Cette concurrence de champs de compétences intéressait surtout les officiers concernés, même s’ils agissaient au nom du seigneur.

Adélaïde de La Rochefoucauld de Lascaris d’Urfé épousa en 1754 Alexis Jean du Chastellet. Elle était marquise de Bagé, Langeac, Urfé, comtesse de Saint-Just, Saint-Ilpyce, Arlet (Haute-Loire), la Bathie et baronne des Essarts. Par son mariage, le marquis du Chastellet s’appela Alexis Jean de Lascaris d’Urfé, marquis du Chastellet et de Fresnière.

Alexis Jean de Lascaris d’Urfé du Chastellet


Il était le fils Jean du Chastellet, comte du Chastellet, seigneur de la Frenière, de Vermanton (Bourgogne), et de Suzanne Talon. Alexis Jean du Chastellet fut gouverneur de Bray-sur-Somme à partir de 1736 et grand voyer de Picardie (responsable de la voirie). Il avait épousé en 1741 Jeanne Regnault, qui mourut sans enfant en 1753 (10), et il se remaria en 1554 avec Adélaïde de La Rochefoucauld de Lascaris d’Urfé.

La fortune de la famille La Rochefoucauld Lascaris était déjà mal en point l’année de ce mariage, subissant des poursuites judiciaires et des saisies. On sait que le marquis de La Rochefoucauld du Chastellet, avec ses 18 000 livres de rentes annuelles, devait en 1704 s’employer à désintéresser les créanciers de son père et de ses frères pour un montant de 80 000 livres. À cause de la guerre contre la Savoie, il ne pouvait pas toucher les revenus de ses terres du Piémont (11). Un demi-siècle après les affaires s’étaient-elles arrangées ? La veuve Jeanne Camus de Pontacarré n’avait-elle pas trop gaspillé son argent ? La terre des Essarts était-elle bien tenue et avait-elle retrouvé la prospérité ? Autant de questions que nous nous posons, sans pourvoir y répondre. Elles nous permettent d’entrevoir les raisons possibles des saisies.

Cachet de la baronnie des Essarts (1770)
Archives de Vendée : B 1434
Le 6 septembre 1757, la baronnie des Essarts fut saisie par les commissaires aux saisies réelles du parlement de Paris, à la requête de Jean Baptiste Sallière, bourgeois de Paris, « sur messire Alexis Jean Lascaris d’Urfé du Chastellet et sur dame Adélaïde Marie Thérèse Lascaris de la Rochefoucauld d’Urfé, son épouse » (12). L’énumération des biens saisis recoupe le contenu des aveux rendus au 17e siècle. C’est un autre bourgeois de Paris qui devint adjudicataire général de la terre et seigneurie des Essarts, Jean Michou repéré en 1761. Son fondé de procuration aux Essarts était alors Jean Antoine Ducros de Duenne, bourgeois demeurant à Marsugeau paroisse d’Archigny (dans la Vienne à l’est de Poitiers). Ce dernier dû nommer un garde « de la forêt des Essarts, eaux, pêches et chasses et dépendances de la baronnie » le 16 juin 1770, Charles Boudaud habitant de Saint-Martin-des-Noyers. Sa lettre de nomination fut scellée des armes de la baronnie en cire rouge, pour être envoyée au maître particulier des Eaux et Forêts de Fontenay-le-Comte, afin que celui-ci reçoive le garde en son office (13). Peu après, le fondé de procuration du fermier judiciaire fut un notaire de Saint-Fulgent, Claude Joseph Frappier (14), auquel succéda un nommé Corbelin (15). Ce dernier afferma vers 1772 la baronnie des Essarts en entier à Charles Guyet de Saint-Fulgent, ami du notaire Frappier (16). Guyet demeura fermier jusqu’à l’arrivée d’un nouveau propriétaire en 1787. Il avait acheté en 1784 le fief de la Barette, mouvant des Essarts, à René Louis Marie de Jousbert, baron du Landreau (Herbiers) (17). Ce Guyet était un authentique homme d’affaires qui amassa une importante fortune, notamment en affermant et gérant des patrimoines fonciers. Voir sa biographie publiée sur ce site en avril 2013 : Simon Charles Guyet à Saint-Fulgent (1733-1793).

Alexis Louis Marie de Lespinay (1752-1837)



En 1787 on imprima une affiche pour la mise en vente aux enchères de la terre des Essarts. La voici copiée ici (18) :

Terre, baronnie et seigneurie des Essarts. Terre et seigneurie de Sainte-Cécile ; Châtellenie, terre et seigneurie de l’Aublonnière et de Moraine ; Fief et seigneurie du Breuil Nicou et dépendances, situés en Bas-Poitou
A VENDRE PRÉSENTEMENT
Sur l’enchère de 603 000 livres

Le tout composé de 8 240 boisselées de terre, dont 2 850 en bois et futaie, 3 700 en terres labourables, et le surplus en prés, pacages, jardins, pâtis, exploitées par 13 métairies. A cette terre sont attachés des droits honorifiques très beaux dans 3 paroisses et des fiefs qui s’étendent dans 15 ou 20 autres, ce qui procure une mouvance sur plus de 6 lieux d’étendues, avec tous droits de haute, moyenne et basse justice, de sceaux, armoiries, droits de lods et ventes, rachats, sous-rachats, guets et reguets, bians et corvées, banalités de fours et moulins. Il existe sur cette terre 5 moulins à eau, 4 à vent. Un des produits consiste en redevances portables de 2 400 boisseaux tant en avoine qu’en seigle. Cette terre que l’on assure rester la seule qui ait des bois dans la province, offre pour 120 000 livres au moins de bois de haute futaie à couper. La grande route de Saumur aux Sables passe sous les murs du château ; la rivière le Lay que l’on projette de rendre navigable, traverse cette terre, qui se trouve placée à 10 lieux de la Rochelle et à 12 de Nantes.
Le bail judiciaire est adjugé 24 100 livres, les sous-baux portent le revenu fort au-dessus.
L’on pourra diviser s’il se présente des enchérisseurs pour les différentes parties qui composent la Terre.
Les enchères seront reçues au greffe civil du parlement les vendredi 18 mai, 15 juin 1787, de relevée.
L’adjudication sans espérance d’autres remises, pourra être prononcée l’un de ces 2 jours, si les enchères s’élèvent à un prix raisonnable.
S’adresser à Me de La Monoye, procureur au parlement, rue Saint-André-des-Arcs, vis-à-vis la rue Contrescarpe.

Affiche de mise en vente des Essarts (1787)
Archives nationales : chartrier de Thouars
En retenant les chiffres de surfaces indiqués on voit que les 1 000 ha de l’ensemble se partageaient en 350 ha de bois et futaie, 450 ha de terres labourables et 200 ha de prairies, pacages et jardins. Les 13 métairies mentionnées comprenaient une moyenne d’environ 45 ha, ce qui parait plausible, et pouvaient rapporter un revenu total pour le propriétaire probablement d’environ 6 000 livres par an, sans les coupes de bois. Celles-ci valent environ 800 livres par an en 1572 (19). Les chiffres de 6 000 £ et 800 £ sont intéressants à rapprocher de la valeur d’environ 4 000 livres de redevances féodales en 1787 que pouvaient valoir les 2 400 boisseaux de redevances portables. Il montre un nombre insuffisant des seules métairies par rapport au montant des droits féodaux, pour assurer l’avenir d’une baronnie importante. Par comparaison on a l’exemple de la châtellenie du Puy du Fou, vendue en 1788 pour 820 000 livres avec un revenu annuel évalué à 48 650 livres (20).

Quant aux trois paroisses évoquées, où le baron des Essarts a de « très beaux droits honorifiques », il s’agit des Essarts, de Chauché et de Saint-André-Goule-d’Oie. Dans son aveu à Thouars en 1639 il se disait y « ayant droit de patronage et fondation » (21). C’était exagéré, à moins que le sens des mots lui fût particulier. Le droit de choisir le desservant à la cure ne lui appartenait pas en effet, au moins à Chauché et à Saint-André. Sans doute en pratique avait-il droit à quelques honneurs symboliques : bénédiction dans les cérémonies religieuses, préséance dans les processions, coups d’encensoir, etc. 

La coupe des bois devait être autorisée par l’administration des Eaux et Forêts de Fontenay-le-Comte et faisait l’objet d’une ferme à part. La baronnie des Essarts n’est pas la seule terre qui ait des bois dans la province, si on songe à la Rabatelière avec la forêt de Gralas, ou à la forêt de la Chaize-le-Vicomte. 

Quant à la rivière du Lay, le projet de la rendre navigable était bien ambitieux ; a-t-il vraiment existé ? 

On note enfin l’absence de la mention de la verrerie dépendant de la baronnie, et installée au lieu de Détroit dans la forêt des Essarts sur la paroisse de Saint-Martin-des-Noyers. On apprend son existence dans un document concernant la verrerie de Rortheau à Dompierre-sur-Yon en 1758 (22). Mais peut-être n’appartenait-elle pas au baron des Essarts, ou était-elle inactive à l’époque, ou tout simplement d’un rapport assez faible. L’industrie n’existait pas à l’époque, et il ne faut pas voir ce type d’installation avec l’esprit conditionné par les normes économiques de notre époque.

Alexis de Lespinay
C’est Alexis Louis Marie de Lespinay qui acquit la terre des Essarts le 3 août 1787 (23). Il habitait au château du Pally à Chantonnay. Son père, Alexis Samuel de Lespinay, avait épousé dans l’église de Saint-André-Goule-d’Oie Félicité Cicoteau, dame de Linières, le 11 août 1750 (vues 82 et 83 du registre paroissial accessible sur le site des Archives de Vendée). Sa fortune doit beaucoup à l’héritage de son grand-oncle Gabriel des Noues, malheureusement assassiné en 1738 par Barraud des Granges après un repas bien arrosé dans une auberge de Saint-Fulgent (24). Son oncle, Louis Gabriel de Lespinay, est seigneur de la Vrignonnière, petite seigneurie des Essarts, où son grand-père était né. Son frère cadet, Charles Augustin de Lespinay, est seigneur de Linières (Chauché). 

Pour payer son acquisition Alexis Louis Marie de Lespinay s’adressa en 1788 à Charles Guyet, qui était encore fermier de la baronnie un an plus tôt (25). On ne sait pas s’il le resta longtemps après. Guyet avait délaissé son activité de maître de poste à Saint-Fulgent à cette époque, il gérait de nombreux domaines, soit comme fermier soit comme propriétaire, devenant aussi en corollaire négociant en grains et en bétail. Il prêtait de l’argent, se portait caution, et aussi servait d’intermédiaire financier. Ainsi a-t-il été agent d’affaires de la famille Arnoux-Rivière, du grand commerce nantais (26). Pour Alexis de Lespinay il trouva un nommé Barreau qui prêta 238 000 livres. Et pour rembourser ce dernier, Guyet trouva un autre prêteur le 28 juillet 1791, Lambert, pour une somme de 60 000 livres. Le 7 février 1792 M. de Lespinay révoqua le mandat de Guyet tout en ratifiant la convention passée avec Lambert (27). À cette dernière date, entre l’aristocrate et le bourgeois, qui sera bientôt élu électeur du canton de Saint-Fulgent dans le camp des révolutionnaires, la politique creusait un fossé qui deviendra vite infranchissable. Tout avait bien commencé pourtant dans l’euphorie de 1789. Alexis Samuel de Lespinay, père de l’acquéreur, avait été colonel de la garde nationale de Chantonnay. Il avait présidé le 30 mai 1790 un rassemblement en confédération des gardes nationales de 18 paroisses des environs (dont Saint-André-Goule-d’Oie, Saint-Fulgent, les Essarts) au Fougerais de Sainte-Florence-de-l’Oie (28). Cette concorde des gens de toutes conditions dans la région autour des réformes de 1789 a disparu au bout d’un an, puis a laissé la place à une guerre civile à partir de 1793, accompagnée d’un massacre de masses par les autorités révolutionnaires.

Le château des Essarts servit de prison et de lieu d’exécution. Les bâtiments, avec les dépendances et son église, furent incendiées en 1794 par une des colonnes de militaires chargées d’éliminer les habitants de la contrée et de détruire les habitations et les moyens de subsistance (29). Les domaines d’Alexis de Lespinay et de son frère de Linières furent confisqués à cause de leur émigration et vendus comme bien national. Anne de Montault, épouse d’Alexis Louis Marie de Lespinay, dû quitter le Pally pour échapper à la mort. Elle se cacha dans une cabane située dans la partie de la forêt des Essarts qui touche le village de Curin, (paroisse de la Chaize-le-Vicomte). Elle avait avec elle son fils et sa fille (30). En mars 1798, vendant ses biens propres pour cela (31), elle acquit des propriétés confisquées de son mari : l’Aublonnière, le Grand Morne, le Breuil Nicou à Sainte Cécile, la Tabarière, la Silletière, les deux moulins à eau et à vent, les Boucheries, les Mornières, le Chataigner à Chantonnay. Les biens des Essarts rachetés furent le château, la Maison Rouge, la Capètrie, la Piletière, la Guibonnière, la Grande métairie. À Saint-Martin-des-Noyers elle racheta les Cosses, la Noue Étienne, la Painerie, le Sablon, le Détroit. Et à Saint-Philbert-du-Pont-Charraut elle racheta la Maison Neuve et la Fenêtre (32). Elle fit aussi des réclamations aux autorités du département au sujet de ces biens (33). Les propriétés du Pally n’avaient pas été confisquées (34).

Nouveau château des Essarts
Alexis Louis Marie de Lespinay, revenu vivant d’émigration, reconstruisit le château du Pally en 1824 (35). Celui des Essarts resta plusieurs dizaines d’années à l’abandon. Son fils, Louis Armand de Lespinay (1789-1869), général en retraite qui avait été page de Napoléon et son officier d’ordonnance (1808), entreprit de construire un nouveau château aux Essarts en 1854/1857 (36), en récupérant des pierres de l’ancien. Sa fille, Henriette Armande de Lespinay (1829-1894), en hérita. Elle épousa en 1850 Charles Adrien Joseph Bonabes, vicomte de Rougé, et leur descendance habite toujours le nouveau château.  

Une association des amis du vieux château des Essarts s’occupe de l’ouverture au public des vestiges de l’ancien château en juillet et août de chaque année. Un site internet publie des précisions sur ces vestiges : http://www.passionchateaux.com/ch_les_essarts.htm


(1) Aveu des Essarts du 1-3-1718, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(2) Acte de cession d’héritage du 7-9-1543 par Vital Bodet authentifié par le bailli du Forez, collection privée Thierry Guilment.
(3) http://labastie.chez-alice.fr/jacquesi.htm. Voir aussi : Arthur David, Documents historiques sur le Forez, Alexis-Jean de Lascaris d’Urfé, marquis du Chastellet, Imprimerie Chorgnon et Bardiot à Roanne, 1891.
(4) Quittance du 3-5-1730 du rachat des Essarts à Thouars, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(5) Lettre de Proust du 8-2-1729 à M. Volluette avocat parisien de M. Descazaux, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G40.
(6) de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique des pairs de France, des grands dignitaires de la couronne, ... T 8, 1827, page 93.
(7) Saisie féodale du 15-5-1751, de la baronnie des Essarts, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(8) Mémoire de 1751 sur la saisie féodale des Essarts, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(9) Complainte du 24-4-1754 du seigneur de la Rabatelière pour les scellés à Beaumanoir, Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/E 28.
(10) François Alexandre Aubert de la Chesnaye dds Bois, Dictionnaire de la noblesse, 2e édition, T. 4, 1772, page 255.
(11) Arthur David, Documents historiques sur le Forez, Alexis-Jean de Lascaris d’Urfé, marquis du Chastellet, Imprimerie Chorgnon et Bardiot à Roanne, 1891.
(12) Saisie réelle du 9-9-1757 de la baronnie des Essarts, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(13) Dossier de réception du 16-6-1770 de garde de la forêt des Essarts, Archives de Vendée, maîtrise des Eaux et Forêts de Fontenay : B 1434.
(14) Liquidation du rachat des Essarts dans les années 1770, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(15) Quittance du 22-1-1763 du rachat payé aux Essarts pour Languiller, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/F 8.
(16) Ferme du Sablon 9-12-1774 de C. Guyet à Gréau, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/7.
(17) Achat du 30-10-1784 du fief de la Barette de C. Guyet à Jousbert du Landreau, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10.
(18) Affiche pour la vente des Essarts aux enchères en 1787, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.

(19) Archives de Vendée, baronnie des Essarts-Brosse et Luxembourg (1435-1642), 19 J 1, ferme de la baronnie des Essarts à Masseau et Menanteau le 17-12-1571.

(20) Eugène Deriez, Le Puy du Fou châteaux et seigneurs, imprimerie Pacteau à Luçon, 1964, page 89.
(21) Aveu des Essarts à Thouars du 13-6-1639, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1136.
(22) Dépositions du 21-10-1758 pour l’enquête sur la verrerie de Dompierre, Archives de Vendée, maîtrise des Eaux et Forêts de Fontenay : B 1448-1449.
(23) De Grimoüard, Étude sur le prieuré des Mignon (novembre 2001). Aussi, C. de Sourdeval, Le général baron de Lespinay dans l’annuaire de la société d’émulation de la Vendée, 1868, p. 126, vue 65 aux Archives de Vendée.
(24) Archives de Vendée, G. de Raignac, Quelques familles du Bas-Poitou, tome 5 terminé le 30 mai 1986 : 8 J 5, famille de Barraud, page 61 et 62.
(25) Procuration du 18-11-1787 dans l’instance de C. Guyet pour le fief de la Barette, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12.
(26) Idem (23).
(27) Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, 1e série, 2e volume Paris 1843, page 49 : Cour de cassation du 8 nivôse an 13, Lambert/Lépinay.
(28) Louis Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire, Livre d’histoire-Lorisse, 2007, page 59.
(29) C. de Sourdeval, Le général baron de Lespinay dans l’annuaire de la société d’émulation de la Vendée, 1868, p. 126, vue 65 aux Archives de Vendée. Voir aussi :
(30) R. Valette, Famille de Lespinay, Revue du Bas-Poitou 1898-1, page 100.
(31) Communication de M. Charles de Lespinay en 2009.
(32) Archives de Vendée, vente des biens nationaux en l’an 6 (germinal, ventôse et floréal), à Montault-Lespinay : 1 Q 253 no 527, 528, etc.
(33) Archives de Vendée, réclamation de Mme de Montault sur des biens nationaux : 1 Q 293.
(34) Louis Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire, Livre d’histoire-Lorisse, 2007, page 4.
(35) Maurice Bedon, Le château au XIXe siècle en Vendée, Lussaud (1971).
(36) Idem (29).

Emmanuel François, tous droits réservés.
Mars 2019, complété en août 2021

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