mardi 1 mai 2018

La Boninière à Saint-André-Goule-d’Oie

Dans le village de la Boninière
La Boninière tient probablement son nom d’un nommé Bonin. On en a l’affirmation en 1598 pour un autre tènement aussi appelé Boninière situé dans le fief du Bois Saint-Martin à Saint-Martin-des-Noyers (1). Le tènement de la Boninière à Saint-André-Goule-d’Oie touchait la rivière du Vendrenneau et les tènements de la Bourolière, la Jaumarière et la Bouchardière. Juste de l’autre côté du Vendrenneau, qui fait limite avec la paroisse de Saint-Fulgent, il y avait un tènement aussi appelé Boninière, touchant celui de la Clavelière. C’est ce qu’on apprend dans un aveu du seigneur de Saint-Fulgent à Tiffauges en 1774 (2), mais cette réalité remonte probablement les siècles. À cette date ce tènement occupait une surface de 4 septrées de terre et 10 journaux de pré (au total environ 12 hectares), dont le chapelain de Lerandière prélevait un terrage à la 1/24e partie des récoltes. La chapelle de Lérandière, aussi désignée Tineière, possédait une métairie de dimension modeste (terre à deux bœufs), dans le village du même nom à Saint-Fulgent, devant très probablement être desservie dans l’église paroissiale du bourg, ou dans une chapelle à Puy Greffier.

Ce qui est intéressant dans cette Boninière de Saint-Fulgent, c’est de constater que le même nom pourrait désigner un même territoire, traversé par le Vendrenneau, et qui aurait été divisé aux 12/13e siècles quand on fixa les limites entre les paroisses de Saint-Andé-Goule-d’Oie et de Saint-Fulgent. Il aurait pu être divisé aussi entre le seigneur du Coin Foucaud relevant des Essarts, sur la rive sud du Vendrenneau, et celui de Saint-Fulgent relevant de Tiffauges sur sa rive nord. Or il est peu fréquent qu’un tènement soit divisé et partagé entre deux mouvances aussi éloignées que l’étaient Tiffauges pour le côté nord, et les Essarts pour le côté sud. L’hypothèse ne doit pas être écartée cependant car on sait qu’en 1343 Montaigu étendait sa mouvance sur le fief de Saint-André (bourg) et ailleurs dans la paroisse du même nom, et qu’ensuite le baron des Essarts a pris sa place par l’intermédiaire du seigneur du Coin. Il apparait probable que l’habitat primitif de la Boninière et ses terres aux alentours préexistaient à des changements de mainmise des seigneurs locaux, qui se le seraient partagés. On a une situation à la Brossière de Saint-André comparable et prouvée : le Vendrenneau traverse le tènement de la Brossière, et a été choisi pour faire la limite entre les paroisses de Saint-André-Goule-d’Oie et de Vendrennes. Tout le tènement relevait roturièrement de la mouvance du même seigneur du Coin Foucaud, et parait ainsi préexistant à la fixation des limites entre les paroisses. La situation est moins documentée à la Boninière, mais pourrait revenir au même.

Les tènements disparus de la Bouchardière 


Le voisinage de la Boninière interroge aussi un lointain passé dans la paroisse même de Saint-André-Goule-d’Oie. Au sud de la Boninière il y avait le village et tènement de la Bouchardière. Son nom a disparu, y compris dans le cadastre napoléonien de 1838. En 1519 il comprenait un village dont les propriétaires payaient les mêmes droits qu’à la Boninière, et en plus une redevance de 4 poules. Le terrage au 1/6 des récoltes y était partagé par moitié avec le prieur de Saint-André encore en 1550 (3). Ailleurs dans la paroisse le prélèvement du prieur fut supprimé au profit exclusif du seigneur de Languiller au titre du Coin, juste après, c’est-à-dire pendant les guerres de religion. Nous n’avons pas de document concernant la Bouchardière après 1550, et le village lui-même a disparu à une époque inconnue, sans doute peu après. 

Le fief de la Boninière et son régime féodal 


La date du premier aveu connu pour la Boninière n’est plus lisible sur le cartulaire du Coin, déjà abîmé au milieu du 19e siècle. Il a été rendu à Jean de Sainte-Flaive, seigneur de Languiller (Chauché), à cause du Coin Foucaud (seigneurie du Coin dont le château s’élevait 2 kms plus loin vers Chavagnes). On en déduit que cette date se situe entre 1405 et 1441. Il nous apprend qu’un nommé Jean Poussard tenait le village de la Boninière à foi et hommage plain et rachat, c’est dire que c’était un fief, peut-être un ancien tènement donné à un noble. Étaient alors compris dans l'hommage 3 boisselées (3600 m2) pour les maisons, abords et jardins, 16 septerées environ (31 hectares) de terres labourables et non labourables, et journaux à 7 hommes de pré (3,5 ha). Le rachat peut valoir à cette époque 10 septiers de blé, soit 160 boisseaux (4).

Entrée du village du Coin
Ensuite le chartrier de la Rabatelière ne comprend plus qu’un document accessible pour la Boninière, un vieux parchemin à l’écriture tout à fait lisible en vieux français, du 12 avril 1519 (5). Il s’agit d’une offre de foi et hommage d’André Landais, un bourgeois que nous ne connaissons pas. Il devait un hommage plain (simple) avec droit de rachat au seigneur du Coin pour le village, terroir et tènement de la Boninière, ne comprenant pas la Bouchardière au vu des confrontations indiquées.

De vers 1420 à 1519, les surfaces déclarées dans le tènement de la Boninière n’ont pas changé. Les jardins occupaient toujours une surface de terre de 3 boisselées. C’est peu, ce qui suppose un nombre d’habitants peu élevé. Peut-être que le renouveau démographique qui a suivi la fin de la guerre de Cent Ans (1453), et l’espacement d’épidémies moins meurtrières qu’avant, aient tardé ici à y faire sentir ses effets. Mais on craint que ces chiffres ne reflètent pas la réalité, car on recopiait souvent pour rédiger un aveu ou une foi et hommage le même texte que précédemment. Le tènement comportait 7 journaux de prairies naturelles, permettant pourtant un élevage d’importance significative. Le parchemin d’où sont tirées ces informations en 1519 n’est qu’une offre de foi et hommage et non pas un aveu. Il ne s’étend donc pas sur la description des lieux et des redevances.  

En 1526, c’est Colas Landais, fils d’André, qui fit la foi et hommage à l’Assise de Languiller pour la Boninière et la Bouchardière à cause du Coin (6). Le texte de l’hommage n’a pas été conservé. 

Cette seigneurie du Coin était devenue une annexe de Languiller, et ses droits étaient possédés en 1519 par Jacquette de Sainte-Flaive, fille de Jacob de Sainte-Flaive, ce dernier arrière-petit fils de Jean de Sainte-Flaive nommé ci-dessus. C’est à la veuve de ce dernier, qu’André Landais rend sa foi et hommage à cause du Coin Foucaud : Marguerite du Fou, dame de Sainte-Flaive, Sigournais et de Languiller. Pour l’histoire des Sainte-Flaive à Languiller, voir notre article publié sur ce site en mai 2020 : Les seigneurs de Languiller (1300-1603). On y voit que Languiller possédait la seigneurie du Coin dès 1372, et que son premier aveu pour cette seigneurie est daté vers 1405. 

En 1541 le même Colas Landais offre une foi et hommage à l’Assise de Languiller pour le Fief de Landais situé près le village de la Boninière (7). Ce nom se rapporte au tènement lui-même de la Boninière comme on le voit aux Assises de Languiller en 1752. L’année d’après apparait un autre seigneur à la Boninière, André Bellet. Il est prêtre, il a acheté le fief de la Boninière à Landais, et il en a payé le droit de rachat aussitôt (8). En 1544, André Bellet, comme seigneur féodal chemier du fief de la Boninière, fait citer aux Assises de Languiller 5 teneurs dans le fief, pour exhiber leurs contrats d’acquisition. André Bellet n’a pas de procureur fiscal pour le représenter, il se présente lui-même l'année suivante comme demandeur devant le sénéchal des Assises, pour poursuivre 7 teneurs devant faire leurs déclarations roturières. Il demande aussi la condamnation à une amende de 2 sols 6 deniers, pour défaut de présentation, pour deux d’entre eux (9). L’année d’après les procédures continuent et d’autres teneurs sont à nouveau poursuivis. Tout se passe comme si l’acquéreur du fief avait ressenti le besoin d’y mettre bon ordre et de ramener les teneurs à leurs obligations féodales laissées en déshérence. 

On n’en sait pas davantage avec l’aveu du suzerain, la seigneurie du Coin Foucaud, en 1605, reproduisant un texte de 1550 (10). Les parcelles de prairies sont de  « journaux à 7 hommes de pré » vers 1419, « 7 journaux de prés » en 1519, et « 7 hommes de pré » en 1550. S’agissant de prairies naturelles, les surfaces n’ont pas changé, et on remarque l’équivalence entre la journée d’homme et le journal pour exprimer une même surface de pré. Les jardins font toujours 3 boisselées, mais on les appelle en 1550 des « courtils ». Ils sont « près et derrière les maisons dudit village ». En 1519 ils étaient « assis et situés au droit des dites maisons ». 


Dans le village de la Boninière
Dans l’aveu en 1550 de Languiller, André Bellet tient la Boninière à foi et hommage « tant pour lui que pour ses parsonniers qui tiennent de lui sous lui ». Le mot « parsonniers » avait deux sens différents en pratique. Le premier désignait les membres d’une communauté, indivise, comme c’était souvent le cas des biens d’héritage avant de procéder au partage de la succession, ou bien suivant le règlement de la succession. On a désigné un répondant, le chemier, qui faisait l'hommage et la déclaration au nom de tous les participants, les autres tenant leur part du chemier, en parage, suivant les anciens mots du droit féodal. Nous pensons qu’ici c’est ce premier sens qui est utilisé par les notaires de la région.

Mais le mot avait un deuxième sens, synonyme de frarêche, qui désignait des groupements de familles ayant une propriété indivise. Leurs membres, soumis à des règles communes, étaient très solidaires entre eux. Les serfs ne pouvaient hériter ni disposer de leur avoir par testament. Il leur restait une manière d'échapper à cette loi, c'était de se constituer du consentement du maître, en communauté de feu et de lieu, de pain et de sel : les parsonniers ou communistes. Ce dernier mot a connu ensuite une grande fortune politique au 20e siècle. On ne rencontre pas de frarêche dans la contrée.

En 1579, la Boninière était tenue par maitre Roye, procureur de Puybelliard, lequel avait succédé dans cette possession à un nommé Aparilleau (11). On constate ici l’instabilité dans la possession des droits seigneuriaux de la Boninière.

Le cens en argent prélevé n’était que de 107 sols et 10 deniers, à la fois pour la Boninière, la Bouchardière et la Morelière. Ce dernier était un autre tènement situé plus au sud de la Boninière. Le cens comprenait l’arrentement des anciennes corvées féodales. En nature, le sur-cens était une rente de 34 ras d’avoine et de 6 boisseaux de seigle. Le terrage se montait au 1/6 des récoltes. 

Comme dans certains autres tènements de Saint-André-Goule-d’Oie, les teneurs de la Boninière payaient en 1517 des redevances particulières au seigneur de la Boutarlière, René Drouelin. L’avenage ou ratier s’y montait à 5 trulleaux d’avoine. Le métivage était de 4 boisseaux, et l’hommage de 10 sols par an. L’avenage et l’hommage étaient partagés par moitié entre la seigneurie des Bouchauds et celle de la Boutarlière (12). L’avenage était une redevance en avoine due à cause des droits d’usage et pacage accordés aux habitants de la châtellenie des Essarts, dont faisait partie le territoire de Saint-André-Goule-d’Oie. Elle était portée en la « cohue » (halle) des Essarts. Le métivage était le droit de battage des blés. L’hommage était un cens particulier dont on ignore l’origine, porté lui aussi en la « cohue » des Essarts.

Dans le village de la Boninière

Me Sébastien Masson, sieur de la Jaumarière, a acquis le droit de fief de la Boninière et Bouchardière vers 1617, année où il en fait la foi et hommage à Languiller (13). En 1654 c’est son petit-fils, René de Vaugiraud, qui est seigneur de la Boninière, aussi de la Jaumarière, de la Crochardière et de la Morelière (14). Mais à la Boninière il ne possède qu’une partie du droit de fief. L’autre partie appartenait à Pierre Moreau, sieur du Coudray. Elle passa à Jean Moreau son fils, curé de la Couture près de Mareuil dans un partage de 1667 (15). Ses droits sur la Boninière échurent après sa mort en 1685 à son cousin, Pierre de Vaugiraud. Celui-ci, petit-fils de Sébastien Masson, alors lieutenant enseigne de vaisseau, viendra offrir à l’Assise de Languiller en 1700 sa foi et hommage pour la Bonninière, les Ségoninières et la Morelière (16). Jean Gabriel de Vaugiraud, son fils, donna une procuration en date du 2 septembre 1752 à sa belle-mère, Marie Louise Henriette Girard, épouse de Jacques Boutiller (sénéchal de Mortagne), pour offrir sa foi et hommage à l’Assise de Languiller « pour raison du fief et tènement de la dîme de la Bonninière, vulgairement appelé le fief Bellet, la Bouchardière et Morelière » (17).


On a relevé que la famille Audouard, appartenant à la noblesse et originaire de la région niortaise, possédait une maison à la Boninière de Saint-André-Goule-d’Oie. Jacques Audouard le jeune y habita en 1680. En 1684, c’est son frère René Audouard qui y habita, venant de Niort. La maison n’est pas qualifiée de logis, même si elle devait être plus importante que celle des laboureurs habitant dans le village. Ils ont été seigneur du Pin, et la famille possédait aussi des droits à la Baritaudière proche, achetés par le bisaïeul Louis Masson, comme il avait fait pour le Pin et la Jaumarière. Voir notre article publié sur ce site en novembre 2016 : Du rififi chez les seigneurs du Pin

Au 17e siècle Louis Moreau, sieur de Villeneuve demeurant au Coudray, possédait une borderie à la Boninière. Son héritier, Louis Corbier sieur de Beauvais, fit une déclaration roturière le 16 décembre 1727 pour ses biens détenus à la Boninière (18). Il l’a fit au seigneur de Vaugiraud.

En 1776, Pierre Eusèbe de Vaugiraud, fils de Jean Gabriel, est qualifié de « seigneur de la terragerie, village et tènement de la Boninière, des Morelière, et Bouchardière, à 6 deniers de cens par an » (19), dans un acte de vente daté du 17 décembre 1776, d’un pré à la Boninière.
 

Autres redevances du tènement


On a l’habitude de noter l’existence de certaines rentes collectives dues par les détenteurs de biens immeubles ou propriétaires dans un tènement, en dehors même des cens, rentes et autres devoirs seigneuriaux contenus dans les déclarations et aveux au suzerain. Ces rentes, toutes foncières, annuelles et perpétuelles, sont parfois des redevances d’origine seigneuriales et féodales, vendues au détail et détachées du droit de fief. D’autres fois ce sont des dons à des institutions religieuses (prieurés, cures, etc.), qu’elle qu’en soit l’origine. Ou d’autres fois ce sont de simples redevances de baux fonciers perpétuel, dont l’origine est connue ou non. La justification de ces derniers réside en droit dans l’acte de constitution, mais souvent ce dernier est oublié ou perdu. Il est remplacé alors par la coutume et surtout par les titres de reconnaissance ou « titre nouvel » de droits. Ce petit rappel nous permet de situer les diverses rentes payées au fil des siècles à la Boninière.

Seigneur de la Guiffardière en 1606
Entrée de la Guiffardière aux Essarts
On a de manière inexpliquée une déclaration du seigneur de la Guiffardière (située aux Essarts près du Clouin) en 1606, Hélie de Saint-Hilaire, à Languiller, concernant les héritiers de Jean Rochereau et d’Aregnon et leurs parsonniers pour leurs biens à la Boninière. Ces derniers doivent une mine de seigle (8 boisseaux) et 5 sols de rente (20).

Amblard de Guerry a noté une rente de 4 boisseaux de seigle, mesure des Essarts, due sur la Boninière à la Brenenière, un fief de Chavagnes-en-Paillers (21).

Cure de la Copechagnière en 1661
Il a aussi noté une autre rente en 1661, confirmée par un nouveau titre en 1769, due sur le tènement de la Boninière et la pièce de terre du Cloitre (parrtenant au fief voisin des Segoninières) à la cure de la Copechagnière. C’était une rente foncière, annuelle et perpétuelle de 2,5 boisseaux de seigle à la mesure des Essarts, et 1/12 de boisseau à la mesure de Montaigu, était requérable à la Notre-Dame d’août (22).

Particulier en 1732
Un titre nouveau de reconnaissance de rente a été rédigé par les notaires de Saint-Fulgent le 30 septembre 1761, pour 23 propriétaires à la Boninière, dont 13 y demeuraient et les autres demeuraient aux alentours. La rente reconnue était annuelle, requérable, foncière et perpétuelle de 9 boisseaux un tiers de seigle, mesure des Essarts, à la Notre-Dame en août. Elle était due à Catherine Cadou. Celle-ci était veuve en 1e noces de François Musset, sieur de Bretonnière, notaire à Montaigu, et en 2e noces de Pierre Millet, conseiller du roi en l’élection de Châtillon. La rente avait été acquise par Musset de Jacques Simon et Marie Anne Benoist sa femme le 22 juillet 1718, et reconnue par les teneurs le 12 août 1732 (23). Le montant de cette rente est presque le même que la rente précédente due en 1606 au seigneur de la Guiffardière, et on peut se demander si ce n’est pas la même, ayant ainsi été acquise par des bourgeois. Mais notre interrogation reste sans réponse.

La Roche de Chauché
Les teneurs de la Boninière devaient eux aussi une rente à la Roche de Chauché : 14 boisseaux de seigle à la mesure des Essarts. C’est ce que nous apprend le registre de tenues d’assises de la Rabatelière à la date du 19 août 1632 (24). Cette dernière seigneurie possédait en effet une partie des droits de la Roche de Chauché. Ce jour-là trois teneurs ou propriétaires du village se sont présentés au tribunal de la seigneurie de la Rabatelière, qui se tenait dans une salle basse du château. Ils s’appelaient André Chaigneau, Baptiste Rochereau et Louis Bouffard, déclarant cette rente pour eux et les autres teneurs. Dans le terrier de la Rabatelière on voit que la rente a été payée en 1650, 1651 et 1652, et certainement encore après, à moins de défaut de vigilance du créancier. Ensuite, nous ne disposons pas de déclarations faites par les propriétaires ou son seigneur, concernant directement la Boninière.  

En revanche on la retrouve comme bien roturier revenant à la République, dans le partage avec sa sœur, réalisé en date du 2 pluviôse an 5 (21 janvier 1797) des biens confisqués à René Thomas Montaudouin, ancien seigneur de la Rabatelière qui avait émigré. Ce partage opéra un classement entre les biens revenant à la République et ceux revenant à sa sœur, suivant les lois successorales de l’Ancien Régime (25). Elle est alors de 18 boisseaux, probablement par incorporation d’une autre rente valant 4 boisseaux, et est estimée valoir 45 F. Déjà dans un partage précédent de 1779 de la succession de René III Montaudouin, cette rente due sur la Boninière était de 18 boisseaux de seigle (26). Cette attribution de l'an 5 a dû donner lieu ensuite à une vente aux enchères dont nous ignorons l’adjudicataire. Puis elle a dû s’éteindre par le rachat des propriétaires concernés, qui était de droit.

Prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie
Bourg de Saint-André en 1900
Les teneurs (propriétaires) du village et tènement de la Boninière, devaient au prieur-curé de leur paroisse, une rente seconde foncière annuelle et perpétuelle de 7 boisseaux de seigle et 1 boisseau de froment à la mesure des Essarts (27. Une rente seconde était créée après une première rente sur les mêmes biens. On la voit reconnue chez le notaire de Saint-Fulgent en 1787, résultant probablement d’une donation, dont nous ne connaissons pas l’origine.

De plus le prieur recevait une dîme sur le champ des Echardettes, contenant 2 boisselées. Situé dans le même tènement de la Boninière, le champ du Fief du Moulin, contenant 1 boisselée et 58 gaulées avec ses haies, ne donnait pas lieu au paiement de la dîme. C’est ce qu’on relève à l’occasion de la vente de ces deux champs en 1783 (28). Cela confirme l’existence d’un prélèvement de grosse dîme sur les récoltes des champs au profit du prieur de Saint-André-Goule-d’Oie. Mais on ne la rencontre que très rarement dans la documentation consultée, et on sait qu’elle était complétée par un autre prélèvement au profit de la cure : le droit de boisselage. On en conclut que la grosse dîme n’était prélevée que sur une partie du territoire de la paroisse.

Rente à la Chapelle de Chauché
Enfin, il faut rappeler ici la rente de 6 boisseaux de seigle due par les teneurs de la Boninière à la paroisse de la Chapelle de Chauché. Ils avaient cessé de la payer en 1738 et le fermier de Languiller, par ailleurs se disant fabriqueur (gestionnaire) de la paroisse, la leur réclamait 28 ans après, alors que les rentes à l’Eglise étaient imprescriptibles. Néanmoins les arrérages des revenus des biens imprescriptibles étaient, eux, prescrits par 30 ans. Voir notre article publié sur ce site en décembre 2011 : Retour sur la paroisse de la Chapelle de Chauché. Ils firent une déclaration devant notaires le 26 décembre 1768. Voici le nom des 25 propriétaires sur le tènement dans le texte de la déclaration (29) :

« Par devant nous, notaires royaux de la sénéchaussée de Poitiers soussignés, ont comparu en leurs personnes, établis en droit et dument soumis :
  • -        Maître Mathurin Roy, demeurant à la Loge, paroisse de Mesnard ci-devant Barotière,
  • -        Jean Chaigneau, bordier demeurant à la Boninière,
  • -       André Millasseau aussi bordier, Jacques ou Jean Richard, Pierre Charrier, journalier, Mathurin   Faupier, André Fonteneau, journaliers demeurant à la Bourolière,
  • -         André Fonteneau demeurant à la Morelière,
  • -         Etienne Blandin, bordier demeurant à la Porcelière,
  • -         François Mandin demeurant à la Forêt,
  • -        Pierre Rondeau aussi journalier demeurant à la Jaumarière, Jean Michaud, bordier demeurant au même lieu,
  • -         Nicolas You demeurant à la Gandouinière,
  • -      Jean Chaigneau, François Moreau, Louis Rochereau aussi bordier, Jean Rochereau laboureur,   Pierre Chaigneau aussi bordier, Louis Micheleau tailleur d’habits, André Boudaud bordier,   Pierre Marchand, journalier, Jeanne Robin veuve Jean ou Jacques Braud, demeurant les derniers au village de la Boninière,
  • -       Pierre Piveteau demeurant à Villeneuve,
  • -     André Chatry demeurant à la Guérinière, les deux derniers de la paroisse de Chauché et les autres du bourg et paroisse de Saint-André-Gouldois,
  • -      François Crépeau, marchand demeurant à la Haute Clavelière, [] Piveteau laboureur, Jacques   Cougnon bordier, Jean Badreau, meunier demeurant à la Basse Clavelière,
  • -         Augustin Martin, bordier demeurant à la Chaunière, paroisse de Saint-Fulgent,
  • -         Marie Millasseau demeurant au bourg de Saint-Fulgent,
  •      Jean Charpentier, Jacques Chastry, journalier, Marguerite Chastry veuve André Robin demeurant à la Bergeonnière.
Les tous teneurs, exploiteurs et détenteurs du village et tènement de la Boninière, susdite paroisse de Saint-André de Gouldois, faisant et contractant tant pour eux que pour les autres teneurs dudit village et tènement,
Lesquels en cette qualité ont reconnu et confessé, reconnaissent et confessent de bonne foi qu’il est bien et légitimement dû sur et à cause dudit lieu, village et tènement de la Boninière, à la fabrique de la Chapelle Begouin de Chauché, par chacun an et en chacun terme, jour et fête de Notre-Dame en août, la rente foncière, annuelle et perpétuelle de six boisseaux de blé seigle, mesure réduite des Essarts, requérable sur ledit lieu de la Boninière … »

La propriété foncière à la Boninière


Boninière
Il ne semble pas qu’ait prospéré dans ce tènement une grande métairie, mais notre documentation reste insuffisante pour en être certain. Et pourtant c’était un fief qui, comme la Roche Mauvin proche, aurait pu devenir une grande métairie. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé, du moins on le constate à la fin du 18e siècle, pour la Morelière, tènement toujours associé à la Boninière dans les rares textes connus. Nous avons noté à la Boninière une borderie affermée en 1790 par André Boudaud, demeurant dans le village, à son voisin Pierre Rousseau, à droit de colonage à moitié fruits. L’exploitation comprenait un logement, toit, grange, rues, ruages, verger, prés, terres labourables et non labourables d’une surface de quelques hectares. Il est précisé dans le bail que, comme le preneur jouira de la borderie avec d’autres domaines lui appartenant ou affermés verbalement, et qu’il n’est pas possible de distinguer les blés provenant de ces domaines, il a été convenu que Boudaud aura la moitié de tous les fruits, après prélèvements des rentes et semences, et il paiera 50 livres par an au preneur en rétribution. Il lui promet aussi de lui fournir une charrette avec ses fers, roues et ruelles. Le revenu annuel de la ferme est estimé à 80 livres par an seulement (30).

En 1750 on voit aussi André Boudaud, probablement le père du précédent, marchand de bestiaux de profession, rétrocéder à son voisin dans le même village de la Boninière, une borderie pour le prix de 754 livres 10 sols (31). Son voisin s’appelait René Chaigneau et était bordier. Il avait obtenu de la cour seigneuriale des Essarts, qui jugeait en première instance, une sentence contre Boudaud, déclarant valable son offre d’achat de la borderie, et condamnant Boudaud à lui en faire rétrocession. Ce dernier devait respecter une règle de droit civil existant avant la Révolution : le retrait lignager. Cela consistait à donner le droit, dans certaines conditions, à un parent d’un vendeur de biens, de faire rétrocéder à son profit le bien vendu. En l’occurrence André Boudaud avait acquis cette borderie à la Boninière le 31 août 1749 de plusieurs personnes en indivision, pour le prix de 585 livres. Ceux-ci étaient « parents lignagers » du 3e, ou 4e et 5e degré de René Chaigneau. Cela donnait le droit à ce dernier de venir au retrait lignager de la borderie, en faisant une offre à Boudaud, l’indemnisant complètement de son achat. Et c’est ce qu’il fit le 27 août 1750, soit moins d’un an après la vente (délai de validité du droit), par assignation d’huissier. Le 4 septembre suivant, la cour des Essarts, validait l’offre de Chaigneau. Boudaud, déçu de voir son achat résilié, avait dû refuser la démarche de son voisin dans un premier temps, puis fut obligé de s’y résoudre. Il reçut le prix de son acquisition, 585 livres, augmenté de la redevance seigneuriale des lods et ventes se montant à 169 £ 10 s, qu’il avait déjà payée, et plus « la façon, contrôle et déboursé dudit contrat », autrement dit les frais de notaires et de procédures. Les lods et ventes était une taxe due en cas de mutation des biens, par les nouveaux propriétaires au seigneur de la terre. Le retrait lignager répondait sous l’Ancien Régime au désir de laisser les biens dans les familles. Il s’opposait à la conception exclusive du droit de propriété voulu ensuite par les révolutionnaires, qui le supprimèrent.

Le 20 janvier 1799, les frères Jean et André Rochereau habitants à la Boninière, achetèrent la moitié d’une borderie dont les terres s’étendaient sur la Boninière et la Bourolière, moyennant la somme de 300 francs payée comptant. Les vendeurs sont Jean Crepeau, maçon à Nantes et Marie Crépeau demeurant au bourg Herbiers, qui en avaient hérité de leurs parents il y avait près de 20 ans (32).

La guerre de Vendée à la Boninière


On connait par les recherches de l’abbé Boisson, le parcours d’une troupe d’incendiaires républicains jusqu’à la Rabatelière le 8 décembre 1793 (33). Avant d’y arriver, ils tuèrent un enfant, deux jeunes gens et un vieillard à la Jaumarière ce jour-là, et le même jour « a été tué par les bleus au village de la Boninière », Pierre Moreau, âgé de 30 ans, époux de Marie Rochereau (2e registre clandestin de l’état-civil de Saint-André, vue 6).

Deux mois après, le 2 février 1794, dans la période des colonnes infernales, Marie Piveteau, âgée de 43 ans, veuve de Pierre Rousseau, du village de la Boninière, « a été tuée par les ennemis de la religion » (vue 8 du même 2e registre clandestin). Il est probable que ce Pierre Rousseau soit le même que celui, ci-dessus, qui avait loué en 1790 une borderie à André Boudaud, mais il est difficile de le vérifier.

Ayant perdu la guerre, les Vendéens continuèrent ensuite à être persécutés dans leur croyance religieuse à nouveau à partir de septembre 1797. Louis Merlet, commissaire exécutif auprès de la municipalité du canton de Saint-Fulgent, envoya les gendarmes abattre des croix sur la commune de Saint-André, dont une à la Boninière. Dans une lettre du 21 janvier 1798 aux autorités départementales, il est obligé d’avouer que les agents des communes (maires) n’ont rien fait pour faire disparaitre les croix encore debout dans la campagne, ils sont pour la plupart les seuls patriotes de leur commune, dit-il ! Ils craignent les réactions populaires dirigées par les meneurs contrerévolutionnaires (34).

Croix de la Boninière en 2017
Ces persécutions religieuses ont laissé des traces profondes. Un détail le souligne à propos des croix abattues par les gendarmes de Saint-Fulgent en 1798 à Saint-André-Goule-d’Oie. Faisant le compte rendu de la bénédiction en 1860 de la croix de la Boninière, toujours bien entretenue de nos jours, un auteur non repéré a écrit comment les paroissiens s’y sont rendus en procession à l’issue des vêpres du dimanche 10 juin de cette année-là : « Arrivés à la Boninière, les assistants se rangèrent autour de la croix de pierre, monument de la piété et de la générosité de tous les fidèles du village, élevé à la place d’une croix ancienne renversée par l’impiété révolutionnaire, bénédiction de la croix par le curé de Saint-André, Prosper Guibert, chanoine honoraire » (35).


(1) Aveu du 30-9-1598 du seigneur des Roullins à Thouars, à cause de sa femme G. Jupille, page 14, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1136.
(2) Aveu du 23-6-1774 de Saint-Fulgent (Agnan Fortin) à la vicomté de Tiffauges (A. L. Jousseaume de la Bretesche), page 25, transcrit par Paul Boisson, Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 13. 
(3) Note sur la Bouchardière à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 1.
(4) Note no 3 sur la Boninière à Saint-André-Goule-d'Oie, Archives d'Amblard de Guerry : S-A 1.
(5) 150 J/G 18, foi et hommage du 12-4-1519 d’André Landois au Coin Foucaud pour la Boninière.
(6) Assise de Languiller en 1526, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/M 22, page 71 et 72.
(7) Assise de Languiller en 1541, Ibidem : 150 J/M 22, pages 729 et 730.
(8) Assise de Languiller en 1542, Ibidem : 150 J/M 22, page 880.
(9) Assise de Languiller en 1544, Ibidem : 150 J/M 22, pages 1001 à 1005.
(10) 150 J/G 61, aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par le seigneur de Languiller aux Essarts – deuxième copie.
(11) 150 J/G 18, vente du 10-2-1579 de Jules de Belleville à Mathurin Fonteneau du droit de rachat sur un moulin à vent à la Bourolière.
(12) 150 J/C 95, copie de l’aveu de la Boutarlière aux Essarts du 26-1-1517.
(13) Assise de Languiller en 1617, Ibidem : 150 J/M 36, page 45.
(16) Assise de Languiller en 1700, Ibidem : 150 J/M 38, page 12.
(17) Assise de Languiller en 1752, Ibidem : 150 J/M 37, pages 20 et 21
(18) Inventaire après-décès du 13-2-1762 de Louis Corbier de Beauvais, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/3.
(19) Vente du 17-12-1776 d’un pré à la Boninière par de Vaugiraud, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(20) 150 J/A 12-3, aveu du 12-8-1606 d’Hélie de Saint-Hilaire à Languiller pour la Guiffardière et 11 lieux à St André.
(21 Notes no 4 sur la Boninière à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 1.
(22) Ibidem, note no 6.
(23) Titre nouveau de rente du 30-9-1761 de 9 boisseaux un tiers de seigle par les teneurs de la Boninière, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/3.
(24) 150 J/E 1, assises du 19-8-1632 de la Rabatelière et autres fiefs.
(25) Fonds de l’abbé boisson : 7 Z 64, les Montaudouin, partage du 22 décembre 1796 entre Thérèse Montaudouin et la République. Et Archives départementales de la Vendée : 1 Q 342, no 117, estimation du 3 pluviôse an 5 de la Rabatelière.
(26) 150 J/C 68, partage du 18-10-1779 de la succession de René de Montaudouin seigneur de la Rabatelière, page 42.
(27) Inventaire du 30-10-1787 des titres et papiers du prieuré et de la fabrique de Saint-André-Goule-d’Oie, page 3, Archives de Vendée, commune de Saint-André-Goule-d’Oie : 139 G 3 et 4,
(28) Achat du 6-11-1783, de 4 boisselées à la Boninière par Bordron, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/124.
(29) Reconnaissance d’une rente foncière perpétuelle due solidairement à la fabrique de la Chapelle Bégouin de Chauché, par toutes les personnes exploitant une terre au village et tènement de la Boninière, le 26 décembre 1768, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/5.
(30) Ferme du 29-6-1790, d’une borderie à la Boninière, notaires de Saint-Fulgent, Bellet : 3 E 30/131.
(31) Retrait lignager du 7-9-1750 d’une borderie à la Boninière, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/113.
(32) Acquisition d’une demi borderie à la Boninière par les frères Rochereau le 1e pluviôse an VII, Archive de la Vendée, notaires des Herbiers, J. M. Graffard (fils) : 3E 020, vue 334/478 (sur le registre numérisé accessible par internet).
(33) Fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 46-2, les débuts de l’insurrection, et à la Rabatelière en décembre 1793.
(34) Fonds de l’abbé boisson : 7 Z 12-II, lettre du 2 pluviôse an 6 de Merlet au commissaire du département.
(35) Fonds de l’abbé boisson : 7 Z 73-4, notes sur la bénédiction des croix de Saint-André-Goule-d’Oie en 1860.


Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2018, complété en janvier 2023

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dimanche 1 avril 2018

La Jaumarière à Saint-André-Goule-d’Oie

Jaumarière : entrée du village
Sur le très ancien chemin transformé en route vers 1870, qui conduit du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie à Chavagnes-en-Paillers, deux kilomètres à peine après le village de la Boninière, on longe. À droite le village de la Jaumarière. A l’entrée sur la gauche, le calvaire est une croix en imitation tronc d’arbre dans un espace bien entretenu. Son esthétique est représentative d’une époque assez récente. De plus les rénovations et constructions modernes des maisons proches leur donnent un aspect extérieur de fraîcheur et de gaieté. Néanmoins le blanc des murs étonne dans un pays exposé aux nuages de l’océan. Et puis les vieilles pierres ont disparu, emportant leurs secrets dans un oubli définitif.

Il y a quelques dizaines d’années, les chercheurs Amblard de Guerry et l’abbé Paul Boisson se sont demandés, au vu de quelques pans de vieux murs, s’il n’y avait pas eu à la Jaumarière un logis qui aurait appartenu aux de Vaugiraud. Leurs investigations ne leur ont pas permis de répondre de manière probante. Les de Vaugiraud ont été seigneurs de la Jaumarière et le dernier d’entre deux, Jean Aimé de Vaugiraud y possédait une borderie, qu’on retrouve dans sa déclaration de succession au bureau de Montaigu à la date du 3 décembre 1814 (vue 106 sur le site internet des Archives de la Vendée. La propriété des de Vaugiraud dans ce village n’est donc pas contestable. Certes, ils rendaient hommage pour la Jaumarière, celle-ci désignée de fief noble, mais cela n’entraîne pas nécessairement l’existence d’un logis sur place. D’autant qu’on n’a pas trouvé un seul de Vaugiraud y habitant. Voir à cet égard l’article publié sur ce site en août 2014 : La famille de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d’OieTout au plus il devait y avoir la maison et autres bâtiments d’un fermier. Il ne reste plus de nos jours la moindre trace d’un logis de maître, qui aurait été situé au bord de la route, à droite en allant vers Chavagnes, précisément la dernière maison sur ce côté. Au moment des observations de l’abbé Boisson, la maison située ainsi, datant de 1906, appartenait à Gérard Chacun (1). La consultation du cadastre napoléonien de 1838 ne mentionne que des maisons, masureux et bâtiments agricoles dans le village. Bref, on manque d’éléments pour évoquer l’existence d’un ancien logis de maître à la Jaumarière.

Le village et tènement de la Jaumarière relevait du seigneur du Coin Foucaud, dont le château s’élevait un kilomètre plus loin vers « Chavagnes les Montaigu », comme on disait alors. En 1550, son possesseur, le seigneur de Languiller (Chauché), déclare à son suzerain des Essarts que le tènement de la Jaumarière occupe 10 boisselées en jardin, 10 journaux de pré et dix septrées (correspondant à 160 boisselées) en terres labourables et landes exploitées (2). La surface de terres labourables augmentera ensuite par extension sur les nombreuses landes communes voisines. Il en restait encore quelques-unes en 1838, totalisant 1,7 hectare, dont 14 ares de landes propriétés de la commune de Saint-André.

Le fief des Segoninières au début du 16e siècle


Situé à proximité du village de la Jaumarière et enclos dans son tènement, c’était un fief sans habitat, mouvant de la seigneurie des Bouchauds (3). En 1526, le sénéchal des Assises de Languiller et fiefs annexes, maître Marboeuf, ordonna à deux teneurs du fief (Louis Rochereau et Antoine Bellet) de présenter une foi et hommage aux assises prochaines pour les Segoninières (4). Ils sont choisis parce que le seigneur chemier faisait défaut. En 1531, le sénéchal poursuit Michel Chaigneau comme « seigneur du fief des Segoninières pour 2 chevaux de service non payés », autrement dit pour le paiement de deux droits de rachat (5). En 1537, cette fois le sénéchal poursuit pour défaut de foi et hommage, le seigneur de la Boutarlière, Antoine Gazeau, à cause de Louise Bonnevin sa femme, pour raison de la moitié du fief des Segoninières, et il en demande la saisie (6). Les demandes du sénéchal, libellées succinctement sur le registre des Assises, nous laissent dans un certain flou sur les possesseurs du fief. Mais en 1541, le nouveau sénéchal nommé l'année d'avant par le seigneur de Languiller, Jean Bonnevin, reçut en sa foi et hommage Antoine Chaigneau « pour raison du fief et tènement des Segoninières et autres choses dudit hommage en la paroisse de Saint-André, desquelles tout ainsi que ses prédécesseurs seigneurs l’avaient accoutumé faire » (7). Chaigneau en rendit l’aveu l’année d’après. Pour l’autre moitié du fief, le seigneur de la Boutarlière, alors François de La Muce, a offert la foi et hommage en 1544, mais le procureur fiscal, Pierre Boislard, lui réclama le paiement de 5 rachats dus en raison du décès de Jacques et René Drolin et d’Antoine Gazeau, ses prédécesseurs, puis de son mariage avec Louise Bonnevin et du premier mariage de celle-ci avec Antoine Gazeau (8).

 

Les redevances seigneuriales en 1550


Dans l’aveu de Languiller et Coin Foucaud en 1550, les anciennes corvées féodales avaient été incorporées à la Jaumarière dans la valeur du cens.  Celui-ci se montait ensuite à 7 livres, 15 sols et 11 deniers. Les rentes féodales étaient de 12 boisseaux de seigle et 20 ras d’avoine chaque année.

Jaumarière
De plus, le seigneur de la Boutarlière prélevait chaque année en 1517 sur les teneurs de la Jaumarière, un droit de métivage, se montant à 2 boisseaux. Le droit, dit « hommage », qui lui était dû en plus à la fête de la nativité de Notre-Dame, se montait à 3 sols. Ce dernier droit se partageait par moitié entre la seigneurie des Bouchauds et celle de la Boutarlière. Il en était de même pour le droit « d’avenage » appelé « ratier », rendu le jour de Saint-Michel-Archange en la « cohue » (halle) de la « ville des Essarts », que payaient les teneurs de la Jaumarière, et qui était de 5 trulleaux (9). L’avenage était une redevance en avoine due à cause des droits d’usage et pacage accordé aux habitants de la châtellenie des Essarts.

Le 7 décembre 1554 Jules de Belleville, seigneur de Languiller, a cédé à Jean de Ligny, seigneur du Boisreau (Chauché), ses droits seigneuriaux sur la Jaumarière, moyennant une rente annuelle de 30 livres payée par l’acquéreur à noël. Puis il annula cette vente en exerçant son droit de retrait féodal (10). Et il céda ensuite à Jean de Ligny sept pièces de terre situées près de la Brosse Veilleteau, de la Begouinière et du Plessis Allaire (Essarts).

Les Masson des Essarts, nouveaux seigneurs de la Jaumarière et des Segoninières


Puis Jules de Belleville revendit ses droits seigneuriaux sur la Jaumarière à Louis Masson, sénéchal (juge seigneurial) des Essarts, comme il le fit de ses droits sur le Pin et la Baritaudière au même Masson. Dès lors, ces trois tènements eurent les mêmes seigneurs pendant quelques dizaines d’années. Le fils, Sébastien Masson, sieur des Fouzillières (Grand Village aux Essarts) et Jaumarière, est qualifié dans plusieurs actes d’écuyer. Lui aussi fut sénéchal des Essarts. Il est le frère de Charles Masson, seigneur du Pin (11).

Vers 1590 il acheta à Maurice Bereau demeurant à la Boninière et Catherine Boisseau, veuve de Mathurin Fonteneau, la versaine appelé la « Vallée de Roger » à la Jaumarière  pour 110 sous tournois (12). De plus l’abbé Boisson a pu relever dans les années 1960/1970 dans le registre d’insinuation de Languiller, alors accessible, une série de 16 petits achats de domaines à la Jaumarière, faits par Sébastien Masson auprès de 17 propriétaires entre le 4 mai 1595 et le 24 janvier 1597 (13). Certains vendeurs étaient en indivision, et André Apparilleau, l’un d’entre eux, a fait quatre ventes différentes, toujours pour de petites parcelles de terres et de prés. Au total, trois fois la vente a concerné des maisons et deux fois des rentes, le reste, des terres et des prés. On voit là une opération révélatrice d’un appauvrissement des habitants de la Jaumarière, obligés de vendre, parfois au compte-goutte, leurs petites tenures. En face le nouveau seigneur des lieux, un bourgeois des Essarts, amasse des terres. On ignore les circonstances et la manière, mais le fait parait clair, et le lien avec le climat est probable. En effet, la mauvaise récolte de l’année 1596, faisant suite à celles des années antérieures, à cause de fortes pluies au printemps et en été, engendra la famine, laquelle favorisa des épidémies. C’est ce qui explique le pic de mortalité observé à Paris en 1597, qui a probablement existé aussi dans la région (14).

On constate en 1617 que les Masson ont aussi fait des acquisitions dans le fief des Segoninières, aussi appelé le fief Chaigneau. Sébastien Masson en était devenu le seigneur chemier (15), par la vente de Jules de Belleville à Louis Masson du droit de fief, rachat compris.

Anonyme : Henri II de Bourbon
(Musée Condé, château de Chantilly)
En 1622 Sébastien Masson rend un aveu pour la Jaumarière, où il déclare 3 boisselées occupées par les bâtiments, cours et chemins d’accès dans le village, et 12 « boisselées à semer lin » pour les différents jardins (16). Peut-être celles-ci correspondent-elles aux 10 boisselées exprimées en terres labourable de jardin, dans l’aveu précédent en 1550. Nous aurions ainsi une indication précieuse sur la correspondance entre les deux mesures, mais on hésite à cause des dates trop éloignées entre les deux textes, surtout à une époque de défrichement. Les prés et terres labourables se montent en 1622 à 287 boisselées, mais il manque l’indication de la surface de 7 champs sur les 34 déclarés et confrontés. L’extension des terres cultivées, en prenant sur les friches, a été importante, rappelant ce qu’on a constaté sur les Landes du Pin et ailleurs à la même période dans la paroisse.

Sébastien Masson rend son aveu à Marie Hurault, dame de Languiller et veuve de Philippe Eschallard, celui-ci ayant été « conseiller du roi en ses conseils d’État ». Lui-même se présente alors comme demeurant aux Essarts, et « sieur des Fouzillères et de la Jaumarière, et conseiller ordinaire de monseigneur le prince de Condé, premier prince du sang, et prince pair de France ». Les Fouzillères étaient l’ancien nom du Grand Village des Essarts. Le prince de Condé, dont il s’agit ici, était Henri II de Bourbon (1588-1646), cousin d’Henri IV et père de Louis II dit le Grand Condé. Jusqu’à la naissance de Louis XIII en 1601, il fut l’héritier du trône. Pendant la régence il jalousa le favori Concini, et pour parer à ses attaques, la reine appela Richelieu. Il rentrera dans le rang avec Louis XIII. Les archives du château de Chantilly (des Condé), pourraient peut-être nous donner des informations sur Sébastien Masson. À moins que son emploi de conseiller soit à ranger dans la catégorie des nombreux emplois fictifs vendus autrefois par le roi et les princes.

Celui-ci tient la Jaumarière « à cause de votre seigneurie du Coin Foucaud noblement en gariment perpétuel sous l’hommage que vous avez accoutumé faire de ladite seigneurie du Coin Foucaud à madame la baronne des Essarts » et à 5 sols de service dus sur le village et tènement de la Jaumarière à noël. L’aveu comprend aussi le fief des Segoninières. Désormais il faisait partie des appartenances de la Jaumarière. Au total il comptait en 1618 48 boisselées en 8 champs répartis dans les pièces de terres suivantes : la Courois, les Cloistre Boudaud, les Sigournières (17). C’était un fief noble tenu à foi et hommage et rachat, et dont le seigneur de la Jaumarière en rendait aveu en même temps que pour la Jaumarière, mais à cause de la seigneurie des Bouchauds (18). 

L’ensemble des teneurs devaient à Sébastien Masson les faibles rentes féodales en seigle et avoine indiquées plus haut en 1550. Mais s’y ajoutaient en réalité une vigne à droit de complant, et le droit de terrage au 1/6 des récoltes des « blés, lins, rèbes, pois, mil, que autres fruits et légumes ». L’énumération est rare et donc intéressante. Ce terrage est rendable « en sa maison des Essarts ou ailleurs aussi loin où bon lui semblera ». Et le rendant indique que ces droits « lui peuvent bien valoir par chacun an 5 setiers de tous blés à la mesure des dits Essarts ou environ, compris en icelui le terrage qu’il prend en lin, navets, rèbes, pois, fèves et mil ». Rappelons que 5 setiers faisait 80 boisseaux de seigle, soit 17,6 décalitres ou 12,3 quintaux. S’agissant du 1/6 de toutes les récoltes exprimées en valeur de quintaux de seigle, on poursuit le calcul pour obtenir une récolte équivalente de 74 quintaux. C’est bien peu au regard des surfaces cultivées, même avec un faible rendement et l’importante déperdition des surfaces emblavées entraînée par la pratique des jachères. Y-a-t-il sous-évaluation ? La question se pose, car il s’agissait d’une évaluation servant de référence à la valeur du droit de rachat en cas de mutation. La période a aussi connu des dérèglements climatiques, et ceux-ci expliquent peut-être cette sous-évaluation vue d’aujourd’hui.

La Jaumarière : en direction de Chavagnes
Quant au cens en argent de 7 livres 15 sols et 11 deniers, il constitue le total de 6 versements différents à 6 dates différentes au cours de l’année, dont un droit de rivage valant un quart de 3 sols ! On espère qu’au-delà des règles d’origine, on savait regrouper ces 6 montants pour les verser en une seule fois. Et puis, comme les choses étaient très compliquée avec ces droits seigneuriaux, Sébastien Masson indique que « les teneurs du pâtis de l’Homeau payent par chacun an et terme de mi-août 6 deniers de cens » (18). C’était un champ particulier.

Enfin, il rappelle qu’il a droit de juridiction basse sur les teneurs de la Jaumarière, étant leur vrai seigneur, alors que l’hommage au suzerain des Essarts reste fait par le seigneur du Coin Foucaud, qui est comme un seigneur en titre, mais dépourvu de toutes prérogatives à la Jaumarière. De même Masson perçoit à son profit les lods et vente à chaque mutation de bien immeuble dans le tènement. On sait que des situations comparables ont donné lieu, ailleurs à Saint-André-Goule-d’Oie, à des conflits, ne serait-ce qu’au Pin quand Philippe Chitton devint seigneur de Languiller à partir de 1674. C’est qu’habituellement le droit de justice était lié au droit de fief, et d’ailleurs Sébastien Masson présentait la Jaumarière comme un fief noble et un tènement, tenu noblement, pour lequel il rendait aveu. Il y a là ambiguïté sur la nature de la terre, noble ou roturière, puisque les deux mots sont employés en même temps. Les Segoninières y sont toujours associées, qualifiées de fief et de tènement aussi. La liste des pièces de terre dans l’aveu de 1622 montre une quantité de tenures excluant l’existence d’une réserve seigneuriale directe, conservée en mode d’exploitation de métairie.  Il est certain qu’à la fin du 17e siècle le seigneur de Languiller aurait contesté la qualification de terre noble s’il l’avait pu. Et ce n’est pas la position de Pierre de Vaugiraud, le possesseur des redevances d’alors, qui l’aurait intimidé. Leur acte d’acquisition nous manque dans les archives. Mais on peut supposer que sa rédaction ne donnait pas de prise à la contestation de la nature de terre noble du « fief et tènement de la Jaumarière ». D’autant que l’acquéreur, Louis Masson, était sénéchal des Essarts, certes un bourgeois, mais dans une position de force aux Essarts, lors des absences de la baronne. Et le vendeur, Jules de Belleville, était un guerrier noble engagé dans les rangs protestants, souvent absent. On se demande, puisqu’on ne peut faire que cela, si le notaire rédacteur de l’acte de vente n’a pas été mieux relu par l’acquéreur que par le vendeur, celui-ci intéressé avant tout par le montant du prix et son paiement comptant.

Et que se serait-il passé sans la pugnacité de Philippe Chitton, seigneur de Languiller à la fin du 17e siècle, pour faire reconnaître son droit de fief sur les fiefs et tènements à Saint-André-Goule-d’Oie ? Pour les propriétaires, leurs paiements de lods et vente seraient allés au possesseur habituel du droit de cens plutôt qu’à Languiller. Les nombreux possesseurs nobles des redevances auraient ajouté une terre noble de meilleur rapport en plus à leur patrimoine. Et les possesseurs bourgeois de ces terres nobles auraient eux aussi touché les lods et vente, et surtout exercé leur droit de retrait féodal lors des ventes, avec gourmandise afin d’augmenter leur patrimoine. Ils auraient aussi râlé contre le droit de franc-fief, impôt dû sur les terres nobles possédées par les roturiers. Il n’existe pas d’impôt juste pour tous, mais en matière d’injustice on atteignait là un degré élevé.

Et on trouve aussi à la Jaumarière, comme au Coudray, la Bergeonnière et autres villages, une rente due à la Rabatelière au 18e siècle. Elle est faible : 2 boisseaux de seigle, et son origine n’est pas précisée (19). En 1782, la rente était affermée à Pierre Bossard, comme fermier de nombreuses rentes appartenant au châtelain de la Rabatelière, avec la métairie de la Borelière et la borderie de Maurepas, les deux à Chauché (20).

Les de Vaugiraud, deviennent seigneurs de la Jaumarière


Le 8 février 1625, chez le notaire des Essarts nommé Jean Chanteau, Sébastien Masson, le seigneur de la Jaumarière, appose sa signature au contrat de mariage de sa fille Renée avec Pierre de Vaugiraud, seigneur de Logerie à Bazoges-en-Paillers (21). À partir du mariage de Renée Masson, fille de Sébastien Masson et de Françoise Marois, la terre noble de la Jaumarière restera dans la famille de Vaugiraud jusqu’à la Révolution. D’autant que le prieur de Saint-André, Pierre Moreau, a acheté des terres à Louis Loizeau le 5 février 1650 pour la somme de 370 livres. (22). Il acquit aussi par arrentement d’autres terres à la Jaumarière à Jean Constant, écuyer sieur de la Martinière, dont l’épouse, Élisabeth Masson, avait eu sa part d’héritage aussi dans ce tènement à côté de sa sœur, Renée Masson mariée à René de Vaugiraud. Il apparaît que cette obligation passa ensuite dans la succession de Jacques Moreau (23), à Renée nièce du prieur, mariée à René de Vaugiraud (fils de Pierre), seigneur de Logerie. En 1662, c’est le prieur qui paya pour le compte de ce dernier les sous-rachats concernant la Jaumarière à Pierre Le Geay, seigneur de la Getière et de Languiller (24). Aux Assises de Languiller en 1654, on voit que René de Vaugiraud est seigneur de la Jaumarière, la Boninière, la Crochardière et de la Morelière (25).

Le 7 août 1692, Pierre de Vaugiraud, petit-fils du précédent, renouvelle la ferme des biens possédés par la famille à Saint-André-Goule-d’Oie (26). Ceux-ci s’étaient agrandis de la dot de sa mère, née Renée Moreau, fille d’un riche bourgeois du Coudray (Saint-André). Le bail comprenait au total les métairies de la Maigrière, la Jaumarière et la Porcelière, que le preneur au bail sous-louait ensuite à des métayers. S’y ajoutaient les rentes dues sur les villages et tènement de la Jaumarière, Boninière, Gobeteries (nom de lieu disparu) et Morelière, avec tous les droits de terrage, cens, charges, devoirs, dîmes, autres, dues au seigneur de Vaugiraud. Suivant une pratique fréquente chez les nobles, ceux-ci affermaient ainsi leurs domaines et droits seigneuriaux à des bourgeois, à qui ils fournissaient les titres, notamment les papiers censaires où ils étaient répertoriés.

La Jaumarière
Pierre de Vaugiraud fut reçu en 1700 en sa foi et hommage aux Assises de Languiller pour les fiefs et tènements des Boninière, Ségoninière et Morelière (27). Les propriétés des Vaugiraud à Saint-André-Goule-d’Oie ont fait l’objet de mutations dans la famille au fil du temps. La Jaumarière, comme bien noble, a appartenu à l’aîné au départ, et les autres biens ont d’abord fait partie du patrimoine de Maris Desnos, épouse de Pierre de Vaugiraud, puis ils ont été attribués en indivision entre ses enfants : madame la Cantinière, monsieur le chevalier et mademoiselle de Logerie devenue ensuite madame de Vanzais. On a mis fin à cette indivision plus tard et c’est Jean Gabriel de Vaugiraud qui hérita de la métairie de la Jaumarière. Il donna une procuration en date du 2 septembre 1752 à sa belle-mère, Marie Louise Henriette Girard, épouse de Jacques Boutiller (sénéchal de Mortagne), pour offrir sa foi et hommage aux Assises (tribunal seigneurial) de Languiller et fiefs annexes pour raison de la Jaumarière, à 3 sols de service annuel à noël (28).

Après son décès en 1765, assassiné par un mari jaloux à Mortagne, sa femme viendra habiter le bourg des Essarts, terre des ancêtres Masson (29). Ce sera aussi le domicile de Pierre Eusèbe de Vaugiraud, son fils aîné, qui hérita de la métairie de la Jaumarière. Il possédait aussi le droit de terrage sur les tènements voisins de la Boninière, des Morelière, et Bouchardière, et était seigneur de la Jaumarière comme son père (30). Son jeune frère, Jean Aimé de Vaugiraud, hérita d’une borderie à la Jaumarière, qu’on retrouve dans sa déclaration de succession au bureau de Montaigu à la date du 3 décembre 1814 (vue 106 sur le site internet des Archives de la Vendée). Malgré son engagement bien connu des autorités dans la guerre de Vendée, on ne confisqua pas les biens d’Aimé de Vaugiraud. Il faut se rappeler, pour comprendre cette anomalie, que les combats de la guerre de Vendée durent fortement perturber le fonctionnement de l’administration. Pour plus de détails sur l’histoire de Jean Aimé de Vaugiraud, voir l’article qui lui est consacré sur ce site, publié en avril 2012 : M. de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d’Oie. Sa biographie se trouve aussi dans le dictionnaire des Vendéens sur le site internet des Archives départementales de la Vendée.

La métairie de la Jaumarière


Nous connaissons aussi les revenus de ces divers biens à deux dates : 1732 et 1742. Nos informations les plus complètes concernent la métairie de la Jaumarière, avec d’abord un inventaire et une estimation des bestiaux vers 1743 (31), que nous rapportons en respectant le vocabulaire employé par l’expert désigné à cet effet. Il y avait deux bœufs estimés ensemble 160 livres, deux taureaux de deux ans estimés ensemble 50 livres, une torre (jeune vache qui n’a point encore porté) estimée 20 livres, quatre vaches estimées ensemble 108 livres, trois bodets (veau mâle) estimés ensemble 45 livres et vingt-deux brebis estimées ensemble 38 livres 10 sols. Le total s’élève à 421 livres et 10 sols, partagé dans ce cas à moitié entre le métayer et le propriétaire. Nous avons là néanmoins une petite métairie, plutôt une borderie avec deux bœufs, à côté de celle de la Grandinière à la Boissière, du même propriétaire, qui avait douze bœufs. L’inventaire confirme l’orientation de l’agriculture de la région vers les cultures, plutôt que vers l’élevage à cette époque. En effet ce bétail, sauf les brebis, est d’abord à usage de trait des charrues et des charrettes, et en complément seulement à destination de l’élevage pour les boucheries.

La Jaumarière
La métairie de la Jaumarière rapportait cent quarante livres de revenus annuels, montant stable sur dix ans. Cette valeur correspond à une surface d’environ 20 hectares probablement. Les borderies de la Porcelière et de la Maigrière rapportaient respectivement cinquante-deux livres et quatre-vingt livres en 1732, et cinquante livres et quatre-vingt-cinq livres en 1743.

Les teneurs de la Jaumarière et de la Boninière devaient deux rentes féodales. La première de 33 boisseaux de seigle à la mesure réduite des Essarts, estimés 33 livres de revenu annuel en 1732 et 27 livres 10 sols en 1743. La deuxième de 151,5 boisseaux d’avoine à la même mesure, estimée de revenu annuel de 75 livres 10 sols en 1732. En 1743, à 8 sols le boisseau, le revenu annuel est ramené à 60 livres.

Le droit de terrage sur les terres labourables de la Jaumarière et de la Boninière au 1/6 des récoltes, est estimé d’une valeur de 80 livres sur toute la période.
Enfin la dîme des agneaux, gorons [cochons] et autres objets cités par les aveux, est estimée de revenu annuel de 10 livres, et le cens de 14 livres (32).
Avec ces valeurs on constate en 1742 que les redevances ont bien augmenté depuis 1622, mais elles comprenaient la Boninière en plus. 

Cette métairie de la Jaumarière échut par héritage au patrimoine de Jean Aimé de Vaugiraud, demeurant au logis du bourg de Saint-André. Lors de sa succession en 1814, elle occupe une surface de 25 hectares et est exploitée à partage à moitié des fruits par Jean Gourraud. Les héritiers, le comte de Vaugiraud demeurant aux Sables-d’Olonne et sa sœur Marie Anne de Vaugiraud demeurant à Nantes, la vendirent le 9 décembre 1814 à Chaigneau et consorts moyennant le prix de 7 000 F (33). Les acquéreurs se sont associés à 5 pour acheter cette métairie de 25 ha. Deux habitent dans le village même de la Jaumarière : Jean Moreau et Jacques Piveteau (fils de Jeanne Chaigneau), ayant chacun 2/10 de parts. Les trois autres habitent à la Boninière voisine. D’abord Jean Chaigneau, qui a 3/10, vivant en communauté avec Jeanne Chaigneau, veuve Guibaud. Ensuite André Chaigneau, qui a 2/10. Enfin André Rochereau, qui a 1/10.

À côté de cette métairie, il y avait des borderies dans le tènement, moins bien documentées. Un nommé Jacques Chaigneau avait créé au début du 18e siècle, au profit du sieur Corbier de Beauvais demeurant au Coudray, sur une borderie lui appartenant, une rente d’un montant de 6 livres et 2 chapons par an. En 1773 ses descendants en ont fourni une reconnaissance au nouveau propriétaire du Coudray, René Loizeau (34).

Enfin on trouve une rente foncière annuelle et perpétuelle de 12 livres 10 sols par an sur des domaines situés au tènement de la Jaumarière possédée par Louis Prosper Proust de la Barre (procureur fiscal de Saint-Fulgent). Ses héritiers l’ont vendue en 1748 à François Fluzeau (1696-1756), marchand à la Brossière. Le 30 septembre 1779, les héritiers de Chaigneau reconnaissent devoir cette rente à Jean Fluzeau (1732-1802) et François Fluzeau (1750-1820) aïeul et père de François Fluzeau ci-dessus (35).

L’héritage d’une jeune fille disparue


Modigliani : 
La jeune fille au béret
Un habitant de la Jaumarière, Jean Micheneau, bordier faisant pour Jeanne Sionneau sa belle-mère, fut présent chez le notaire de Saint-Fulgent en 1772 pour conclure une bien triste affaire. Une fille Sionneau avait disparu depuis plus de 20 ans, sans donner jamais plus signe de vie, fugue, enlèvement, etc. on ne sait pas. Son père, Jacques Sionneau avait donné avant de mourir une somme de 150 livres à René Besson, à charge pour lui de la remettre au curé de Saint-Fulgent, Jacques Gilbert, « pour la faire passer à ladite Sionneau sa fille, si elle était vivante et venait à découvrir sa demeure … Depuis le décès dudit Sionneau il n’a pas été au pouvoir de reconnaissance et audit sieur Gilbert de savoir de ses nouvelles, ni si elle était vivante ou morte », écrit le notaire, qui poursuit : « morte au monde par son absence hors du royaume et sans qu’on ait su de ses nouvelles depuis plus de 20 ans ». En conséquence le curé Gilbert est présent chez le notaire Thoumazeau pour remettre aux héritiers de Jacques Sionneau et de sa fille, cette somme de 150 livres. Ils sont 8 personnes présentes ou représentées, dont Jean Micheneau habitant de la Jaumarière, demeurant pour la plupart à Saint-Fulgent. Bien sûr le notaire précise que « dans le cas où ladite Sionneau se trouverait vivante et reviendrait au pays, ils s’obligent solidairement de lui remettre la somme de 150 livres sans intérêt » (36). Comme quoi certains drames ont existé depuis bien longtemps.

La guerre de Vendée à la Jaumarière


La documentation ancienne sur la Jaumarière comprend aussi sur un tout autre sujet, l’indication d’un massacre à Saint-André-Goule-d’Oie pendant la guerre de Vendée. Nous reproduisons l’extrait du registre clandestin des baptêmes, mariages et sépultures du curé de Saint-André, Allain, qui se cachait dans les environs, notamment à la Maigrière, la Mancellière, Gralas et Chavagnes-en-Paillers. Il est intéressant de lire les mots qu’il a employés, à une date inconnue : « L’an 1793 et le 8 décembre, ont été tués au village de la Jaumarière de cette paroisse, René Bigot, fils de Jacques Bigot et de Renée Chaigneau âgé de 13 ans, Jean Gourraud âgé de 36 ans, veuf de Jeanne Piveteau, Pierre Gourraud âgé de 23 ans, fils de Pierre Gourraud et de Charlotte Piveteau, Pierre Rondeau âgé de 72 ans, veuf de Jeanne [blanc], ont été témoins de leurs morts et de leurs sépultures, Jacques Bigot, François Bitaud et Jean Soulard du même village … » (37).   

Un peu plus loin dans le registre, rédigé dans la clandestinité et après les évènements relatés, on lit une autre sépulture pour le même jour au même village : « L’an 1793 et le 8 du mois de décembre, a été tué par les républicains lors de la guerre civile, Jean Gourraud laboureur demeurant à la Jaumarière, à l’âge d’environ 40 ans, ont été témoins de sa mort Jean Jacques Soulard bordier, René Rochereau laboureur, Jeanne Rondeau et Marie Chaigneau, les tous de cette paroisse … ». L’acte suivant enregistre la mort de Jeanne Piveteau du village de la Jaumarière, épouse de Jean Gourraud, le 2 décembre précédent, et inhumé « par François Mandin le sacristain lors de la guerre civile » (38).

             
dans l'église de la Rabatelière : date écrite à la cendre et reste de bois calciné retrouvé en 1967
(photos de l'abbé Boisson)

Le 8 décembre 1793 fut une journée funeste aussi pour d’autres villages des environs, la Boninière (un mort connu), le Plessis-le-Tiers où l’on incendia probablement des maisons, puis avec certitude on suit les incendiaires à la trace ce jour-là à la Rabatelière. Ils mirent le feu à la Maison Neuve, à la Guichardière, à la Benatonnière, dans les bourgs de la Rabatelière, à la borderie et au moulin du château, à la Bordinière. Dans ses notes l’abbé Boisson se pose des questions. « Peut-être venaient-ils du camp retranché des Quatre-Chemins de l’Oie ? Peut-être escomptaient-ils, un dimanche, tomber sur quelques attroupements de culte, arrêter le curé réfractaire qui se cachait sur place ? Sont-ils venus exprès ? Est-ce une mesure de représailles dans une région tombée sous la coupe de Charette ? Toujours est-il que ces hommes traînaient avec eux des matières combustibles et s’étaient rendus experts dans l’art sauvage de mettre le feu. Leurs consignes étaient de brûler les maisons, les granges avec leurs récoltes, casser et brûler les moulins, brûler les repaires des prêtres insermentés, brûler les églises, tout cela ils le firent avec méthode à la Rabatelière. Guidés par des hommes du pays, contraints ou volontaires, ils visitèrent la moitié de la paroisse, allumèrent de tous côtés leurs brûlots, démolirent et brûlèrent notamment les moulins du château, de la Guichardière, incendièrent le presbytère… » (39).

Rappelons qu’entre le recensement de 1791 et celui de 1800, le nombre d’habitants de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie est passé de 1300 à 1032 (40), et ceci après une vingtaine d’années de progression constante du nombre d’habitants. La guerre de Vendée explique presque toute cette diminution. On n’a pu repérer que 54 morts avérés sur ce total à cause de la guerre. L’insuffisance des archives explique ce chiffre, due aux destructions et incendies perpétrés dans les deux camps. Et dans cette guerre, on ne saura pas à Saint-André comme ailleurs la part de mortalité due aux combats et celle due aux opérations d’extermination.


(1) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 75, Saint-André-Goule-d’Oie, famille de Vaugiraud.
(2) Aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par le seigneur de Languiller aux Essarts – deuxième copie, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61.
(4) Assises de Languiller et fiefs annexes en 1526, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/M 22, page 57.
(9) 150 J/G 39, copie de l’aveu du 26-1-1517 du seigneur de la Boutarlière aux Essarts.
(10) 150 J/G 113, retrait des droits seigneuriaux du 2-10-1565 sur la Jaumarière et Baritaudière par Jules de Belleville.
(11) Assises de Languiller 2e moitié du 16e siècle, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150J /M 34, page 3.
(12) Note no 4 sur la Jaumarière à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(13) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 76-1, Saint-André-Goule-d’Oie, lieux-dits et autres.
(14) E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, Fayard, 2004, page 265.
(16) Idem (3).
(17) Fonds de l’abbé boisson : 7 Z 76-1, Saint-André-Goule-d’Oie, lieux-dits et autres, le fief et tènement des Petites Sigournières.
(18) Idem (6).
(19) 150 J/A 13-2, mémoire sur les droits de quelques tènements de la Rabatelière de 1741 à 1743, page 4.
(20) Ferme du 10-7-1782, de la Borelière, Maurepas et rentes, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/124.
(21) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 1, état des titres concernant la maison de Vaugiraud.
(22) Inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29 page 34.
(23) Ibid. page 36
(24) Ibid. page 63
(26) Ferme des biens des de Vaugiraud à Saint-André à Benoist le 7-8-1692, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 31.
(29) Dépôt du 3-3-1786 d’un billet consenti par Mme de Vaugiraud, par le sieur Camus au profit duquel il est consenti, Archives de Vendée, notaires des Herbiers, étude (C), Graffard fils : 3 E 020 accessible par internet vue 57/293.
(30) Vente du 17-12-1776 d’un pré à la Boninière par de Vaugiraud, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(31) 22 J 31, inventaire des bestiaux du seigneur de Logerie vers 1743.
(32) 22 J 31, comptes des métairies du seigneur de Logerie vers 1742.
(34) Reconnaissance du 21-1-1773 d’une rente sur une borderie de la Jaumarière, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(35) Reconnaissance du 30-9-1779, d’une rente à la Jaumarière à Fluzeau, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/123.
(36) Succession du 26-12-1772 d’une fille disparue à Saint-Fulgent, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(37) Archives de Vendée, archives numérisée, état civil Saint-André-Goule-d’Oie, 2e registre clandestin AC 196, vue 6.
(38) Ibid. vue 16.
(39) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 46-2, les débuts de l’insurrection, et à la Rabatelière en décembre 1793.
(40) Jacques Hussenet, « Détruisez la Vendée », Édition du CVRH, 2077, page 605.
              
                
Emmanuel François, tous droits réservés
Avril 2018, complété en janvier 2023