dimanche 1 juillet 2018

Les registres paroissiaux clandestins de Saint-André-Goule-d’Oie en 1793 et 1794

Les débuts de l’état civil


Les registres paroissiaux, tenus par les curés des paroisses sous l’Ancien Régime, contenaient l’inscription des baptêmes, mariages et sépultures faits dans la paroisse. C’étaient des documents officiels provenant en Vendée de la sénéchaussée de Poitiers. Les autorités révolutionnaires les ont remplacés par les registres d’état civil tenus par des officiers de l’état civil (maires), contenant l’inscription des naissances, mariages et décès survenus chaque année dans la commune. Décrétés par l’assemblée nationale le 20 septembre 1792, leur entrée en vigueur a été fixée au 1e janvier 1793. La date de mise en œuvre au 1-1-1793 découlait de la disposition prévoyant que les registres étaient « envoyés aux municipalités par les directoires, dans les quinze premiers jours du mois de décembre de chaque année ». D’ici-là, les curés continuent leur mission, les réfractaires étant remplacés par les constitutionnels déjà depuis des mois, en théorie. Mais on a vu des communes où le maire commence la tenue d’un registre d’état civil avant le 1-1-1793, comme à Chauché sur un registre à part. Il est vrai que le curé constitutionnel était mal vu d’une partie des paroissiens.

Le commencement des nouveaux actes manifeste le culte de la loi exprimant la souveraineté de la nation. On citera par exemple le premier registre conservé de Chauché : « le 15 janvier 1793 l’an 2e de la République Française, nous François Renolleau officier public de la commune de Chauché, canton de Saint-Fulgent, district de Montaigu, département de la Vendée, nommé en exécution de l’article 2 du titre 1e de la loi du 20 septembre 1792, l’an 4e de la liberté, qui détermine le mode de constatation de l’état civil des citoyens, étant au lieu des séances de la commune, a été  présenté un enfant reconnu de sexe masculin nommé … » (1).

Pendant la guerre de Vendée, commencée en batailles rangées en mars 1793, l’action administrative a été fortement perturbée. Dans certaine commune l’état civil n’a pas existé. (2) De plus, chaque camp a voulu brûler les papiers de son ennemi. Si bien que l’état civil des Vendéens de la contrée de Saint-André a presque entièrement disparu de 1793 à 1800. Certes, on voit conservé dans les communes les plus ravagées par la guerre civile, comme celle de Saint-André, des registres communaux à partir d’avril 1797 (floréal an V). Mais ceux-ci ont souffert, les premières années, de leur rejet par les populations. Il faut attendre le retour de la paix par Napoléon en 1800, pour disposer d’un inventaire sérieux de l’identification des habitants de Saint-André.

On peut néanmoins accéder aux registres clandestins des curés réfractaires au serment à la constitution civile du clergé. Ils étaient clandestins car ses actes étaient non officiels, et parfois réalisés au péril de leur vie par des prêtres obligés de se cacher pour échapper dans un premier temps à la déportation, et dans un deuxième temps à la mort. Ce fut le cas de Louis Marie Allain (1751-1823), curé de Saint-André à partir de 1783 (voir le dictionnaire des Vendéens sur le site des Archives départementales). Conservés dans les archives du diocèse de Luçon, ces registres clandestins font partie de l’état civil mis à la disposition du public par les Archives départementales de la Vendée, pour en tenir lieu. En pratique en effet, ils suppléent à l’état-civil dont la conservation a été défaillante quand il a existé.

Au-delà des investigations individuelles qui en constituent l’objet même, ces registres nous révèlent ou confirment quelques faits advenus dans la commune de Saint-André-Goule-d’Oie.

1792 : début des hostilités


D’abord la clandestinité du curé a commencé en juillet 1792 dans cette commune. On le sait à cause des décisions prises par les autorités. Par arrêté du 30 juin 1792, le Directoire du département de la Vendée convoqua tous les prêtres insermentés à Fontenay pour y être internés. Dans la Vienne les autorités furent moins agressives, provoquant la colère des jacobins locaux (3). Avec le recul on remarque que ce texte était entaché d’abus de pouvoir. Mais bientôt la loi devait aller plus loin : celle du 26 août 1792 condamna à la déportation tous les prêtres insermentés, et au bagne les récalcitrants qui refusaient de partir. Beaucoup de prêtres quittèrent ainsi la France, notamment ceux du sud de la Vendée. Les embarquements eurent lieu à la fin de l’année 1792 à Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou aux Sables-d’Olonne, concernant 250 prêtres, généralement vers l’Espagne et l’Angleterre. C’est aussi depuis la fin août que fut proscrit le costume clérical par les autorités (4).

Les historiens s’accordent à fixer le début de la guerre de Vendée en mars 1793 avec le commencement des batailles rangées. Bien sûr ils expliquent que « le feu couvait sous la cendre », et que la levée de 300 000 hommes « mit le feu aux poudres », suivant les expressions habituellement utilisées. C’est plutôt en juillet 1792 qu’ont commencé les hostilités avec la traque des prêtres et la clandestinité des réfractaires parmi eux. Et elles se sont arrêtées avec le retour des survivants en 1800. C’est ce que nous montrent les deux registres clandestins de Saint-André, suivis en 1797 du début de l’état civil.

Pour savoir ce que fit le curé Allain dans cette situation, il est intéressant de regarder son registre paroissial de l’année 1792. Il prolonge apparemment le registre de 1791, mais il n'a pas été coté. Moisgas, qui l'a ouvert en tant que vice-président du district de Montaigu, le 2 janvier 1791, annonce 16 feuillets. De fait, les huit premiers portent le timbre de la généralité de Poitiers. C'était des feuilles A3 pliées en deux et faisant quatre pages dont seule la première était timbrée. Emboîtées les unes dans les autres, il est normal qu'on n'ait plus de timbre après la vue 8. Le passage de 1791 à 1792 se fait vue 16. À partir de celle-ci, on a un timbre "La loi, le roi" correspondant au régime constitutionnel en place fin 1791. Et ce registre est bien coté et paraphé, mais pas "ouvert", et pour cause, il commence, vue 16 à droite au recto du folio 2. On a donc en face le verso du folio 1, qui porte bien des actes de 1792 et ne peut correspondre au recto de la vue d'avant. C’est là une erreur remontant à la mise en ligne pour internet. Moralité, le dernier acte de 1791, une sépulture du 28 décembre, est en bas du recto du folio 1 de ce registre (vue 15). On n'a pas numérisé le recto ni le folio 16 recto-verso qui étaient vierges, mais on n'a pas non plus numérisé le recto du folio 1 de 1792. Enfin, la vue 30 du registre de 1791-1792 présente une page isolée, un verso, portant trois actes signés Bordron. Mais il les a déjà notés vue 28 (folio13 verso). Ce dernier feuillet est donc tombé du second registre tenu en double et dont il ne resterait que cette page (5). La numérisation pour l’accès internet est trompeuse car le verso présenté vue 30 ne correspond pas au recto en vue 29.

Le dernier acte que signe le curé Allain de façon régulière, vue 23, est un mariage célébré le 18 juin. De la vue 24 à la vue 28, 39 actes, tous de baptême et de sépulture, sont signés du maire Bordron. Ils courent du 18 juillet au 22 décembre, mais pour sept d’entre eux dans le désordre, manifestant ainsi un retard de déclaration. À l’exception du premier acte, tous ceux de baptême portent la formule « tel jour est né et a été baptisé un tel ». Cette insistance ne doit pas laisser douter du baptême, même s’il est étonnant qu’il ait toujours été donné le jour même de la naissance. Depuis le 20 septembre, date de la laïcisation de l’état civil, il pouvait être normal que le maire remplace le curé, et ici, le maire Bordron signe scrupuleusement des actes qui demeurent de catholicité, pour les baptêmes comme pour les sépultures (toujours accompagnées au cimetière par le sacristain. Il agit donc bien en remplaçant du curé et non par substitution. Du reste il ne célèbre aucun mariage lui-même, ce qu’il avait pourtant le pouvoir de faire depuis le 20 septembre. De ces observations on conclut que le curé Allain s'est caché (on en a des témoignages par ailleurs), et a laissé ses deux registres à la cure ou à la sacristie où le maire Bordron les a récupérés. 


Revenons au registre de 1792. Après le 22 décembre, on retrouve la main du prieur-curé Allain qui note encore cinq actes. Il s’agit dans l’ordre de trois baptêmes des 8 septembre, 15 juillet et 29 juillet, tous célébrés à La Rabatelière par le curé de cette paroisse, donc transcrits ici bien postérieurement. Suit un baptême du 12 avril 1793 (donc de l’année suivante), mais d’un enfant né le 7 octobre précédent (est-ce la raison de sa place dans ce registre ?), enfin un dernier baptême du 1er septembre, à nouveau célébré à la Rabatelière. Il s’excuse chaque fois de ce désordre en marge, en précisant : « ces actes n’est point à sa place à cause de la guerre. » Celle-ci ne commençant qu’en mars de l’année suivante, on a bien la preuve, s’il était nécessaire, d’ajouts postérieurs.

Tout pousse donc à penser que le curé Allain s’est caché à partir du début de l’été 1792, vraisemblablement pour échapper à l’assignation à résidence des prêtres insermentés à Fontenay, ordonnée le 30 juin. Poursuivait-il encore son ministère dans la clandestinité ? Les baptêmes rapportés fidèlement par le maire dans le registre, pourraient lui être attribuées en grande partie. L’analyse approfondie du registre de 1792 ne montre pas qu’il ait fait des allers et retours entre le maire et le curé, comme on pourrait le croire à première vue. L'enregistrement des baptêmes par Bordron est néanmoins très étrange. Le maire paraît suivre à distance l'activité baptismale du curé avec lequel il ne doit pas avoir de contacts aisés, sinon, ses « baptêmes » seraient dans l'ordre. Sans doute a-t-il temporisé, ne dénonçant pas le curé insermenté aux autorités. Mais qui a écrit les actes signés Bordron ? Ni lui ni le curé. Les actes signalaient toujours que les convois funèbres étaient conduits par le sacristain seulement et non le curé.


Pour vérifier que les actes du registre paroissial de Saint-André ne sont plus au complet à partir de la mi-1792, un bilan de la totalité des actes de l’année 1792 est intéressant à observer en comparaison des années précédentes :
Nombre de naissance : 27. On rappelle 1791 : 50 - 1790 : 54 - 1789 : 49 - 1788 : 52
Nombre de mariages : 12. On rappelle 1791 : 9 - 1790 : 5 - 1789 : 10 - 1788 : 7
Nombre de sépultures : 29. On rappelle 1791 : 22 - 1790 : 27 - 1789 : 61 - 1788 : 37

Bourg de Saint-André en 1900
Comment comprendre l’intervention du maire ? Son père avait été longtemps fabriqueur de la paroisse et lui-même avait été syndic en 1787. C’était une personne reconnue, et pour cette raison il avait été élu le premier maire de la commune en 1790. Son métier de maréchal dans le bourg le mettait en contact avec beaucoup de monde. À l’été 1790 il a fait une requête au nom du conseil municipal à l’Assemblée Nationale pour qu’on laisse un peu de biens au curé de la paroisse, au lieu de tout prendre comme bien national (6). Il a certainement participé aux débats de l’assemblée votante de la commune en 1790 sur les modalités pratiques des scrutins, où des oppositions se sont fait jour. Mais on ne sait pas les décrire ni cerner ses protagonistes.

Son jeune fils de 25 ans fut nommé agent communal (maire) en septembre 1797 pour remplacer François Fluzeau, élu mais refusant le serment de haine à la royauté décidé par les auteurs du coup d’état jacobin. Ce fils Bordron était du camp des révolutionnaires. Et son père lui-même, notre signataire du registre de 1792, participa à l’élection du président de la municipalité cantonale en mars 1799. C’est un indice fort d’appartenance au camp républicain dans le contexte local de l’époque, d’autant qu’il s’est rangé dans le camp minoritaire (33 sur 78 électeurs présents) de l'extrémiste Benjamin Martineau, qui sorti victorieux de l’élection en organisant un coup de force avec l’aide des gendarmes de Saint-Fulgent (7). Mais le même fils Bordron ne trouvait personne en 1798 dans sa commune pour renseigner les matrices servant au calcul de l’impôt foncier. Il refusait aussi de faire abattre les croix aux carrefours. Et il laissait faire, en 1799, les prières dominicales du dimanche qui réunissaient dans l’église les paroissiens sans prêtre (voir notre article : Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799). Alors pouvait-il être avec son père favorable à la Révolution de 1789 et refuser ensuite les excès de ses partisans ? Loin de Paris, des foyers de propagande en province, et des débats théoriques sur les idées nouvelles, une réponse positive est possible pour des Vendéens à l'esprit d'indépendance développé. On aimerait disposer de plus d’informations pour répondre, et les indices que nous venons d’indiquer concernant Jean Bordron père sont insuffisants pour dresser son profil politique avec certitude. Notamment se pose la question de l’opportunisme dans ses attitudes, à cause de l’achat de biens nationaux par son fils. Alors à qui a-t-il rendu service en signant les actes du registre paroissial au deuxième semestre 1792 ? Notre intuition est qu’il a aidé le curé, certes, mais en même temps il a assumé sa responsabilité à l’égard de la communauté paroissiale, qui devait tenir à son registre. Le mot de « communauté » employé ici qualifie bien cette petite société paroissiale. Il mériterait un développement particulier, et il nous paraît important pour tenter de comprendre cette signature de Jean Bordron. On fait le même constat à Chauché avec la famille Cailleteau, dont les membres se sont politiquement divisés : il y avait des républicains dans la commune au milieu de la majorité des paysans révoltés. Mais en pleine guerre civile, les oppositions politiques entre eux ne sont pas devenues criminelles, sauf rares exceptions. Bref, un révolutionnaire modéré qui dure, ça pouvait exister.

Le 1e registre clandestin de Saint-André repris dans les états civils de Saint-Fulgent, Chauché et la Rabatelière

Bourg de Saint-Fulgent en 1900
On dispose de deux registres clandestins à Saint-André-Goule-d’Oie. Le premier pour l’année 1793 a été repris dans les registres d’état civil accessibles par internet des communes voisines de Saint-Fulgent, de La Rabatelière et de Chauché. Pour Saint-Fulgent, la proximité de son bourg pour certains villages de Saint-André, et les cachettes probablement communes en partie des desservants réfractaires des deux paroisses, expliquent que certains habitants sont enregistrés sur le registre de la commune d’à côté. Il n’y eut pas de curé intrus à Saint-André, et le seul prêtre disponible était donc le curé réfractaire. À Saint-Fulgent, le curé, obéissant aux autorités, fut embarqué pour l’Espagne où il y est mort en décembre 1793. Le vicaire Brillaud est resté sur place, tenant son registre clandestin où se trouvent quelques habitants de Saint-André. Il y eut bien un curé officiel à Saint-Fulgent, Jean Baptiste Baudry, élu par les électeurs du district de Montaigu. Il fut accueilli comme un intrus dans sa nouvelle fonction à partir de l’été 1791. La plupart des paroissiens se sont détournés de ses services, recourant massivement au vicaire réfractaire au serment, même la femme du révolutionnaire extrémiste Benjamin Martineau en 1793 ! (8).

L’ajout du registre clandestin de Saint-André pour l’année 1793 dans les registres d’état civil de Chauché est normal. Depuis la création des paroisses au Moyen Âge, les habitants de Chauché demeurant à proximité du bourg de Saint-André, se sont toujours adressés au curé de ce dernier bourg pour leurs baptêmes, mariages et sépultures. Mais à partir de 1793 le nouveau maire de Saint-André ne pouvait pas enregistrer des actes concernant des citoyens de Chauché. Il n’est pas nécessaire en revanche d’aller chercher des habitants de Saint-André sur le registre clandestin de Chauché, à cause de l’éloignement. Celui-ci existe pourtant, car le vicaire de Chauché, élu curé par le district de Montaigu, fut chassé par ses paroissiens. Un prêtre délivré de la prison de Fontenay par les Vendéens en mai 1793, Jacques Guyard, s’est caché dans les environs et a desservi clandestinement les paroissiens de Chauché. On trouve aussi un acte isolé de lui sur le registre clandestin de Saint-Fulgent.

À La Rabatelière aussi, ses habitants ont peu de chance de figurer sur un registre de Saint-André. Et le registre clandestin de cette commune n’a pas été conservé. C’est dommage, car son curé réfractaire, Guesdon de la Poupardière, se mit au service de tous, intervenant même ponctuellement sur le registre clandestin de Chauché. La présence du registre clandestin de Saint-André dans les registres d’état civil de la Rabatelière nous paraît une précaution, peut-être utile quand les actes concernent des habitants des villages du Plessis-le-Tiers et Racinauzière de Saint-André, pour prendre les plus proches du bourg de la Rabatelière.

L’état civil de Chavagnes ne comprend que son propre registre clandestin. Mais on a vérifié qu’il ne concerne aucun habitant de Saint-André. On pense que certains habitants des villages de Saint-André proches de son bourg, ont dû contacter le prêtre réfractaire de Chavagnes. Sous l’Ancien Régime ils le faisaient déjà parfois. Le registre clandestin de Chavagnes se présente comme un court martyrologue très incomplet, où défilent principalement les morts « tués par les républicains ». Et comme à la Rabatelière et à Chauché, il n’est pas nécessaire d’aller chercher des habitants de Chavagnes sur le registre clandestin de Saint-André à cause de l’éloignement.

Les registres clandestins marquent un engagement politique et religieux.


Le premier n’est autre que celui que le district destinait au maire pour son état civil de 1793. On notera qu’il est sur papier libre, ce qui témoigne de la pénurie de papier timbré. Pour Chavagnes-en-Paillers, le registre ouvert au district portait tout de même un timbre d’Ancien Régime surchargé du timbre de la Législative (La Loi, le Roi), preuve que la République n’avait pas déjà pu mettre à jour le matériel de ses administrations. Plus étrange, le timbre royal ancien est celui de la généralité voisine de La Rochelle et non celui de Poitiers, témoignage de pénurie que confirme l’utilisation quelques jours après de papier vierge pour Saint-André-Goule-d’Oie. Ce cafouillage se confirme dans la définition même des registres délivrés par le district pourtant très révolutionnaire de Montaigu à ces deux communes : il y est encore question d’y inscrire des baptêmes, des mariages et des sépultures, alors que la loi ne prévoyait que des naissances, des mariages et des décès. Le trouble s’accroît quand on constate à Saint-André, contrairement à Chavagnes, que le maire n’a procédé à l’enregistrement d’aucun acte, comme il en avait le devoir et la possibilité jusqu’au soulèvement. Pire, les actes, qui ne sont pas civils mais de catholicité, sont tenus par le curé Allain censé être caché, et ce dès le 3 janvier. Ses formulations paraissent cependant bien confirmer sa présence : « baptisé par moi », et « inhumé au cimetière de ce lieu par nous soussignés ». La République municipale aurait-elle abdiqué devant une catholicité à la clandestinité toute formelle ?

En réalité, la présence du curé à l’église et au cimetière, tout aussi invraisemblable début 1793 qu’auparavant, n’est qu’une sorte d’effet d’optique (9). Le registre donne le change parce que son rédacteur a pris la peine d’y inscrire les actes dans l’ordre chronologique, reportant du reste la responsabilité de la seule discordance – un baptême du 18 mars après un autre du 18 juin – sur « la négligence des parents » : il avait été administré par le curé de La Rabatelière et aurait en effet pu être transcrit plus tôt. Ne nous y trompons cependant pas, cet ordre régulier est le fruit d’une laborieuse et imparfaite reconstitution bien postérieure. Les premiers actes comportent en effet tous des blancs pour inscrire les noms des parrains et marraines qui ne sont effectivement donnés qu’à partir du 16 mars, c’est-à-dire au surlendemain du renversement de la République en Vendée ou du moins à Saint-André-Goule-d’Oie, une « révolution » qui avait permis au curé de retrouver ses fonctions et de commencer à prendre des notes plus conséquentes. Ce jour-là, l’acte est en effet également le premier à reprendre la formule habituelle complète : « baptisé dans cette église par moi ». Le curé n'avait donc pas accès à l’église précédemment, pas plus qu’il ne dirigeait les convois mortuaires. Le 25 mars, la première sépulture notée après le soulèvement renoue elle aussi avec l’ancienne formule : « inhumé au cimetière de ce lieu par moi soussigné », et non plus « par nous », un collectif ayant masqué l’absence du prêtre. Les rares signatures de ce registre ne doivent donc pas tromper, elles ont été apposées bien postérieurement, même si on en trouve dès le 6 février. Du reste, les rares fois où les témoins sont censés savoir écrire, comme pour une autre sépulture du 18 février, un blanc a été laissé qui attend leurs signatures. Enfin le curé ne cache pas « la peine » qu’il a eue à rassembler ces actes, et il reconnaît qu’il en manque. C’est en effet grâce à un second registre, tenu pour la même période, qu’on peut compléter leur collection. De quand date-elle donc ?

Le second registre, également sur papier libre, a été coté et paraphé mais sans l’avis initial d’une autorité extérieure. Il a perdu deux de ses 21 feuillets (les 8 et 11). Il est ouvert par le curé Allain d’emblée pour deux les années 1793 et 1794, « années de la guerre civile, ce qui fait qu’on n’a pu inscrire les actes de suite et dans l’ordre. » Il n’y a en effet pas d’ambiguïté sur leur nature : il s’agit pour « beaucoup, de transpositions », car « on n’enregistrait qu’au fur et à mesure qu’on le pouvait, étant obligé de fuir à tout moment ». Ce registre, dans un grand désordre chronologique, est forcément antérieur au précédent, or son introduction fait comprendre qu’il a été tenu après 1794, voire après la paix de la Jaunaie. Il ne contient donc que des « transpositions » et aucun acte original, signé du jour même, la date étant du reste parfois laissée en blanc (vue 3). Dès le folio 4 paraît un acte de juin 1794, tandis que les dernières pages en rapportent encore de 1793. Les rares signatures sont donc celles de témoins de « notoriété ». On retiendra la précision concernant une sépulture du 8 juin 1794 (vue 18) : « J’ai fait les prières de la sépulture à la maison de la Boutarlière… [Le corps a été] porté au cimetière sans convoi à cause de la guerre civile. » Telle était bien aussi la position du curé Allain avant le soulèvement : libre de ses mouvements tant qu’on ne le dénonçait pas, mais caché par prudence. Il faudra la sérénité relative de l’année 1795 pour qu’il tente de reconstituer les actes de catholicité postérieurs à son évanouissement dans la nature, fin juin 1792. Et il continuera après la fin de la persécution religieuse en 1800, soit 6 à 7 années après les évènements, comme en témoigne un acte daté de 1799. Il suit de là que ces registres ne sont pas clandestins par leur tenue, mais par les actes qu’ils contiennent.

Comment le registre destiné au maire s’est retrouvé dans les mains du curé pour servir de registre clandestin ? Mais d'abord qui est ce maire ? La seule chose qui soit sûr est qu’il a été tué par une bande de ses concitoyens probablement le 11 mars 1793, parce qu’il avait donné aux autorités la liste des conscrits de la commune qui devaient être tirés au sort pour la levée des 300 000 hommes. L’adjoint a aussi été tué et on a indiqué son nom : Marchand, habitant au village du Plessis le Tiers. Mes proches recherches et celles de l’abbé Boisson, conduites indépendamment l’une de l’autre (10), désignent la même personne très probable comme maire assassiné : Jacques Guesdon, beau-frère de l’adjoint Marchand, habitant dans le même village. Dans la première municipalité de Saint-André en 1790 il tenait le rôle de procureur. En février 1792 il avait représenté le parti des catholiques « romains » de Chauché voulant racheter l’église de la Chapelle de Chauché, ce qui constitue un indice fort d’opposition au camp des catholiques « constitutionnalistes » de la commune. À la fin de 1792, on avait élu un conseil municipal à majorité royaliste à Saint-Fulgent, contre la faction révolutionnaire. Il est probable qu’il en fut de même à Saint-André, où nous ne disposons pas de documentation.

Le curé Allain n'a pas disposé avant mars du registre officiel de l’année 1793 puisqu'il commence à l’utiliser en parlant de la guerre et de ses difficultés. Le maire ne s’est pas servi du registre du 1er janvier au 11 ou 12 mars, date de son assassinat. Probablement que personne n’est allé lui faire de déclarations, alors que le curé note ses propres actes dès janvier. C'est bien le renversement de régime dû à l'insurrection qui a permis au curé de récupérer le registre. Contrairement à une première analyse, le maire ne lui a pas donné. Et non seulement il n’a pas dénoncé lui non plus le curé qui se cachait, mais il était sans doute complice de la situation. En revanche il ne pouvait pas s’abstenir pour établir la liste des conscrits. On invoquera, sans s’étendre, l’ignorance et l’affolement pour expliquer sa mise à mort par les jeunes de sa commune, la bêtise aussi, au moins vu d’aujourd’hui.

Sacre du roi à Reims
Mais pourquoi constituer un registre à tout prix ? On cherchera en vain dans les obligations religieuses du catholicisme la tenue des registres paroissiaux. Ceux-ci ne relevaient après tout que d’une règle temporelle. On sait que les rois de France avaient fait des curés des paroisses des agents administratifs de l’État. Écrit longtemps après les actes, le registre prend l’allure d’un service rendu à la population notamment pour prouver des âges, ouvrir des successions, gérer des patrimoines de couples mariés. Écrit pendant la guerre civile par le curé lui-même, le registre est aussi un acte politique.

En témoigne ainsi clairement le 2e registre clandestin du vicaire Brillaud de Saint-Fulgent. À la vue 21 de ce registre numérisé on a la présentation suivante : « Armée du Centre - Registre pour servir à inscrire les actes de baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Saint-Fulgent, lequel registre contenant 12 feuillets a été coté et paraphé par nous Jacques Forestier commissaire général pour le roi dans l'arrondissement de l’armée du Centre, ce jourd’hui 12-11-1794 l’an 2 du règne de Louis XVII. Signé Forestier commissaire général ». On a le même texte écrit à la date du 7-1-1795 (vue 35). Nous avons là l’existence parallèle d’une administration royaliste ayant pris la place de l’administration officielle, celle-ci vue comme illégitime. Cette administration officielle municipale ne parait pas avoir existé pendant les combats, au moins en partie et même à Saint-Fulgent. C’est ce qui ressort des notes qui suivent. À la vue 66 le vicaire écrit : « Les officiers municipaux étant nommés je n’ai plus le droit de dresser aucun acte public ». On hésite à dater cette note. À la vue suivante no 67 le même vicaire écrit : « Registre pour inscrire les actes de baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Saint-Fulgent pour l’année 1796 (double) ». Il a donc conscience de doubler les nouvelles autorités municipales installées en juillet 1796, après la fin de l’état de siège. Et à la vue 78 il note : « Les officiers municipaux étant nommés je n’ai plus le droit de dresser aucun acte public ». Il continuera pourtant en 1797 dans le 3e registre clandestin de Saint-Fulgent. La portée politique de ces registres est signée, pour lui liée à son activité de prêtre.

Sur la première page du deuxième registre clandestin de Saint-André le curé Allain a écrit : « Registre destiné à inscrire les actes de baptêmes, mariages et décès de la paroisse de Saint–André-de-Goule-d’Oie, département de la Vendée, pour les années 1793 et 1794 années de la guerre civile, ce qui a fait qu’on n’a pu inscrire les actes de suite et dans l’ordre qu’ils devraient être. On ne sera point étonné en conséquence d’y trouver beaucoup de transcriptions, parce qu’on enregistrait qu’au fur et à mesure qu’on le pouvait, étant obligé de fuir à tout moment. » Ce texte suggère une tenue du registre à une époque proche des actes enregistrés, du moins à son début. Et cette justification de n’avoir pas pu respecter l’ordre des actes sur le registre n’exprime pas seulement qu’un regret. Elle suggère pudiquement une situation dramatique. Le curé allait de cachette en cachette pour échapper à la mort. Des témoignages rapportés dans certains livres citent comme refuges la forêt de Gralas, des bois à Saint-Fulgent, un château à Chavagnes (chez Guerry de Beauregard avec le curé Remaud de Chavagnes). Deux siècles après, en 1976, il se disait que l’on conservait toujours dans une famille des environs un chandelier datant de la Révolution, qui servit à éclairer le prêtre lors de la célébration de la messe dans un grenier chez un nommé Soulard à la Maigrière (11). La présence du vicaire Brillaud de Saint-Fulgent est attestée dans une cachette de la Maigrière, celle du curé Allain y est donc très probable. Au 3e trimestre 1797 ce sont les autorités de Saint-Fulgent qui signalent le curé Allain disant des messes clandestines chez François Fluzeau à la Brossière.

Le curé de Saint-André a rédigé ces registres en y rapportant autant certains des actes qu’il a fait lui-même que ceux faits par d’autres, comme répondant à une demande d’inscriptions de la part des paroissiens. D’ailleurs l’abbé Boisson dans ses recherches a relevé une erreur concernant le baptême de Jean Fluzeau, indiqué par le curé Allain comme né à la Brossière le 8 octobre 1793 et baptisé le lendemain à la Joussière de Saint-Fulgent par le vicaire Brillaud (vue 17). Or ce dernier indique dans son propre registre que Jean Fluzeau est né le 2 octobre 1794 au village des Gâts et baptisé le même jour par lui à la Joussière (vue 37). Dans les deux actes l’enfant a les mêmes parents, parrain et marraine. Cette naissance a donc été enregistrée à une date inconnue, plus tard, sur la foi de témoignages insuffisants.

La priorité du curé était de rester au service de ses paroissiens et de sauver sa peau. Les républicains payaient des mouchards et obligeaient des gens du pays à marcher devant eux pour les conduire dans un pays aux nombreux chemins sans carte ni panneaux. Les témoignages sur ces guides forcés sont rares. La réalité vécue derrière ces registres et leurs erreurs de dates parfois, est celle de la traque et de la peur. On n’y voit qu’un seul massacre collectif vers la Jaumarière, à la différence des registres du vicaire de Saint-Fulgent, où la lecture des massacres de Lerandière et de la Fructière, par exemple, le long de la route de Saint-Fulgent à Montaigu, ne peuvent que troubler le lecteur encore deux siècles après.

Le curé sous la protection de l’armée catholique et royale du Centre (mars à juillet 1793)


Le premier registre clandestin du curé Allain concerne 64 actes de l’année 1793 et 2 de l’année 1794. Alors que le deuxième registre clandestin concerne 54 actes de l’année 1793, et 49 actes de l’année 1794. Au total cela fait 118 actes pour l’année 1793, dont 54 décès, et 51 actes pour l’année 1794, dont 29 décès. Et on n’a rien les années suivantes, sauf un acte de l’année 1799, le registre d’état-civil ne prenant le relais partiellement qu’à la fin de 1796.

Et pourtant le nombre d’habitants de Saint-André-Goule-d’Oie est passé de 1300 en 1791 à 1032 en 1800 et 1126 en 1820 (12). Ces chiffres sont à rapprocher d’un nombre des naissances supérieur à celui des décès presque chaque année dans la période des 20 ans précédent 1791. Même si des erreurs de comptages ont pu être commises par le maire Jean Bordron en 1791 et par son successeur Simon Pierre Herbreteau en 1800, elles ne sont probablement pas significatives. La dépopulation que traduisent ces chiffres est donc considérable, peut-être incluant un déplacement de populations. Sauf qu’on n’en a pas vu le moindre indice au cours de nos recherches sur cette commune. Il ne faut pas exclure non plus des épidémies et famines pendant cette période, précisément à cause des destructions massives, comme par exemple 53 maisons déclarées incendiées dans la commune dans un état incomplet daté de 1810 (13).

Au mois de janvier 1793 les deux registres clandestins actent 8 baptêmes et 2 sépultures. Celles-ci, dans le cimetière de Saint-André, portent la même date du 24 janvier, l’une en présence du curé et l’autre non. Deux baptêmes sont faits par le curé dans l’église en ce mois de janvier, le 24 janvier aussi et le 20. Pour 5 autres baptêmes que le curé fait lui-même, il ne précise pas l’endroit. C’est une cachette. Et un baptême est fait à La Rabatelière par le curé du lieu. Au mois de février la situation est la même : il baptise clandestinement, et essaie d’assister aux sépultures dans le cimetière, ce qu’il réussit à faire 5 fois sur 6.

Au mois de mars, changement de situation avec le soulèvement armé le dimanche 10 mars : il baptise dans l’église 4 fois, et 2 autres baptêmes sont faits, l’un par le curé de La Rabatelière dans son église, et l’autre de manière clandestine par un autre prêtre non nommé. Il fait lui-même l’unique sépulture. Il est visiblement alors sous la protection des paroissiens qui ont pris les armes. Et un nouveau type d’actes apparait, marqué par la lettre M en marge, qui veut dire mort. Il vient s’ajouter aux actes de sépultures marqués par la lettre S. Le 17 mars il note un mort à la bataille de Chantonnay, et le 19 mars il note 2 morts à la bataille de la Guérinière (aussi appelée du Pont-Charrault dans les livres d’Histoire, située à Saint-Vincent-Sterlanges). Le curé est apparemment libre de ses mouvements, mais on relève peu de morts à Saint-André dans les premiers combats de mars 1793, constat à faire avec prudence pour un registre écrit après les évènements par un prêtre qui se cachait.

Le mois d’avril confirme la liberté du curé : il fait 4 sépultures dans le cimetière et 8 baptêmes dans l’église paroissiale. Même situation en mai, juin et juillet, avec même un mariage célébré le 5 mai dans l’église, après publication des bans. Il célébrera un autre mariage le 3 juin. Mais il n’y a dans ses actes que des sépultures et pas de morts à la guerre. Il faut attendre le 29 août pour y voir noter le suivant. Or les gens de Saint-André ont participé au moins à la première bataille de Luçon à fin juin 1793, et certainement à d’autres pour lesquels nous n’avons pas de témoignages écrits. Cette absence de morts sur le registre pour cette époque pose question. Ce registre serait-il postérieur aux évènements de plusieurs années ? C’est ce que nous vérifierons dans le chapitre qui suit.

Retour à la clandestinité (août 1793 à septembre 1794)


Vitrail : messe clandestine
Durant les mois d’août et septembre, on voit 11 fois le curé baptiser et enterrer librement dans sa paroisse. Mais pour 9 autres actes, c’est le curé de la Rabatelière ou le vicaire de Saint-Fulgent qui officient. On baptise en effet à Saint-Fulgent 5 fois des enfants de Saint-André, et on y enterre un « tué par les républicains » de la Brossière. Il y a même un baptisé par le curé de Boulogne et une sépulture dans le cimetière de Saint-André par le desservant clandestin de Chauché, Guyard. L’armée du Centre du général de Royrand ne semble pas suffire pour la protection du clergé local. On croit deviner derrière ces précisions la difficulté des paroissiens pour trouver des prêtres clandestins, obligés de changer de cachettes souvent.

Les 7 actes du mois d’octobre 1793 sont des indices du retour à la clandestinité : 3 sépultures seulement avec la présence du curé dans le cimetière et 2 autres sans lui. Les 2 baptêmes sont faits par le curé de La Rabatelière et le vicaire de Saint-Fulgent. En novembre le curé est présent 2 fois dans le cimetière et 1 fois dans l’église. 2 autres sépultures se font sans lui à Saint André et une autre à La Rabatelière. Et puis il y a un mort dans la virée de Galerne et un enlèvement à la Brossière. Au mois de décembre, on ne compte que 2 présences du curé dans l’église pour des baptêmes. Pour la seule sépulture notée, c’est le sacristain qui conduit les prières à la place du curé. Et 1 mort au siège d’Angers et 8 morts dans des massacres à la Jaumarière, Boninière et Brossière. Pour cette période les chiffres ont des allures d’un échantillon de la réalité.

Sur les 15 actes de janvier et février 1794, on note un seul baptême qui a été fait pendant la virée de galerne à fin 1793. Une seule sépulture est faite par le curé, 1 autre par le curé de La Rabatelière, 3 autres par le sacristain et 1 autre sans précision. Et puis on a 4 « tués par les ennemis de la religion », 3 « tués par les républicains » et 2 tués aux combats. On remarque ici l’équivalence de sens entre les mots « républicains » et « ennemis de la religion ». Parfois on peut relever, mais pas toujours, des lieux de combats : aux Brouzils (8 janvier) et à Saint-Colombin (29 janvier).

De mars à mai 1794, baptêmes et sépultures se raréfient, 15 actes au total, mais le curé, sortant de sa cachette, est presque toujours présent dans son église et au cimetière. On a même trois inhumations qui se suivent en présence du curé pour des membres de la famille Richard du village de la Bourolière en février et mars 1794 (vue 12 du 2e registre). Et suit une quatrième inhumation le 20 août 1799 de Marie Richard, âgée de 12 ans, en présence de sa famille seulement. On a vérifié que l’année 1799 indiquée n’est pas une erreur en recherchant l’année de naissance de la fillette. Et le curé Alain explique son absence parfois à cause de la persécution des prêtres. Cet ace confirme deux choses. La première est qu’il a été écrit sur le registre après la fin de la clandestinité du curé au plus tôt au début de 1800. Et 18 actes des années 1793 et 1794 ont été inscrits après lui. La deuxième chose est le retour à la clandestinité du curé Alain, après son évasion de la prison de Rochefort en janvier 1798. Il avait été victime en effet de la reprise des persécutions religieuses après le coup d’état jacobin de septembre 1797. Il était donc bien absent lors des prières dominicales dans l’église de Saint-André, dénoncées par le commissaire cantonal de Saint-Fulgent en février 1799.

De juin à septembre 1794, 12 actes seulement, où il est remplacé par le curé de La Rabatelière, le plus souvent pour des baptêmes et des sépultures, et une fois par le vicaire de Saint-Fulgent, et même trois sépultures se font sans les prêtres. Là, le curé Allain n’ose pas se montrer. Le 8 juin le curé a créé une rubrique inhabituelle de « décès » pour noter les « prières de sépulture à la Boutarlière de Me René Merland (60 ans), et porté au cimetière sans convoi à cause de la guerre civile ». Il précise les noms de 5 témoins qui ne se sont pas présentés pour signer l’acte.

La paix du général Hoche à partir de novembre 1794


Laneuville : portrait de Lazare Hoche
Mais d’octobre à décembre 1794 on voit un tournant dans la guerre avec deux mariages faits par le curé dans son église, y compris les publications des bans, le 28 octobre et le 26 novembre, « les lois de l'État d'ailleurs dûment observées » a écrit dans les actes le curé Allain. Certes on ne compte que 4 baptêmes dans l’église et 1 sépulture en présence du curé. C’est le signe prémonitoire de la pacification du général républicain Hoche, nommé commandant en chef des armées de l’Ouest 1e novembre 1794. Il promet aux prêtres réfractaires la vie sauve et le libre exercice du culte. Et il leur demande de prêcher le dépôt des armes, tout en poursuivant la traque des combattants insurgés.

Le curé de Saint-André va jouer le jeu de Hoche et a sans doute exercé sa fonction en 1795. On l’a vu cette année-là embaucher une servante à son presbytère et louer du bétail à ses anciens métayers de Fondion. On suppose qu’il a dû tenir un registre, mais si c’est le cas il n’a pas été conservé.

Conclusions


Au terme de cette analyse des deux registres clandestins du curé de Saint-André-Goule-d’Oie, il est utile de revenir sur leur portée politique. Ils témoignent de la survivance du rôle administratif des curés des paroisses dans l’ancien royaume de France. Ce dernier avait été le garant de la religion catholique, laquelle avait constitué un des éléments constitutifs de l’État monarchique. Ayant transformé ce dernier, les députés de la Constituante voulurent en faire autant avec l’Église au moyen de la constitution civile du clergé. Mais poussés par la nécessité du moment de trouver de l’argent, la politique définie manqua de réflexion stratégique sur le rôle de l’Église. Son application enclencha un processus de radicalisation qui s’est terminé en bain de sang dans certaines régions, notamment en Vendée dont on fit un emblème, là aussi pour des raisons opportunistes.

Or la constitution d’un État moderne intervenant dans les domaines de la santé, de l’aide aux pauvres, de l’instruction, exigeait une nouvelle relation de l’Église avec la société politique. Elle avait en effet un monopole dans ces domaines. Mais la Révolution désorganisa beaucoup d’hôpitaux ainsi que l’enseignement de la médecine. L’instruction publique fut pensée plus tard, une fois le désordre instauré, et très peu mise en œuvre. Ainsi mal enclenchée, cette affaire de religion catholique et de république resta au cœur de la vie politique nationale tout au long du 19e siècle ensuite, contribuant à définir les clivages et les appartenances politiques. Elle s’estompa ensuite progressivement au 20e siècle autour de la notion très originale de laïcité. Néanmoins d’autres démocraties européennes sont nées avec l’économie d’une guerre civile de ce type, et parfois plus tôt qu’en France. La constitution civile du clergé n’est-elle pas une improvisation malheureuse, non seulement pour les Vendéens d’alors, mais aussi pour l’instauration de la démocratie en France ? Celle-ci mit bien du temps à s’installer à la fin du 19e siècle et à se consolider ensuite, traînant la terreur révolutionnaire comme un boulet. Il restait heureusement la déclaration des droits de l’homme de 1789, élevée au niveau d’un mythe, entre autres pour faire oublier la suite. Mais si la France a acquis la réputation de « patrie de la déclaration des droits de l’homme », elle n’a pas celle de « patrie de l’application des droits de l’homme ».

Les nombreux historiens de la Guerre de Vendée sont restés prisonniers de ce problème politico-religieux omniprésent pendant presque deux siècles, ne parvenant pas à se dégager d’une dose plus ou moins forte de militantisme dans les deux camps opposés. La sérénité n’est même pas totalement acquise autour du sujet, à cause du rôle qu’on veut faire jouer à l’Histoire dans l’éducation des jeunes. Il reste maintenant aux historiens sans parti pris à éviter l’écueil de l’anachronisme pour retrouver la société d’avant la Révolution, hors des clivages qu’elle a créés.


(1) Archives de la Vendée, consulter les archives numérisées, état-civil de Chauché, registre des naissances et décès de janvier à mai 1793, vue 2.
(2) Archives de Vendée, notaires de Sainte-Cécile, minutes isolées étude de Joseph David, acte de notoriété d’un décès du 4 floréal an 7 (23-4-1799), vue 70.
(3) Jacques Peret, Histoire de la Révolution Française en Poitou-Charente 1789-1799, Projets Éditions, Poitiers, 1988, page 143.

(4) A. Billaud, La petite église dans la Vendée et les Deux-Sèvres (1800-1830), NEL, 1961, page 161.

(5) Analyse du 14-11-2023 de T. Heckmann, archiviste paléographe, ancien directeur des Archives de Vendée.

(6) Rapport du 3-11-1790 de Goupilleau au district de Montaigu sur la pétition de la municipalité de Saint-André-Goule-d’Oie : no 6, 4. Médiathèque de Nantes, collection Dugast-Matifeux, vol. 67.
(7) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, procès-verbal du 22 ventôse an 7 de Martineau et lettre du même à Coyaud du 4 et 13 germinal an 7.
(8) Archives départementales de la Vendée, état-civil Saint-Fulgent : 1er registre clandestin vue 10/78.
(9) Analyse de novembre 2023 de T. Heckmann, avec le développement qui suit.
(10) Paul Boisson (1912-1979), professeur d’Histoire au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers, puis aumônier à l’hospice de Saint-Fulgent. Ses travaux historiques sur le canton de Saint-Fulgent sont précieux.
(11) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 6 III, notes de l’abbé Boisson du 6-3-1796 sur un chandelier datant de la Révolution.
(12) J. Hussenet, Détruisez la Vendée, Éditions du CVRH, 2007, page 605
(13) Archives de la Vendée, destructions immobilières pendant la guerre de Vendée : 1 M 392, commune de Saint-André-Goule-d'Oie.

Emmanuel François, tous droits réservés
Juillet 2018, complété en novembre 2023

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vendredi 1 juin 2018

La Baritaudière à Saint-André-Goule-d’Oie

La Baritaudière
Sur la route qui conduit du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie à Chavagnes-en-Paillers, deux kilomètres après le village de la Boninière, on traverse le village de la Jaumarière. Quelques centaines de mètres plus loin, toujours en direction de Chavagnes, une voie sur le côté droit conduit rapidement au village de la Baritaudière. Ses quelques maisons anciennes encadrent un virage de la route qui descend vers la Maigrière. Une prairie seulement sépare les deux villages, unis dans leur proximité avec le ruisseau du Vendrenneau proche. Mais chacun garde sa personnalité, avec son propre calvaire. Et dans les temps très anciens, ils relevaient d’un seigneur différent. Le seigneur des Bouchauds, résidant à proximité du château des Essarts, possédait les droits sur le village et tènement de la Maigrière. Quant au village et tènement de la Baritaudière, il relevait du seigneur voisin du Coin Foucaud, dont le château s’élevait un kilomètre plus loin vers « Chavagnes les Montaigu », comme on disait alors.

Le nom de la Baritaudière provient très probablement d’un nommé Baritaud. Or un Guillaume Baritaud épousa en 1350 Marie Drouelin, fille du seigneur de Linières et de Saint-Fulgent. Il était seigneur de la Baritaudière à Chantonnay. Faute de document à l’appui il ne nous est pas possible d’établir un lien entre le nom du lieu et un seigneur Baritaud, surtout dans la période tardive du 14e siècle. Quoique la famille Baritaud était établie en Bas-Poitou du 11e au début du 15e siècle selon le chercheur Guy de Raignac (Archives de Vendée, Généalogie des familles anciennes du Bas-Poitou, 8 J 44).

Les seigneurs et leurs redevances aux 16e et 17e siècles


Dans l’aveu du Coin Foucaud en 1550, les teneurs de la Baritaudière payent un droit de terrage sur les récoltes d’un sixième de leurs valeurs. S’y ajoute une dîme d’un douzième sur les agneaux, veaux et pourceaux, laine et lenfaits (lin). Le cens et devoir noble à payer est de sept sols huit deniers et un boisseau de seigle. Ce montant en argent tient compte de l’incorporation de la valeur des anciennes corvées féodales, qui avaient été supprimées (1).

De plus, le seigneur de la Boutarlière prélevait en 1517 sur les teneurs de la Baritaudière, chaque année à l’occasion des moissons de l’avoine et du seigle, un droit de métivage, se montant à un boisseau (2). Il disparaît ensuite dans la documentation consultée. Comme l’autre droit, dit « hommage », prélevé à la fête de la nativité de Notre-Dame, se montant à 4 sols. Ce dernier droit se partageait par moitié entre la seigneurie des Bouchauds et celle de la Boutarlière.

En 1539, les Assises de Languiller poursuivirent les teneurs de la Baritaudière pour remettre en culture 2 septerées de terres abandonnées depuis 20 ans en landes, situées près les Landes de la Maigrière. Le procureur voulait les condamner à arracher ces landes et à les restituer en terres terrageables (3). Après les désastres climatiques, épidémiques et guerriers de la période 1330-1450, on était encore en 1539 à vouloir défricher de nouvelles terres pour retrouver les surfaces emblavées autrefois. Les teneurs ont traîné les pieds, se faisant condamner à une amende en 1541. 

En 1565 le propriétaire de la seigneurie de Languiller et du Coin Foucaud s’appelait Jules de Belleville. Nous avons raconté son histoire dans l’article publié sur ce site en mai 2020 : Les seigneurs de Languiller (1300-1603). Le 7 décembre 1554 Jules de Belleville a cédé à Jean de Ligny, seigneur du Boisreau (Chauché), ses droits seigneuriaux sur la Baritaudière et la Jaumarière, moyennant une rente annuelle de 30 livres payée par Jean de Ligny à noël. Puis il annula cette vente en exerçant son droit de retrait féodal. Ce droit avait fait l’objet d’une clause spéciale pour 10 années, puis renouvelée. Et il l’exerça par accord du 2 octobre 1565 (4). Ainsi Jules de Belleville reprit ses droits seigneuriaux sur la Baritaudière, et annula la rente annuelle de 30 livres qui lui était due. Et il céda à Jean de Ligny sept pièces de terre situées près de la Brosse Veilleteau, de la Bouguinière et du Plessis Allaire (Essarts).

Ruines du château des Essarts
Puis il vendit à nouveau ses droits seigneuriaux sur la Baritaudière à Louis Masson, sénéchal des Essarts, comme il le fit de ses droits sur le Pin et la Jaumarière. Dès lors, les trois tènements de la Baritaudière de la Jaumarière et du Pin eurent le même seigneur pendant quelques dizaines d’années. Il dû y avoir un transport de certains droits par Louis Masson à un parent de sa femme, Marie Mosnier, car on note une vente réalisée à une date non repérée de droits sur la Baritaudière, faite par Thomas Saudelet, sénéchal de Tiffauges, à cause de sa femme, Charlotte Mosnier. Thomas Saudelet et sa femme vendirent ensuite les rentes annuelles suivantes à Pierre Fournier, sieur des Marais (Chassay-l’Église à Saint-Prouant), sur le village et tènement de la Baritaudière, l’une de 6 boisseaux seigle, l’autre de 8 boisseaux seigle, requérables au terme de la mi-août (5).

Sébastien Masson, fils de Louis, sieur des Fouzillières (Grand Village aux Essarts) et de la Jaumarière, est qualifié dans plusieurs actes d’écuyer. Il hérita de la Jaumarière et de la Baritaudière. Lui aussi fut sénéchal des Essarts, et licencié ès lois. C’est lui qui créa une rente annuelle et perpétuelle au profit de la chapelle du château des Essarts, d’un montant significatif de 121 livres. Il avait épousé Françoise Marois (6). Il eut pour fille Renée qui sera la première femme de Pierre de Vaugiraud seigneur de Logerie. Ces derniers héritèrent de biens à la Jaumarière. Il eut aussi Jean qui hérita de la Baritaudière. Il avait aussi hérité de son oncle Charles Masson des droits sur le Pin. À partir de là l’histoire de la Baritaudière et de la Jaumarière divergent.

Jean Masson, fils de Sébastien, écuyer seigneur de la Bonnezière, avait épousé Renée des Nouhes, qui devint veuve en 1642. Ils eurent deux filles : Catherine et Élisabeth. Catherine, dame de la Baritaudière, épousa Jacques Audouard, écuyer seigneur de Metz (près de Niort). Il rendit aveu de la Baritaudière, au nom de sa femme, au seigneur de Languiller en 1644 et 1653 (6). Les droits de la Baritaudière et du Pin passèrent par acte de partage en 1680 à René Audouard. L’histoire de ces droits a été racontée dans l’article publié sur ce site en novembre 2016 et intitulé : Du rififi chez les seigneurs du Pin, avec des rebondissements. Finalement René Audouard retrouva la propriété de ses droits sur la Baritaudière, qu’il avait arrentés en 1693 à Jean Masson,  par contrat passé avec Léon de la Bussière, seigneur de la Vrignonnière, le 24 octobre 1694. Cette fois-ci René Audouard racheta ses droits de terrage sur la Baritaudière, moyennant le paiement d’une rente annuelle de 21 livres au seigneur de la Vrignonnière. Nous connaissons cette histoire par les archives du Pin. Celles de la Baritaudière sont particulièrement pauvres. De 1694 on passe directement à l’année 1751, où nous disposons de trois documents.

Les redevances au milieu du 18e siècle


Le premier document est une assignation faite le 29 mai 1751 par le procureur fiscal de Languiller, Jacques Barreau, à 16 teneurs des tènements de la Maigrière et Baritaudière, pour comparaître aux assises de Languiller le 15 juin suivant, au château de Languiller. Il leur demande de se présenter ce jour-là à 9 heures du matin dans la salle du château, où lui-même demeure, afin qu’ils communiquent leurs contrats d’acquisition de leurs biens situés dans l’étendue de la mouvance de Languiller et ses fiefs annexes, depuis 30 ans. Et ils devront faire leurs déclarations ou aveux et payer tous les droits qui sont dus (7). Les nouveaux officiers de Languiller entreprenaient en cette année 1751 une remise en ordre des déclarations et aveux dus à la seigneurie. Ces assignations générales sont rares à Saint-André, n’ayant rencontré une situation similaire qu’à la Bergeonnière conservée à la même date. Les réticences des propriétaires se retrouvent aussi bien chez des nobles (Bignon, Boutarlière, etc) que chez des roturiers. Les personnes assignées se sont retrouvées à l’audience du 3 août 1751 des Assises de Languiller pour se voir condamner à présenter leurs déclarations roturières, au paiement d’arrérages de redevances dues et non payées, et aux dépends estimés à 31 £ 10 sols pour tous les teneurs (8).

Le jeune procureur fiscal, Mathurin Thoumazeau, connaissant bien son affaire, a engagé des saisies féodales, et amené les récalcitrants au respect du droit féodal. Sans disposer des informations nécessaires à l’analyse de l’attitude des propriétaires, on peut au moins relever que ce droit était perçu comme pesant dans bien des cas.

Nous disposons enfin de deux déclarations roturières par deux propriétaires à la Baritaudière dans l’année 1751, mais bizarrement en laissant le jour et mois de la date en blanc. Elles ont été présentées à l’assise de Languiller. On doute que ce soient les seules faites à l’époque, et on pense à une insuffisance dans l’archivage.

La Baritaudière
L’une, par Pierre Piveteau, concerne le champ du « Pâtis Baritaud », d’une surface de 2 boisselées (9). Le rendant déclare devoir le terrage à la sixième partie des récoltes, plus un cens de 5 sols et 6 deniers payables à noël. Voilà qui est très intéressant. Cela veut dire qu’en laissant René Audouard en 1694, retrouver la possession de ses droits seigneuriaux sur la Baritaudière, cela n’a pas duré, pour lui ou sa suite. À un moment que nous ne connaissons pas, et que nous constatons en 1751, le suzerain de Languiller a retiré ces droits vers lui, en conséquence de l’insuffisance de son vassal, ou bien il les a achetés. Quand on voit ce qui s’est passé au Pin, nous somme poussés vers la première hypothèse.
De plus, Pierre Piveteau indique devoir :
-        à différents particuliers 18 boisseaux de seigle à la mesure des Essarts
-        à la seigneurie des Essarts 2 sols 6 deniers par an
-     à Landelière 2 sols par an. Cette seigneurie avait appartenu à la famille de Goulaine (Vieillevigne), celle-ci ayant possédé Linières au début du 17e siècle (10). Présentement le seigneur de Landelière était un Baudry d’Asson, demeurant au château de Beaumanoir à Dompierre-sur-Yon. Et le 22 octobre 1791, Charles Esprit Marie Nicolas Baudry d’Asson de Landelière, a vendu cette rente à François Fonteneau, laboureur demeurant au Plessis Richard (Saint-Fulgent) (11).
Il reconnaît le droit de justice du seigneur de Languiller.

Le texte comprend une précision inhabituelle mais intéressante : l’ensemble du tènement occupe une surface de 300 boisselées et 31 gaulées, ce qui fait 36,5 hectares. Ceux-ci ne constituaient pas une métairie comme à la Roche Mauvin ou à la Racinauzière. Mais nous n’en savons pas plus sur la répartition des propriétés dans le tènement. On a seulement pu repérer la borderie de Louis Arnaud (1704-1785) à la Baritaudière, qui fut partagée en 1790 entre son fils Louis Arnaud et son gendre François Payraudeau avec d’autre domaines. La borderie de la Baritaudière est qualifiée de petite, ayant ses terres dans le village et sur le village voisin de la Maigrière. Et elle était grevée de rentes qui venaient diminuer d’autant le prix des fermes perçues et aussi le prix des terres en cas de vente (12).

L’autre déclaration roturière est faite par Pierre Grinraud pour deux parcelles totalisant 2,1 boisselées. Elle reconnaît les mêmes droits que l'autre ci-dessus, évidemment au seigneur de Languiller, mais sans mentionner les redevances perçues par d’autres. Elle précise le droit de prélever les lods et ventes par Languiller (à payer au moment des mutations de biens par le nouveau propriétaire) (13).

En 1838 dans le cadastre napoléonien, les propriétaires des bâtiments dans le village de la Baritaudière sont : Morteau, Papin Alexandre, Perraudeau Louis et Marie, Piveteau Jacques, Tricoire Jean. Il y avait alors un four et une boulangerie.

Le 21 juillet 1887 l’évêque de Luçon accorda une indulgence de 40 jours pour ceux qui réciteront un Pater à la vue du calvaire en bois érigé au village de la Baritaudière (14).


(1) Aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par le seigneur de Languiller aux Essarts, reproduisant un texte de 1550 – deuxième copie, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61.
(2) 150 J/G 39, copie de l’aveu du 26-1-1517 du seigneur de la Boutarlière aux Essarts.
(4) 150 J/G 113, retrait des droits seigneuriaux du 2-10-1565 sur la Jaumarière et Baritaudière par Jules de Belleville.
(5) Note no 3 sur la Baritaudière à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 1
(6) Archives de Vendée, G. de Raignac, Généalogies vendéennes des familles Masson etc. :
8 J 40-1, page 39.
(7) 150 J/E 27, assignation à comparaître aux assises de Languiller le 15-6-1751 à 16 teneurs de la Maigrière et Baritaudière.
(8) Assise en 1751, Archives de Languiller, chartrier de la Rabatelière : 150 J/M 37, pages 38 et 39.
(9) 150 J/G 113, déclaration roturière de Pierre Piveteau en 1751 pour la Baritaudière.
(10) 150 J/E 28, complainte du 24-4-1754 du seigneur de la Rabatelière pour les scellés à Beaumanoir.
(11) Vente du 25-10-1791 de 2 rentes et 2 cens par Baudry d’Asson de Landelière à François Fonteneau sur la Maigrière et la Baritaudière, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13.
(12) Partage du 18-5-1790 de la succession de Louis Arnaud et Jeanne Bujaud entre ses enfants : Louis Arnaud et François Payraudeau, veuf de Marie Anne Arnaud, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Chateigner : 3 E 30/125. 
(13) 150 J/G 113, déclaration roturière de Pierre Grinraud en 1751 pour la Baritaudière.
(14) Indulgence le 21-7-1887 pour le calvaire de la Baritaudière, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 31, chemise XIII.
                               
Emmanuel François, tous droits réservés
juin 2018, complété en janvier 2023

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dimanche 27 mai 2018

La fin du domaine et la démolition du château de Linières

Louis Prevost de la Boutetière, le dernier propriétaire de 1898 à 1912, a conforté l’existant du domaine de Linières, notamment en construisant les bâtiments de la Louisière, nouveau nom donné désormais à la métairie de Linières « droite » ou « métairie de Linières ». Puis il a changé d’avis et a tout vendu. Linières était une résidence, devenue secondaire quand il a dû la laisser pour occuper le château familial de la Boutetière à Saint-Philbert-du-Pont-Charrault en 1911, suite au départ de son frère qui l’habitait auparavant (1). Malgré sa passion connue pour les chevaux, on aurait tort de lui faire la réputation de son prédécesseur Gaston de Marcilly, et d’expliquer la démolition du château à cause d’un revers de fortune. D’ailleurs, le motif de la vente de Linières est normalement une chose différente des modalités de cette vente.

Pour celle-ci, on a alors procédé à une vente au détail des métairies, organisée par un marchand de biens de Luçon, nommé Libaud. Il s’était associé sur place à un expert de Saint-Fulgent, nommé Gilbert. Libaud n’a été qu’un mandataire, et dans l’état actuel des documents consultés, il nous parait avoir agi dans la clarté à l’égard du vendeur. Alors, pourquoi avoir démoli le château ?

Une enquête de l’abbé Boisson en 1974 nous apporte une précision intéressante. Le château lui-même, dépouillé de ses métairies qui rapportaient des fermages, fut acquis par le mandataire de M. de la Boutetière, un nommé Richard, habitant de Poitiers. C’est ce dernier qui avait choisi Libaud pour vendre les terres, et à la fin le château lui resta sur les bras. Richard l’acquit lui-même pour le vendre à la construction. M. Charles de Grandcourt songea un moment à l’acheter pour son fils, mais le bien, sans terres de rapport, était trop lourd pour sa fortune. La démolition du château fut surveillée sur place par MM. Gilbert et Fonteneau, demeurant au bourg de Saint-Fulgent (2).

Linières, mars 1974. Le bosquet d’arbres
les plus hauts 
au milieu de la photo marque
l’emplacement du château démol
i
L’explication la plus rationnelle pour expliquer le défaut d’acquéreur du château est de se référer à une situation du marché d’alors pour les châteaux du bocage vendéen, qui aurait été peu favorable à l’offre. Au point qu’il a paru un moindre mal de vendre le foncier agricole aux nombreux petits propriétaires qui se sont précipités à faire monter les enchères. Quant au château lui-même, on a continué dans la même logique en vendant au détail les pierres, les statues, les grilles, les boiseries, etc. faute d’avoir trouvé un acquéreur. Et les peintures d’Amaury-Duval n’avaient pas alors la valeur qu’elles ont aujourd’hui. Il est probable que si Linières avait été situé proche des Sables-d’Olonne ou de Nantes, le château aurait eu un acquéreur, avec ou sans les métairies.

Il n’en reste pas moins que la démolition de ce château tout neuf, construit depuis quarante années seulement, décoré de manière si raffinée par Amaury-Duval, laisse songeur. D’autant qu’en même temps que la démolition, l’idée d’un pillage a été répandue par des témoins ignorant les contrats passés par MM. Gilbert et Fonteneau, chargés de surveiller la démolition. Ces ventes ont éparpillé des éléments nombreux du château un peu partout, par exemple :
-        des pierres ont servi à la reconstruction de l’église de la Boissière-de-Montaigu, peut-être de son école privée.
-        au château de la Rabatelière, on est allé chercher des pierres à Linières pour refaire les douves.
-        Trois motifs sculptés dans la pierre de tuffeau : deux têtes plus grandes que nature, très expressives, encadrant un motif gravé aux initiales enlacées M B (Marcel de Brayer). Le tout a été récupéré par un maçon de Saint-Fulgent et scellé sur un mur de son jardin.
-        Des pierres en tuffeau d’encadrement d’ouverture, dont l’une aux initiales M B, ont été achetées par l’ancien greffier de Saint-Fulgent.
-        La boiserie de la bibliothèque et une cheminée ont été vendues à Salidieu (Bessay). La boiserie de la salle à manger a été vendue à la Vachonnière (Verrie).
-        Dans le vestibule d’entrée d’une maison sur la place de l’église dans le bourg de Saint-Fulgent, la boiserie venait de Linières.
-        La boiserie peinte du fumoir et une cheminée en marbre noir chez un particulier près de Sainte-Hermine.
-        Deux portes intérieures ont été achetées par un marchand de tissus de Mouchamps.
-        M. Grolleau du Coudray a acheté un salon ayant appartenu à M. de Marcilly.
-        À la Pouzaire de Saint-Hilaire-le-Vouhis se trouvaient deux tables et deux chaises.
-        Des cheminées sans style ont été récupérées par deux particuliers du bourg de Saint-André et de Saint-Fulgent.

Cheminée de Linières
     Un monsieur Gaby Marmin a acheté de l’argenterie, Louis de Grandcourt un fauteuil voltaire, Eugène de Grandcourt, un bureau, un verre et une carafe de cristal aux initiales M B, et aussi des persiennes installées en bas et à l’étage de sa maison.
-        La grille d’entrée de l’allée qui donnait accès sur la route de Villeneuve a été achetée, pour se retrouver chez M. Godard, dans le bourg de Saint-André.
-        Des pieds d’arbres ont été ramenés durant l’hiver 1913/1914 chez des particuliers de Saint-Fulgent. Le témoin rapporte que le château en démolition n’était pas encore totalement abattu. Il restait encore quelques pans de mur. D’autres arbres ont été replantés au logis du Coudray.
-        Au château de Saint-Fulgent, on a acheté trois potiches en granit, placées à l’entrée du parc au bord de la route nationale, et probablement aussi les éléments de la balustrade. En arrière du château, dans le parc on trouve deux potiches avec leur stèle. Dans une allée auprès de la rue Tracolette, sur une stèle en piédestal : un casque de chevalier surmontant les initiales M B.
-        Et puis on a voulu sauver un morceau de fresque (hors cadre : 240 x 238 mm). Selon Mme de Hargues il provient du vestibule dit des Quatre Saisons du château, probablement un détail de la fresque des Quatre saisons, de l’été peut-être, ou de la scène du jeu de volant (une tête de femme en profil). Mme de Hargues dit qu’il y en avait au moins deux autres petits fragments au château, mais si fragiles que les coups de plumeau et les dérangements les ont endommagés, et ils n’existent plus.
-        La marquise de Lespinay acheta les archives du château qui « étaient par terre dans un coin ».
Etc. (3).

À l’occasion de cet inventaire, dû en partie aux recherches de l’abbé Boisson vers l’année 1974, les personnes rencontrées ont fait part de leurs souvenirs sur le château. Par exemple, Mme Barbereau, née You, qui habitait dans le bourg de Saint-André, se souvenait à l’âge de 86 ans : « tous les ans nous allions au château de Linières, où M. de la Boutetière offrait l’arbre de noël aux enfants de l’école ».
Mme de la Grandière, l’une des filles de M. de la Boutetière, se souvenait des peintures « admirables ». Elle aimait surtout « le bleu de la salle de bain », et n’a pas souvenir de la « légèreté » des motifs. Mme de Hargues, châtelaine de Saint-Fulgent qui avait été amie des demoiselles de la Boutetière, était marquée elle aussi par les peintures de la salle de bains « particulièrement remarquables ». Et pourtant, que n’a-t-on pas rapporté sur leur « légèreté ». Un témoin indiquait : « Dans le château beaucoup de peintures … très légères … par exemple dans la salle de bains … ». Un autre faisait des allusions discrètes à la réputation de cette demeure où avaient eu lieu des « orgies ». Phénomène de rumeur qui part d’une réalité déformée pour se terminer en grossière invention.

Jeu des osselets, fresque 
d’Amaury-Duval 
dans la salle de billard
Reproduite à l’huile sur toile

Lorsque le château fut mis en vente, tout le monde pu le visiter, et c’est ainsi que naquit la rumeur. Il était un but de promenade pour les gens de la contrée. On y défilait en foule, c’était une véritable procession. Une dame écrivit : « l’ai vu toutes les peintures de Linières … sauf celles de la salle de bains. J’avais alors 14/15 ans. L’entrée en était alors interdite aux jeunes filles comme nous … l’intérieur de ce château était merveilleux ». On ne laissait pas rentrer les enfants à cause des peintures. Un homme précisa soixante ans après les faits : « à l’intérieur il y avait des peintures très légères, que mon père m’interdisait sévèrement d’aller voir ».

Et nous avons des souvenirs des enfants d’alors, avec leur sensibilité et leur imagination propres. C’est ainsi que le bijoutier de Saint-Fulgent exagère un peu la réalité : « j’ai entendu dire à ma mère que la terrasse de Linières était si vaste qu’une charrette attelée de 4 bœufs pouvait facilement y tourner ». Un autre, habitant la Mesnardière (Saint-Fulgent), précise : « Mais on avait peur d’y renter, les portes étaient dissimulées de telle façon qu’on ne savait où les prendre …Un jour l’instituteur nous a dit : si vous êtes sage je vous conduirai à Linières, et vous y verrez une voiture sans cheval qui roule à 25 kms à l’heure… C’est là que j’ai vu la première automobile » (3).

Le pharmacien de Saint-Fulgent au temps d’Amaury-Duval, René Morat, pu prendre quelques photos du château et des fresques : Une lecture des Fourchambault par Émile Augier, jeu de volant, jeu de colin Maillard. Elles ont été reproduites plus tard par le studio Jean Caillé, de Saint-Fulgent (4). Amaury-Duval avait tenu lui aussi à faire faire des photographies des fresques. Elles sont précieusement conservées chez de rares particuliers en dehors de la région semble-t-il. Indiquons aussi que les Archives départementales des Yvelines donnent un accès au public par internet d’une lettre de 1902 du dernier propriétaire de Linières, accompagnant quelques photos des fresques des murs du château de Linières, aussi visibles sur le site [Archives départementales des Yvelines, correspondance du musée Maurice Denis, lettre de La Boutetière Comte Louis de, du 04-07-1902] :
Et puis on a les trois desseins du château à la plume, dont 2 rehaussés d’aquarelle, de Maurice de Gouttepagnon, du vivant d’Amaury-Duval. Son petit-fils, Guy de Raignac, les a communiqués à l’abbé Boisson et sont connus maintenant. Ils sont datés du 20 septembre 1883.

Pour terminer nous reproduisons la phrase, terrible, écrite par le constructeur du château le 9 mars 1874 dans son testament, Marcel de Brayer, s’adressant à son grand-oncle célibataire âgé de 66 ans : « Je prie enfin mon oncle de choisir comme héritier celui qui lui semblera le plus digne de posséder la fortune que je lui laisse et le mettre à même de conserver intacte la terre et le château de Linières » (5).


(1) Emmanuel François, Les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie, Lulu.com (2012), page 255.
(2) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, témoignages de Mme de Hargues et de Mme veuve Fonteneau, née Gilbert, en 1794.
(3) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3, témoignages divers recueillis vers 1974.
(4) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : Z 32-4, préparatifs de l’exposition Amaury-Duval de Montrouge en 1974.   
(5) Testament de Marcel de Brayer du 9 mars 1874, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/936.

Emmanuel François, tous droits réservés
Texte de 2014 complété en septembre 2017 et créé en article indépendant en mai 2018