Le régime seigneurial au 16e siècle
Dans les redevances concédées par le baron des Essarts au seigneur de la Boutarlière dans l’étendue de la baronnie, on trouve en 1509 le village de la Morelière imposé d’un boisseau de seigle par an pour le droit de métivage. On a aussi au titre du droit d’ « avenage appelé ratier » 2,5 boisseaux de seigle pour un nommé Vignaud à la Morelière (1). L’avenage était dû à cause des droits d’usage et pacage accordés aux habitants de la châtellenie (2). Ce qu’il faut noter ici est le nom du nommé Vignaud, rare dans l’énumération des villages concernés par la redevance. Serait-ce le colon d’une métairie, autrement dit son métayer ?
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Maître (anonyme) d’Anne de Bretagne vers 1490 (B. N. F.)
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Dans l’aveu de la seigneurie du Coin (autrefois appelé Coin Foucaud) aux Essarts, par le seigneur de Languiller en 1550, la Morelière est un tènement associé à la Boninière voisine et au village disparu de la Bouchardière (3). En 1519 celui-ci était situé au sud de la Boninière (4). En 1550, le seigneur du Coin percevait les redevances suivantes, ensemble pour les trois tènements et villages :
- 107 sols 10 deniers à divers termes dans l’année, tant de cens que des anciennes corvées seigneuriales supprimées et affermées à une valeur fixe. Auparavant les corvées étaient au tarif maximum de 3 jours par an pour tout le village avec 5 charrettes tirées par 6 bœufs. La même corvée au village du Clouin avait été estimée à 13 sols et 4 deniers lors de son incorporation dans le cens.
- Sur-cens ou rentes féodales annuelles de 34 ras d’avoine et 6 boisseaux seigle
-
Terrage au 1/6
e des récoltes.
Jusqu’en 1550 le terrage a été partagé à moitié avec
le prieur de Saint-André. Cette moitié avait été donnée en franche aumône par les
prédécesseurs du seigneur du Coin. Et après 1550 le seigneur prit tout,
ayant supprimé la part du prieur. Cela s’est passé au temps des guerres de
religion, alors que le seigneur de Languiller était un chef protestant très
engagé dans les combats (5).
- Droit de dîme des agneaux, veaux et pourceaux, laine et lenfaits (lin), nés, élevés et produits dans le village.
Pour deux ouches (terres jamais mises en jachère) à la Morelière, s’ajoutait un cens annuel de 2 sols 4 deniers.
Une métairie du domaine de Linières sous l’Ancien Régime
Nous n’avons qu’une maigre documentation disponible consacrée à la Morelière dans le chartrier de la Rabatelière. Peut-être est-ce dû à la constitution d’une métairie par le seigneur de Linières, dont les terres jouxtaient le tènement. On trouve une mention de son existence dans la saisie en 1675 du domaine de Linières à cause des dettes de son propriétaire Claude Legras. On lit : « métairie noble de la Morelière, terres labourables et non labourables et généralement tout ce qui dépend ..., le tout sis et situé en la paroisse de Chauché, joignant aux terres du village de Bergeonnière, au village du Landreau, au bois de la Boutarlière et au village de Villeneuve » (6).
On ne sait pas depuis quand le territoire de la Morelière était occupé par une importante métairie, à l’existence attestée en 1675, d’une surface connue seulement au 19e siècle de près de 50 ha alors. Un inventaire du domaine de Linières en 1897 donne
une superficie de 51 hectares, dont en culture 10 ha sur Chauché et 38 ha sur
Saint-André. Les 10 hectares sur Chauché occupent 8 parcelles de plus d’un
hectare, surface importante pour l’époque et donc probablement proche de la parcellisation d’origine.
Au contraire, on compte 47 parcelles à Saint-André, occupant 0,83 hectare
chacune, signe d’une parcellisation jadis entre petits propriétaires et d’un
amassage probable ensuite par le seigneur de Linières (7). Ce dernier aurait
ainsi constitué la métairie de la Morelière en agrégeant une partie de son
domaine à cet amassage de parcelles. L’aveu de 1550 ne donne même pas d’indice sur l'existence de la métairie. En revanche on a un faible indice en 1509 dans la liste des villages payant des redevances à la Boutarlière (voir plus haut). Au hasard d’un partage en 1703 de la succession de
la veuve d’un ancien fermier de la baronnie des Essarts, on trouve cette créance
ainsi libellée au profit de la succession : « 121 livres de bestiaux par acte du 12 avril 1691
reçue par Fournier notaire aux Essarts sur feu François Chaigneau
demeurant à la Morelière, paroisse de la Chapelle de Chauché, et doit 30 livres
10 sols pour les profits d’iceux à compter du 12 avril 1698 jusqu’au 12 avril
1703, en tout : 151 livres 10 sols ». Le fermier Joachim Merland, ou
sa veuve Jeanne Jeullin, avait donc fait un bail à cheptel en 1691 au fermier
de la Morelière nommé François Chaigneau (8).
Les Assises de Languiller et fiefs annexes avaient poursuivi
en 1592 trois teneurs de la Morelière (9). Puis
on sait que Sébastien Masson, sieur de la Jaumarière, a acquis le droit
de fief de la Boninière et Bouchardière vers 1617. En 1654 c’est son
petit-fils, René de Vaugiraud, seigneur de Logerie (Bazoges-en-Paillers), qui
est seigneur de la Jaumarière,
de la Boninière et de la Morelière (10). On ne cite plus la Bouchardière car le
village a disparu et ses droits ont été intégrés dans ceux de la Boninière. Son
fils, Pierre de Vaugiraud, a comparu en personne en 1700 aux Assises de
Languiller pour offrir sa foi et hommage à raison de la Boninière, les Ségoninières
et la Morelière (11).
Les deux premiers terroirs étaient des terres
nobles, mais la Morelière était une terre roturière. Le fils de Pierre, Jean
Gabriel de Vaugiraud, donna pouvoir à sa belle-mère,
Marie
Louise Henriette Girard, épouse de Jacques Boutillier, sénéchal de la
baronnie de Mortagne, d’offrir en 1752 sa foi et hommage plain « pour raison
du fief et tènement de la dîme de la Boninière, vulgairement appelé le fief
Bellet, la Bouchardière et
Morelière en ladite paroisse de Saint-André ».
Cette fois les droits de la Bouchardière sont distingués et les Ségoninières
ont fait l’objet d’une autre foi et hommage le même jour. L’hommage entraîne le
paiement du droit de rachat et de 12 deniers de service annuel à noël
(12).
La métairie apparaît dans les archives notariales accessibles de Saint-Fulgent dans la deuxième moitié du 18
e siècle, ne concernant pas le domaine, mais un homme. Et l’homme est un de ses métayers, Mathurin Herbreteau. Fils d’André Herbreteau et d’Anne Pavageau, il s’était marié en 1751 avec Renée Rondeau. L’année d’après son frère, Jean Herbreteau, épousera la sœur, Marie Rondeau. Les deux frères tenaient les deux (probablement) métairies attenantes au logis de Linières, contenant ensemble environ 90 ha. Ils étaient les piliers des métairies de Linières dans cette deuxième moitié du 18
e siècle, remplaçant les Rondeau dont ils étaient les gendres. Ils embauchaient des valets, et l’importante surface exploitée permettait de sortir du handicap des jachères. Ils pouvaient ainsi réaliser des économies. De ce fait ils appartenaient à l’époque à la catégorie supérieure des laboureurs. Certains même se consacraient à une activité complémentaire, source de richesse potentielle, le commerce du bétail. Ce fut le cas des deux frères Herbreteau de Linières, et particulièrement de Mathurin (1728-1793).
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Levy : Le marchand de bestiaux
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Entre 1781 et 1790 on le voit prêter 7 fois devant notaires de petites sommes d’argent, allant de 80 livres à 434 livres, souvent pour permettre l’achat de bétail. C’est qu’il en fait commerce, étant qualifié parfois de marchand laboureur dans les actes. En 1781 il vend deux paires de bœufs au Herbiers pour 235 livres. Il loue le bétail à des pauvres bordiers ou laboureurs, 7 fois entre 1775 et 1790. Là encore les capitaux engagés sont faibles : de 46 livres pour une vache à 160 livres pour « 4 vaches de différents poils, dont 1 d’âge inconnu, 2 âgées de 4 ans et 1 de 3 ans, plus une nogesse d’1 an poil marron et 1 taureau de 2 ans au poil châtain » (13). Ces baux de cheptel étaient à partage à moitié du croît et des pertes, donc du risque entre le bailleur et le preneur dans la même proportion.
En 1787, Mathurin Herbreteau a quitté Linières pour s’installer à la Morelière voisine, une autre métairie du domaine de Linières (14). Il a remplacé les Fonteneau, qui demeuraient à la Gagnollière (Essarts) en 1793 (15), aussi du domaine de Linières. Mathurin Herbreteau a été « tué par les républicains pendant la guerre civile, laboureur demeurant à la métairie de la Morelière », le 15 septembre 1793 (1er registre clandestin, vue 15 de l'état-civil numérisé de Saint-André aux Archives de Vendée). Il y vivait avec son fils Jacques, marié à Saint-André en 1789 (vue 231) avec Marie Masson, et qui y est décédé le 10 messidor an 9 (29-6-1801) (vue 27). Quand la dame de Linières rachète Linières le 1e août 1796, le métayer de la Morelière s’appelle Jean Herbreteau, très probablement le frère de Mathurin et l’oncle de Jacques, car le métayer de Linières est alors André Chatry.
La Morelière tiraillée entre Saint-André Goule d’Oie et Chauché aux 19e et 20e siècles
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Louis XVIII |
La commune de rattachement de la Morelière a posé problème après la Révolution, les terres de la métairie s’étendant à la fois sur les communes de Saint-André-Goule-d’Oie et de Chauché. La taxe foncière devait-elle aller dans la caisse du receveur de Saint-André ou dans celle de celui de Chauché ? Les deux communes la prélevèrent en même temps sur quelques parcelles foncières, au détriment du propriétaire du domaine de Linières, alors Joseph Guyet. Il fit des démarches jusqu’en juillet 1817, qui finirent par aboutir. Une ordonnance du 10 janvier 1818, signée du roi Louis XVIII, décida que la partie foncière litigieuse imposée par les deux communes, des bâtiments de la Morelière ainsi que quelques terres, se trouvaient dans la commune de Saint-André-Goule-d’Oie (16). Un roi pour signer une limite de communes à la Morelière, c’est peu banal. L’État centralisé créé par les jacobins de la
Révolution n’avait rien à envier à la centralisation monarchique en effet. On
était dans la continuité.
Le 1e janvier 1980, la commune de Saint-André-Goule-d’Oie a donné à celle de Chauché l’essentiel de la métairie de la Morelière (38 ha) avec tout le village, et a reçu en échange 21 ha de terres situées à la sortie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, sur la route des Essarts et provenant de Chauché. Il s’agissait pour elle de se donner le moyen d’un accroissement de l’urbanisation autour de son bourg. Le préfet a alors suffi pour entériner l’accord des deux communes.
La métairie et ses métayers au 19e siècle
Jean Guyet, régisseur de Linières et cousin de son propriétaire Joseph Guyet, afferme la métairie de la Morelière le 28 mars 1806 pour 3 ans (1807-1810) à Jacques Sorin et René Sorin père et fils, laboureurs demeurant à la Fortière en la commune de Chauché. Ces derniers remplacent les colons (métayers) Masson et Millasseau. Le bail est à partage de fruits à moitié, avec l’engagement des preneurs de maintenir sur la métairie un nombre d’hommes suffisant pour son exploitation. Les bestiaux nécessaires au trait seront fournis moitié par moitié entre le bailleur et les preneurs, ainsi que les engrais. Il en sera de même pour les semences à hauteur de 25 boisseaux de toutes espèces de grains, le surplus étant fourni par les preneurs pour emblaver (ensemencer) les terres. Comme sous l’Ancien Régime avec ses redevances seigneuriales et impôts, les preneurs acquitteront toutes les impositions foncières qui seront prélevées sur la métairie sous quelques dénominations qu’elles puissent être (taxe foncière) et à quelles que sommes elles puissent se monter, « même sous le titre de subvention de guerre ». Les menus suffrages consistaient en la moitié des oies qui seront élevées chaque année sur la métairie, 12 poulets à la Saint-Jean, 6 chapons gras à noël, 15 livres de beurre au mois de mai, et une somme de 30 F en numéraire par an pour tenir lieu d’un cochon de lait. Les preneurs à ferme sont sujets à toutes corvées envers le bailleur tant d’hommes que bœufs et charrettes. Ces corvées, limitées dans leur nombre par l’usage, avaient ici un fondement contractuel, mais elles prolongeaient celles relevant du droit seigneurial qui avaient été supprimées avant 1550 comme nous l’avons déjà constaté plus haut. Enfin il est convenu que le revenu annuel de la métairie est de 240 F, montant nettement sous-estimé servant à être déclaré à l’administration de l’Enregistrement à la Roche-sur-Yon (17).
Le 22 septembre 1812 Jean Guyet signe un nouveau bail pour 5 ans (1813-1818) avec de nouveaux métayers : André, Jean et Pierre Fonteneau, laboureurs venant de la Boutarlière (Chauché) et remplaçant les Sorin. Il s’agit du même type de bail à partage de fruits, avec de légères évolutions. Les semences de froment seront fournies moitié par moitié entre les parties au bail, mais les autres semences seront fournies par les preneurs seuls. Les menus suffrages sont les mêmes sauf pour le beurre, 30 livres au lieu de 15, et 18 F au lieu de 30 F pour le cochon de lait. Le revenu annuel de la métairie est descendu à 200 F, signe d’une période de mauvaises années (18). Le 28 mars 1817 le même régisseur signe un nouveau bail pour 5 ans (1818-1823) avec de nouveaux métayers : Jean Biret, Jean Pierre et Mathurin Biret, demeurant ensemble à la Clavelière (Saint-Fulgent). Les clauses sont les mêmes que précédemment, avec la même valeur de 200 F d’estimation du revenu annuel. Les menus suffrages sont de 30 livres de beurre, 6 chapons et 12 poulets (19). Jean Biret était marié à Madeleine Gallot. Ils eurent Louis, né à Saint-André le 8 mars 1830 (vue 235).
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La Morelière (2019)
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Les Biret seront renouvelés dans un autre bail à la Morelière, et le 15 mars 1830 c’est Pierre Biret qui s’engage à nouveau pour 5 ans (1830-1835) « tant en son nom qu’en ceux de ses frères et belles-sœurs demeurant en société avec lui ». Le régisseur étant décédé, Joseph Guyet, résidant à Paris, a nommé comme fondé de pouvoir Joseph Alexandre Gourraud, juge de paix du canton de Saint-Fulgent demeurant à Chavagnes, et son cousin par alliance. Cette fois le bail est à prix d’argent, avec un fermage annuel de 1 100 F à terme échu. Joseph Guyet avait affermé toutes ses métairies à prix d’argent et la Morelière restait la dernière à ne pas l’être. Un des enjeux de ce type de bail consistait pour le métayer à posséder le cheptel, comme de nos jours il possède son tracteur agricole. Pour cela Joseph Guyet avait vendu à crédit sa part dans les cheptels. Si le revenu du propriétaire passe de 200 F par an en 1823 à 1100 F par an en 1830, l’inflation des prix compte pour peu, et la prise en compte de la réalité du vrai revenu pour beaucoup évidemment. Les menus suffrages sont « toute la cire que donneront les abeilles s’il y en a sur la métairie, laquelle sera fondue et mise à l’état de cire jaune et pain suivant l’usage, laquelle charge est évaluée 3 francs par an pour l’Enregistrement seulement ; ils donneront aussi, outre le prix fixé et à titre de menus suffrages, 20 livres de beurre au mois de mai de chaque année ; le bailleur aura le choix de se faire livrer en nature ou payer la somme de 10 francs par an, 6 poulets ou 3 francs, 4 chapons ou 4 francs, aussi au choix du propriétaire ; les poulets se donneront ou paieront à la Saint-Jean et les chapons à Noël ». Le rédacteur de l’acte étant juge de paix, on voit poindre son expérience quand il écrit que les preneurs à bail « ne pourront point chasser sur la métairie, ni tendre cages, lacets, cordes et pièges, ni rien qui puisse détruire le gibier ; ils ne laisseront chasser personne sans la permission du bailleur » (20).
Joseph Guyet est mort à Paris le 30 mai 1830 et son fils, Benjamin Guyet-Desfontaines, désigna le même juge de paix du canton de Saint-Fulgent pour faire la déclaration de succession au bureau de Montaigu, le 2 novembre 1830, pour ses propriétés situées dans le canton de Saint-Fulgent (no 227, vue 67 sur le site internet des Archives départementales de la Vendée). La Morelière est déclarée pour une valeur de 736 F, probablement sa valeur cadastrale, qui est un barème fiscal propre aux terres agricoles. Les droits de succession étaient alors de 1 % calculés sur la valeur du bien, égale à 20 fois le revenu annuel.
Benjamin Guyet-Desfontaines est décédé à Paris le 22 avril 1857, et sa légataire universelle, son épouse, désigna comme fondé de pouvoir Hyacinthe Narcisse Legras de Grandcourt, lieutenant-colonel en retraite à Saint-Fulgent et cousin par alliance, lequel envoya le secrétaire de mairie de Montaigu, faire la déclaration au bureau de Montaigu le 5 octobre 1857 (vue 98 à 101 au premier registre et vues 2 à 7 au deuxième registre suivant). La métairie de la Morelière est décrite pour chacune des communes de Saint-André Goule d’Oie et de Chauché par ses 76 parcelles cadastrales, avec leurs surfaces, leurs appellations et leurs montants de revenu. Au total on a 42 ha à Saint-André et 11 ha à Chauché.
Lors du décès de son épouse en 1868, née Antigone Pineu Duval, sa succession fut déclarée au bureau de Montaigu le 7 avril 1869 (no 188, vue 95). La métairie de la Morelière contient alors 55 ha. Et on apprend qu’elle est affermée à la famille Onillon, moyennant une ferme annuelle de 2 535 F.
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Hyacinthe Narcisse Legras de Grandcourt
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En 1870 fut effectué un état des lieux entre le fermier sortant, Pierre Drapeau, et le fermier entrant, Onillon, associé au bailleur représenté par Hyacinthe Narcisse Legras de Grandcourt. Le procès-verbal de la visite nous donne des informations sur l’habitation des métayers et sur les activités agricoles (21). Au rez-de-chaussée il y avait 6 pièces et un corridor : une pièce à vivre, deux chambres, un cellier, un fournil et une laiterie. La pièce à vivre a deux fenêtres à carreaux, un potager (rangement), un foyer (cheminée) en pierres brutes, « les murs sont blanchis à la chaux et le sol en terre mal uni ». La chambre supplémentaire possède aussi sa cheminée et ses murs sont blanchis. En revanche l’autre chambre à côté du cellier a des murs non blanchis. Le fournil avec son four carrelé (où on faisait cuire son pain), possédait un âtre et un fourneau de forge. À l’étage, on trouve deux greniers dont les murs sont en bousillage (torchis) et deux autres greniers bâtis en dur avec carrelage au sol et une ouverture chacune avec un contrevent seulement. Ces greniers servaient à entreposer les récoltes, et on y triait les grains avant livraison pour leur donner une valeur marchande. Il fallait en particulier enlever les graines de mauvaises herbes mélangées aux grains des céréales après la moisson. Nous avons là un nombre important de pièces en relation avec une métairie importante, quand on la compare avec la modestie des maisons des nombreux petits bordiers propriétaires à cette époque.
Le recensement de population en 1872 à Saint-André-Goule-d’Oie (vue 27) nous donne le nom des personnes vivant dans cet espace. René Onillon a 62 ans et sa femme, Marie Anne Bordet, 55 ans. Ils ont quatre enfants qui vivent aussi sous leur toit : Véronique (26 ans), Augustine (21 ans), Julie (17 ans) et François (23 ans). Avec eux sont aussi logés trois domestiques : Augustin Retailleau (17 ans), François Gouraud (25 ans) et Pierre Metereau (17 ans). Ainsi ces neuf personnes dorment dans trois pièces. Nous savons par ailleurs que des lits à quenouilles s’entassaient dans ces pièces chauffées avec le feu de la cheminée, et que la disposition de ces lits par rapport à l’âtre privilégiait la hiérarchie sociale de l’époque : les anciens d’abord, puis le fils aîné, puis les filles, puis les garçons. Les valets et domestiques avaient le même confort, parfois le même lit, que les filles et les garçons. Les colonnes des lits (appelées quenouilles) supportaient une planche en bois, d’où tombaient des rideaux (22).
Le rapport des experts énumère ensuite les bâtiments d’exploitation, qui comprennent : la volaillère, le toit à porcs, le toit aux oies, un autre petit toit à côté de la maison, le toit aux bœufs et le toit aux vaches, avec chacun : crèche, râteliers et grange à foin. Dans la même bâtisse que le toit aux vaches, on trouve le toit aux moutons et le toit à la jument, séparés par des clions (cloison légère en bois). L’énumération succincte des 60 parcelles de champs, pacages (prés) et jardin nous apprend qu’on cultivait le lin d’été, le lin d’hiver, le blé, l’avoine, le colza, l’orge, la jarosse (plante fourragère), le trèfle. Deux pièces de terre seulement sont notées en état de lande. Plus de jachère ni de friches : les plantes fourragères ont fait leur apparition pour nourrir le bétail, véritable bon en avant pour l’agriculture au milieu du 19e siècle, dû à l’apparition de l’engrais, particulièrement le chaulage de ces terres acides.
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Megret : Buste d’Amaury-Duval
(musée Rolin d’Autun)
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La déclaration de succession au bureau de Montaigu le 13 décembre 1875 (no 230, vue 112), de Marcel de Brayer, propriétaire de Linières, indique que la Morelière contient toujours 55 ha, avec un revenu annuel de 2 790 F. En comparant en cette année 1875 les loyers des métairies de l’amenage de Linières, on constate que la Morelière fait partie des métairies dont le fermage se situe autour de 50 F l’hectare, alors que d’autres sont de moins bons rapports, autour de 43 F l’hectare (Noues, Linières, Guérinière).
Lors du décès en 1885 du propriétaire suivant, Amaury-Duval, sa succession est déclarée au bureau de Saint-Fulgent le 25 juin 1886 (vue 57). La Morelière, toujours affermée aux Onillon, est évaluée à 3 165 F de revenu annuel. La veuve de Guyet-Desfontaines a dû payer un droit de 3 % de la valeur des biens en 1868. Pour le grand-oncle Amaury-Duval, héritant de son petit-neveu, les droits ont été de 7% calculés sur la même base. On sait que pour des legs faits dans un testament à des personnes sans lien de parenté avec le testateur, les droits s’élevaient à 11 % (23). En 1889 la Morelière a un revenu annuel de 3 227 F, avec les mêmes métayers les Onillon, (déclaration de succession d’Eugène Raffard de Marcillly au bureau de Saint-Fulgent le 27-11-1889, vue 3).
Après la banqueroute de Gaston de Marcilly, fils du précédent, le domaine de Linières fut vendu aux enchères publiques en 1897 par le tribunal civil de première instance de la Roche-sur-Yon. L’ensemble ne comptait plus alors que 418 hectares, avec 8 corps de ferme (24). Le cahier des charges de l’adjudication
de la vente au tribunal en 1897 décrit les parcelles de la Morelière, au nombre
de 55 pour 48 hectares cultivés. Les prés et pâtures représentait une
surface de 23 %, la culture des céréales en représentait 38 %, où dominait le
froment, suivi de l’avoine. La surface la plus importante était occupée par les
cultures de plantes fourragères, soit 39 %, surtout les choux et le trèfle. Et
on y cultivait aussi un peu d’autres : rèbes, garobe (vesce), carottes, et
coupage. Ce dernier était un mélange de graines (colza, garobe, luzerne par
exemple), et les plantes étaient coupées à la fin du printemps (25). On voit ainsi la prépondérance de
l’élevage, comme dans les autres métairies du domaine de Linières à cette
époque. L'acquéreur en 1897, Augustin Auriault, revendit 10 mois après son acquisition en 1898 le domaine de Linières, après avoir vendu entre temps 3 fermes. Il ne restait plus que 300 ha et 5 fermes, dont la Morelière, quand Louis de la Boutetière l’acquit en 1898. En 1907 celui-ci signa un renouvellement de bail pour 7 ans (1907-1914) avec François Onillon père et son épouse Marie David (26). La surface de la métairie n’est plus que de 36 ha. Soit les 19 hectares manquantes font l’objet d’une autre ferme, soit ils ont été vendus, les deux hypothèses étant vraisemblables. C’est que l’augmentation sensible de la productivité agricole a conduit à diviser les grandes métairies parfois pour mieux augmenter les revenus. Avec la diminution de la surface, le prix de ferme est en ce début du 20e siècle de 2 300 F par an, auquel s’ajoutent les impôts fonciers payés par les preneurs (200 F) et les menus suffrages (4 kg de beurre, 6 poulets et 3 hectolitres d’avoine, estimé en tout 30 F).
Louis de la Boutetière vint habiter sur place à Linières, puis déménagea au lieu-dit de la Boutetière à Saint-Philbert-de-Pont-Charrault en 1911, suite au départ de son frère aîné qui l’habitait auparavant (27). Il décida de vendre Linières, donnant mandat à cet effet à un nommé Richard, habitant de Poitiers. Celui-ci demanda à un marchand de biens, Libaud demeurant à Luçon, d’organiser la vente, lequel s’associa à un expert de Saint-Fulgent, nommé Gilbert. Libaud procéda à une vente au détail des métairies, et à la fin le château de Linières lui resta sur les bras. Richard l’acquit lui-même pour le vendre à la construction. La démolition du château fut surveillée sur place par MM. Gilbert et Fonteneau, demeurant au bourg de Saint-Fulgent (28). François Onillon et ses fils achetèrent 20 ha de la métairie de la Morelière pour 33 400 F le 16 octobre 1911 (29). Et en 1932 la mairie de Saint-André vendit deux
chemins inutiles pour la commune situés à la Morelière à la veuve Onillon. Ils
totalisaient 4 ares 58 centiares et furent estimés 274, 80 F (30).
(1) Aveu du 7-3-1509 de la Boutarlière aux Essarts, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 95.
(2) Archives de Vendée, Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée, A. Bitton, Naissance des fiefs, juridictions Bas-Poitevines et liste des droits de fief en Poitou 1889, page 109 et s. vue 70.
(3) Aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par Languiller aux Essarts – deuxième copie reproduisant un aveu de 1550, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61.
(4) Foi et hommage du 12-4-1519 d’André Landois au Coin Foucaud pour la Boninière, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 18.
(5) Note sur la Morelière à
Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(6) Saisie du 28-9-1675 de Linières appartenant à Claude Legras, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 17.
(7) Vente par adjudication de
Linières le 6 avril 1897, Archives de Vendée, cahier des charges des
adjudications (1897-1039) : U 1-354, pages 122 à 125 et 137 à 158.
(8) Inventaire et partage du 1-4-1703 de la
succession de Jeanne Jeullin, veuve Merland, Archives de Vendée, famille Babin
et Cicoteau : 25 J/4, page 20.
(12) Assise de Languiller en 1752,
Ibidem : 150 J/M 37, pages 20 à 24.
(13) Bail à cheptel du 30-5-1775 de Mathurin Herbreteau (Linières) à André Braud (Chaunière de Saint-Fulgent), Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Bellet : 3 E 30/126.
(14) Ibidem. Bellet : 3 E 30/129, bail à cheptel de fer du 17-4-1786, pour Mathurin Herbreteau de Linières. Et Ibidem. Bellet : 3 E 30/129, arrentement du 19-9-1787, de 180 £ pour Mathurin Herbreteau de la Morelière.
(15) Baptême de Jacques Fonteneau le 12-4-1793 à Saint-André-Goule-d’Oie, inscrit en supplément sur le registre paroissial de 1792 vue 28.
(16) Dossier de délimitation de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives départementales de la Vendée : 1 M 290.
(17) Bail de la Morelière du 28-3-1806 à colonage partiaire de Jean Guyet à Sorin, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138.
(18) 3 E 30/138, bail de la Morelière du 22-9-1812 à colonage partiaire de Jean Guyet aux Fonteneau.
(19) 3 E 30/138, bail de la Morelière du 28-3-1817 à colonage partiaire de Jean Guyet aux Biret.
(20) 3 E 30/138, bail de la Morelière du 15-3-1830 à prix d’argent de Joseph Gourraud à Pierre Biret.
(21) Archives privées E. François.
(22) Ferdinand Charpentier, Chez nous en 1793, Saint-André-Goule-d'Oie, récits d'un vieux Vendéen, 1906, Arch. dép. Vendée : BIB A 632.
(23) Actes testamentaires de Laure Longuemare, veuve Charles Louis Guyet, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/850.
(24) Vente sur saisie immobilière du domaine de Linières Archives de la Vendée, L’Avenir et l’Indicateur de la Vendée du dimanche 7 mars 1897 no 28 : 4Num 366/13, page 4.
(25) Idem (7).
(26) Idem (21).
(27) Emmanuel François, Les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie, Lulu.com (2012), page 255.
(28) Témoignages de Mme de Hargues et de Mme veuve Fonteneau, née Gilbert, en 1794, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3.
(29) Répertoire des formalités des hypothèques des ventes en 1911 chez le notaire Robain de Chantonnay, Archives de Vendée.
(30) Revenus et Charges, vente
de terrains communaux 1882-1932, mairie de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives de
Vendée : 1 Ǿ 633.
Emmanuel François, tous droits réservés
Février 2019, complété en janvier 2023
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