vendredi 1 mars 2019

La construction de la nouvelle église à Saint-André-Goule-d’Oie (1875)

L’actuelle église paroissiale de Saint-André-Goule-d’Oie a été construite en 1875/1876, à la place de l’ancienne, décalée vers l’ouest de quelques mètres semble-t-il sur un terrain de 8 ares (1). L’adjudicataire a été désigné le 3 septembre 1874 (2), et dans une lettre à Amaury-Duval du 7 mai 1875 le curé Martin écrit au sujet de la nouvelle église : « Elle s’élève rapidement, nous voici déjà rendus à la naissance des croisées » (espaces des vitraux) (3). On sait que l’église a été bénite le 19 août 1877 (4).

L’ancienne église


L’ancienne église n’était qu’une simple chapelle qui fut agrandie plus tard par l’addition de deux bras de croix. Elle était devenue insuffisante à cause de l’augmentation de la population (1525 habitants). Elle avait une surface totale de 230 m2, dont 185 m2 seulement pour les fidèles, une fois déduits le chœur, les petits autels et les fonds baptismaux, soit pour 500 d’entre eux environ, alors qu’ils sont au moins 1000 si les 2/3 des habitants assistent aux offices. Sa disposition rendait son agrandissement impossible (5). L’architecte du département, Victor Clair, qui a supervisé les travaux de construction, avait réalisé en juillet 1873 un plan de l’ancienne église (6). D’origine vosgienne, il dressa environ 50 plans d’édifices religieux en Vendée (7).

Plan de l’ancienne église (1873) 
(Archives paroissiales : 28-I Église et bâtiments)

Dans cette coupe longitudinale l’entrée par la nef, côté sud (gauche sur le plan ci-contre), ne comprend pas le ballet (auvent) mentionné dans la description de l’église en 1796 : « la ci-devant église dudit lieu, sacristie et ballet en dépendant, le tout se joignant » (8). Le texte ne dit pas où se situe le ballet, mais les côtés nord et est étant occupés par le presbytère on le suppose plutôt côté sud. Le plan ne fait pas apparaître le presbytère non plus, situé à l’avant de cette coupe de la seule église, ainsi que le bâtiment de servitude du presbytère adossé à l’église, côté nord. Dans le plan de masse ci-dessous la tour à droite de l’entrée est bien représentée, avec un mur extérieur la joignant. Ce mur fut construit ou reconstruit en 1815 pour fermer une petite place devant l’église et le presbytère, où se trouvait un calvaire (9). On voit la sacristie prolongeant le chœur sur son côté nord. De plus, on sait que le sol de l’église avait un carrelage refait en 1764 (10) et réparé en 1856 suivant la comptabilité de la fabrique cette année-là. La charpente avait été en partie changée ainsi que des lambris en 1843 et on avait installé deux nouveaux retables dans les deux chapelles de l’église (11). Ses murs étaient blanchis à la chaux comme ceux du presbytère (blanchissage en 1847). En 1850 on fit venir des ardoises de Nantes et réparer la charpente de la sacristie. L’érection d’un chemin de croix dans l’église de Saint-André avait été autorisée par l’évêché le 10 janvier 1846 (12).

Plan de l’ancienne église (1873)
(Archives paroissiales : 28-I Église et bâtiments)

Le financement de la construction de la nouvelle église



L’épiscopat avait encouragé la fabrique à faire des économies dès 1866 en vue d’une reconstruction. Une souscription fut lancée auprès des paroissiens pour la construction de la nouvelle église. On fit les comptes le 6 juillet 1873 et 286 chefs de famille répondirent à l’appel pour un montant total de 23 570 F (13). On peut penser que presque tout le monde participa. Les archives gardent leurs noms et prénoms, professions, lieux d’habitations et montants donnés. Cette transparence est révélatrice de certains traits des relations dans ce milieu à cette époque : simplicité et solidarité. Il y eut 2 anonymes. Les 6 plus gros donateurs s’engagèrent pour 41 % du total de la contribution, les 55 gros donateurs suivants pour 37 %, et les 225 petits donateurs pour 22 % de ce total. Voyons les plus gros donateurs :
-        Isidore Martin, curé né aux Herbiers d’un père marchand : 3 000 F
-        Pierre Fonteneau, de la Jaumarière, est trésorier de la fabrique et adjoint au maire. Il habitera le bourg plus tard et sera maire de la commune à l’été 1875. Il donna 2 000 F
-        Marcel de Brayer, maire et propriétaire de Linières : 1 500 F
-        Angélique Loizeau, veuve de Jean André Chaigneau du Coudray, cousine de François Cougnon fils : 1500 F
-        Henriette Papin, belle-fille de la précédente et veuve de Jean François Chaigneau du Coudray. Ce dernier fut maire 6 mois en 1869, et est mort à 35 ans. Elle finança aussi le vitrail de la Vierge et donna pour la construction de l’église 1 200 F
-        Augustine Fluzeau, veuve Rochereau de la Brossière, fille de François Fluzeau, capitaine dans l’armée vendéenne, ancien agent de la commune en 1796 et adjoint au maire à partir de 1800. Son mari était le fils de l’ancien maire (1835-1848), Pierre Rochereau. Elle donna 500 F.
P    Parmi les petits donateurs on relève que les métayers de Linières, Jean Rabau et Marie Payraudeau, veuve Brochard, ont donné chacunn 25 F. Le jardinier du château, Stanislas Rouleau, a donné 18 F.

Les dirigeants de la fabrique établirent une liste des donateurs avec les montants souscrits et l’étalement des paiements en 3 versements d’ici à 1876 (14). Le 1e paiement aura lieu quand les murs de la nouvelle église seront hors de terre, le second sera fait une année après le premier, et le dernier une année entière après le second (15). Cette liste a été conservée dans les archives, et on voit quelques défauts de paiements minimes qui durent être compensés. A titre d’exemple on a Jean François (fils), mon aïeul de la Boninière, qui avait souscrit 25 F et qui ne paya que 10 F au premier paiement à cause de son décès peu de temps après. Son père Jean François avait souscrit 25 F et paya 8,5 F au 1e paiement et 16,5 F au 2e.

Initiales de Marcel de Brayer dans le parc
du château de Linières
(photo Jean Caillé en juin 1974)
Des appels d’offres ont été affichés dans les communes voisines au cours de l’été sur un devis des travaux de 72 313 F. Et le 3 septembre 1874, se sont réunis au presbytère sous la présidence du président du conseil de fabrique, assisté du curé et du maire, le conseil de fabrique et le conseil municipal. Une seule soumission avait été déposée par le sieur Tilleau de Mortagne, offrant 1 % de rabais. En conséquence ce dernier a été déclaré adjudicataire, et le montant du devis d’adjudication qui était de 72 313 F a été réduit à 71 589,87 F. Suivent les signatures de Marcel de Brayer (maire), du curé et du vicaire et 11 autres édiles (16). C’est le même entrepreneur Tilleau qui construira l’escalier d’entrée du château de Linières devant la cour avec sa terrasse en grandes dalles de Charente (17). La commission départementale des bâtiments civils, dans sa séance du 16 août 1873, a émis un avis favorable au projet de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie et à son style néo-gothique (18).

Le devis d’adjudication, majoré des honoraires d’architecte, se montait à 75 883 F. On disposait de 23 570 F de souscriptions, de 16 219 F de disponibles dans la caisse de la fabrique, augmenté d’un excédent prévu des exercices 1873 à 1876 de 10 000 F, et d’un emprunt de 10 500 F à 5 % d’intérêt sur 10 ans auprès de Pierre Fonteneau, déjà évoqué parmi les souscripteurs. Son prêt se comprend par l’absence de banque dans les campagnes. Il fut autorisé par décret du président de la République, le maréchal de Mac Mahon, signé à Versailles le 9 juillet 1874, suivant l’organisation constitutionnelle de l’époque (19). Au total on disposait de 60 289 F. On demanda une subvention au ministère de l’Intérieur de 15 594 F pour atteindre le montant du devis. Il n’accorda que 10 000 F et on manqua d’argent (20). La commune n’a pas participé au financement, ayant alors la charge d’un montant de 24 centimes additionnels aux quatre contributions, pour la construction des routes et de l’école des garçons à la même époque. Dans une lettre du 1er mars 1874 au maire de Saint-André, le ministre du culte lui indique que « le projet, quoique bien conçu, pourrait être amélioré dans quelques-uns de ses détails. Il y a donc lieu de recommander à l’architecte les modifications suivantes … ». Suivent 10 conseils techniques remarquables de précision, dont on ne sait pas s’ils furent pris en compte par l’architecte du département (21). Voilà bien un ministère qui poussait loin la pratique de centralisation administrative.

Surtout le devis initial fut dépassé de 24 %, et le décompte général définitif du 15 novembre 1878 des travaux de construction de l’église s’éleva à 93 940 F (22). On trouva de nouvelles ressources. De gros donateurs s’engagèrent sur un complément de souscription de 7 840 F : de Brayer (2 000 F), la veuve Chaigneau (2 400 F), Jean Louis Charpentier, curé de Luçon et originaire du Clouin (1 390 F), Bordron de la Boutarlière (1 200 F), Charles de Tinguy du Pouët du bourg (850 F). Si bien qu’au total le montant des souscriptions s’éleva à 31 410 F (23).

On fit appel aux paroissiens pour des emprunts sans intérêts dans les années 1876, 1877, 1878 et 1879 sur des montants très variables et totalisant au moins 12 650 F suivant la documentation laissée, mais on soupçonne un montant plus élevé (24). La durée des prêts n’est pas précisée. Dans ces emprunts on comprit un emprunt de 2 000 F à la caisse des messes du curé. Elle disposait toujours de sommes d’argent données d’avance. L’opération fut faite « du consentement des donateurs, à la condition que les défunts n’en souffriraient pas, et que les messes qui doivent être chantées pour eux seraient chantées à leur tour, à la condition aussi que cette somme serait remise dans la caisse des messes aussitôt que la fabrique pourrait la rendre » (25). Les morts, on le voit, avaient leur mot à dire. On pourrait en sourire, mais ce serait oublier leur présence dans l’esprit de leurs familiers en vie et la vitalité de la religion. Pour favoriser la souscription il fut décidé que pour chaque somme de 25 F qui serait donnée pour la construction de la nouvelle église, une messe serait chantée aux frais de la fabrique, pour le donateur ou la donatrice après son décès. Les prêteurs sans intérêt seront regardés comme prêtant à 5 %, et faisant don à l’église de l’intérêt qui leur serait dû naturellement. Et dès lors toute personne à qui il serait dû 25 F d’intérêt aura droit à une messe comme bienfaiteur de l’église et à autant de messes qu’elle serait censée avoir gagné en intérêt de sommes de 25 F. Et certains des prêteurs déclarèrent qu’ils abandonnaient les sommes prêtées pour faire chanter des messes pour elles après leur mort.

Église de Saint-André-Goule-d’Oie
Et puis il y a le cas particulier de Mme veuve Jean François Chaigneau du Coudray, « qui a donné à la fabrique la somme de 1 500 F à condition que chaque année, à perpétuité, un service de 2e classe et une messe serait chantée pour François Cougnon fils du Coudray, son cousin décédé en 1858. La fabrique, ayant besoin d’argent pour l’église, a inscrit cette somme au commencement de la construction de l’église parmi ses recettes du consentement de la donatrice, en lui promettant de faire célébrer le service et la messe avec les  intérêts de la somme de 1 500 F. Elle a promis aussi de placer sur l’État une somme suffisante pour faire le service et la messe dès que les dettes seront acquittées, et de faire tout approuver par l’autorité compétente. » (25). Ce cousin de la veuve Chaigneau, François Cougnon fils, était mort sans descendance et ses biens allèrent aux Chaigneau et Rochereau, à une époque où les droits de succession entre cousins n’étaient pas confiscatoires. 

Dans la séance du 6 avril 1902 du conseil de fabrique, « M. le curé fait observer que l’emprunt pour la construction de l’église étant remboursé intégralement, il reste encore à la fabrique à remplir l’engagement qu’elle avait pris de faire chanter une messe des bienfaiteurs par chaque somme de 25 F prêtée pour la construction de l’église. Il propose en conséquence au conseil de voter un crédit pour s’acquitter de cette dette. Le conseil à l’unanimité reconnaît cet engagement prit au début de la construction de l’église et décide que chaque année il sera ouvert au budget un crédit spécial pour faire acquitter ces messes dites « messes de bienfaiteurs » jusqu’à concurrence de la somme de 3 444 F » (26).

Le 2 décembre 1926, le curé Leboeuf, constatant l’inflation des prix, conséquence directe de la première guerre mondiale, fit une demande à leur sujet au vicaire général de l’évêché de Luçon. Il écrit : « Après la construction de l’église paroissiale de Saint-André, la fabrique a assumé la charge de faire célébrer, pour les bienfaiteurs ayant versé une somme importante en faveur de l’édification de l’église, des messes chantées aux honoraires de 3 F. D’après le relevé que je viens de faire, le total de ces messes s’élève à la somme 3 888 F, soit 1296 messes chantées à 3 F l’une. Monseigneur, je vous prie de bien vouloir demander à sa grandeur Mgr l’évêque de Luçon, de convertir ces messes chantées à 3 F en messes chantées à 15 F. Elles seraient annoncées pour les bienfaiteurs vivants et défunts de l’église » (27). Dans sa réponse du 8 mars 1927, Mgr Mercier, vicaire général de l’évêché de Luçon, indiqua au curé de Saint-André : « Mgr a obtenu du Saint Siège, par indult (dérogation), que l’église de Saint-André-Goule-d’Oie puisse acquitter son obligation de messes pour les bienfaiteurs défunts en faisant célébrer des messes basses, et au plus tôt, en aussi grand nombre que le comporte la somme à laquelle s’élevait le total des honoraires de ces messes à l’époque où elles ont été promises, c’est-à-dire si je ne me trompe 1296 messes à 3 F l’une : 3 888 F. L’évêché est en mesure de faire célébrer ces messes sans délai par des prêtres du diocèse aussitôt que vous pourrez en verser les honoraires. Ainsi se trouvera à peu près régularisé, au point de vue de la religion et de la justice la situation de la fabrique de votre paroisse. Vous en aurez été le bon ouvrier » (28). Il n’existait plus de fabrique à cette époque, mais des associations cultuelles qui en tenaient lieu. Les messes chantées avaient été transformées en messes basses et leur nombre maintenu.

Église de Saint-André-Goule-d’Oie
Pour terminer il est intéressant de relever la synthèse du décompte des dépenses pour la construction de l’église dressé par l’architecte le 15 novembre 1878 :
Chapitre 1 : Église : 76 980,47 F
Chapitre 2 : Beffroi : 8 234,05 F
Chapitre 3 : Sacristie et couloirs : 4 585,29 F
Chapitre 4 : Beffroi et palier : 571,45 F
Ensemble : 90 371,26 F
À déduire rabais 1 % : 903,70 F
Reste : 89 467,56 F
Honoraires 5 % : 4 473,37 F
Total général : 93 940,93 F (29).

Les vitraux et les cloches



Cette somme ne comprend pas les vitraux payés par les paroissiens. On lit dans les comptes de la fabrique : « L’argent donné pour les vitraux est dans la caisse de la fabrique dans une boite à part. » (30) Dans une lettre du 7 mai 1875, le curé écrit au maire à Paris, le comte Marcel de Brayer : « Mes paroissiens vont me payer mes vitraux. Je pense que je n’en aurai pas assez à leur offrir. Sur onze croisées qu’il y aura dans la première partie de l’église, neuf m’ont déjà été promises. Il ne m’en reste plus qu’une d’un bas prix, qui sera au-dessus d’une petite porte d’entrée, et une des plus belles que je réserve pour M. le comte. Elle sera placée dans le transept du côté droit, en entrant dans l’église (autel de saint Joseph). En face sera un vitrail de même grandeur qui sera payée par Mme veuve Chaigneau du Coudray (autel de la Vierge) » (31). On peut toujours voir les noms des familles donatrices gravés en bas de chaque vitrail. Le vitrail du châtelain de Linières représente la sainte famille occupée au travail, et dans sa partie basse, on remarque deux blasons. À droite c’est celui du général Michel de Brayer (1769-1840), que Napoléon avait fait comte, le grand-père de Marcel de Brayer. À gauche est le blason d’Amilcar de Brayer (1813-1870), oncle de Marcel de Brayer, lequel avait hérité de son titre. Voir notre article publié sur ce site en janvier 2011 : De Brayer et la nouvelle église de Saint-André-Goule-d’Oie. 

Dans sa séance du 1e juillet 1883 le conseil de fabrique a décidé d’augmenter la somme assurée au titre de l’incendie de l’église de 10 000 F pour la porter à 130 000 F. On lit dans le procès-verbal que l’église « a coûté tout compris avec les meubles qui sont immeubles par destination 130 000 F » (32). Ces immeubles par destination étaient les autels, fonds baptismaux, cloches, etc.

Église de Saint-André-Goule-d’Oie
Les deux cloches de l’ancienne église furent récupérées dans l’église neuve. L’une était très récente, bénite par l’abbé Louis Charpentier, archiprêtre de l’église de Luçon. Il en avait été autorisé par l’évêque le 27 avril 1873 à la demande de l’abbé Isidore Martin, curé de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie (33). N’était-il pas originaire du Clouin et archiprêtre de Luçon ? C’est encore lui qui bénit les 4 nouvelles cloches de l’église le 19 septembre 1893. À cette occasion, un chant fut composé exprès pour la cérémonie, où il est appelé « le grand prêtre ». Au sein de l’Église catholique on ne parle pas de réussite sociale, mais cet archiprêtre était quand même une fierté locale.

Son auteur était l’abbé Chatry, curé de Saint-Mesmin et surtout originaire de la Courpière (Saint-Fulgent), dont la famille était bien connue à Saint-André. Il a écrit ces mots : « Et nous voulons suivre l’exemple des Essarts et de Saint-Fulgent », célébrant ainsi sans complexe l’esprit des clochers. Les parrains et marraines des cloches ont été Mme de Marcilly et Léon de Marcilly (ce dernier alors maire et propriétaire de Linières), Mme Grolleau, M. Grolleau (fille et gendre de la généreuse veuve Chaigneau, le gendre devenant maire en 1896), Mme Rochereau et M. Fonteneau (34). Il est assez probable que l’achat des cloches bénéficia de leur générosité. Et on électrifia les cloches en 1939 grâce à une souscription auprès des paroissiens pour un montant de 7 200 F (35).

Conclusion


Ainsi la construction de la nouvelle église est une œuvre de foi bien sûr, instructive sur la manière. Elle révèle en effet l’unité et la force de la communauté des habitants de Saint-André-Goule-d’Oie incarnée dans une volonté commune autour du projet. Cette communauté s’exprimait dans les deux entités juridiques de la société politique d’alors : la commune et la paroisse. Ses édiles, représentatifs et suivis, s’y répartissaient les rôles conformément à la loi. Ils ont pris collectivement un risque financier, appuyés sur deux principes forts qui les animaient : la solidarité dans la transparence, avec la participation de tous en fonction de ses moyens, et l’authentique simplicité des relations, où les possibles jalousies sur les patrimoines n’entravent pas l’action commune. Ce qui les unissait était plus fort que ce qui pouvait les diviser. Et puis on voit l’autorité du curé dans les procès-verbaux qui sont nos sources, Isidore Martin restant sur place de 1868 à 1891, un entrepreneur en somme. Le curé et les édiles ont traversé des difficultés, allant jusqu’à transformer des intérêts d’emprunts en messes et même emprunter dans la caisse des messes. Ceci sans contrat ni garantie juridique, mais avec une garantie plus forte, l’engagement moral entre gens qui se font confiance. Leur sens pratique les a conduits à un mélange du temporel et du spirituel à faire lever les bras au ciel de certains penseurs. Mais ils ont eu leur nouvelle église ! Cette solidarité et cette simplicité des gens de Saint-André ne sont-elles pas aussi plus généralement des caractéristiques de la société vendéenne en cette fin du 19e siècle ? Elles constituent une morale de l’action parmi d’autres connues, porteuse ici d’une entreprise audacieuse et réussie. C’était une société religieuse qui impressionne généralement les observateurs, mais au-delà elle présente d’autres caractéristiques tout aussi intéressantes, et peut-être plus permanentes, moins dépendantes de l’Histoire de la Révolution Française qui s’est déroulé de 1789 à 1918. Pour celle-ci : (36).



(1) Inventaire du 1-2-1906 des biens de la fabrique, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise VIII.
(2) Procès-verbal du 3-9-1874 de l’adjudication des travaux de construction de l’église, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 28, chemise I.
(3) Lettre du 7-5-1875 du curé Martin à Amaury-Duval, Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8/34.
(4) Abbé Aillery, Chroniques paroissiales de Saint-André-Goule-d’Oie, (1892) T1, page 280.
(5) Archives de la Vendée, Saint-André-Goule-d’Oie : 1 O art.632.
(6) Plan de l’ancienne église de Saint-André-Goule-d’Oie (cachet du 24-11-1873), Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 28, chemise I.
(7) Jérôme Biteau, Mémoire en images le canton des Essarts, éditions Sutton, 2010, page 14.
(8) Estimation le 24-7-1796 du presbytère et de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie comme bien national, Archives de la Vendée : 1 Q 218 no 190.
(9) Recettes et dépenses de la fabrique de St André Goule-d’Oie (1815-1816), Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise V.
(10) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 73-1, généralités sur Saint-André-Goule-d’Oie.
(11) Réparation de l’église en 1843, Église (1831-1876), mairie de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives de Vendée : 1 Ǿ 632.
(12) Autorisation du 10-1-1846 d’ériger un chemin de croix dans l’église de Saint-André, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 28, chemise II.
(13) Souscription du 6-7-1873 pour la construction de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie, ibidem : carton no 28, chemise I.
(14) Paiements pour la souscription de 1873 de la construction de l’église de Saint-André, ibidem : carton no 28, chemise I.
(15) Réponses du curé Leboeuf du 10-12-1926 à un questionnaire envoyé par Mgr Mercier, vicaire général, ibidem : carton no 29, chemise VI, dossier des fondations de messes.
(16) Idem (2)
(17) Lettre du 21-11-1901 de V. Cesson à L. de la Boutetière dans V. Noël Bouton Rollet, Amaury-Duval, l’homme et l’œuvre (2007).
(18) Idem (5)
(19) Église (1831-1876), Mairie de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives de Vendée : 1 Ǿ 632.
(20) Idem (5).
(21) Idem (19).
(22) Décompte général du 15-11-1878 des travaux de construction de l’église, ibidem : carton no 28, chemise I.
(23) Idem (14).
(24) Emprunts sans intérêt de la fabrique de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie, ibidem : carton no 28, chemise I.
(25) Registre des délibérations du conseil de fabrique pour 1880, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, E 2/2.
(26) Registre des délibérations du conseil de fabrique pour 1902, ibidem : E 2/2.
(27) Lettre du 10-12-1926 du curé Leboeuf au vicaire général de l’évêché de Luçon, ibidem : carton no 29, chemise VI.
(28) Lettre du 8 mars 1927 du vicaire général de l’évêché de Luçon au curé Leboeuf, ibidem : carton no 29, chemise VI.
(29) Idem (20).
(30) Idem (14).
(31) Idem (3)
(32) Registre des délibérations du conseil de fabrique pour 1883, ibidem : E 2/2.
(33) Autorisation du 27-4-1873 à Louis Charpentier de bénir une cloche dans l’église de Saint-André, ibidem : carton no 28, chemise III.
(34) Chant pour la bénédiction du 19-9-1893 des 4 cloches de l’église de Saint-André, ibidem : carton no 28, chemise III.
(35) Devis et quittance en 1939 pour l’électrification des cloches de Saint-André, ibidem : carton no 28, chemise III.
(36) Yves Simon, La Grande crise de la République française, observations sur la vie politique des Français de 1918 à 1938, Éditions de l'Arbre,1941, page 20.


Emmanuel François, tous droits réservés
Mars 2019, complété en mars 2021

vendredi 1 février 2019

La Morelière de Chauché

Le régime seigneurial au 16e siècle


Dans les redevances concédées par le baron des Essarts au seigneur de la Boutarlière dans l’étendue de la baronnie, on trouve en 1509 le village de la Morelière imposé d’un boisseau de seigle par an pour le droit de métivage. On a aussi au titre du droit d’ « avenage appelé ratier » 2,5 boisseaux de seigle pour un nommé Vignaud à la Morelière (1). L’avenage était dû à cause des droits d’usage et pacage accordés aux habitants de la châtellenie (2). Ce qu’il faut noter ici est le nom du nommé Vignaud, rare dans l’énumération des villages concernés par la redevance. Serait-ce le colon d’une métairie, autrement dit son métayer ?

Maître (anonyme) d’Anne de Bretagne 
vers 1490 (B. N. F.)
Dans l’aveu de la seigneurie du Coin (autrefois appelé Coin Foucaud) aux Essarts, par le seigneur de Languiller en 1550, la Morelière est un tènement associé à la Boninière voisine et au village disparu de la Bouchardière (3). En 1519 celui-ci était situé au sud de la Boninière (4). En 1550, le seigneur du Coin percevait les redevances suivantes, ensemble pour les trois tènements et villages :

-   107 sols 10 deniers à divers termes dans l’année, tant de cens que des anciennes corvées seigneuriales supprimées et affermées à une valeur fixe. Auparavant les corvées étaient au tarif maximum de 3 jours par an pour tout le village avec 5 charrettes tirées par 6 bœufs. La même corvée au village du Clouin avait été estimée à 13 sols et 4 deniers lors de son incorporation dans le cens.
-        Sur-cens ou rentes féodales annuelles de 34 ras d’avoine et 6 boisseaux seigle
-     Terrage au 1/6e des récoltes. Jusqu’en 1550 le terrage a été partagé à moitié avec le prieur de Saint-André. Cette moitié avait été donnée en franche aumône par les prédécesseurs du seigneur du Coin. Et après 1550 le seigneur prit tout, ayant supprimé la part du prieur. Cela s’est passé au temps des guerres de religion, alors que le seigneur de Languiller était un chef protestant très engagé dans les combats (5).
-        Droit de dîme des agneaux, veaux et pourceaux, laine et lenfaits (lin), nés, élevés et produits dans le village.
Pour deux ouches (terres jamais mises en jachère) à la Morelière, s’ajoutait un cens annuel de 2 sols 4 deniers.

Une métairie du domaine de Linières sous l’Ancien Régime


Nous n’avons qu’une maigre documentation disponible consacrée à la Morelière dans le chartrier de la Rabatelière. Peut-être est-ce dû à la constitution d’une métairie par le seigneur de Linières, dont les terres jouxtaient le tènement. On trouve une mention de son existence dans la saisie en 1675 du domaine de Linières à cause des dettes de son propriétaire Claude Legras. On lit : « métairie noble de la Morelière, terres labourables et non labourables et généralement tout ce qui dépend ..., le tout sis et situé en la paroisse de Chauché, joignant aux terres du village de Bergeonnière, au village du Landreau, au bois de la Boutarlière et au village de Villeneuve » (6).

On ne sait pas depuis quand le territoire de la Morelière était occupé par une importante métairie, à l’existence attestée en 1675, d’une surface connue seulement au 19e siècle de près de 50 ha alors. Un inventaire du domaine de Linières en 1897 donne une superficie de 51 hectares, dont en culture 10 ha sur Chauché et 38 ha sur Saint-André. Les 10 hectares sur Chauché occupent 8 parcelles de plus d’un hectare, surface importante pour l’époque et donc probablement proche de la parcellisation d’origine. Au contraire, on compte 47 parcelles à Saint-André, occupant 0,83 hectare chacune, signe d’une parcellisation jadis entre petits propriétaires et d’un amassage probable ensuite par le seigneur de Linières (7). Ce dernier aurait ainsi constitué la métairie de la Morelière en agrégeant une partie de son domaine à cet amassage de parcelles. L’aveu de 1550 ne donne même pas d’indice sur l'existence de la métairie. En revanche on a un faible indice en 1509 dans la liste des villages payant des redevances à la Boutarlière (voir plus haut). Au hasard d’un partage en 1703 de la succession de la veuve d’un ancien fermier de la baronnie des Essarts, on trouve cette créance ainsi libellée au profit de la succession : « 121 livres de bestiaux par acte du 12 avril 1691 reçue par Fournier notaire aux Essarts sur feu François Chaigneau demeurant à la Morelière, paroisse de la Chapelle de Chauché, et doit 30 livres 10 sols pour les profits d’iceux à compter du 12 avril 1698 jusqu’au 12 avril 1703, en tout : 151 livres 10 sols ». Le fermier Joachim Merland, ou sa veuve Jeanne Jeullin, avait donc fait un bail à cheptel en 1691 au fermier de la Morelière nommé François Chaigneau (8). 

Les Assises de Languiller et fiefs annexes avaient poursuivi en 1592 trois teneurs de la Morelière (9). Puis on sait que Sébastien Masson, sieur de la Jaumarière, a acquis le droit de fief de la Boninière et Bouchardière vers 1617. En 1654 c’est son petit-fils, René de Vaugiraud, seigneur de Logerie (Bazoges-en-Paillers), qui est seigneur de la Jaumarière, de la Boninière et de la Morelière (10). On ne cite plus la Bouchardière car le village a disparu et ses droits ont été intégrés dans ceux de la Boninière. Son fils, Pierre de Vaugiraud, a comparu en personne en 1700 aux Assises de Languiller pour offrir sa foi et hommage à raison de la Boninière, les Ségoninières et la Morelière (11). Les deux premiers terroirs étaient des terres nobles, mais la Morelière était une terre roturière. Le fils de Pierre, Jean Gabriel de Vaugiraud, donna pouvoir à sa belle-mère, Marie Louise Henriette Girard, épouse de Jacques Boutillier, sénéchal de la baronnie de Mortagne, d’offrir en 1752 sa foi et hommage plain « pour raison du fief et tènement de la dîme de la Boninière, vulgairement appelé le fief Bellet, la Bouchardière et Morelière en ladite paroisse de Saint-André ». Cette fois les droits de la Bouchardière sont distingués et les Ségoninières ont fait l’objet d’une autre foi et hommage le même jour. L’hommage entraîne le paiement du droit de rachat et de 12 deniers de service annuel à noël (12).

La métairie apparaît dans les archives notariales accessibles de Saint-Fulgent dans la deuxième moitié du 18e siècle, ne concernant pas le domaine, mais un homme. Et l’homme est un de ses métayers, Mathurin Herbreteau. Fils d’André Herbreteau et d’Anne Pavageau, il s’était marié en 1751 avec Renée Rondeau. L’année d’après son frère, Jean Herbreteau, épousera la sœur, Marie Rondeau. Les deux frères tenaient les deux (probablement) métairies attenantes au logis de Linières, contenant ensemble environ 90 ha. Ils étaient les piliers des métairies de Linières dans cette deuxième moitié du 18e siècle, remplaçant les Rondeau dont ils étaient les gendres. Ils embauchaient des valets, et l’importante surface exploitée permettait de sortir du handicap des jachères. Ils pouvaient ainsi réaliser des économies. De ce fait ils appartenaient à l’époque à la catégorie supérieure des laboureurs. Certains même se consacraient à une activité complémentaire, source de richesse potentielle, le commerce du bétail. Ce fut le cas des deux frères Herbreteau de Linières, et particulièrement de Mathurin (1728-1793).

Levy : Le marchand de bestiaux
Entre 1781 et 1790 on le voit prêter 7 fois devant notaires de petites sommes d’argent, allant de 80 livres à 434 livres, souvent pour permettre l’achat de bétail. C’est qu’il en fait commerce, étant qualifié parfois de marchand laboureur dans les actes. En 1781 il vend deux paires de bœufs au Herbiers pour 235 livres. Il loue le bétail à des pauvres bordiers ou laboureurs, 7 fois entre 1775 et 1790. Là encore les capitaux engagés sont faibles : de 46 livres pour une vache à 160 livres pour « 4 vaches de différents poils, dont 1 d’âge inconnu, 2 âgées de 4 ans et 1 de 3 ans, plus une nogesse d’1 an poil marron et 1 taureau de 2 ans au poil châtain » (13). Ces baux de cheptel étaient à partage à moitié du croît et des pertes, donc du risque entre le bailleur et le preneur dans la même proportion. 

En 1787, Mathurin Herbreteau a quitté Linières pour s’installer à la Morelière voisine, une autre métairie du domaine de Linières (14). Il a remplacé les Fonteneau, qui demeuraient à la Gagnollière (Essarts) en 1793 (15), aussi du domaine de Linières. Mathurin Herbreteau a été « tué par les républicains pendant la guerre civile, laboureur demeurant à la métairie de la Morelière », le 15 septembre 1793 (1er registre clandestin, vue 15 de l'état-civil numérisé de Saint-André aux Archives de Vendée). Il y vivait avec son fils Jacques, marié à Saint-André en 1789 (vue 231) avec Marie Masson, et qui y est décédé le 10 messidor an 9 (29-6-1801) (vue 27). Quand la dame de Linières rachète Linières le 1e août 1796, le métayer de la Morelière s’appelle Jean Herbreteau, très probablement le frère de Mathurin et l’oncle de Jacques, car le métayer de Linières est alors André Chatry.

La Morelière tiraillée entre Saint-André Goule d’Oie et Chauché aux 19e et 20e siècles


Louis XVIII
La commune de rattachement de la Morelière a posé problème après la Révolution, les terres de la métairie s’étendant à la fois sur les communes de Saint-André-Goule-d’Oie et de Chauché. La taxe foncière devait-elle aller dans la caisse du receveur de Saint-André ou dans celle de celui de Chauché ? Les deux communes la prélevèrent en même temps sur quelques parcelles foncières, au détriment du propriétaire du domaine de Linières, alors Joseph Guyet. Il fit des démarches jusqu’en juillet 1817, qui finirent par aboutir. Une ordonnance du 10 janvier 1818, signée du roi Louis XVIII, décida que la partie foncière litigieuse imposée par les deux communes, des bâtiments de la Morelière ainsi que quelques terres, se trouvaient dans la commune de Saint-André-Goule-d’Oie (16). Un roi pour signer une limite de communes à la Morelière, c’est peu banal. L’État centralisé créé par les jacobins de la Révolution n’avait rien à envier à la centralisation monarchique en effet. On était dans la continuité.

Le 1e janvier 1980, la commune de Saint-André-Goule-d’Oie a donné à celle de Chauché l’essentiel de la métairie de la Morelière (38 ha) avec tout le village, et a reçu en échange 21 ha de terres situées à la sortie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, sur la route des Essarts et provenant de Chauché. Il s’agissait pour elle de se donner le moyen d’un accroissement de l’urbanisation autour de son bourg. Le préfet a alors suffi pour entériner l’accord des deux communes.

La métairie et ses métayers au 19e siècle


Jean Guyet, régisseur de Linières et cousin de son propriétaire Joseph Guyet, afferme la métairie de la Morelière le 28 mars 1806 pour 3 ans (1807-1810) à Jacques Sorin et René Sorin père et fils, laboureurs demeurant à la Fortière en la commune de Chauché. Ces derniers remplacent les colons (métayers) Masson et Millasseau. Le bail est à partage de fruits à moitié, avec l’engagement des preneurs de maintenir sur la métairie un nombre d’hommes suffisant pour son exploitation. Les bestiaux nécessaires au trait seront fournis moitié par moitié entre le bailleur et les preneurs, ainsi que les engrais. Il en sera de même pour les semences à hauteur de 25 boisseaux de toutes espèces de grains, le surplus étant fourni par les preneurs pour emblaver (ensemencer) les terres. Comme sous l’Ancien Régime avec ses redevances seigneuriales et impôts, les preneurs acquitteront toutes les impositions foncières qui seront prélevées sur la métairie sous quelques dénominations qu’elles puissent être (taxe foncière) et à quelles que sommes elles puissent se monter, « même sous le titre de subvention de guerre ». Les menus suffrages consistaient en la moitié des oies qui seront élevées chaque année sur la métairie, 12 poulets à la Saint-Jean, 6 chapons gras à noël, 15 livres de beurre au mois de mai, et une somme de 30 F en numéraire par an pour tenir lieu d’un cochon de lait. Les preneurs à ferme sont sujets à toutes corvées envers le bailleur tant d’hommes que bœufs et charrettes. Ces corvées, limitées dans leur nombre par l’usage, avaient ici un fondement contractuel, mais elles prolongeaient celles relevant du droit seigneurial qui avaient été supprimées avant 1550 comme nous l’avons déjà constaté plus haut. Enfin il est convenu que le revenu annuel de la métairie est de 240 F, montant nettement sous-estimé servant à être déclaré à l’administration de l’Enregistrement à la Roche-sur-Yon (17).

Le 22 septembre 1812 Jean Guyet signe un nouveau bail pour 5 ans (1813-1818) avec de nouveaux métayers : André, Jean et Pierre Fonteneau, laboureurs venant de la Boutarlière (Chauché) et remplaçant les Sorin. Il s’agit du même type de bail à partage de fruits, avec de légères évolutions. Les semences de froment seront fournies moitié par moitié entre les parties au bail, mais les autres semences seront fournies par les preneurs seuls. Les menus suffrages sont les mêmes sauf pour le beurre, 30 livres au lieu de 15, et 18 F au lieu de 30 F pour le cochon de lait. Le revenu annuel de la métairie est descendu à 200 F, signe d’une période de mauvaises années (18). Le 28 mars 1817 le même régisseur signe un nouveau bail pour 5 ans (1818-1823) avec de nouveaux métayers : Jean Biret, Jean Pierre et Mathurin Biret, demeurant ensemble à la Clavelière (Saint-Fulgent). Les clauses sont les mêmes que précédemment, avec la même valeur de 200 F d’estimation du revenu annuel. Les menus suffrages sont de 30 livres de beurre, 6 chapons et 12 poulets (19). Jean Biret était marié à Madeleine Gallot. Ils eurent Louis, né à Saint-André le 8 mars 1830 (vue 235).

La Morelière (2019)
Les Biret seront renouvelés dans un autre bail à la Morelière, et le 15 mars 1830 c’est Pierre Biret qui s’engage à nouveau pour 5 ans (1830-1835) « tant en son nom qu’en ceux de ses frères et belles-sœurs demeurant en société avec lui ». Le régisseur étant décédé, Joseph Guyet, résidant à Paris, a nommé comme fondé de pouvoir Joseph Alexandre Gourraud, juge de paix du canton de Saint-Fulgent demeurant à Chavagnes, et son cousin par alliance. Cette fois le bail est à prix d’argent, avec un fermage annuel de 1 100 F à terme échu. Joseph Guyet avait affermé toutes ses métairies à prix d’argent et la Morelière restait la dernière à ne pas l’être. Un des enjeux de ce type de bail consistait pour le métayer à posséder le cheptel, comme de nos jours il possède son tracteur agricole. Pour cela Joseph Guyet avait vendu à crédit sa part dans les cheptels. Si le revenu du propriétaire passe de 200 F par an en 1823 à 1100 F par an en 1830, l’inflation des prix compte pour peu, et la prise en compte de la réalité du vrai revenu pour beaucoup évidemment. Les menus suffrages sont « toute la cire que donneront les abeilles s’il y en a sur la métairie, laquelle sera fondue et mise à l’état de cire jaune et pain suivant l’usage, laquelle charge est évaluée 3 francs par an pour l’Enregistrement seulement ; ils donneront aussi, outre le prix fixé et à titre de menus suffrages, 20 livres de beurre au mois de mai de chaque année ; le bailleur aura le choix de se faire livrer en nature ou payer la somme de 10 francs par an, 6 poulets ou 3 francs, 4 chapons ou 4 francs, aussi au choix du propriétaire ; les poulets se donneront ou paieront à la Saint-Jean et les chapons à Noël ». Le rédacteur de l’acte étant juge de paix, on voit poindre son expérience quand il écrit que les preneurs à bail « ne pourront point chasser sur la métairie, ni tendre cages, lacets, cordes et pièges, ni rien qui puisse détruire le gibier ; ils ne laisseront chasser personne sans la permission du bailleur » (20).

Joseph Guyet est mort à Paris le 30 mai 1830 et son fils, Benjamin Guyet-Desfontaines, désigna le même juge de paix du canton de Saint-Fulgent pour faire la déclaration de succession au bureau de Montaigu, le 2 novembre 1830, pour ses propriétés situées dans le canton de Saint-Fulgent (no 227, vue 67 sur le site internet des Archives départementales de la Vendée). La Morelière est déclarée pour une valeur de 736 F, probablement sa valeur cadastrale, qui est un barème fiscal propre aux terres agricoles. Les droits de succession étaient alors de 1 % calculés sur la valeur du bien, égale à 20 fois le revenu annuel.

Benjamin Guyet-Desfontaines est décédé à Paris le 22 avril 1857, et sa légataire universelle, son épouse, désigna comme fondé de pouvoir Hyacinthe Narcisse Legras de Grandcourt, lieutenant-colonel en retraite à Saint-Fulgent et cousin par alliance, lequel envoya le secrétaire de mairie de Montaigu, faire la déclaration au bureau de Montaigu le 5 octobre 1857 (vue 98 à 101 au premier registre et vues 2 à 7 au deuxième registre suivant). La métairie de la Morelière est décrite pour chacune des communes de Saint-André Goule d’Oie et de Chauché par ses 76 parcelles cadastrales, avec leurs surfaces, leurs appellations et leurs montants de revenu. Au total on a 42 ha à Saint-André et 11 ha à Chauché.

Lors du décès de son épouse en 1868, née Antigone Pineu Duval, sa succession fut déclarée au bureau de Montaigu le 7 avril 1869 (no 188, vue 95). La métairie de la Morelière contient alors 55 ha. Et on apprend qu’elle est affermée à la famille Onillon, moyennant une ferme annuelle de 2 535 F.

Hyacinthe Narcisse Legras de Grandcourt
En 1870 fut effectué un état des lieux entre le fermier sortant, Pierre Drapeau, et le fermier entrant, Onillon, associé au bailleur représenté par Hyacinthe Narcisse Legras de Grandcourt. Le procès-verbal de la visite nous donne des informations sur l’habitation des métayers et sur les activités agricoles (21). Au rez-de-chaussée il y avait 6 pièces et un corridor : une pièce à vivre, deux chambres, un cellier, un fournil et une laiterie. La pièce à vivre a deux fenêtres à carreaux, un potager (rangement), un foyer (cheminée) en pierres brutes, « les murs sont blanchis à la chaux et le sol en terre mal uni ». La chambre supplémentaire possède aussi sa cheminée et ses murs sont blanchis. En revanche l’autre chambre à côté du cellier a des murs non blanchis. Le fournil avec son four carrelé (où on faisait cuire son pain), possédait un âtre et un fourneau de forge. À l’étage, on trouve deux greniers dont les murs sont en bousillage (torchis) et deux autres greniers bâtis en dur avec carrelage au sol et une ouverture chacune avec un contrevent seulement. Ces greniers servaient à entreposer les récoltes, et on y triait les grains avant livraison pour leur donner une valeur marchande. Il fallait en particulier enlever les graines de mauvaises herbes mélangées aux grains des céréales après la moisson. Nous avons là un nombre important de pièces en relation avec une métairie importante, quand on la compare avec la modestie des maisons des nombreux petits bordiers propriétaires à cette époque.

Le recensement de population en 1872 à Saint-André-Goule-d’Oie (vue 27) nous donne le nom des personnes vivant dans cet espace. René Onillon a 62 ans et sa femme, Marie Anne Bordet, 55 ans. Ils ont quatre enfants qui vivent aussi sous leur toit : Véronique (26 ans), Augustine (21 ans), Julie (17 ans) et François (23 ans). Avec eux sont aussi logés trois domestiques : Augustin Retailleau (17 ans), François Gouraud (25 ans) et Pierre Metereau (17 ans). Ainsi ces neuf personnes dorment dans trois pièces. Nous savons par ailleurs que des lits à quenouilles s’entassaient dans ces pièces chauffées avec le feu de la cheminée, et que la disposition de ces lits par rapport à l’âtre privilégiait la hiérarchie sociale de l’époque : les anciens d’abord, puis le fils aîné, puis les filles, puis les garçons. Les valets et domestiques avaient le même confort, parfois le même lit, que les filles et les garçons. Les colonnes des lits (appelées quenouilles) supportaient une planche en bois, d’où tombaient des rideaux (22).

Le rapport des experts énumère ensuite les bâtiments d’exploitation, qui comprennent : la volaillère, le toit à porcs, le toit aux oies, un autre petit toit à côté de la maison, le toit aux bœufs et le toit aux vaches, avec chacun : crèche, râteliers et grange à foin. Dans la même bâtisse que le toit aux vaches, on trouve le toit aux moutons et le toit à la jument, séparés par des clions (cloison légère en bois). L’énumération succincte des 60 parcelles de champs, pacages (prés) et jardin nous apprend qu’on cultivait le lin d’été, le lin d’hiver, le blé, l’avoine, le colza, l’orge, la jarosse (plante fourragère), le trèfle. Deux pièces de terre seulement sont notées en état de lande. Plus de jachère ni de friches : les plantes fourragères ont fait leur apparition pour nourrir le bétail, véritable bon en avant pour l’agriculture au milieu du 19e siècle, dû à l’apparition de l’engrais, particulièrement le chaulage de ces terres acides.

Megret : Buste d’Amaury-Duval 
(musée Rolin d’Autun)
La déclaration de succession au bureau de Montaigu le 13 décembre 1875 (no 230, vue 112), de Marcel de Brayer, propriétaire de Linières, indique que la Morelière contient toujours 55 ha, avec un revenu annuel de 2 790 F. En comparant en cette année 1875 les loyers des métairies de l’amenage de Linières, on constate que la Morelière fait partie des métairies dont le fermage se situe autour de 50 F l’hectare, alors que d’autres sont de moins bons rapports, autour de 43 F l’hectare (Noues, Linières, Guérinière). 

Lors du décès en 1885 du propriétaire suivant, Amaury-Duval, sa succession est déclarée au bureau de Saint-Fulgent le 25 juin 1886 (vue 57). La Morelière, toujours affermée aux Onillon, est évaluée à 3 165 F de revenu annuel. La veuve de Guyet-Desfontaines a dû payer un droit de 3 % de la valeur des biens en 1868. Pour le grand-oncle Amaury-Duval, héritant de son petit-neveu, les droits ont été de 7% calculés sur la même base. On sait que pour des legs faits dans un testament à des personnes sans lien de parenté avec le testateur, les droits s’élevaient à 11 % (23). En 1889 la Morelière a un revenu annuel de 3 227 F, avec les mêmes métayers les Onillon, (déclaration de succession d’Eugène Raffard de Marcillly au bureau de Saint-Fulgent le 27-11-1889, vue 3).

Après la banqueroute de Gaston de Marcilly, fils du précédent, le domaine de Linières fut vendu aux enchères publiques en 1897 par le tribunal civil de première instance de la Roche-sur-Yon. L’ensemble ne comptait plus alors que 418 hectares, avec 8 corps de ferme (24). Le cahier des charges de l’adjudication de la vente au tribunal en 1897 décrit les parcelles de la Morelière, au nombre de 55 pour 48 hectares cultivés. Les prés et pâtures représentait une surface de 23 %, la culture des céréales en représentait 38 %, où dominait le froment, suivi de l’avoine. La surface la plus importante était occupée par les cultures de plantes fourragères, soit 39 %, surtout les choux et le trèfle. Et on y cultivait aussi un peu d’autres : rèbes, garobe (vesce), carottes, et coupage. Ce dernier était un mélange de graines (colza, garobe, luzerne par exemple), et les plantes étaient coupées à la fin du printemps (25). On voit ainsi la prépondérance de l’élevage, comme dans les autres métairies du domaine de Linières à cette époque. L'acquéreur en 1897, Augustin Auriault, revendit 10 mois après son acquisition en 1898 le domaine de Linières, après avoir vendu entre temps 3 fermes. Il ne restait plus que 300 ha et 5 fermes, dont la Morelière, quand Louis de la Boutetière l’acquit en 1898. En 1907 celui-ci signa un renouvellement de bail pour 7 ans (1907-1914) avec François Onillon père et son épouse Marie David (26). La surface de la métairie n’est plus que de 36 ha. Soit les 19 hectares manquantes font l’objet d’une autre ferme, soit ils ont été vendus, les deux hypothèses étant vraisemblables. C’est que l’augmentation sensible de la productivité agricole a conduit à diviser les grandes métairies parfois pour mieux augmenter les revenus. Avec la diminution de la surface, le prix de ferme est en ce début du 20e siècle de 2 300 F par an, auquel s’ajoutent les impôts fonciers payés par les preneurs (200 F) et les menus suffrages (4 kg de beurre, 6 poulets et 3 hectolitres d’avoine, estimé en tout 30 F).

Louis de la Boutetière vint habiter sur place à Linières, puis déménagea au lieu-dit de la Boutetière à Saint-Philbert-de-Pont-Charrault en 1911, suite au départ de son frère aîné qui l’habitait auparavant (27). Il décida de vendre Linières, donnant mandat à cet effet à un nommé Richard, habitant de Poitiers. Celui-ci demanda à un marchand de biens, Libaud demeurant à Luçon, d’organiser la vente, lequel s’associa à un expert de Saint-Fulgent, nommé Gilbert. Libaud procéda à une vente au détail des métairies, et à la fin le château de Linières lui resta sur les bras. Richard l’acquit lui-même pour le vendre à la construction. La démolition du château fut surveillée sur place par MM. Gilbert et Fonteneau, demeurant au bourg de Saint-Fulgent (28). François Onillon et ses fils achetèrent 20 ha de la métairie de la Morelière pour 33 400 F le 16 octobre 1911 (29). Et en 1932 la mairie de Saint-André vendit deux chemins inutiles pour la commune situés à la Morelière à la veuve Onillon. Ils totalisaient 4 ares 58 centiares et furent estimés 274, 80 F (30).  


(1) Aveu du 7-3-1509 de la Boutarlière aux Essarts, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 95.
(2) Archives de Vendée, Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée, A. Bitton, Naissance des fiefs, juridictions Bas-Poitevines et liste des droits de fief en Poitou 1889, page 109 et s. vue 70.
(3) Aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par Languiller aux Essarts – deuxième copie reproduisant un aveu de 1550, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61.
(4) Foi et hommage du 12-4-1519 d’André Landois au Coin Foucaud pour la Boninière, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 18. 
(5) Note sur la Morelière à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(6) Saisie du 28-9-1675 de Linières appartenant à Claude Legras, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 17.
(7) Vente par adjudication de Linières le 6 avril 1897, Archives de Vendée, cahier des charges des adjudications (1897-1039) : U 1-354, pages 122 à 125 et 137 à 158.
(8) Inventaire et partage du 1-4-1703 de la succession de Jeanne Jeullin, veuve Merland, Archives de Vendée, famille Babin et Cicoteau : 25 J/4, page 20.
(12) Assise de Languiller en 1752, Ibidem : 150 J/M 37, pages 20 à 24.
(13) Bail à cheptel du 30-5-1775 de Mathurin Herbreteau (Linières) à André Braud (Chaunière de Saint-Fulgent), Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Bellet : 3 E 30/126.
(14) Ibidem. Bellet : 3 E 30/129, bail à cheptel de fer du 17-4-1786, pour Mathurin Herbreteau de Linières. Et Ibidem. Bellet : 3 E 30/129, arrentement du 19-9-1787, de 180 £ pour Mathurin Herbreteau de la Morelière.
(15) Baptême de Jacques Fonteneau le 12-4-1793 à Saint-André-Goule-d’Oie, inscrit en supplément sur le registre paroissial de 1792 vue 28.
(16) Dossier de délimitation de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives départementales de la Vendée : 1 M 290.
(17) Bail de la Morelière du 28-3-1806 à colonage partiaire de Jean Guyet à Sorin, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138.
(18) 3 E 30/138, bail de la Morelière du 22-9-1812 à colonage partiaire de Jean Guyet aux Fonteneau.
(19) 3 E 30/138, bail de la Morelière du 28-3-1817 à colonage partiaire de Jean Guyet aux Biret.
(20) 3 E 30/138, bail de la Morelière du 15-3-1830 à prix d’argent de Joseph Gourraud à Pierre Biret.
(21) Archives privées E. François.
(22) Ferdinand Charpentier, Chez nous en 1793, Saint-André-Goule-d'Oie, récits d'un vieux Vendéen, 1906, Arch. dép. Vendée : BIB A 632.
(23) Actes testamentaires de Laure Longuemare, veuve Charles Louis Guyet, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/850.
(24) Vente sur saisie immobilière du domaine de Linières Archives de la Vendée, L’Avenir et l’Indicateur de la Vendée du dimanche 7 mars 1897 no 28 : 4Num 366/13, page 4. 
(25) Idem (7).
(26) Idem (21).
(27) Emmanuel François, Les châtelains de Linières à St André Goule d’Oie, Lulu.com (2012), page 255.
(28) Témoignages de Mme de Hargues et de Mme veuve Fonteneau, née Gilbert, en 1794, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3.
(29) Répertoire des formalités des hypothèques des ventes en 1911 chez le notaire Robain de Chantonnay, Archives de Vendée.
(30) Revenus et Charges, vente de terrains communaux 1882-1932, mairie de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives de Vendée : 1 Ǿ 633.


Emmanuel François, tous droits réservés
Février 2019, complété en janvier 2023

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mardi 1 janvier 2019

Les Noues à Saint-André-Goule-d’Oie

Les Assises de Languiller poursuivent trois teneurs du tènement des Noues en 1535. Elles réclament le paiement du solde d’une rente de 8 ras d’avoine due à la Saint-Michel dernière, de 2 chapons de cens, dont un pour arrérages estimé 30 sols (1). L’un d’eux, André Brenner, comparant par Pierre Proust, présentera sa déclaration roturière en 1537, paiera ses dettes et sera condamné à une amende de 2 sols pour son retard (2). Dans une autre sentence de 1592 des Assises de Languiller, apparait comme teneur aux Noues, Jacques Gazeau « écuyer seigneur des Noues » (3). C’était le frère de Léon Ier Gazeau, seigneur de la Boutarlière. Jacques Gazeau, né vers 1555, épousa Françoise d’Argenton en 1595. Il mourut en 1617 et il est l’auteur des Gazeau de la Couperie et du Ligneron. 

Le tènement (territoire concédé) des Noues était situé en 1550 en partie près du village des Noues, et contenait 20 boisselées de terre ou environ (2,5 ha). À cette date les teneurs (propriétaires) de cette petite surface et du village devaient à la seigneurie de Languiller à cause du fief du Coin, un chapon de cens à chaque noël (4). En 1680, ils devaient à Jacques Audouard aîné, écuyer, seigneur des Metz, Martigné et du Plessis, demeurant dans la paroisse d’Aiffres (au sud et près de Niort), une rente noble foncière de 14 livres (5). Celui-ci avait épousé Catherine Masson, arrière-petite-fille de Louis Masson, qui avait acheté en 1567 les droits seigneuriaux du Pin, et rendait aveu pour ce tènement en 1645 à Languiller (6). Pour le tènement voisin des Noues on ignore ce qui s’est passé, car les archives du Coin et de Languiller dans le chartrier de la Rabatelière font défaut pour lui. Mais on peut supposer avec vraisemblance qu’il en fut de même : vente des redevances des Noues à Louis Masson.

Défrichement des Landes du Pin à la fin du 16e siècle


Pour le pâturage dans le tènement voisin des Landes du Pin, les teneurs des villages des alentours (Pin, Crochardière, Noues, Gâst, Javelière, Machicolière, Ridolière et Chevaleraye) payaient aussi à Languiller à chaque terme de la Saint-Michel des redevances propres. Pour les habitants du village des Noues et les propriétaires du tènement, elle était de 4 boisseaux d’avoine en 1550 (7). Les Landes communes du Pin se situaient entre les tènements de Fondion, des Gâst, de la Brossière, du Pin, les étangs du Pin et le bois Pothé (près du Clouin). En 1550 ces landes contenaient 256 boisselées (31 ha) relevant de Languiller, et dont le baron des Essarts en possédait une partie. C’est ainsi qu’il vendit 20 boisselées de landes situées dans ce terroir au seigneur de la Boutarlière le 23 mai 1564. Le vendeur était Jean de Bretagne, duc d’Étampes, et l’acheteur Jean Gazeau. Ce fut une cession à foi et hommage et à devoir annuel de 15 boisseaux de seigle et 23 ras d’avoine, mesure des Essarts (8). Ces redevances signifient que la surface concédée était cultivée, ou à mettre en culture. Près d’un siècle après en 1656, on constate que le seigneur de Languiller a concédé les Landes communes du Pin à des roturiers, Mathurin et Lucas Paquereau avec droit de prélever les « lods et ventes » (droit de mutation) aux changements de propriétaires, et de percevoir le terrage au 1/6 des récoltes (9). Plus d’une dizaine de propriétaires payaient ces droits seigneuriaux nouvellement créés, possédant les 21 parcelles cultivées, encloses de haies et fossés après défrichement. En même temps les habitants des villages environnants, dont ceux des Noues, virent leur pâturage se réduire.

Déplacement de l’étang des Noues au 17e ou 18e siècle


Étang des Noues en 2019

En 1658 un étang près du Pin, appelé l’étang des Noues, était concédé à Charles Tranchant (10). Plus tard, on dissociera l’étang des Noues, rattaché au tènement du même nom, des étangs du Pin. D’ailleurs cet étang des Noues a été déplacé au 17e ou 18e siècle à l’endroit que nous connaissons actuellement. Dans un document de 1808 on lit que  plusieurs pièces de terre dépendant du tènement des Landes du Pin étaient limitées à cette date par le « rivage de l’ancien étang des Noues » (11).

On a peu d’informations sur le régime de ces étangs, sinon qu’ils étaient dissociés des terres environnantes, constituant à eux seuls une concession seigneuriale. Avec leurs carpes principalement, ils ont constitué longtemps une source importante de protéines animales dans un pays où la chasse était un privilège de quelques-uns, le braconnage une pratique dissimulée, et l’élevage une activité agricole longtemps limitée dans la région. Au village proche de Fondion l’étang a disparu à l’époque moderne, alors qu’au Pin comme aux Noues, ils existent toujours. Ces étangs sont des ouvrages utilisant les ressources en eau disponibles. Nul doute qu’ils ont transformé le milieu, à la lisière de la forêt de l’Herbergement. On se demande s’ils ont été une réponse à une remontée de la nappe phréatique suite au défrichement forestier, ou un préalable pour cultiver un espace marécageux.

Création de la métairie des Noues


Ce déplacement de l’étang des Noues est probablement en lien avec la création de la métairie du même nom, probablement aussi en lien avec les défrichements du territoire, prolongeant ce qui s’est passé dans le tènement voisin des Landes du Pin créé à la fin du 16e siècle. Mais sur cette origine nous n’avons pas de document. La première mention de la métairie des Noues remonte à 1606, citée dans les confrontations d’un pré dans un tènement voisin et appartenant à Valérien Robin de la Milonnière (12). Or dans l’aveu du Coin en 1550 elle n’est pas mentionnée. Sa création se situe donc à la fin du 16e siècle (13).

Dans une vente au Pin en 1624 on voit que Vincent Bossard, demeure à la métairie des Noues (14). En 1753 un autre texte indique que le fief de la Mauvinière, voisin des Noues, appartient au seigneur de Linières à cause de son épouse (15). Celle-ci était Marie Félicité Cicoteau, héritière de son père Venant Cicoteau (1697-1729), seigneur du fief et domaine de Linières que son père, Louis Cicoteau, avait acheté vers 1701. Le seigneur de Linières est entré en possession du droit de fief sur la Mauvinière à une date inconnue mais postérieure à 1685 (16), étant propriétaire de la métairie des Noues s’étendant au moins en partie sur ce fief, là aussi à une date ignorée. Peut-être possédait-il des landes déjà aux Noues depuis longtemps. Après tout le seigneur de la Boutarlière possédait bien un droit d’abreuvage dans les étangs du Pin, déclaré encore en 1764 pour 8 ras d’avoine (17). Et on sait qu’avant 1342 la Boutarlière et Linières appartenait au même seigneur de Saint-Fulgent. Mais ceci n’est qu’une hypothèse, sans document pour l’explorer.

On connaît le nom des métayers des Noues en 1748, la famille Piveteau. Le 27 avril 1748 Pierre Piveteau baptise sa fille Marie à Saint-André-Goule-d’Oie, née aux Noues (vue 59). Sur le registre on lit qu’il est fabriqueur de cette paroisse, c’est-à-dire qu’il a été élu par l’assemblée des habitants pour tenir les comptes de la fabrique notamment. La même annotation est écrite sur le registre paroissial le 8 mars 1749 (vue 73), jour de l’inhumation de son épouse Jeanne Piveteau décédée à la métairie des Noues à l’âge de 33 ans. Pierre Piveteau était le fils de Mathurin Piveteau et de Jacquette Fonteneau.

Métairie des Noues
La métairie des Noues est aussi mentionnée dans le partage en 1779 de la succession du seigneur de la Rabatelière et de Languiller, René Montaudouin. Elle devait à ce dernier un cens d’un chapon, 8 livres 10 sols, et une rente noble de 8 boisseaux d’avoine, mais le nom de son propriétaire n’est pas mentionné (18).

En 1796, quand Mme de Lespinay rachète le domaine de Linières, la métairie des Noues est exploitée par Jean Gaborieau, et ses bâtiments, contrairement à d’autres, ne sont pas notés comme incendiés (19). Nous avons enfin dans cet acte d’achat la preuve que cette métairie appartenait au domaine de Linières à cette date, donnant du corps aux indices relevés antérieurement, tendant à penser que c’était le cas depuis près d’un siècle au moins probablement.

Affermage de la métairie des Noues au 19e siècle


En 1807 elle est louée à colonage partiaire (métayage par partage des récoltes avec le propriétaire) aux métayers sortants de la métairie de la Boutarlière, Pierre Leroy, Françoise Hervouet son épouse et leurs enfants, qui remplacent Mathurin Desfontaines. La durée du bail est de 5 ans (1808-1813), moyennant le partage des récoltes à moitié avec le bailleur ainsi que la propriété du gros bétail. Les preneurs donneront chaque année pour menus suffrages au bailleur 25 livres de beurre (et même 30 livres dans les années où ils auront 5 vaches), 12 poules, 7 chapons, la somme de 18 F en argent (pour droit d’élever des cochons à leur profit) et la moitié des oies qu’ils élèveront. Le nombre apparemment exceptionnel de 5 vaches montrent bien l’orientation du cheptel vers la production de bœufs d’attelage, c’est-à-dire de l’outil de travail. L’engraissement pour fournir une filière de la viande n’était alors qu’accessoire, mais elle va prendre de l’importance au cours du siècle avec la modernisation de techniques agricoles. Le bailleur « pourra faire mettre du poisson dans les fossés et réservoirs qu’il fera pêcher tout seul et quand bon lui semblera, le poisson devant toujours lui appartenir en entier » (20). Comme les bois futaie, les étangs restaient une réserve du propriétaire, suivant une pratique ancestrale.

Le régisseur de Linières, Jean Guyet, cousin du propriétaire, passa un autre bail en 1816 pour 5 ans (1817-1822) avec Pierre Blandin et François Boilleteau, cultivateurs demeurant à la Machicolière, en remplacement d’un nommé Roger (21). Le bail est du même type que le précédent mais on précise que les métayers s’obligent « d’être quatre hommes de force pour faire chaque année ladite métairie ». Cette précision se comprend dans les baux à partage de fruits, n’ayant pas lieu d’être dans les baux à prix d’argent. Le revenu annuel est estimé à 200 F (nettement sous-estimé car destiné à l’administration fiscale). Le bail est renouvelé avec Pierre Blandin et sa femme en communauté avec leur fils et leur gendre en 1823 pour 5 ans (1824-1829), moyennant une ferme annuelle payée en argent de 900 F (22). Cette fois on est passé au bail à prix d’argent suivant une politique voulue par le propriétaire dans son amenage, mais impliquant la possession du bétail par les métayers. M. Guyet leur vend alors sa moitié des bestiaux en leur faisant crédit sur les 3 premières années du bail pour le paiement. Les preneurs s’obligent de plus à planter, soigner et entretenir par chaque année du bail dix pieds d’arbres. Enfin en 1830, Augustin Blandin, fils du précédent, et son beau-frère François Balleau, sont renouvelés dans un nouveau bail encore pour 5 ans (1829 à 1834), moyennant une ferme de 918 F (23). Constatant que les métayers n’ont pas payé le rachat prévu du bétail appartenant au propriétaire bailleur, ce dernier leur renouvelle la vente pour le montant estimé de 985 F, dans les mêmes conditions de crédit que précédemment. Une nouvelle clause particulière concerne l’arrivée d’une jument sur la métairie, payée à moitié par les parties et valant 180 F. Le propriétaire Joseph Guyet étant mort le 30 mai 1830, c’est son fils Marcellin Guyet-Desfontaines qui signe le bail, étant son unique héritier.

Joseph Gourraud, juge de paix à Saint-Fulgent et cousin de ce dernier, déclare au bureau de Montaigu la succession de Joseph Guyet le 2 novembre 1830 (no 227), dans laquelle on lit que la métairie des Noues est affermée 638 F par an, impôts compris (vue 67 du registre numérisé). Il s’agissait du revenu cadastral probablement, qui est une base fiscale réglementée et non pas de la réalité du prix de ferme. Dans la déclaration de succession de Marcellin Benjamin Guyet-Desfontaines au bureau de Montaigu le 5 octobre 1857 no 188 (vue 98 à 101 au premier registre, et vues 2 à 7 au deuxième registre suivant), on lit que la métairie des Noues contient 52 ha 34 ares 50 centiares, d’un revenu cadastral de 684,91 F et d’un revenu réel annuel de 1216,85 F. En 1875 elle est affermée à la veuve Jaud et Charrieau, moyennant une ferme annuelle de 2 180 F, plus les menus suffrages estimés à 13 F : charrois et cire d’abeille (24). En 1885 elle est affermée à Billaud, moyennant une ferme annuelle de 2 300 F (25). On voit dans l’envolée de ces prix de ferme au début de la deuxième moitié du 19e siècle, l’augmentation de la rentabilité résultant principalement du commerce de la viande. Les engrais chimiques (chaux surtout) et les nouveaux outils en métal (charrues) ont permis la forte augmentation des prairies artificielles et du fourrage pour le bétail.

La métairie fut vendue par le nouveau propriétaire de Linières en 1897, Augustin Auriault, à un nommé Célestin Loizeau demeurant à Nantes (26). A. Auriault l’avait acquise avec le domaine de Linières le 6 avril 1897 par adjudication au tribunal civil de la Roche-sur-Yon. Le cahier des charges de l’adjudication comprenait une description de chaque métairie (27). Les Noues occupaient alors une surface de 50 hectares, avec 30 parcelles cultivées d’une surface moyenne de 1,60 hectare chacune, représentatives du défrichement d’origine où la plupart des champs faisaient un ou deux hectares. L’huissier de Saint-Fulgent a aussi relevé les cultures pratiquées lors de son passage au mois d’octobre 1896. On y voit d’abord que l’étang, non seulement ne fait pas partie de la métairie, mais aussi n’est plus compris dans le domaine de Linières, ayant été vendu à une époque non repérée. Les prés et pâtures occupent une surface de 23 % des parcelles cultivées, auxquels il faut ajouter 30 % consacré à la culture des plantes fourragères. Parmi elles dominent les choux et le trèfle ; les rèbes, vesce et carottes comptent pour peu. S’ajoute 1 % de la surface pour la culture du lin. Mais à cette date 9 % des surfaces sont en chaume ou non emblavé, en repos dans l’attente des travaux du printemps prochain. Les céréales occupent 37 % des surfaces cultivées, dont les 60 % pour le froment, et le reste pour le seigle et l’avoine.  



(1) Assises de Languiller et fiefs annexes en 1535, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/M 22, pages 401, 409, 433 et 438.
(2) Assises de Languiller et fiefs annexes en 1537, ibidem : 150 J/M 22, pages 584 et 585.
(3) Assises de Languiller et fiefs annexes en 1592, ibidem : 150 J/M 33, pages 111 et 112.
(4) Aveu du Coin Foucaud et du Vignault du 2-7-1605 par Languiller aux Essarts – deuxième copie d’un aveu de 1550, page 30, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 61.
(5) 150 J/G 14, partage de la succession Audouard/Masson en 1680 concernant le Pin et la Baritaudière.
(6) 150 J/G 10, déclaration noble sur papier du 1-9-1645 de Jacques Audouard à Languiller pour les droits seigneuriaux du Pin.
(7) Idem (1).
(8) Lieux-dits de Chauché, la Boutarlière, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-2.
(9) 150 J/G 11, déclaration noble du 13-7-1656 de Mathurin et Lucas Paquereau à Languiller pour les Landes de l’étang du Pin.
(10) 150 J/G 10, déclaration du 8 avril 1658 de Charles Tranchant à Languiller pour les étangs des Nouhes et du Pin.
(11) Gaulaiement du 3-2-1808 du tènement des Landes du Pin, Archives de la Vendée, don de l’abbé Boisson : 84 J 14.
(12) 150 J/G 47, déclaration roturière du 3-6-1606 de 4 teneurs pour la Milonnière, Bruères et Suries.
(13) Idem (1).
(14) Note no 2 sur les Noues à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(15) 150 J/G 8, déclaration roturière du 2-4-1753 de 38 teneurs à Languiller pour la Bequetière.
(16) 150J/A 12-2, aveu du 31-3-1685 de Pierre de la Bussière à Languiller (Philippe Chitton) pour le fief de la Mauvinière (Saint-André-Goule-d’Oie).
(17) 150 J/G 11, déclaration roturière du 12-6-1764 de Meterau et Reveleau pour des domaines au Pin.
(18) Partage du 18-10-1779 de la succession de René de Montaudouin seigneur de la Rabatelière, page 31, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 68. 
(19) Archives de Vendée, vente des biens nationaux, dossier de l’achat de Linières : 1 Q 240 no 317.
(20) Ferme des Noues du 15-4-1807 de J. Guyet à Leroy, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138.
(21) 3 E 30/138, ferme des Noues du 20-12-1816 de J. Guyet à Blandin et Boilleteau.
(22) 3 E 30/138, ferme des Noues du 1-7-1823 de J. Guyet à Pierre Blandin.
(23) 3 E 30/138, ferme des Noues du 5-9-1830 de Guyet-Desfontaines à Blandin et Balleau.
(24) Déclaration de la succession de Marcel de Brayer au bureau de Montaigu no 230 du 13-12-1875 (vue 112 du registre numérisé).
(25) Déclaration de succession de Duval Eugène Emmanuel Amaury, Archives de Vendée, bureau de Saint-Fulgent no 95 du 25-6-1886 (vue 57).
(26) A. Huitzing, Modes de faire-valoir et changement social à Saint-André-Goule-d'Oie de 1840 à 1976, Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1980).
(27) Vente par adjudication de Linières le 6 avril 1897, Archives de Vendée, cahier des charges des adjudications (1897-1039) : U 1-354, pages 158 à 174.


Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2019, complété en janvier 2023

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