Beau-frère du futur châtelain de Linières à partir de 1800, Joseph Guyet,
nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Benjamin Martineau, notamment grâce aux
informations puisées dans le livre de M. Maupilier : « Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent
sur la route royale », Herault Éditions (1989). Depuis nous avons trouvé de nouvelles
précisions sur cet habitant bien particulier de Linières la dernière année du
XVIIIe siècle. En particulier, l’accès internet aux successions dans les
archives de Vendée, constitue un atout précieux. Nous reprenons son histoire
pour la rectifier et la compléter.
Installation à Saint-Fulgent en
1790-1791
Benjamin Martineau fut reçu médecin à Montpellier le 2 juillet
1787 (1).
Il
s’établit à Saint-Fulgent et s’enthousiasma très tôt pour l’œuvre
de la Révolution. Beaucoup d’historiens de la guerre de Vendée racontent qu’en
1791, il interpella dans l’église de manière vexatoire le curé de Saint-Fulgent
pour qu’il prête serment à la constitution civile du clergé. Les travaux de
l’abbé Boisson font justice de cette fausse affirmation (Voir notre article publié en
octobre 2016 :
Le refus de prestation de serment du clergé de Saint-Fulgent en 1791).
Né à La Chapelle-Thémer le 16 juin 1765. Son père s’appelait Jean Baptiste Alexandre Martineau, né à Longèves vers 1734, et était fermier de la seigneurie de
Pouillé. Il
avait épousé à Chassenon le 3 juin 1761, sa cousine germaine, Rose Thérèse Martineau. Ils eurent huit enfants. Il est intéressant de
s’attarder sur cette fratrie (2).
- Le
plus connu de ses frères est Ambroise Jean Baptiste Martineau (1762-1846), ardent républicain, qui fut élu administrateur du
département de la Vendée et député suppléant à la Convention. Il
a été l’un des hommes de confiance, sévissant à Fontenay, des plus enragés
parmi les envoyés de la Convention en Vendée (Hentz, Francastel) (3). Il avait
épousé Marguerite Sabouraud.
- On a aussi écrit qu’un autre de ses frères, Philippe Constant Martineau, aurait été sauvagement massacré par les insurgés lors de la déroute de Pont-Charrault
le 19 mars 1793 (4). Il
serait décédé le 15 juin 1793 (5).
- Venant Joseph Grégoire Martineau était officier
d’état-major de l’armée d’Italie lorsqu’il fut tué à la bataille du Pont
d’Arcole le 14 novembre 1796 (6).
- Rose Louise Martineau qui épousa Joseph Merland,
sieur du Chastegnier.
- Agathe Jeanne Françoise Martineau qui épousa Guillaume
Chevallereau, demeurant à Saint-Hermine.
- Thérèse Honorée Martineau qui épousa le 12
novembre 1794 Pierre Ageron, négociant à Fontenay et qui s’établira aux
Herbiers, en devenant le maire de 1807 à 1814. Son père avait été fermier
général de la Grainetière. Il acheta le Landreau et a été considéré comme
« un des grands profiteurs de la
Révolution. », achetant de nombreux biens nationaux (7).
- Rose, présente au contrat de mariage de son frère Étienne à Saint-Fulgent le 16-5-1791 (8).
Horace Vernet : Bataille du Pont
d’Arcole
Franc maçon, Étienne Benjamin Martineau était membre de la Loge des
Cœurs Réunis à Fontenay-le-Comte (9).
Il a épousé à Saint-Fulgent
le 17 mai 1791, Catherine Marie Sophie Guyet, fille
aînée de Simon Charles Guyet et de Catherine Couzin (orthographe ancien
réhabilité en 1804 par son fils Joseph), et sœur aînée du futur
châtelain de Linières, Joseph. Le contrat prévoit la communauté de biens des
futurs époux suivant le régime de la coutume du Poitou. La nouvelle législation
sur le mariage sera décidée par l’Assemblée législative en 1792. Du côté du
marié sa mère le dote d’une somme d’argent de 2 000 livres et
d’une pension annuelle et perpétuelle de 1 000 livres, franche et exempte de
tous droits et impôts « créés et à
créer ». Le notaire est sage d’avoir fait cette dernière précision,
car on était en plein bouleversement en ce domaine. Les parents de la mariée
apportent une somme d’argent de 6 000 livres et une rente annuelle de 1500
F, sujette à impôt. Toutes ces sommes sont des avances d’héritage, suivant
l’usage fréquent. Sont témoins au contrat, et le signent, près d’une
quarantaine de membres des deux familles : père et mères, frères et sœurs,
beaux-frères et belles-sœurs, oncles et tantes, et même cousins.
C’est le cas par exemple de Jean Claude Pillenière,
notaire, et de sa femme Marie Modeste Chauveau, alliés maternels du côté des
Guyet. J. C. Pillenière rédigera quatre ans plus tard l’acte de notoriété de décès du
père de la mariée à Luçon (8). Marie Modeste Chauveau était la fille de Guy
Jean François Chauveau, directeur de la poste aux lettres de Luçon, et frère de
Philippe Chauveau maire de Luçon à la date du mariage de sa fille en 1780.
Les débuts de son
engagement politique en 1792-1793
Benjamin Martineau est commandant
de la garde nationale de la commune de Saint-Fulgent à la fin de 1791 et en janvier 1792 (10). Il fit
aussi partie des électeurs du canton de Saint-Fulgent pour les élections
départementales en septembre 1792. L’arrêté du directoire de la Vendée du 5
février 1793 le nomma commissaire pour le canton de Saint-Fulgent en vue d’y
organiser la garde nationale. Il dirigeait la petite troupe qui est venu dans
les premiers jours de la guerre de Vendée dans le bourg de Saint-André pour
arrêter Jean Aimé de Vaugiraud. Voir notre article publié sur ce site en avril
2012 :
M. de Vaugiraud à Saint-André-Goule-d’Oie.
|
Plaque commémorative
de la bataille de Gravereau
|
Il dû s’enfuir avec son
beau-père, Simon Charles Guyet, le 14 mars 1793, accompagnant vers Fontenay-le-Comte,
la troupe en déroute des gardes nationaux commandée par Rouillé. A-t-il été
témoin dans l’auberge du Chapeau Rouge à Saint-Vincent-Sterlanges, du massacre
de son beau-père le 14 mars par les insurgés du canton de Saint-Fulgent ?
A-t-il pu l’assister avant de mourir le lendemain ?
Il faut dire qu’il était haï dans
les environs. En témoigne un couplet de « la chanson de Marcé », du
nom du général qui fut battu le 19 mars 1793 à la bataille de la Guérinière
(aussi appelée bataille du Pont de Gravereau) et qui égayait les paysans, sur
l’air de la chanson de Malborough. Le refrain était le suivant :
Marcé s’en va-t-en
guerre
Mironton, mironton,
mirontaine
Marcé s’en va-t-en
guerre
En guerre à Saint-Fulgent
Faisant allusion à la fuite des
bleus, un des couplets concerne Martineau avec la prononciation du patois
local (11) :
Martineau sans
tchulotte
Les presse vivement
Préparez au pus vite
Cercueil et
monument !
Ses deux premiers enfants sont nés à Saint-Fulgent.
-
Benjamin Charles, né le 14 février 1792, qui sera juge de paix à Palluau.
-
Louis Marie Amboise dont le baptême est inscrit sur le registre clandestin
de Saint-Fulgent le 4
août 1793 (12).
|
Tableau représentant
la déportation des prêtres par
bateau
|
À cette date, le père était
réfugié du côté de Fontenay-le-Comte et sa femme, restée à Saint-Fulgent, prit
les initiatives nécessaires pour faire baptiser son bébé. La mort guettait les
nouveau-nés à l’époque, et laisser non baptisé le sien a paru impensable à Mme
Martineau. Que faire ? Le curé assermenté de Saint-Fulgent, Baudry, était
prisonnier des Vendéens, le curé insermenté avait été déporté en Espagne par
les révolutionnaires. Restait le vicaire, insermenté lui aussi, qui se cachait
aux alentours en compagnie du curé de Saint-André.
Alors on fit comme tout le
monde, on le contacta, et il baptisa l’enfant. Le parrain, Louis Chateigner,
noté comme notaire royal par le vicaire, était aussi maire de la commune cette
année-là, favorable aux insurgés (13). La loi du 6 octobre 1791 avait pourtant transformé les
« notaires royaux » en « notaires publics ». Il a signé sur
le registre clandestin du prêtre réfractaire, qui ignorait les nouvelles
lois ! Le refus de laisser l’enfant sans baptême valait donc bien cet
accommodement à la lutte contre les prêtres réfractaires. À moins que la
politique, avec les simplifications qui la font vivre, ne réussisse pas
toujours à bien rendre compte des complexités de l’âme humaine ! La
châtelaine de Linières, ex-vicomtesse de Lespinay, échappée par miracle des
noyades du sinistre Carrier à Nantes, était bien tombée amoureuse du
républicain Joseph Guyet …Alors, comme les irrésistibles effets de l’amour,
l’impérieuse nécessité des baptêmes transcendait-elle aussi les luttes
politiques ?
Un engagement dans la guerre civile 1793-1796
Fuyant Saint-Fulgent, on pense
qu’Étienne Benjamin Martineau s’est dirigé à Fontenay, où se trouvait son frère, administrateur du
département. Une fois sur place il y a fait partie du
comité de sûreté générale où, en août 1793, les autorités départementales
avaient placé des élus du 2e rang dont il faisait partie. Ce comité
était au courant des dossiers de police, faisait rechercher les suspects
importants, pouvait procéder aux interrogations et déférer à la cour militaire,
antichambre de la mort.
Sur ce point on ne peut pas répéter
qu’il interrogea des prisonniers originaires de Saint-Fulgent, faute de preuve. Certains historiens ont
pu le confondre dans ce rôle avec son frère, qui signe ses interrogatoires de
personnes de Saint-Fulgent de son titre « d’administrateur et commissaire
du département de la Vendée ». De plus, il fait précéder, dans sa
signature, son patronyme de la lettre « a » et de l’abrégé « Jbte »,
ce qui veut bien dire Ambroise Jean Baptiste (14). Néanmoins on trouve trace de
l’activité d’interrogateur de prisonniers d’Étienne Benjamin Martineau aussi à
Fontenay. Ce fut le cas notamment pour le notaire Charles René Marot, originaire de
Bazoges-en-Paillers, qui fut condamné à mort et exécuté (1).
Il faut aussi évoquer « l’affaire
des charmilles ». C’était le nom d’une allée qui bordait « le Verger de
la Menaudière » appartenant à Simon Charles Guyet, beau-père de
Martineau, vers l’ouest de sa maison, qui était située au milieu du bourg de Saint-Fulgent (derrière l'actuelle mairie).
Longtemps après la fin de la guerre de Vendée, des témoignages
rappelaient les
tortures d’insurgés vendéens qui s’y déroulèrent avant leur mise à mort. Les
cris s’entendaient à travers le bourg (15). Contrairement à ce qui a pu être
dit, le propriétaire des lieux n’y fut pour rien, ayant été lui-même massacré
au début de la guerre. Mais son gendre ? L'historien Maurice Maupilier pense qu’il revint à Saint-Fulgent
après la pacification de Hoche et qu’il n’y fut probablement pas impliqué. On peut mettre en doute
cette opinion, car sous la protection de l’armée à partir de l’automne 1793, il
a pu venir faire des séjours à Saint-Fulgent. On
soupçonne en revanche plus vraisemblablement des tortures par la troupe stationnée à Saint-Fulgent. Mais que cette
propriété ait servi à cela est difficilement contestable. C’est d’ailleurs dans
cette maison de son beau-père qu’il logeait probablement, quand il venait de
Luçon à Saint-Fulgent après 1796. Et cette "affaire
des charmilles" a dû compter beaucoup pour la postérité.
|
Poiré-sur-Vie
|
Benjamin Martineau semble s’être
illustré en janvier 1794 au Poiré-sur-Vie, en tuant le curé de Sainte-Cécile,
Jean Dolbecq, dans un engagement contre une troupe de combattants vendéens
commandée par le général Joly. C’est ce qu’affirme le général républicain Bard,
dans une lettre datée de Chantonnay le 11 janvier 1794, et adressée à la
société populaire de Fontenay-le-Comte. Il y écrit : « Je ne dois pas vous laisser ignorer que le
brave Martineau, le jeune médecin, a porté le premier coup au fameux curé de Sainte-Cécile,
dans l’affaire qui a eu lieu au Poiré. » (16). Dans ses mémoire, l’abbé
Remaud, le secrétaire de Charette et ancien vicaire de Chavagnes, confirme
l’évènement, mais sans citer celui qu’il appelle « l’assassin » et en
donnant une date décalée d’un an (17). Le Dictionnaire
des Vendéens sur le site des Archives de Vendée indique les deux
témoignages.
Martineau fut l’un des premiers
signataires de la dénonciation véhémente de la société populaire de Luçon
contre le général Huché, «
homme atroce »,
le 30 mars 1794 (1). On trouve aisément sur internet les faits et gestes de ce
général alcoolique, chargé par Turreau d’une des colonnes militaires à Luçon et
ailleurs. À la section luçonnaise de la
société populaire, émanation du club parisien des Jacobins, on trouve aussi le
notaire Jean Claude Pillenière dans un état dressé le 21 brumaire an III (11-11-1794)
après l’affaire Huché (18). Il avait été témoin au mariage de Benjamin Martineau
et rédigera l’acte de notoriété du décès de Simon Charles Guyet l’année d’après.
Benjamin Martineau a dû trouver refuge dans cette période à
Champagné-les-Marais, au moins de temps en temps, où le curé constitutionnel de
Saint-Fulgent, retiré alors à Ancenis, lui écrit le 21-6-1794 : « on parle beaucoup ici d’un pardon par les
représentants aux brigands qui mettent bas les armes, que 600 habitants des
marais ont joui tout nouvellement de cette faveur. Je ne crois point à cette
amnistie. »
Probablement au début de l’été
1794, il fut nommé par les autorités départementales, « commissaire pour
recevoir le serment des citoyens égarés qui demandent à se ranger sous la loi,
faire le désarmement, prendre des informations sur les chefs des révoltés, les
faire arrêter et les conduire à Fontenay ». Le dossier d’archives indiquant
cette nomination est trop détérioré et nous ne connaissons pas sa date exacte, seulement la période : 13 novembre 1793 au 24 août
1794 (19). Cette nomination est localisée : Saint-Fulgent, ce qui montre
la possibilité de s’y déplacer à cette date au moins sous la protection de l’armée
pour quelqu’un comme Martineau. Cette nomination est peut-être liée à l’arrêté
de mai 1794 du Comité de Salut Public concernant la Vendée. L’arrêté a été
transmis d’abord à l’état-major de l’armée de l’Ouest (commandée par Vimeux)
pour remettre de la discipline et de l’ordre dans les régiments, puis le 21
juin à une commission d’Agriculture et des Arts pour diffusion d’une
proclamation auprès des habitants. Ceux-ci, qui sont désignés comme des
« individus » et non plus des « brigands », doivent déposer
les armes en échange d’une amnistie (20). Le flop fut tel que la Convention nationale
votera un décret d’amnistie le 2 décembre 1794, maladroit et de peu d’effet.
L’étape suivante sera enfin la négociation et le traité de la Jaunaye.
Plus tard Benjamin Martineau dû
habiter Luçon, où naquit son troisième enfant, Rose Adélaïde Félicité, le 13 novembre 1797. Elle fut baptisée en 1808 à Saint-Fulgent sous condition,
car elle avait été ondoyée à la naissance, mais « ayant lieu de douter de sa validité ». Le même jour, et pour
la même raison, on baptisa aussi ses autres sœurs, Élise Agathe Émilie et Adèle Félicité. Décidément
le baptême était pris très au sérieux dans cette famille (21). Rose Adélaïde épousa à Saint-Fulgent le 17 octobre 1825, Joseph
Alexandre Gourraud
(Proustière de Chavagnes-en-Paillers), juge de paix et conseiller général. À Luçon
Martineau y exerça la médecine. C’est ce qu’il déclare au moment de
l’inscription du décès de son beau-père au bureau de l’Enregistrement de
Montaigu, le 21 messidor an V (9-7-1797).
Commissaire du directoire cantonal de Saint-Fulgent
1798-1799
Mais il devait se rendre
régulièrement à Saint-Fulgent, car il fut élu président de l’administration
municipale du canton de Saint-Fulgent en 1797 probablement, Louis Merlet étant
nommé commissaire de son directoire exécutif.
Puis il remplaça ce dernier en
avril 1798. Il l’avait dénoncé auprès des autorités départementales comme
« coquin », servant ses intérêts au détriment de ceux de la
République. Cette fonction de commissaire du canton nous vaut une
correspondance administrative de Martineau dont nous avons donné un aperçu dans
l’article publié sur ce site en juillet 2010 :
Les agents communaux Fluzeau (1796-1797) et Bordron (1797-1799).
Il s’installa à Linières à une
date que nous ne connaissons pas, au cours de l’année 1798, chez son beau-frère,
Joseph Guyet, dit « le parisien ».
Celui-ci partageait son temps dès la fin de 1796 entre Paris, où vivait sa
maîtresse, la dame de Linières, et la Vendée, où il fallait s’occuper du
domaine de Linières.
Le 4 octobre il se fait une
entorse qui l’immobilise plusieurs semaines. Il la signale au commissaire
exécutif de Fontenay dans une lettre du 14 vendémiaire an 7 : « un accident qui m’est arrivé hier me met hors
d’état d’assister de quelque temps aux séances de l’administration. Une entorse
très douloureuse ne me permettra de quelques décades de sortir de ma chambre.
La privation de ma liberté a plus de prise sur l’âme que la douleur elle-même. » L’époque parlait et
écrivait avec emphase, et il faut en tenir compte pour comprendre cette phrase :
affliction sincère ou héroïsme en chambre ?
Dans son courrier administratif, Étienne
Benjamin Martineau a la plume facile. Il est imprégné des influences de son
temps : grandiloquence et sensibilité à la mode de Rousseau. « Sentir » est un de ses mots
préférés, et c’est ce qu’il appelle sa conscience. Il règle sur elle ses
attitudes, prétend-t-il. On aimerait connaître son rapport aux philosophies à
la mode de son temps. En tout cas son adhésion au projet politique issu des États Généraux fut enthousiaste. Il a l’accusation facile contre ses
collaborateurs, le juge de paix Gérard et le marchand Merlet. Il ne parait pas
s’imposer au lecteur de son courrier par son énergie, mais à cause de
l’antagonisme entre eux, on hésite à suivre Gérard qui l’accuse de lâcheté. De
même qu’on hésite à répéter qu’il bégayait, comme l’écrit l’historien Félix
Deniau, qui montre par ailleurs une facilité à reprendre les rumeurs courant
sur son compte à Saint-Fulgent des dizaines d’années après sa mort (1).
Mais il nous faut bien remarquer un
certain manque de courage quand il se plaint auprès de l’administration
départementale, en février 1799, que l’agent de Saint-André laissait l’église
paroissiale ouverte aux paroissiens pour y faire des prières en l’absence du
curé. Il habitait Linières alors, c’est-à-dire à un km de là. Que n’a-t-il
convoqué lui-même les gendarmes pour faire cesser cette pratique illégale ?
Il faut dire que les
paroissiens l’avaient déjà mis en fuite en mars 1793, quand il était venu dans le bourg arrêter Jean de Vaugiraud avec des gendarmes.
Parmi ce courrier, un fait mérite
d’être relaté. Le 22 mars 1799, devait avoir lieu l’assemblée primaire du
canton. Elle avait lieu en mars de chaque année, pour désigner notamment
le président de l’administration cantonale et le juge de paix (celui-ci sous
réserve de l’accord de l’administration). Le commissaire, disposant de la
réalité du pouvoir, véritable « sentinelle du gouvernement » (formule
employée par L. Merlet), était, rappelons-le, nommé par l’administration
départementale. C’est lui, Martineau, qui la présidait pour la convoquer.
Ensuite l’assemblée votante devait désigner le président et les membres du
bureau de vote.
Ce fut un pugilat, digne des coups de
force et des manœuvres qui se déroulaient dans les chambres à Paris. D’un côté
une majorité de 58 % des 78 électeurs présents (pour tout le canton)
s’opposaient fermement à Martineau. De l’autre un petit groupe de 33 électeurs
le soutenaient. Qui composaient les deux groupes ? On n’a que la version
de Martineau, et selon lui, ses adversaires, qu’il ne nomme pas, sont manipulés
par trois à quatre meneurs du camp royaliste. Lui-même et son camp représentent
« les patriotes les plus purs et les
plus sincères ». On devine que la réalité a été un peu plus
compliquée. Il accuse ses adversaires d’avoir, la veille du jour prévu pour
l’assemblée votante, fomenté des cabales, manœuvré, même désigné les personnes
à élire. La campagne électorale ne serait-elle autorisée que pour un seul
camp ?
Le matin même, l’assemblée votante
était toujours divisée. Elle réussit à composer son bureau de vote. Les
premiers électeurs furent désignés : Joseph Guyet, l’amant de Mme de
Lespinay vivant à Linières, dit « le
parisien », Merlet (Saint-Fulgent), Rechin (Chavagnes), Jean Cailleteau (Chauché). Mais cela s’arrêta sans
que le procès-verbal soit précis sur les circonstances. On se disputa. En début
d’après-midi, le camp Martineau mis à exécution une scission de l’assemblée,
prétextant que les participants étaient manipulés et n’étaient pas tous libres
de leurs votes. Ces scissionnaires se réfugièrent dans une autre salle pour
passer au vote en toute indépendance. C’est ce qui fut réalisé non sans
difficultés. La majorité suivit la minorité dans son déplacement, bâtons en
mains pour quelques-uns, empêchant la tenue de la réunion. Une diversion dans
le jardin pour faire fuir les perturbateurs fut un échec, sous les « propos tumultueux et menaçants »
des opposants. Finalement l’agent de Saint-Fulgent requis le
commandant de la force armée en poste, pour protéger l’assemblée des 33
scissionnaires. Les membres de l’administration cantonale furent élus :
Bossard (Chauché), Bordron fils (Saint-André), Denechaud (Bazoges) et
Martineau. Le nouveau président de l’administration du canton fut Bossard de
Chauché (22).
Et puis, sans donner de
justification, Martineau annonce à l’administration départementale le 13 juin 1799
son départ pour habiter Luçon (23). Il demande qu’on le remplace au 1e
messidor prochain (19 juin). La raison n’est pas dite, est-ce un problème de
santé ? Est-ce lié à l’accouchement de sa femme, qui avait mis au monde
une fille, Élise Agathe Martineau, à Linières le 8 janvier 1799, et qui tomba
enceinte peu après (24) ? Peut-être ne se sentait-il pas en sécurité dans le
canton de Saint-Fulgent. L’actualité fut remplie dans cette dernière
année du Directoire, d’accrochages et d’attaques opérés par des partisans
royalistes et par de vrais bandits, sans que les rapports des autorités nous
aident à les distinguer. D’ailleurs en septembre 1799 une bande de partisans
vint à Linières y piller le logis de Martineau, heureusement absent. Ils
venaient d’agresser deux républicains de Chauché : Bossard, agent de la
commune, et Bossu, ex assesseur du juge de paix. Dans la traque qui s’en suivit
on eut à déplorer un mort dans chaque camp (25). Peut-être aussi connut-il
le découragement, comme d’autres à cette époque dans l’Ouest de la France (26).
Sur l’acte de mariage de son
quatrième enfant, on note que ce dernier est né à Linières, Agathe Élise Émilie, le 8 janvier 1799 ; elle épousa le 14
octobre 1833 à Saint-Fulgent, Narcisse Hyacinthe Legras de Grandcourt.
Reconversion sous
Napoléon
Puis Napoléon s’empara du pouvoir
et imposa à tous la paix civile. Beaucoup des combattants des deux camps, qui
luttaient depuis dix ans, ne demandaient qu’à vivre en paix. Benjamin Martineau
revint à nouveau s’installer à Saint-Fulgent, il était alors membre du conseil
général.
|
Préfet J. F. Merlet
|
Dans une enquête demandée par le ministre de l’intérieur en 1801,
concernant des citoyens vendéens exerçant des fonctions publiques et anciens
révolutionnaires, le préfet de Vendée, Merlet, indique à son sujet :
« Martineau, médecin, membre du
conseil général. Pendant la Révolution, et surtout pendant la guerre de Vendée,
il s’est signalé par une extrême exagération. On lui reproche beaucoup d’actes
répréhensibles. Il a acquis une grande fortune qui ne lui a pas coûté cher. »
(27).
Son dernier enfant naquit à Saine-Florence, Adèle Félicitée, le 7 janvier 1802 ; veuve, celle-ci épousa à
Saint-Fulgent le 9 février
1835, Olivier Gabriel Désiré Legras de Grandcourt.
Mais Martineau n'habita pas longtemps dansle bourg de Sainte-Florence. Il alla exercer la médecine aux Herbiers, au
moins depuis 1803, année où il y apparaît domicilié au bourg dans un acte
notarié. Il y acquit en septembre 1803 une vigne et une ouche, ayant vendu sa
maison de Luçon le 30 mai 1802 (28).
En 1798 il avait acquis à Saint-Vincent-Sterlanges une maison, ayant
appartenu aux Chabot, puis il l’a revendue quatre mois plus tard (29).
La même année
il acheta avec un nommé Beaulieu les Grandes Valinières et Petites Valinières (Saint-Fulgent), ayant
appartenu à Le Maignan de l’Ecorce, pour un montant de 110 000 F (30). Sur ce point, l’abbé Félix Deniau s’est laissé emporter par la réputation de
Martineau, décriée chez les « blancs »,
à propos de cette acquisition, écrivant faussement en 1878 dans son livre
d’Histoire de la Vendée : « Saint-Fulgent (Vendée), Mandin avait été nommé
expert-juré pour la vendition des biens des émigrés. Pour une bouteille de vin,
il ne portait dans ses estimations que la moitié des terres d’une métairie et
la faisait acheter pour rien à qui il voulait. Ainsi la ferme de
Petite-Boucherie, de 75 hectares, fut vendue 600 écus, les Deux-Valinières qui
valent aujourd’hui 6,000 francs de ferme, furent achetées 600 francs par
M... » (31). Charité ou
prudence, il ne donne que la première lettre du nom de l’acquéreur. Il semble
qu’il ait recopié un texte d’Alexis des Nouhes, maire de Saint-Fulgent (32). Mais le fait est révélateur : soixante
ans après sa mort, les nouvelles générations de ses ennemis gardaient en
mémoire sa mauvaise réputation.
Néanmoins le prix
de 110 000 F est bien faible comparé à celui payé pour la seule métairie
de la Roche Mauvin à la même époque (150 000 F), ou à celui de la métairie
du Coin (132 100 F avec des bâtiments incendiés). Au minimum, la valeur
des deux Valinières divise par deux le prix payé ailleurs, ce qui valide l’appréciation
du préfet sur ce point, et même si certains témoignages ont exagéré.
Nous avons aussi une ferme de la métairie du Coin à Mouchamps qu’il fit
en faveur de Pierre Pinau et consorts le 19 brumaire an 11 (33).
En mai et juin 1800, il acheta à ses deux propriétaires, par deux
actes séparés, les deux moulins à eau et à vent dits Vendrenneau, à
Vendrennes, moyennant la somme de 1200 F. Et dans l’acte du 6 juin il les
afferme aux deux vendeurs dans un bail de 3 ans, moyennant un prix annuel de 250 F. en
argent (34).
Toujours passionné de politique, il fit allégeance au nouveau pouvoir de
Napoléon et il fut nommé maire de la commune des Herbiers du 15 avril 1804 à
décembre 1807. Il fut alors remplacé par son beau-frère Pierre Ageron. Mais le
2 juillet 1808 il prêta serment comme juge de paix aux Herbiers.
Aux Cent-jours du retour de
Napoléon, il fut élu le 12 mai 1815 par l’arrondissement de la Roche-sur-Yon
représentant à la chambre (35). On sait que le nouveau retour de Louis XVIII
après la seconde abdication de Napoléon rendit cette élection inutile.
En janvier 1816 il est à Nantes, où il exerce la médecine. Il habite
alors Cours du Peuple, devenu
le cours Cambronne (36). Est-ce une reconversion nécessaire à cause du retour
des royalistes au pouvoir qui l’auraient démissionné de
son poste de juge de paix et après l’échec de Napoléon ?
Étienne Benjamin Martineau est décédé à Saint-Fulgent
le 8 novembre 1828.
Sa mémoire nous pose question. On l’a vu moqué dans « la chanson de
Marcé » au début de la révolte des insurgés en mars 1793. On l’a vu
ensuite chargé d’accusations non fondées dans les décennies qui ont suivi la
fin de la guerre de Vendée. Pourquoi tant de haine ? Son beau-père Charles
Guyet a été massacré dans une escarmouche à laquelle il avait participé, ou bien
il a été assassiné pour avoir été reconnu, bourgeois républicain qu’il était. Cette
haine des républicains n’a pas été une conséquence de la guerre, même s'il faut l'y agréger bien sûr, mais surtout elle se classe parmi les causes apparemment. N’est-ce pas l’enseignement principal qui se dégage de l’histoire
personnelle d’Étienne Benjamin Martineau ?
(1) Archives diocésaine de l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Martineau.
(2) Archives départementales de la Vendée, Notes généalogiques J. Maillaud.
(3) Annuaire de la SEV, Les Bleus de Vendée, article J. Artarit,
(2010), page 235.
(4) Annuaire de la SEV, Les Bleus de Vendée, article J. Artarit,
(2010), page 278.
(5) Registre de déclarations de mutations, Fontenay, n°
120, et succession 1791-an IV : 68/207, cité par J. Artarit.
(6) Archives de Vendée, registre
des déclarations de mutation, bureau Montaigu (10 germinal an 5).
(7) Jean Lagniau, Le Landreau en les Herbiers, (1971).
(8) Archives de Vendée, notaires
de Saint-Fulgent, étude Frappier 3E30/13, contrat de mariage Étienne Martineau
et Catherine Guyet du 16-5-1791.
(9) Jean Artarit, Fontenay-le-Comte sous la Révolution, Éditions du CVRH, 2014.
(10) Dugast-Matifeux, Origines
et débuts de l’Insurrection Vendéenne, page 179. Et Archives de la Vendée,
registre paroissial du Poiré-sur-Vie, signature de l’acte de baptême du
1-1-1792, vue 30.
(11) Billaud et d’Herbauges, La guerre au bocage vendéen, (1992),
page 106.
(12) Archives départementales de
la Vendée, état-civil Saint-Fulgent : registre clandestin vue 10/78.
(13) Extrait d’une liste des insurgés
vendéens dressée par Goupilleau de Montaigu dans la collection Dugast-Matifeux
volume 1, liasse 31, conservée à la médiathèque de Nantes et copiée par l’abbé
Boisson dans le fonds 7 Z 99, aux Archives du diocèse de Luçon.
(14) Interrogatoire le 12
frimaire an 2 de Zacharie Allier, serrurier de la commune de Saint-Fulgent dans
la collection Dugast-Matifeux volume 67 conservé à la médiathèque de Nantes et
copié par l’abbé Boisson dans le fonds 7 Z 99, aux Archives du diocèse de
Luçon.
(15) Maurice Maupilier, Des Étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions,
1989, page 147.
(16) L. Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire,
Le livre d’histoire (fac-similé 2007), page 38.
(17) E. Bourloton,
Le clergé de la Vendée pendant la Révolution,
Revue du Bas-Poitou (1902-4), page 348, vue 17.
(18) R. Williaume,
Luçon dans la guerre de Vendée, éditions
du CVRH, 2009, page 401.
(19) Nomination de Martineau jeune
commissaire à Saint-Fulgent, Archives de Vendée, Répertoire de la série L, table
du registre des délibérations du conseil général et du directoire du
département de la Vendée, commencé le 23 brumaire an II … et fini le 8
fructidor même année : dossier L 70.
(20) A. Rolland-Boulestreau,
Guerre et Paix en Vendée 1794-1796, Fayard, 2019, page 30 et s.
(21) Archives diocésaine de l’évêché de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Martineau, baptême
de Rose
Adélaïde Félicité Martineau le 6-9-1808.
(22) Archives historiques du diocèse de
Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, procès-verbal du 22
ventôse an 7 de Martineau et lettre du même à Coyaud du 4 et 13 germinal
an 7.
(23) Archives historiques du diocèse de
Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-III, lettre de Martineau à Coyaud du 25
prairial an 7.
(24) Archives de Vendée,
état-civil de Saint-Fulgent, mariage Élise Martineau et Narcisse Legras de
Grandcourt du 14-10-1833 (vue 240/335 du registre numérisé). Et état civil de
Chauché an 7, vue 9.
(25) Archives historiques du diocèse de
Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 12-IV, compte-rendu du 3 vendémiaire an 8
de Gérard sur les attaques de partisans à Chauché le 30 fructidor an 7.
(26) J. C. Martin, La Vendée et la Révolution, Perrin,
2007, page 187.
(27) T. Heckmann, « Napoléon et la paix », Éditions
d’Orbestier (2004), page 85.
(28)
Archives de Vendée, notaires des Herbiers, J. M. Graffard (fils) : 3E 020,
vente de leur maison de Luçon par B. Martineau, le 10 prairial an 10, vue
254/304.
(29)
Archives de Vendée, notaire de Sainte-Cécile, minutes isolées Joseph David,
vente de Pierre Brossard à Louis Motais 15 fructidor an 6 (vue 45).
(30) Archives de Vendée, vente de biens nationaux : 1 Q 267 no
1414, vente des Grandes Valinières et Petites Valinières
achetées par Beaulieu et Martineau (Étienne) le 9 messidor an 6.
(31) Archives de Vendée,
bibliothèque numérisée Aubret et les héritiers des Vendéens : 4 Num
280/27, Félix Deniau, « Histoire de la Vendée », tome
premier, page 45 (vue 45).
(32) Archives de
Vendée, bibliothèque numérisée comte de Chabot, biographies : BR 117, vue
10.
(33) Archives
de Vendée, notaire des Herbiers, Allard 3E 019, ferme de Martineau à Pierre
Pineau le 19 brumaire an 11 (10-11-1802) vue 47/492.
(34) Archives de Vendée, notaires
de Chavagnes, Bouron : 3 E 31/18, achat du 6-6-1800 de la moitié
des 2 moulins de Vendrenneau par Martineau, et ferme des moulins.
(35) R. Robinet et Le Chaplin, Dictionnaire de la Révolution et de l’Empire.
(36) Emprunt du 10-1-1816 de 10500 F pour 2 ans par Auguste
Guyet et sa femme, Archives de Grissay, dossier des Titres divers.
Emmanuel François, tous droits réservés
24 avril 2011, complété en juin 2024