jeudi 2 février 2012

À l'origine de Saint-André-Goule-d’Oie

De la préhistoire à la Gaule romaine


La dernière période de la préhistoire, le néolithique, parait tardive en Poitou, datée par les spécialistes de – 5000 à – 2500 avant J. C. (1), alors que l’histoire des hommes des vallées de la Mésopotamie ou du Nil commence vers – 4000 avec leurs premiers écrits. « À Saint-André-Goule-d’Oie une hache d’apparat en jadéite fut découverte en 1940 dans le champ du Vignault, près du village du Peux. Cette hache exceptionnelle mesure 20 x 7 x 3 cm. L’origine probable de cet objet se situe dans les Alpes, ce qui peut donner une idée de l’extrême valeur que devaient revêtir ces prestigieuses haches parvenues jusque dans l’ouest de la France. Quatre haches polies ramassées au Pin sont conservées au musée Dobrée à Nantes ». Voilà ce que nous rapporte B. Poissonnier l’auteur du livre mentionné.    

Ces habitats dispersés et près d’un ruisseau se trouvaient à portée des terrains de chasse sur les plateaux de landes ou dans les forêts, celles du Coudray, de l’Herbergement, de la Vrignaie, touchant la grande forêt des Essarts. Le nom de cette dernière localité indique son origine, son espace a été gagné sur la forêt par essartage (défrichement). 

Voie romaine (voie Domitia à Narbonne)

À Saint-André l’Histoire visible commence avec les romains, plus exactement avec les voies romaines. On sait à quel point elles ont favorisé le peuplement de certains lieux situés sur leur passage. La voie Nantes/Saintes par Montaigu, Saint-Georges-de-Montaigu, avait, à partir de Chavagnes-en-Paillers, deux parcours différents. L’un passait par Saint-Fulgent à la Chaunière, puis par la Boutinière (Saint-André-Goule-d’Oie), située sur la crête d’une colline, et continuait vers les Quatre-Chemins par la Brossière. On peut émettre l’hypothèse que les deux villages de la Brossière et de la Boutinière ont été habités depuis très longtemps sur ce tracé, même si nous ne possédons aucun document pour le prouver. L’autre parcours passait à Benaston, le Haut-Bourg de la Rabatelière, la Chapelle de Chauché, Languiller, et près du bourg des Essarts (2). Entre ces deux tracés on a une partie de la paroisse de Saint-Fulgent au nord et une partie de celle de Chauché au sud et Saint-André-Goule-d’Oie au milieu. La Rabatelière est une création récente en 1640 sur une partie des territoires de Chauché, de Chavagnes et un peu de Saint-André-Goule-d’Oie. Sur ce futur espace de la paroisse de Saint-André, il existait des lieux d’activité agricole comme on en a trouvé à Chauché, Chavagnes, Saint-Fulgent et les Essarts. On y a défriché au premier millénaire de notre ère, mais il est difficile d’être plus précis.

L’historien A. de La Fontenelle de Vaudoré a écrit il y près d’un siècle et demi que le nord du Bas-Poitou était occupé par le peuple des Anagnutes (3). Ces peuples ont été désignés du nom plus général de Pictons, ayant donné leur nom au Poitou. Les historiens romains ont donné le nom générique de gaulois à tous ces peuples de l’ancienne Gaule, dont nous ne connaissons que très peu de choses à vrai dire, sinon qu’ils étaient d’origine celtique.

Vercingétorix (site d’Alesia)

Dans son livre, Guerre des Gaules, Jules César nous informe que les Pictons ont fourni des vaisseaux à Décimus Brutus pour aider les Romains dans leurs luttes contre les Vénètes (Morbihan) en 56 av J. C. (4) Leur capacité de marins sur la cote de l’océan était donc déjà bien reconnue. Mais quand Vercingétorix demanda aux tribus gauloises de se rassembler autour de lui en janvier 52, il envoya des ambassades à tous les peules. « Il ne lui faut pas longtemps pour avoir à ses côtés les Sénons, les Parissi, les Pictons … » (5). Au cours du siège d’Alésia qui suivit, les chefs gaulois demandèrent le secours de contingents déterminés aux peuples de la Gaule. Ainsi aux Pictons ils demandèrent 8 000 hommes à l’été 52 (6). En 51 une multitude d’ennemis s’étaient rassemblés dans le pays des Pictons. La cité de Duriatos (Lémonum), fidèle aux Romains, s’était divisée, une partie importante ayant fait défection. Les Romains vinrent y rétablir l’ordre. Appelée Lémonum par les Romains, la capitale des Pictons a pris ensuite un nouveau nom emprunté à celui du peuple, Poitiers, comme beaucoup d’autres villes de Gaule (7). On sait par ailleurs que les monnaies des Pictons attestent et illustrent le rite des têtes coupées sur l’ennemi et ramenées pour orner la maison du vainqueur. Enfin les gaulois avaient leurs propres unités de mesures qui ont été transposées en mesures romaines avec la colonisation de Rome (8).

Nous disposons d’une carte de J. M. Guerineau sur « La Vendée de l’époque gallo-romaine à l’époque féodale » (9). Saint-André-Goule-d’Oie y apparaît comme possédant un camp gaulois, comme les Essarts, Saint-Fulgent et Chauché. D’une vraie valeur pédagogique, cette carte ne prouve rien sur l’existence des camps gaulois cités, nous semble-t-il. En revanche il semble bien qu’ait existé un camp romain avéré au lieu-dit le Chatelier entre les Essarts et Sainte-Florence (10). Mais à Saint-André, il n’existe aucune trace probante à notre connaissance.


L’évangélisation au temps mérovingien


Chez les voisins, l’histoire a laissé plus de traces. Ainsi à Saint-Fulgent on a découvert des pièces de monnaie romaine du 3e siècle après J. C. et l’activité d’un potier dans le bourg au 4e ou 5e siècle (11). À Chavagnes on a trouvé des traces d’une villa gallo-romaine au Cormier, et une probable implantation wisigothe (12).

L’évangélisation de la contrée remonte aux années 600 après J. C. Elle s’est déroulée à partir des deux couvents (hommes et femmes), installés à Saint-Georges-de-Montaigu vers 580 par saint Martin de Vertou (527-601). À cette époque la ville s’appelait Durinum, ayant déjà perdu de sa prospérité d’antan. L’église érigée par les moines fut dédiée à saint Georges et les couvents étaient une extension du monastère de Vertou que saint Martin (de Vertou) y avait créé vers 575, en y instaurant la règle monastique de saint Benoît.

Les moines de Durinum évangélisèrent le pays alentour et un historien cite les Herbiers, Mouchamps, Vendrennes, les Essarts, Rocheservière (13). Saint-Fulgent faisait aussi partie de cette région évangélisée et son prieuré dépendait de l’abbaye de Vertou. Que l’évangélisation des peuplements de ce qui deviendra Saint-André-Goule-d’Oie ait commencé au tournant des 6e et 7e siècles est donc très probable. Comment évangéliser Saint-Fulgent et les Essarts en évitant le territoire de la future paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie, situé entre les deux ?

Les premières églises ou chapelles ont été bâties en bois, à cette époque. Parfois elles l’ont été chez le seigneur du lieu, où les habitants avaient l’habitude de venir pratiquer leurs anciens cultes païens. À la place ils sont venus pratiquer le nouveau culte catholique. La notion de paroisse, au sens de territoire, n’existait pas encore. 

D’autre fois c’étaient des moines qui bâtissaient leur église-prieuré sur des terres données par un seigneur, et accueillaient les habitants des alentours. À l’origine, les prieurés étaient de simples fermes, appelées granges, dépendantes des abbayes. L’abbé envoyait un certain nombre de religieux dans une ferme pour la faire valoir. Les religieux n’en avaient que l’administration et rendaient compte à l’abbé tous les ans. Ils ne formaient pas une communauté distincte et séparée de celle de l’abbaye et l’abbé pouvait les rappeler dans le cloître quand il le jugeait à propos. Les prieurés furent érigés ensuite en paroisse. L’abbaye y plaçait alors au moins un simple prêtre. Quand il y en avait plusieurs, l’un d’eux, l’écolâtre, pouvait enseigner aux enfants « les lettres divines et humaines. »

Dès les débuts de l’évangélisation, on fixa les circonscriptions ecclésiastiques de l’évêché de Poitiers, érigé au 4e siècle, et s’étendant alors sur la contrée. L’évêque était à l’origine secondé dans son territoire par des chorévèques. C’étaient des évêques attachés à un « pays » (pagus ou vicus), avec la fonction d'aider les évêques des cités épiscopales dans l'administration des groupes de population vivant à la campagne. À la fin du 8e siècle on supprima les chorévèques, tout en reprenant les mêmes circonscriptions. Ils laissaient en souffrance des services qui furent attribués à des archidiacres, archiprêtres et doyens. Les différences entre ces trois catégories, de nature semble-t-il surtout honorifique, sont difficiles à établir pour une époque aussi lointaine et ont pu varier suivant les évêchés. N’y attachons pas d’importance.

Ainsi est né le doyenné de Paillers (transféré à Montaigu après les invasions normandes du 9e siècle), qui doit son nom à une petite ville réduite à l’état de village et enclavée depuis dans la commune de Beaurepaire (14). Il a donné son nom à Bazoges-en-Paillers et Chavagnes-en-Paillers. Le mot « paillers », d’origine gauloise, signifie cachette (dans les bois). Paillers a été le lieu de résidence du doyen de la contrée. Une partie de la contrée faisait partie du doyenné de Paillers, alors qu’une autre partie appartenait à l’archiprêtré de Pareds, dont Saint-André-Goule-d’Oie.

Ruine de l’ancienne église de Pareds

L’archiprêtré de Pareds mérite une explication elle aussi, donnée par l’abbé Aillery dans son pouillé de l’évêché de Luçon en 1860. Sur les bords de l’Arcançon, ruisseau qui traverse la plaine du Bas-Poitou, avait été édifiée au haut Moyen-Âge l’antique bourgade de Pareds.  Cette localité, devenue depuis un simple village de la Jaudonnière, a continué à imposer son nom à beaucoup de lieux aux alentours (ex. : Mouilleron, Bazoges, etc.). Son archiprêtré comportait beaucoup de paroisses de l’est vendéen (notamment Pouzauges, les Herbiers, Chantonnay), et aussi Vendrennes, Sainte-Cécile et Sainte-Florence-de-l’Oie. 






Les guerres au temps du pays d’Herbauge


Cette implantation catholique dans la période mérovingienne donnera naissance plus tard à la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie. Mais d’autres indices, de nature politiques doivent être relevés dans le premier millénaire pour la contrée, à commencer par l’existence du pays d’Herbauge, ainsi nommé à cause de son chef-lieu appelé Herbadilla (citée disparue et non repérée), et remontant au 6e siècle. Il devint un comté, distinct de celui de Poitiers, qui fut démembré puis supprimé lors de la réunion du pays de Retz à la Bretagne. D’origine gallo-romaine, comté au temps carolingien, ce pays était borné au 9e siècle au nord par la Loire, à l’ouest par l’océan, au sud par le golfe des Pictons (qui n’était plus qu’un marécage où les rivières avaient tracé leur lits, recouvert par les marées jusqu’au-delà de Champagné). À l’est, il était limité au moins dès le 10e-11e siècle par le Lay, de la mer jusqu’à la jonction de ses deux branches aux limites de Bournezeau et Chantonnay, puis par le Petit-Lay en remontant vers le nord, au ruisseau de l’Herbergement-de-l’Oie, le Vendrenneau, la Petite Maine, la Maine et la Sèvre Nantaise jusqu’à sa jonction avec la Loire près de Saint-Sébastien. Plus à l’est et au nord de cette limite se trouvait le pays de Tiffauges, dont Saint-Fulgent et Durinum (Saint-Georges-de-Montaigu) faisaient partie (15).

Le roi Charles le Chauve remporta une bataille à Fontenay-le-Comte le 25 juin 841 contre les troupes de ses frères, et recouvra Nantes avec l’aide notamment de Lambert, prétendant au comté de Nantes, et Renaud, comte d’Herbauge. Lambert demanda le comté de Nantes au roi, lequel refusa à cause de l’influence des Bretons, alors ses ennemis, sur lui. Il donna la ville à Renaud d’Herbauge. En 843 le comte Lambert fit appel aux pirates Danois et Norvégiens (aussi appelés à l’époque les Normands), stationnés à l’embouchure de la Loire, et avec leur aide s’empara de Nantes. Renaud d’Herbauge fut tué à Blain dans un combat contre Lambert le 24 mai 843. Puis ce dernier livra aux Normands les territoires de Renaud comte d’Herbauge, et les barbares se répandirent pour la première fois dans le pays des Mauges, de Tiffauges et d’Herbauge à partir de 843, dans des incursions toujours temporaires. Établis en permanence à l’embouchure de la Loire, leurs pillages dans ces territoires durèrent plus d’une centaine d’années, avec beaucoup de dévastations à Noirmoutier, Luçon, Mareuil, Fontenay, etc. Lambert donna ensuite à ses chevaliers des territoires avec droit d’héritage : la région d’Herbauge à Gundfroy, Mauges à Rainarus et Tiffauges à Girard. Le roi Charles institua un autre duc d’Aquitaine, Begon, pour défendre ces territoires contre les vassaux de Lambert. Ceux-ci le vainquirent à DurInum (Saint-Georges-de-Montaigu) en fin 843 (16). En 845-851, Erispoé, roi de Bretagne, envahit l’Aquitaine dont le pays d’Herbauge, « occit le populaire qu’il trouva aux champs », et fit reculer les  troupes du roi (17). 

Au milieu du 10e siècle les comtes de Poitiers contestaient toujours la mainmise du duc de Nantes sur les Mauges, Tiffauges et Herbauge. Mais vers 942 le comte de Poitiers, Guillaume III Tête d’Étoupe (934-963/965) reconnut à Alain Barbe Torte, duc de Bretagne (937 à 952) la souveraineté sur ces territoires. Leurs limites communes du côté du Poitou sont celles indiquées ci-dessus et décrites sommairement dans « la Chronique de Nantes » pour le traité de 942, et plus précisément par Dom Morice (18), mais sans date. À la suite de nouvelles luttes, le comte de Poitiers, Guillaume IV Fier à Bras (963/965-995/1000), concéda définitivement le pays de Retz en 982 au duché de Bretagne, mais recouvra la plus grande partie du pays d’Herbauge et de Tiffauges peu après, et les comtes d’Anjou mirent la main sur le pays des Mauges (19). Ces derniers constituaient alors un danger à contenir par l’alliance des comtes de Nantes et du Poitou. 

Le Vendrenneau à la Boutinière

La limite entre les pays d’Herbauge et de Tiffauges en l’an 1 000 et probablement avant, mérite d’être précisée dans le territoire du futur Saint-André. Le ruisseau de l’Herbergement-de-l’Oie prend sa source à l’Oie, à 3 kms du Petit Lay, venant de Sainte-Cécile. Il fait séparation entre le pays d’Herbauge et le pays de Tiffauges au nord, avec le ruisseau de Fondion à la Brossière, puis les ruisseaux du Vendrenneau, la Petite Maine (à partir de la Proustière), la Maine et la Sèvre Nantaise jusqu’à sa jonction avec la Loire près de Saint-Sébastien (14). Cette frontière dut être un enjeu militaire dans les combats qui se déroulèrent en pays d’Herbauge dans le premier millénaire. L’historien B. Fillon a relevé dans une publication de 1887 que cette limite a bénéficié de travaux de défense, citant notamment l’Herbergement-de-l’Oie, le Chatelier de Sainte-Florence et le Pertuis Benaston (Chavagnes-en-Paillers). Sur ce dernier lieu l’historien Amblard de Guerry est moins affirmatif un siècle après, mais en revanche il relève que la Guierche (touchant la Brossière) est un nom caractéristique correspondant à un point de défense de l’époque carolingienne, avec une origine militaire. Et autour de la Guierche, sur la même rive du Vendrenneau il trouve des toponymes germaniques comme nulle part ailleurs sur Saint-André : Guisambourg (Guierche), Andebourg (Landes Borgères) (20). Il avance que la Brossière a pu se rattacher anciennement à un établissement franc ou du moins barbare (21). Ainsi cette frontière entre les pays de Tiffauges et d’Herbauge fut reprise au 12e-13e siècle pour devenir la limite entre les paroisses de Saint-Fulgent et Chavagnes au nord, et celle de Saint-André-Goule-d’Oie au sud. Elle plonge ses racines apparemment sur plusieurs siècles auparavant.

En 981 le comte de Nantes, Guérech, succéda à son frère Hoël assassiné par un émissaire de Conan, comte de Rennes. Ils se disputaient le duché de Bretagne. Après la mort de Guérech, laissant un neveu comme héritier, son allié, le jeune comte d’Angers, Foulque Nerra, poursuivit le fils de Conan, Geoffroy-Béranger, lequel mourut le 27 juin 992 lors d’une bataille dans les landes de Conquereuil (près de Nantes). Judicaël, le neveu de Guérech âgé de 12 ans et fils de Hoël, fut placé après la bataille de Conquereuil sous la tutelle du vicomte de Thouars, Aimery III (vicomte de 987 à 997), vassal de Foulque Nerra. Aimery prit alors le titre de comte de Nantes. Mais en 994 il ne porte plus que le titre de vicomte de Thouars, à la majorité de Judicael, alors dans ce cas fixé à 15 ans (22).

L’implantation féodale au Moyen-Âge


Les principes du système féodal ont été fixés sous les premiers carolingiens dans un contexte de luttes incessantes entre les provinces et contre les envahisseurs. La distribution de terres à des vassaux de plus en plus nombreux a permis à ces derniers de s’équiper en tant que cavaliers. Elles provenaient des domaines royaux ou de la confiscation aux églises et abbayes, et furent concédées en contrepartie du service armé. Le bénéfice (domaine) fut associé à la vassalité (service du suzerain). Puis des fonctionnaires (comme les comtes) sont devenus des vassaux du roi, de plus en plus riches, les plus puissants créant leurs propres vassaux. Avec les divisions entre les descendants de Charlemagne (v742-814), les comtes s’émancipèrent de leur suzerain royal, privatisant à leur profit les fonctions militaires, de justice et d’impôts. La féodalité était née, qui dégénéra en un droit particulier et original de la propriété avec la transmission héréditaire des bénéfices devenus des fiefs.

C'est au début du 9e siècle qu'apparaissent les premiers vicomtes de Thouars (833). Mais les premiers châtelains de la région ont une origine non documentée. Dans une charte du 7 décembre 1099, concernant des donations octroyées au prieuré de Saint-Nicolas de la Chaise-le-Vicomte, par Albert II vicomte de Thouars, on fait mention de ses vassaux contributeurs. Cette charte donne les noms des barons relevant de la vicomté de Thouars à cette date. Parmi eux, Maurice de Montaigu, Geoffroy de Tiffauges et Guillaume-Bertrand des Essarts. À partir de 1120 on connaît la lignée des seigneurs de Montaigu. Aux Essarts on a la mention d’un Tainart en 1120 et de Pierre d’Aspremont en 1196, après quoi la documentation sur les barons des lieux nous permet de commencer un récit sur eux. C’est un demi-siècle après qu’on connaît, vers 1250, Jehanne Guygnère dame du Coudray Loriau à Saint-André. Elle était alors veuve et appartenait à une famille noble, étant aussi indiquée dame de la Cour de Tiré, de Musse (situé à Ligron-Champaumont au nord de La Flèche), et la Boninière (Saint-Martin-des-Noyers ou Saint-André) (23). Les premiers seigneurs de Saint-Fulgent nous sont connus à partir de la même époque du milieu du 13e siècle. Ils sont aussi seigneurs de la Drollinière (devenue Linières) et de la Boutarlière, et possèdent au moins en partie le fief de Saint-André (le bourg). Mais il faut attendre le Moyen âge finissant pour découvrir l’organisation féodale en place à Saint-André-Goule-d’Oie. Avant, son implantation nous est inconnue. 


La naissance de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie au Moyen Âge


Gauthier de Bruges

On découvre l’existence de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie dans un document daté de 1306. Il s’agit du « Grand Gauthier » (24), recueil réalisé avant cette date, puisque son auteur, Gauthier de Bruges, évêque de Poitiers, mourut cette même année. C’était un pieux et savant religieux de l’ordre des Frères Mineurs, nommé évêque en 1271, qui mérita par ses vertus le titre de Bienheureux. Le nom de la paroisse est indiqué sur le document en latin : De Gula Anceris (De Goule d’Oie). De même y est mentionnés le choix du prieur-curé par l’abbaye de Nieul-sur-l’Autise, et l’existence de la chapelle de Fondion, dédiée à saint Laurent et desservie par le prieur de Goule d’Oie. L’abbaye de Nieul-sur-l’Autise ayant été fondée en 1068, on situe donc la création de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie au 12e siècle ou au 13e siècle. Deux siècles pour y localiser une date, nous manquons de précision !

Le nom de Goule d’Oie est une traduction en latin de ce que le copiste entendait en patois. Il est d’origine gauloise vraisemblablement. Pour une fois les lieux ont gardé leur nom d’origine, alors qu’à Saint-Fulgent, par exemple, il s’est fait évincer par un nouveau nom en l’honneur de saint Fulgent.

Géographiquement la paroisse avait une forme allongée d’orientation sud-est/nord-ouest avec un resserrement en son milieu au niveau du bourg. Ses limites nous sont décrites avec le cadastre napoléonien de 1838, mais les documents de l’Ancien Régime confirment les mêmes depuis la fin du Moyen Âge avec une seule modification en 1640. Ainsi dès leur origine l’extrémité nord/ouest formait un angle situé un peu au nord du village du Coin, qui faisait limite avec Chavagnes-en-Paillers. L’extrémité sud-est de la paroisse était limitée par la forêt de l’Herbergement, située sur Sainte-Florence-de-l’Oie, en ligne droite de 3 kms dans une direction nord/sud. Elle se prolongeait vers le nord en direction de la Brossière à partir de Fondion en suivant le ruisseau d’eau venant de l’Oie. C’était la limite décrite plus haut du traité de 941 entre les pays d’Herbauge et de Tiffauges. Elle séparait Saint-André de Vendrennes. Puis à la Brossière elle suivait la même frontière du pays d’Herbauge, où était situé le territoire de Saint-André : le ruisseau du Vendrenneau. Elle faisait désormais limite avec Saint Fulgent, dont la seigneurie relevait de Tiffauges et la paroisse était plus ancienne que Saint-André (rattachée à l’abbaye de Saint-Martin-de-Jouarre).  

La limite sud en partant de la forêt de l’Herbergement a été fixée dans les terres du fief Pothé, donnant le tènement du Clouin à Saint-André au nord et l’hôtel noble de la Frissonnière (habitat disparu au nord de la Guiffardière) aux Essarts au sud. Le prieuré des Essarts avait été rartaché à l’abbaye de Luçon au moins dès le 11e siècle. Cette limite dans le fief Pothé faisait ainsi frontière entre Saint-André et les Essarts dans une direction est/ouest, jusqu’à rencontrer à la Clémencière la paroisse de la Chapelle Begouin et les territoires des seigneurs Droullin (la Boutarlière et Drollinière). Cette paroisse avait été absorbée dans la nouvelle paroisse de Chauché créé à la même époque que Saint-André et elle a disparu des registres officiels de l’évêché de Poitiers et de celui de Luçon qui a pris sa suite dans la contrée en 1317. Mais ses habitants relevaient de la haute justice des Essarts, à la différence d’autres paroissiens de Chauché. Le culte y a été célébré dans son église de la Chapelle régulièrement jusqu’au 17e siècle en tant qu’annexe de l’église du bourg de Chauché, et les actes notariés ont toujours distingué les lieux de cette ancienne paroisse de celle de Chauché. C’est une bizarrerie où l’organisation ecclésiastique a dû composer avec l’organisation seigneuriale et les habitants des lieux, au point d’imposer sa limite nord à la nouvelle paroisse de Saint-André. Cette situation étonne davantage quand on sait que le seigneur de Linières, la Boutarlière et Saint-Fulgent, était seigneur en partie du bourg de Saint-André déjà probablement au moment de la fixation des limites des nouvelles paroisses. Le lieu noble de Linières était situé sur la paroisse de la Chapelle à 1 km du bourg de Saint-André. Il y resterait, alors que sur son fief du bourg, le prieuré appartiendrait à la nouvelle paroisse. C’est donc la limite de la paroisse de la Chapelle qui servit de frontière à Saint-André, d’abord en direction du nord jusqu’à son bourg.

 À la Gandouinière, cette limite empruntait le ruisseau d’eau dit « de la Fontaine de la Haute Gandouinière », prenant sa source à quelques centaines de mètres au sud du village de la Haute Gandouinière sur la Chapelle de Chauché, celle-ci englobée dans Chauché, répétons le, et faisait limite entre les deux communes : du côté est, les maisons de la Basse-Gandouinière étaient situées à Saint-André. Puis, en arrivant au pied du coteau où s’élevaient les maisons du bourg de Saint-André, la frontière du ruisseau continuait toujours en direction du nord vers Linières. De là, la frontière d’avec le domaine de Linières et la paroisse de la Chapelle, était matérialisée par les murailles du logis seigneurial. Après, dans une direction est/ouest, c’est le chemin de la Bergeonnière à la Morelière qui servait de limite avec la paroisse de la Chapelle située au sud. Ensuite on suit un petit ruisseau dit des « Passe Lignes », puis dans une direction sud/nord « le ruisseau d’eau qui descend de l’étang de Languiller », jusqu’à rencontrer le cours de la Petite Maine. On a toujours la Chapelle de Chauché à l’ouest et Saint-André à l’est. En suivant en direction du nord, la Petite Maine fixe la limite de Saint-André jusqu’à sa jonction avec le ruisseau du Vendrenneau. C’est dans cette dernière partie que la frontière fut rectifiée en 1640 : la Bordinière, le Puy Sallé et la Maisonneuve passèrent de Saint André à la nouvelle paroisse de la Rabatelière créée à cette date.

On remarque qu’en trois endroits les limites de la paroisse scindèrent un même ensemble de terroirs ou d’habitats préexistants. C’est d’abord le cas de la Gandouinière dont le village a été scindé en deux, sa partie ouest située à Chauché et sa partie est située à Saint-André. La limite physique du ruisseau parait avoir été préférée pour définir une frontière, plutôt que la réalité humaine. De même à la Brossière, où le ruisseau du Vendrenneau a coupé en deux le tènement du même nom. Celui-ci s’étendait sur la paroisse de Vendrennes en effet (25). Enfin à la Boninière, le ruisseau du Vendreneau séparait le tènement portant ce nom situé à Saint-André de celui, aussi appelé Boninière, et situé à Saint-Fulgent de l’autre côté du ruisseau. L’ancienne frontière entre les pays d’Herbauge et de Tiffauges, reprise pour devenir celle entre l’ancienne paroisse de Saint-Fulgent et la nouvelle paroisse de Saint-André, parait avoir divisé ce lieu-dit très ancien. 

Finalement la géographie des ruisseaux et des forêts a compté de manière importante dans la fixation des limites de la nouvelle paroisse de Saint-André, au point de séparer l’appartenance de certains habitats. Quoique le Vendrenneau n’était pas qu’un ruisseau, il avait acquis une dimension politique vers 939. Mais on trouve des exceptions tout aussi importantes à cette géographie physique, soit pour partager le fief Pothé entre les Essarts et Saint-André, soit au contraire pour garder les seigneuries de Linières et la Boutarlière entièrement à Chauché. On devine derrière ce mélange de géographies physique et politique des enjeux de pouvoirs et de fiscalité, sans en connaître l’histoire malheureusement. En tout cas les habitants dans les seigneuries de la Boutarlière et de Linières pouvaient bien continuer d’aller à la messe à Saint-André, leurs dîmes d’Église allaient à la paroisse de Chauché, plus exactement à l’abbaye de Luçon dont elle dépendait, au lieu de l’abbaye de Nieuil-sur-l’Autize dont dépendait la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie.

Étang de Linières

C’est ainsi qu’il faut expliquer très probablement que les terres de Linières, de la Louisière actuelle, de la Mauvelonnière, continuèrent, jusqu’au ruisseau de la Haute Gandouinière, de toucher le bourg de Saint-André-Goule-d’Oie. Il en serait de même pour l’actuel hameau du Doué anciennement fief de la Pinetière (du domaine de Linières aussi), si on n’avait pas rectifié la limite de la commune de Saint-André en 1980. La Révolution en créant les communes en 1790, a laissé aux nouveaux départements le soin de fixer leurs frontières. Dans la région de Saint-André, on a repris les limites anciennes des paroisses pour les donner aux communes. Ainsi depuis 8 siècles certains des habitants de Saint-André et de Chauché, vivent-ils dans des territoires, dont la vie religieuse et sociale ne correspond pas à ceux auxquels leurs demeures ont été administrativement rattachées.

La remarque a-t-elle encore un sens en ce début du 21e siècle, où les notions de distances ne sont plus les mêmes ? En tout cas l’évêque de Luçon a régularisé la situation au bout de huit siècles en modifiant les contours géographiques des paroisses de Chavagnes, Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie, pour mieux les faire coller à la réalité. Il n’y avait plus d’enjeux fiscaux. Ainsi les villages excentrés au nord-ouest de la commune de Saint-André Goule d’Oie furent rattachés à la paroisse de Chavagnes-en-Paillers par ordonnance du 29 juillet 1957, « pour régulariser une situation de fait » dit le texte : la Racinauzière, le Coin, la Mancellière, le Peux et la Roche Mauvin (26). De même les villages de Chauché touchant Saint-André furent rattachés à la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie par ordonnance du 2 février 1957 : Charillère, Boutarlière, Gandouinière, Julière (ou Saint-Jean), Sainte-Anne, Guérinière, Guerinet, Mauvelonnière, Louisière, Lignière, Villeneuve, et Bois du Vrignais (27).


La naissance de la fiscalité seigneuriale et ecclésiastique à Saint-André


Les troubles de la fin du premier millénaire et la naissance de la féodalité éloignèrent aussi l’Église de ses dogmes, mettant le clergé à la solde des laïcs. Il faut rappeler aussi que l’évangélisation des campagnes fut œuvre difficile en raison d’un enracinement profond des croyances anciennes. Parfois les évangélisateurs durent s’adapter en donnant à celles-ci une coloration chrétienne. Des seigneurs construisirent des églises, nommèrent des curés et des évêques, et créèrent ce qu’on appelle, un peu rapidement, des paroisses, qui rapportaient de l’argent. Les nouveaux ordres monastiques et les réformes du pape Grégoire VII (1073-1085) enrayèrent le processus et réformèrent l’Église.

Grégoire VII
 Le pape avait menacé d'excommunication les seigneurs qui s'accrochaient, sans titre religieux, aux revenus des églises. Vers 980 on accorda des privilèges d'impôts aux paroisses des marches Poitou-Bretagne, ce qui veut dire que des paroisses existaient déjà dans la contrée (28). La paroisse de la Chapelle de Chauché fait peut-être partie de ce mouvement de création de paroisses remontant au premier temps de l’évangélisation de la région. L’église de Benaston à Chavagnes remonte aussi à cette époque. Encore faut-il employer le mot de paroisse avec prudence, ayant un sens moins précis dans l’organisation de l’Église comme il est devenu depuis. 

Les seigneurs des fiefs situés dans la nouvelle paroisse de Goule d'Oie avaient accaparé les dîmes ecclésiastiques. Sur les petits animaux ils en partagèrent un petit nombre soit avec le prieur de la paroisse, soit avec l’ordre des templiers à Mauléon et à Launay (Sainte-Cécile). Sur une partie du territoire les grosses dîmes (prélèvement au 1/13e) furent restituées à l’Église, mais la situation est très peu documentée à Saint-André, un peu mieux à Chauché. L’autre partie des territoires était acensé à droit de terrage au 1/6 des récoltes et les seigneurs le partagèrent à moitié avec le prieur de la paroisse. Donner la moitié d’un prélèvement au 1/6 équivalait à un prélèvement au 1/13e. C’est la situation constatée au début du 15e siècle, la même qu’à l’origine probablement. Néanmoins sur 4 tènements le terrage fut remplacé par de grosses rentes fixes féodales au 14e siècle, non partagées avec le prieur. Le droit de boisselage a été repéré sur l’un d’eux plus tard, né peut-être de cette transformation. C’était une rente fixe sur toutes les exploitations agricoles d’un tènement au profit du prieuré. Voir sur ce sujet l’article publié sur ce site en juillet 2019 : Du prieuré cure au presbytère à Saint-André-Goule-d’Oie (1306-1988). La moitié du terrage prélevé par le prieur a été confisqué à son profit exclusif par le seigneur protestant de Languiller au moment des guerres de religion à la fin du 16e siècle.


L’organisation féodale à Saint-André-Goule-d’Oie à partir du 14e siècle


Si on ne sait pas comment est née l’organisation féodale dans la paroisse, on en a une vue globale au 14e siècle. Le baron des Essarts avait reçu du vicomte de Thouars des territoires touchant à ceux des seigneurs de Tiffauges et de Montaigu. Ce dernier avait Chavagnes et les deux, chacun une partie de Saint-Fulgent. Montaigu avait une influence sur une partie de Saint-André comme en témoigne un aveu en 1343 de Jean de Thouars à Montaigu à raison de sa ligence à L’Herbergement-Entier (au sud-ouest de Montaigu). Il y déclare tenir des droits dans la moitié du fief de Saint-André (bourg), l’autre moitié appartenant au seigneur de la Drollinière (devenue Linières). Il déclare aussi un fief de la Sextenbreische, situé aussi à Saint-André, tenu par Aimery Loriau à foi et hommage (29). Les noms transcrits ne permettent pas une localisation facile, sauf pour un fief de vigne dans le bourg. Deux autres sont probablement le tènement de la Roche Herpière (près de la Javelière) et celui de la Machicolière. Comme Puytesson, la Jarrie, la Roche de Chauché, la Vergne Ortie, Aimery Loriau devait pour la Sextenbreische à Montaigu un devoir de garde, qui ne peut s’expliquer que par une sorte de dépendance lâche (30). 

Cette situation seigneuriale qu’on peut décrire en 1343 remonte certainement à plus loin dans le temps mais sans qu’on puisse l’évoquer faute de documents. On a seulement l’existence vers 1250 du fief du Coudray, appelé Coudray Loriau, du nom de cette famille qu’on a vu plus haut tenir le fief de la Sextenbreische. À cette date une Jehanne Guignière est dite dame du Coudray (31). D’autres fiefs remontent probablement à cette époque lointaine du Moyen Âge : le Coin et les Bouchauds. Cette dernière seigneurie, avec son château aux Essarts était suzeraine de plusieurs fiefs et tènements situés à Saint-André.  

Richard Cœur de Lion

Ces seigneuries avaient une vocation militaire, on le sait, dans ce Bas-Poitou impliqué à l’époque dans les conflits entre les rois Capétiens et les Plantagenet d’Angleterre (1159 à 1259) au temps de Richard Cœur de Lion et de Jean sans Terre. Certains allèrent aux croisades en Palestine. Les seigneurs du Coin, des Bouchauds, leurs propres vassaux du Coudray et de la Mancellière, leurs voisins de Chauché : Languiller, la Chapelle, Linières, etc. devaient combattre aux côtés du baron des Essarts, assurer des gardes au château, dans sa maison à ligence (casernement de l’époque) située dans un espace dans lequel fut creusé plus tard un étang près de l’ancien château féodal.

Le seigneur de Saint-Fulgent est moins connu. Il relevait de Montaigu pour une partie de la paroisse de Saint-Fulgent (dont les seigneuries des Roussières, des Valinières et de la Thibaudière), mais pour sa prison dans une tour située dans l’enclôture de son château, il rendait hommage à Tiffauges (avec la seigneurie du Puy-Greffier dans sa mouvance et le reste de la paroisse de Saint-Fulgent). Le plus ancien connu de ces seigneurs est Aimery Droulin ou Droslin, qui serait né vers 1240. Cette famille fut à l’origine d’un fief au lieu-dit actuel de Linières (Chauché). Il lui donna son nom : la Drollinière (transformée en Linières au 17e siècle). À cause de son nom, on pense que la Drollinière, avec déjà sa muraille d’enceinte probablement (notée dans un texte du 17e siècle), est une création de cette période florissante des 12e et 13e siècles, où beaucoup d’anciens ou nouveaux lieux habités prirent des noms que nous connaissons encore : Boutinière, Porcelière, Baritaudière, etc. souvent à partir du nom d’un fondateur. La Drollinière apparaît comme participant du même mouvement. 

Ses seigneurs œuvrèrent au défrichement de leur domaine, où on a trouvé plus tard des métairies importantes totalisant 300 hectares cultivés en 1830 dans le domaine de Linières : Bois du Vrignais, Mauvelonnière, Guérinière, plus le fief de la Boutarlière. Les 90 hectares rattachés directement à Linières furent divisés d’abord en 1880 pour créer la métairie d’une Linières plus éloignée du nouveau château, puis vers 1900, pour créer celle de la Louisière. Le village de Villeneuve s’ajoute à cet ensemble relevant des Essarts, mais le seigneur de Linières en fit un tènement concédé à des roturiers. En 1342 c’est Maurice Droulin, né vers 1310 et mort avant 1378, qui est « seigneur de Saint-Fulgent, Droullinière et la Boutarlière ».

La maison forte de Linières, alias la Droullinière, relevait toujours au sortir du Moyen Âge du seigneur baron des Essarts, à cause de sa châtellenie des Essarts, à foi et hommage plain et à rachat, « et à une maille d’or », précise l’aveu du baron des Essarts à Thouars en 1597 (32). En 1658, un aveu du même précise que la maille d’or est estimée à 24 sols tournois. Cette maille d’or, monnaie disparue ensuite, a continué d’être citée dans les fois et hommages de Linières au fil des siècles. La féodalité qui a survécut jusqu’à la Révolution, on le voit, n’est pas exactement la même que celle qui est née à l’époque carolingienne et qui s’est épanouie dans la chevalerie des 12e et 13e siècles.

la peste noire
 Peu de temps après sa naissance la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie connut des désastres. La peste, d’origine asiatique, dite la peste noire, est revenue en force pendant l’hiver 1347/1348 en Provence puis dans tout le royaume, et décima villes et campagnes. Elle s’installa en Europe, se déployant en grandes vagues pendant un siècle (33). En outre, le climat avait changé depuis le début des années 1300, marqué par des hivers plus froids, ce qu’on a appelé le Petit Âge Glaciaire, avec des épisodes de printemps-été pluvieux. Après 5 siècles commença la période actuelle de réchauffement climatique, accélérée depuis peu. Le gel et la pluie ont détruit des récoltes et engendré des famines, parfois mortelles comme en 1315, et toujours propices aux maladies. On n’a pas de description de ces phénomènes pour le Poitou, où la culture de l’avoine et du sarrazin, plus résistants au froid humide, a dû favoriser une adaptation. Mais pas plus qu’ailleurs les troupeaux, de moutons notamment, ont difficilement résisté aux rigueurs climatiques du temps. Les années 1340 virent le retour du couple maudit du gel et des pluies (34). Alors en 1348, le mauvais climat a-t-il favorisé l’avancée de la peste noire ? Il parait délicat de démêler ces causes entre elles, mais, associées, on est sûr de leur effet multiplicateur. Enfin les campagnes militaires procédèrent par vagues comme la peste, touchant inégalement des provinces. La guerre de Cent ans avait commencé en 1337, accompagnée autour du château des Essarts de la guerre pour la succession au duché de Bretagne. Les bandes armées pillaient partout sur leurs passages, quels que soient leurs commanditaires. Leurs dégâts aggravèrent les désastres pandémiques et climatiques, des familles disparaissant et des tenures tombant en déshérence. La famine touchait les pauvres, mais la guerre et la peste a frappé toutes les strates de la population. Au total tout le royaume fut touché, perdant le tiers de sa population environ en moyenne. La situation se prolongeant, on verra à Saint-André-Goule-d’Oie des villages disparaître. 

Dans ce contexte des débuts de la guerre de Cent ans et des désastres du milieu du 14e siècle, des changements vont s’opérer dans les seigneuries à Saint-André. La mouvance de Montaigu va reculer jusqu’à Chavagnes, laissant la place à celle des Essarts. Le roi de France avait confisqué en 1343 la baronnie de Montaigu pour cause de félonie de son possesseur, Olivier IV de Clisson, l’année même où il reçut l’aveu mentionné ci-dessus pour le bourg de Saint-André. Il rendit les biens confisqués en 1362 au fils, Olivier V de Clisson. C’est donc probablement autour de 1350 que le roi céda au baron des Essarts la mouvance de Montaigu sur le bourg de Saint-André, dont le droit de fief fut concédé au seigneur du Coin, alors probablement Jean Allaire. Savary III de Vivonne (ca1300-1367), le baron des Essarts d’alors, fut qualifié par le roi en 1360 « d’aimé et féal », à cause de son dévouement à la cause française. Et le bourg de Saint-André n’est pas le seul fief concerné par cette poussée de la mouvance suzeraine des Essarts vers le nord, on observe la même chose à Chauché.

Stèle du traité de Brétigny
Qu’après cette expansion des domaines du Coin vers 1350, on trouve en 1372 leur possession dans les mains de la famille de Sainte-Flaive, seigneurs de Languiller, et en 1405 le château du Coin en ruine, les malheurs de l’époque que nous avons brièvement décrits fournissent maintes circonstances pour ne pas s’en étonner. Quand en 1360 le Poitou fut annexé à la couronne d’Angleterre au traité de Brétigny, la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie est devenue anglaise, tandis que la châtellenie de Montaigu, et le prieuré de Chavagnes-en-Paillers qui en dépendait, restèrent français (35). Le château du Coin est devenu pour quelques années un poste frontière dans la zone d'influence des Anglais, situation peu enviable pour la sécurité des habitants aux alentours on s’en doute. Située dans la mouvance de la châtellenie des Essarts, la seigneurie du Coin Foucaud a dû suivre le sort de son suzerain, pour un temps soumis au roi d’Angleterre officiellement. En réalité celui-ci resta politiquement fidèle au roi de France, mais avec quels risques ? Peut-être que les ruines du château du Coin trouvent leur origine dans ces risques.

Une maison noble située près de la Machicolière, la Dibaudelière, est mentionnée pour la première fois dans la première moitié du 15e siècle, alors mouvante elle-aussi du Coin. Elle disparaîtra ensuite, et son domaine foncier sera arrenté aux habitants de la Machicolière (36). Et dans le même contexte de dévastations des patrimoines il faut ranger la ferme perpétuelle du tènement de la Milonnière faite en 1372 à deux particuliers par Jean de Sainte-Flaive, le nouveau possesseur du Coin (37). À cette occasion il institue comme redevance une grosse rente fixe de 54 boisseaux de seigle prélevée sur les récoltes du tènement, au lieu de l’habituel droit de terrage au 1/6 des récoltes. Et cette pratique se rencontre dans d’autres tènements de la paroisse. Il y a dans ces initiatives une adaptation du mode de concession des terres par les seigneurs aux nouvelles données économiques nées des désastres de tous ordres.

Une autre conséquence fut la transformation du régime féodal du bourg appelé le fief de Saint-André-Goule-d’Oie. Vers 1405 le Coin est suzerain de la totalité du fief, tenu par lui des Essarts, et le seigneur de la Drollinière est pour ce fief son vassal aussi pour la totalité du fief. Il devait au seigneur de Languiller, à cause de la seigneurie du Coin, la foi et hommage plain, abonné à quarante sols par an, à un droit de rachat « quand le cas y advient par mutation d’hommes » (38) à un cheval de service.

Sur ce fief les Droulin avaient aménagé un étang se trouvant moitié sur les terres de Linières et moitié sur celles tenues du Coin, puisqu’en amont et en aval le ruisseau alimentant l’étang faisait limite entre les deux terres. Il ne s’agissait pas à l’époque d’en faire un lieu d’agrément, mais un centre d’élevage de poissons d’eau douce. En plus, ils construisirent un moulin à eau, puis sur le coteau en direction de l’est un moulin à vent. Autour du moulin à vent il y eut quelques maisons, aires, cours et voies d’accès. Le nom du champ où le moulin à vent a été construit s’appelait encore, il y a quelques dizaines d’années, le champ du moulin. À quand remontent ces créations de l’étang et des moulins ? Au plus tard au début du 14e siècle probablement.

Les seigneurs de Linières avaient leurs armes inscrites dans le chœur de l’église. Nous en déduisons qu’ils aidèrent peut-être à la création de l’église et du presbytère, au milieu du bourg, ou à son entretien, puisqu’ils y avaient une position éminente, même si nous la cernons mal. Le mot bourg, d’origine germanique, eut plusieurs sens à cette époque. Dans la France de l’Ouest le mot désignait alors des villages neufs (39).

Les très riches heures du duc de Berry :
La glandée (musée Concdé à Chantilly)
 Goule d’Oie a été cité dans la liste de ces bourgs francs (40). En remplacement des rentes perçues en 1343 par Jean de Thouars sur la moitié du bourg, le seigneur de la Drollinière a instauré ensuite un cens d’une poule et cent-un sols, ce dernier versé par portions à différents termes, payé par tous les habitants chaque année, et deux droits particuliers : un droit de « maussage » à la Pentecôte, calculé sur chaque cochon élevé par les habitants, se montant à une maille ou un demi denier par bête. Plus un droit de « panage » d’un denier, aussi sur chaque cochon, à la Saint Michel Archange (41). Par ce régime favorable le seigneur de la Drollinière a voulu, dans cette 2e moitié du 14e siècle, attirer de nouveaux habitants des voisinages dans le fief. On ne trouve en effet ni terrage, ni dîmes dans le fief et l’essentiel des terres et prés constituait une métairie concédée avec le fief à un roturier.

Le montant du cens, à la fois en argent et en nature, est conforme aux pratiques dans les tènements des environs. Et il est faible. Ainsi en 1370, on s’offrait environ 60 kilos de beurre pour 101 sols, ceux-ci étant répartis sur tous les habitants du bourg. Au rendement de l’époque, cette quantité de beurre devait correspondre à environ 5 mois de traite d’une vache laitière. Une paire de souliers valait 3 sols (42). Ensuite l’inflation vint diminuer le pouvoir d’achat de cette modeste somme, dont le montant n’a pas bougé dans les siècles à venir, aboutissant rapidement à une valeur symbolique.

L’espace foncier concédé comprenait des bois qui ont disparu depuis, ce qui explique la place des cochons dans le régime des redevances. Les glands constituaient à l’automne leur nourriture indispensable et le droit de panage était celui de faire paître les porcs en forêt. La viande de l’animal pouvait se conserver dans le sel. L’animal donnait lieu au commerce aussi, puisque les redevances versées au seigneur l’étaient en numéraire.  



(1) Bertrand Poissonnier, La Vendée Préhistorique, Geste Éditions, 1997.
(2) Archives de la Vendée, Léon Brochet, annuaire de la société d’Émulation de la Vendée, Les voies romaines en Bas-Poitou, 1907, page 103, vue 57.
(3) De La Fontenelle de Vaudoré, Recherches sur les peuples qui habitaient le nord de l’ancien Poitou, Revue de la société des Antiquaires de l’Ouest, 1835 T1, page 75 à 111.
(4) Jules César, Guerre des Gaules, traduit par L.A. Constans, Gallimard, 1981, L. III, chap. 10, page 132.
(5) Ibidem : L. VII, chap. 4, page 256.
(6) Ibidem : L. VII, chap. 75 page 312.
(7) Ibidem : L. VIII, chap. 26, page 345 et 454.
(8) Ibidem : notes page 38 et no 149 page 404.
(9) Archives de la Vendée : 7 Fi 529.
(10) Archives de la Vendée, mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, Fradet Poitiers, 1884 (série 2, tome 7), page 499.
(11) Maurice Maupiller, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault-Éditions, 1989, page 21.
(12) A. de Guerry, Chavagnes communauté vendéenne, Privat, 1988, page 27.
(13) Abbé Auber, saint Martin de Vertou, Société des Antiquaires de l’Ouest (1868), page 48 et s.
(14) Archives de la Vendée, J. Lagniau, Notes sur l'histoire de Paillers, Annuaire de la société d’émulation de la Vendée, 1938, page 27, vue 15.
(15) B. Fillon et O. de Rochebrune, Raciate et le pays de Rais, page 4, dans « Poitou et Vendée, études historiques et artistiques », T. 2, réimpression Laffitte en 1981 de l’édition de 1887.
(16) La chronique de Nantes (570 environ-1049), édition de 1896 par René Merlet, imprimée par Hachette Livre pour la BNF et accessible sur le site Gallica.fr, pages 3, 5, 18 et 22.
(17) Ibidem, page 31. L’auteur de La chronique de Nantes est inconnu. Il a écrit son texte au milieu du 11e siècle.
(18) D. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, T 1, col. 138. Cité par B. Fillon : voir la note (15) ci-dessus.
(19) Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1896, article de M. Richard. Et Jan Hendrik Prell, Comtes, vicomtes et noblesse au nord de l’Aquitaine aux Xe et XIe siècles, K. S. B. Keats-Rohan&Christian Settipani, 2012, pages 44, 51 et 67. J. H. Prell précise que la Chronique de Nantes utilisée par les auteurs du 19e siècle est une source à traiter avec précaution. 
(20) Note d’Amblard de Guerry pour une présentation générale sur Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 1.
(21) Description générale de Saint-André-Goule-d’Oie aux 15e et 16e siècles, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 4
(22) Idem (16), page 127.
(23) Note no 5 sur le Coudray à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(24) Eugène Aillery, Pouillé de l’évêché de Luçon (1860) page 86
(books.google.com/books/.../Pouillé_de_l_évêché_de_Luçon.)
(25) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, ferme du 6-6-1782 des dîmes sur divers villages (Guierche, Brossière etc.) par Adrien (curé de Vendrennes) à Jacques Robin.
(26) Ordonnance de l’évêque du 29-7-1957 portant transfert de villages de Saint-André à Chavagnes, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 38, transfert de villages.
(27) Ordonnance de l’évêque du 2-2-1959 transférant des villages de Chauché à Saint-André, ibidem : carton 38.
(28) Note de D. Guilloteau à l’auteur du 12-10-2011.
(29) Aveu en 1343 de Jean de Thouars à Montaigu (roi de France) pour des domaines à Saint-André, no 389, Archives d’Amblard de Guerry : classeur d’aveux copiés aux Archives Nationales.
(30) Note d’Amblard de Guerry pour une présentation générale sur Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 1.
(31) Note no 5 sur la Coudray à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 2.
(32) Aveu du 16-4-1597 des Essarts à Thouars, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135.
(33) Hugues Neveux, Déclin et reprise fluctuation biséculaire 1350-1560, dans "Histoire de la France rurale", tome II, Seuil, 1975, page 42.
(34) E. Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparée du climat, Fayard, 2004, tome I, page 31 et s.
(35) Amblard de Guerry, Chavagnes communauté vendéenne Privat (1988), page 71.
(36) La Dibaudelière à Saint-André-Goule-d’Oie aux 15e et 16e siècles, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 4
(37) Note no 39 sur le Coin à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 1.
(38) Notes no 5 et 17 sur le fief de Saint-André à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 3.
(39) Collectif dirigé par Georges Duby, Histoire de la France rurale, Seuil, 1975, tome 1, page 435.
(40) Louis Brochet, la Vendée à travers les âges (1902) : histoiredevendee.com
(41) Archives de la Vendée, annuaire de la société d’émulation de la Vendée, 1867, page 230, vue 116 [Chercher dans bibliothèque numérisée, périodiques, revues scientifiques].
(42) Quelques prix pratiqués dans la seigneurie de Palluau en 1371, Archives de la Vendée, annuaire de la société d’émulation, 1867, vue 116.


Emmanuel François, tous droits réservés
Février 2012,complété en août 2020

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lundi 2 janvier 2012

De Brayer et la nouvelle église de Saint-André-Goule-d’Oie.

Lettre du curé de Saint-André-Goule-d’Oie à de Brayer en 1875

Le blason du propriétaire de Linières, au moment de la construction de l’église actuelle de la paroisse, Marcel de Brayer, est reproduit sur un des vitraux de l’église. Dans ses papiers personnels (1) nous avons retrouvé une lettre du curé de Saint-André à Amaury-Duval, évoquant ce vitrail. Le comte Marcel de Brayer est alors malade et se trouve, avec son grand-oncle Amaury-Duval, dans sa résidence parisienne, Linières étant sa deuxième résidence. Voici le texte de cette lettre :

                                                                                           « Saint-André-Goule-d’Oie 7 mai 1875
Monsieur,

J’ai appris avec beaucoup de plaisir que la santé de M. le Comte va s’améliorant. Je serais bien content de le voir à Linières, ainsi que vous, Monsieur, afin de causer ensemble des affaires de notre église. Elle s’élève rapidement, nous voici déjà rendus à la naissance des croisées.
Mes paroissiens vont me payer mes vitraux. Je pense que je n’en aurai pas assez à leur offrir. Sur onze croisées qu’il y aura dans la première partie de l’église, neuf m’ont déjà été promises. Il ne m’en reste plus qu’une d’un bas prix, qui sera au-dessus d’une petite porte d’entrée, et une des plus belles que je réserve pour M. le Comte. Elle sera placée dans le transept du côté droit, en entrant dans l’église. En face sera un vitrail de même grandeur qui sera payée par Mme veuve Chaigneau du Coudray (2). Voici le sujet de ce vitrail.
Il représentera Saint André offrant le Saint Sacrifice de la messe, à l’Élévation. Dessous l’autel, les âmes du purgatoire qui attendent leur délivrance par l’offrande de la messe, un peu à côté les vivants prosternés, à cause de l’élévation de l’hostie, implorent la divine miséricorde. Au-dessus, en haut du vitrail, Marie est à genoux devant son fils qu’elle regarde avec amour, d’une main lui montrant l’hostie consacrée, de l’autre empêchant l’ange de la justice divine de frapper les coupables.
Ce vitrail sera auprès de l’autel de la  sainte Vierge. Celui que j’offre à M. le Comte, sera auprès de l’autel de Saint Joseph. Voici le sujet que je désirerais mettre dans ce vitrail.
Vitrail dans l'église de
Saint-André-Goule-d'Oie
La Sainte Famille occupée au travail. Marie assise tient sa quenouille et son fuseau, Joseph auprès de son établi tient sa scie ou son rabot, l’enfant Jésus est au milieu. Il parle et Marie et Joseph écoutent dans le respect et l’admiration. Au-dessus un Père éternel et le Saint Esprit, avec des rayons lumineux qui descendent du Père et du Saint Esprit jusqu’à l’enfant Jésus. Je crois que ce vitrail ferait beaucoup d’effet. Ce serait un tableau parlant et rempli d’instructions.
Au-dessus du vitrail, d’un côté seraient les armes de M. le Comte, de l’autre son nom et celui de sa demeure.
Si M. le Comte pouvait écrire, je suis persuadé qu’il aurait déjà fait connaître ses intentions. J’attendrais bien une complète guérison pour connaître la décision, mais je craindrais que le vitrail ne fût pas prêt à l’époque voulue si on attendait trop tard à le commander. Tous les autres vitraux sont commandés depuis déjà 15 jours. Il faudra qu’ils soient prêts pour la Toussaint.
Si j’osais, je vous prierais, Monsieur, d’avoir l’obligeance d’en dire un mot à M. le Comte, quand vous jugerez le moment convenable, et de m’envoyer le dessin de ses armes, car je ne doute pas qu’il ne veuille avoir son nom et ses armes dans mon église, ce que tout le monde désire.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mon très profond respect.
Martin prêtre. »

On sait que l’église a été inaugurée le 19 août 1877 (3).

La nouvelle église de la paroisse


La reconstruction de l’église s’est inscrite dans une action générale du clergé vendéen au XIXe siècle. Parmi les 300 communes du département, un tiers d’entre elles va procéder à la reconstruction complète de leur église, et un autre tiers va apporter des modifications de restauration importantes. 15 % des chantiers se sont ouverts avant 1848, 25 % des reconstructions se sont entreprises sous le IIe empire. Plus de 50 % des dossiers sont ouverts après 1870. Ces précisions sont données dans un article sur « Les églises en Vendée au XIXe siècle : neutralité et éclectisme » de Marie Paule Halgand (4). Les destructions de la guerre de Vendée et la prospérité apportée par les progrès techniques au cours du XIXe siècle, ainsi que la vitalité de la population, ont favorisé le phénomène. Il faut y ajouter aussi l’action évangélique du clergé, qui fait dire à l’auteure de l’article cité que ces constructions témoignent d’un catholicisme « ostentatoire ».

À Saint-André-Goule-d’Oie, l’ancienne église était devenue insuffisante à cause de l’augmentation de la population (1525 habitants). Elle avait une surface totale de 230 m2, dont 185 m2 seulement pour les fidèles, une fois déduits le chœur, les petits autels et les fonds baptismaux. Sa disposition rendait son agrandissement impossible (5).

Église de Saint-André-Goule-d'Oie
inaugurée en 1877
C’est la fabrique (6) de la paroisse qui a porté le projet entièrement, pour un montant total du devis s’établissant à 75 880 F. L’architecte du département, Victor Clair, en a dessiné les plans, et un nommé Tillot en a dirigé un temps les travaux. Il a réalisé aussi le perron du château de Linières (7). Un emprunt de 10 500 F à 5 % sur 10 ans a été souscrit auprès de Pierre Fonteneau, après autorisation préfectorale du 9 juillet 1874. Une indemnité de secours du ministère de l’intérieur et des cultes a été accordée le 11 février 1874 pour un montant de 10 000 F. Mais on avait demandé 15 594 F. et on manqua d’argent. La construction du clocher fut ajournée pour cette raison, ce qui explique probablement la bénédiction officielle de l’édifice trois ans plus tard que prévu. L’autofinancement de la fabrique représentait 35 % du devis et les souscriptions particulières 30 %. Le conseil municipal n’a pas participé au financement, ayant alors la charge d’un montant de 24 centimes additionnels aux quatre contributions, pour la construction des routes et de l’école des garçons à la même époque (5).

La commission départementale des bâtiments civils, dans sa séance du 16 août 1873, a émis un avis favorable au projet de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie et à son style néo-gothique. On lit que « La construction nouvelle est conçue dans le style de la plupart des églises nouvellement érigées dans le département » (8).

Le vitrail de Marcel de Brayer


La portée de la lettre du curé se lit dans le texte même. Il propose au jeune comte de reproduire ses armes et son nom sur un vitrail, pour le remercier en tant que donateur. Et il n’est pas le seul, chacun des vitraux de l’église porte l’inscription de la personne ou de la famille qui l’a financé. Dans le chœur, un des vitraux porte l’inscription : « don des paroissiens », provenant de la quête auprès des moins fortunés. La reproduction des armes du comte de Brayer sur un vitrail n’a donc rien à voir avec une survivance du droit du seigneur haut justicier dans le Bas-Poitou, avant 1789, de faire reproduire ses armoiries dans les églises du ressort de sa justice (9). Il y avait aussi les armes des seigneurs de Linières inscrites dans le chœur de l’ancienne église, mais là aussi, cette inscription relevait d’un droit désormais abolit (10).

On peut voir aujourd’hui, tel que le décrit le curé dans sa lettre, le vitrail dans le transept du côté droit de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie. Il représente bien la sainte famille occupée au travail. Dans sa partie basse, on remarque deux blasons.

Blason de Michel de Brayer
À droite celui du général Michel de Brayer (1769-1840). Napoléon l’avait fait baron en 1810, puis comte en 1815 pendant les Cent Jours. Marcel de Brayer est son petit-fils et a porté le titre de vicomte, hérité de son père, mort en 1863. Le titre de comte était porté par le frère aîné de son père, Lucien de Brayer, qui fit une carrière militaire, puis diplomatique en Amérique du sud (consul de France au Paraguay). Le blason représente en bas un renard au-dessus d’un pont à six arches et dans la partie supérieure quatre dessins : un chevron avec trois points, un sabre, un serpent qui se mord la queue et une faucille. En langage héraldique la description est la suivante : « Écartelé : au 1er, de sable au chevron alaisé d'argent accompagné de trois besants du même ; au 2e, des barons militaires ; au 3e, de pourpre au serpent en cercle d'or se mordant la queue ; au 4e, d'azur à la faucille d'argent ; le tout soutenu d'une champagne de gueules chargée d'un pont de huit arches (11) d'argent sommé d'un renard passant du même. »

Blason d'Amilcar de Brayer
Le blason de gauche est celui d’Amilcar de Brayer (1813-1870), le troisième fils du général Michel de Brayer (12). Militaire de carrière lui aussi, il portait le titre de baron. Il devint général en 1864 et fut nommé comte par Napoléon III la même année. Célibataire, il obtint le 3-11-1869, l’autorisation de transmettre son titre nobiliaire à son neveu Marcel de Brayer (13). C’est ce qui advint après sa mort à la tête de ses troupes le 16 août 1870 lors de la bataille de Rézonville (Meurthe-et-Moselle).

Marcel de Brayer a donc fait reproduire sur son vitrail les deux blasons qu’il a portés, en tant que vicomte d’abord (représenté à droite), puis en tant que comte (représenté à gauche). Ce dernier comprend dans sa partie basse un renard au-dessus d’un pont à six arches et dans sa partie haute trois dessins : une fleur, un chevron avec trois points et un serpent qui se mord la queue. Les deux blasons sont surmontés d’une couronne comtale et portent la même devise, choisie par le général Michel de Brayer et reprise par son fils : « Bien aimer, bien servir ».

On ne saurait oublier d’indiquer ici que les titres nobiliaires portés par Marcel de Brayer n’avaient pas d’existence légale stricto sensu. L’usage pour les enfants de Michel de Brayer, de porter le titre de vicomte pour le second fils et de baron pour le troisième fils, et encore plus pour le petit-fils de reprendre le titre de vicomte de son père, devaient être autorisés par ordonnance royale, ce qui n’eut pas lieu ici. Et même l’accord donné par le garde des sceaux pour que le comte Amilcar de Brayer transmettre son titre à son neveu, devait être approuvé par une ordonnance du chef de l’État. Ce qui aurait été impossible, avec l’avènement de la République après 1870. Néanmoins, la pratique du jeune Marcel de Brayer était monnaie courante, on appelait ces titres des titres de courtoisie. Était aussi monnaie courante la pratique de l’ajout de la particule « de » devant son nom, pour faire plus noble, et qui ne se justifiait pas, dans son cas, ni au regard de la législation sur l’état-civil ni au regard des règles habituelles les plus anciennes sur le statut nobiliaire. Sans exagérer dans l'ironie, on peut observer que l’envie de noblesse, chez beaucoup de membres de la « haute société », semble s’être accrue après la nuit du 4 août 1789 qui l’avait abolie.

La lettre du curé est datée du 7 mai 1875, et on y apprend la maladie de Marcel de Brayer, cloué au lit dans sa résidence parisienne, rue d’Athènes. On sait qu’il mourut le 19 juin suivant, d’une grippe mal soignée selon Amaury-Duval, son grand-oncle qui deviendra son héritier.

Ce dernier a donc confirmé au curé de Saint-André-Goule-d’Oie l’accord de son petit-neveu pour reproduire les armes sur le vitrail, mais sans retenir la suggestion du curé de mettre son nom et celui de sa demeure à Linières.

Une dernière remarque sur cette mort prématurée. Elle se situe à la veille d’une importante baisse de la mortalité des adultes et des enfants, due à de nouveaux progrès décisifs de la médecine et à l’amélioration de l’hygiène publique et privée.


(1) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre de Martin à Amaury-Duval du 7-5-1875.
(2) Son mari, Jean François Chaigneau, est mort le 15-12-1869 à l’âge de 35 ans. Il était alors maire de Saint-André depuis quelques mois, ayant remplacé Augustin Charpentier en juillet 1869.
(3) Abbé Aillery, Chroniques paroissiales de Saint-André-Goule-d’Oie, (1892) T1, page 280.
(4) Bruno Foucart, Françoise Hamon, L'architecture religieuse au XIXe siècle : entre éclectisme et rationalisme - 2006 - Architecture - 363 pages.
(5) Archives de la Vendée, Saint-André-Goule-d’Oie (1 O art.632).
(6) Patrimoine d’une église administré par un conseil, aussi appelé fabrique.
(7) Lettre de Victor Cesson à L. de la Boutetière du 21-11-1901.
(8) Archives départementales de la Vendée, registre des procès-verbaux de la commission départementale des bâtiments civils : 4 N 61.
(9) Annuaire de la SEV, Les juridictions Bois-Poitevine, (1889).
(10) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière 150 J/C 17, positions contradictoires sur la dépendance de Saint-André-Goule-d’Oie à Linière et factum de M. du Plessis Clain contre M. La Brandasnière dans un mémoire de 1646.
(11) Le blason original possède huit arches, contrairement à la reproduction sur le vitrail.
(12) C’est par erreur que certaines informations sur internet en font le père de Marcel de Brayer.
(13) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Amilcar de Brayer du 6-11-1869.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2012

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Emma Guyet-Desfontaines dans son intimité familiale

Ingres : Emma Guyet-Desfontaines
(musée Bonnat de Bayonne)
Comme son mari, Emma Guyet-Desfontaines a été dessinée par Ingres en 1847 à la mine de plomb et rehauts de blanc (voir au musée Bonnat de Bayonne). Avec ce dessin d’Ingres, nous avons presque mieux qu’une photographie. Il entre dans la psychologie du modèle, et tout son talent est de l’exprimer. On se souvient du mot de ce peintre : « le dessin est la probité dans l’art ». Emma n’ayant pas la beauté des modèles du peintre, il ne la montre pas de face. D’ailleurs le caricaturiste des habitués du salon d’Emma, J. A. Barre (1) a choisi de la dessiner en pied et de loin. Ingres choisit une position de côté pour mieux mettre en valeur les qualités personnelles de cette femme. Certes, il laisse deviner sa corpulence, et sa coiffure, passée de mode maintenant, ne l’avantage pas. La mode des cheveux coiffés en bandeaux plats apparut à partir de 1840 (2). Mais Ingres valorise l’essentiel en montrant l’expressivité et la mobilité de son visage, frappantes chez elle. On la voit rieuse, ouverte aux autres. On devine sa capacité d’entraînement, sa spontanéité et son envie de bouger. Son caractère séduit.

Quand on compare son portrait avec celui de son père, la filiation est frappante, ce qui n’est pas du tout le cas de son frère Amaury.

Sa fille Isaure Chassériau et son frère Amaury-Duval


Comme nous l’avons déjà indiqué le couple Guyet-Desfontaines n’eut pas d’enfant. Isaure Chassériau, fille issue du premier mariage d’Emma, adoptée comme sa fille par son beau-père, fut leur unique enfant.

Son frère Amaury habitait au no 2 rue Valois (3), où il avait son atelier de peintre dès 1834, à l’âge de 26 ans. Plus tard il déménagea, rue Saint-Lazare no 54, et il eut une autre adresse au boulevard des Batignolles no 21 à la fin de sa vie, ayant ainsi deux ateliers à Paris (4). Elle fait venir son frère chez elle aussi en 1836, lui donnant une chambre et lui offrant un espace pour servir d’atelier. Emma est une vraie mère pour son frère. Au temps de leur vie commune à l’Institut, quai Conti, Amaury a fait partie de la commission d'artistes et de savants désignée par Charles X pour aller en Grèce lors de l'expédition de Morée, comme dessinateur dans la section archéologie. Il est parti en janvier 1829, mais il a dû abréger son séjour à cause d’une fièvre qu’il y a contractée. Les lettres d’Emma à son frère, pour lui donner des nouvelles de la famille, lui raconter les parties avec des amis à Montrouge, chez elle ou chez les Nodier (« combien je t’ai regretté ! ») montrent cet attachement de la grande sœur. Elle lui écrit de Londres : « J’aimerais à voir de ta chère écriture, à lire ce que ton affection pour moi t’inspirerait, afin d’être heureuse pendant quelques jours. » (5) Mais quand elle apprend qu’il est malade, elle éclate : « Tu me connais, tu sais combien je t’aime, combien tu m’es nécessaire. Je t’ai cru perdu, et j’ai été folle un moment. » (6) Elle part à Marseille au mois de septembre 1829, où il a été rapatrié, pour le soigner. Adolphe Thiers lui avait écrit pour la consoler (7) :

« Ma chère amie,
J’ai appris hier soir la triste nouvelle qui est venue vous affliger. Je conçois votre douleur, mais elle est prématurée. À l’âge de votre frère, on brave une fièvre, et plus que cela, je crois et je souhaite que vous serez bientôt rassurée. Je vous remercie de votre aimable sollicitude pour moi ; j’ai trouvé un Strabon, et je n’ai pas besoin d’user de la lettre de change de votre père.
Je le remercie ainsi que vous. Si j’ai un moment avant de partir, j’irai vous voir et vous rendre un peu de courage. Adieu. Tout à vous.
                                                              A. Thiers »

Ce tempérament de mère dont fait preuve Emma Guyet se comprend par sa personnalité bien sûr, mais pas seulement. La maternité était devenue au début du XIXe siècle la passion du jour, une nouveauté pour une part dans la haute société (8).

La maison de Montrouge


François Gérard : Juliette Récamier
Le couple Guyet-Desfontaines disposait de la maison de Montrouge, au sud de Paris, pour profiter de la campagne proche de Paris. Pour aider financièrement son beau-père, Marcellin s’en était porté acquéreur. La célèbre Mme Récamier, entre autres grande amie de Chateaubriand, loua le pavillon de Montrouge. Le texte suivant nous en donne la circonstance : 

« Revenue à Paris à la fin de 1816, Mme de Staël effraya ses amis par le spectacle de son changement. Sa faiblesse était excessive ; elle n'obtenait le sommeil et on ne calmait ses douleurs que par l'opium.
Mme Récamier, profondément inquiète pour la santé de son amie, Mme de Staël, n'était pas moins alarmée par l’état de maladie de sa cousine, Mme de Dalmassy. Elle n’eût consenti en pareille situation à s'éloigner ni de l'une ni de l'autre ; cependant elle désirait donner à sa cousine le calme de la campagne et la vue d’un jardin, en conservant la possibilité de voir Mme de Staël tous les jours. C'est alors qu'on lui indiqua à Montrouge le pavillon de La Vallière, qui appartenait à M. Amaury Duval, de l’Académie des inscriptions, et dont le parc était encore presque intact ; elle le loua pour la saison. » (9)

La maison de Louveciennes


Les enfants Duval avaient leurs souvenirs à Montrouge, mais le pavillon fut loué pour éponger les dettes de leur père, ou plus exactement celles du premier mari, M. Chassériau (10). Le couple Guyet-Desfontaines préféra louer, dès 1835, un pavillon à Luciennes (devenue Louveciennes) en Seine-et-Oise (devenue ici les Yvelines). C’était la mode dans les classes aisées de la capitale de préférer l’Ouest parisien, on disait que l’air y était plus sain, alors que Paris voyait un afflux massif de provinciaux dans ses murs et conservait encore l’essentiel de sa structure urbaine du Moyen-Âge.

Ils y passaient l’été et y offraient à leurs amis un cadre nouveau de mondanités. « Nous avons reloué Luciennes. C’est là où je t’attends. C’est là où tu oublieras cette scélérate d’Italie, dans les délices de Capoue-Luciennes », écrit Emma à son frère qui est en Italie en 1836 (11). 

Un ami d’Emma, le compositeur de musique Henri Reber, lui écrit au cours de l’été 1841 : « Je suppose que la vie est toute autre à Luciennes (12) ; j’y pense bien souvent et désirais de tout mon cœur être un peu au courant de ce qui s’y passe. Je compte sur votre obligeance pour m’en écrire quelque peu. Je sais que ce n’est pas une indiscrétion que de vous prier d’une lettre, c’est pourquoi j’ai la fatuité de croire que vous voudrez bien me répondre et me donner de vos nouvelles les plus détaillées possibles. J’espère que vous êtes tous en bonne santé… Que fait Delsarte ? (13) Je ne doute pas qu’il soit souvent à Luciennes, c’est pourquoi je vous prierai de lui rappeler mes amitiés et de l’engager à travailler sa voix. » (14)

La maison de Marly


Villa "les Délices" à Marly le Roi
À la fin de l’année 1847, les Guyet-Desfontaines louent une maison à Marly-le-Roi dans un parc de 13 hectares, tout à côté de Luciennes et de Saint-Germain-en-Laye. Construite au début du 19e siècle, son propriétaire la nomma « les Délices », reprenant le nom de la maison occupée par Voltaire à Genève en 1755. Emma l’appelle « la maison verte » dans une lettre à son frère, qui se trouve alors dans le Massif Central pour un projet de décoration de la cathédrale du Puy (qui ne se fera pas) : « Enfin nous avons une maison de campagne ! Une belle, une …que je voudrais que tu visses, avant que les feuilles ne soient encore toutes tombées ! C’est à Marly-le-Roi sur le plus haut point du département, en pleine forêt, et avec une vue digne de l’Italie ; les aqueducs terminent un des côtés du tableau, et de l’autre on a la Seine, les forêts, tout ce qui était joli et beau à voir de Luciennes. Mirasse, que nous y avons mené hier, était comme un fou. C’est vraiment beau, grand, une occasion unique, des serres délicieuses et garnies de filles de l’air… Connais-tu cela ? Ce sont des bûches soutenues dans l’air, sur ces bûches de la mousse, et dans cette mousse des fleurs ravissantes et des plus rares (15). Tu pourras mettre tes élèves dans mes serres, et réaliser enfin ton grand projet de tabac français, poussant sur ta fenêtre. J’ai de plus, paons, biches, pigeons, poules, vaches …des fleurs comme s’il en pleuvait, et des orangers comme aux Tuileries ! Viens donc voir tout cela….
Ta lettre m’a bien amusée et bien fait rire. Comme je te vois d’une jolie force sur la chasse, je te préviens que dans mon parc, j’ai beaucoup de lapins, et qu’ils sont à ta disposition… Adieu, voilà le facteur, je te quitte bien triste en t’embrassant de cœur.
                                                                                               Mille tendresses
                                                                                               Emma Guyet » (16)

La « maison verte », était située dans le village même de Marly, au no 3 place du Verduron ou place de l’Eglise (actuellement place Victorien-Sardou). C’était une grande maison bourgeoise construite au début du XIXe siècle par l’architecte de la Madeleine, Jean Jacques Huvé. Son entrée se situait à côté de l’église Saint Vigor au centre du village. D’architecture simple mais aux dimensions importantes, avec trois étages, elle pouvait accueillir les nombreux invités du couple. Sentinelles détachées d’un vaste et magnifique parc, deux arbres immenses lui apportaient leur ombre à chacune de ses extrémités. Il se dégageait de l’ensemble un air d’importance, poussant certains à l’appeler « château », malgré la simplicité de ses lignes (17).

Le couple Guyet-Desfontaines l’a louée d’abord comme « campagne », comme on désignait alors une résidence secondaire, y installant ses jardiniers. Il l’a achetée en 1854 et habitée souvent, puisqu’il figure en 1856 dans le recensement de la commune à cette adresse (18). Avec eux on relève la présence de leur petit-fils, M. de Brayer, de son précepteur, et de leur personnel de maison. Ce dernier comprenait un chef de cuisine, un cocher, une femme de charge, deux valets de chambres et une domestique. Habitent aussi à la même adresse le jardinier, Jean Lesueur, avec sa femme, son fils et sa fille et deux jeunes garçons jardiniers.

À côté d’eux se trouvait le château des Sphinx, alors propriété du comte de Béthune-Sully, dont la veuve était née de Montmorency-Luxembourg. L’auteur dramatique Victorien Sardou s’en rendit acquéreur en 1863.


Rachel en Roxane
Ils avaient aussi pour voisin, habitant près de l’avenue de l’Abreuvoir, Charles Henri Fitz-James (1801-1882). Son épouse, Cécile Marie Émilie de Poilly, qui y est décédé à l’âge de 42 ans en 1856, était une habituée des représentations chez les Guyet-Desfontaines, y jouant au piano notamment. Dans cette maison, les Fitz-James avaient succédé à la tragédienne Rachel. Celle-ci participa aussi à certaines représentations théâtrales chez les Guyet-Desfontaines (19).

D’autres amis célèbres du couple ont aussi habité Marly à cette époque et sont venus aux soirées et représentations organisées dans la villa « Les Délices » :
      Alexandre Dumas père, intime de la famille et acteur au théâtre des Guyet-Desfontaines, avait fait construire son château de Monte Cristo, près de Port Marly.
      Alexandre Dumas fils, qui hérita de la maison de Leuven, rue Champflour.
      La baronne Dupuytren, alors veuve du grand chirurgien, qui habitait la villa Le Chenil, sur la place du même nom, devenue place du général De Gaulle.
      Duveyrier, dit Mélesville, qui habitait la villa du Val Fleuri, aujourd’hui dans la rue Willy-Blumenthal. Cet auteur dramatique (1787-1865) joua avec son gendre et sa fille chez Guyet-Desfontaines. Sa fille Laure épousa Alfred Van der Vliet. Ces derniers habitèrent l’hôtel de Toulouse au no 46 de la Grande rue dans Marly.
      Victor Regnault (1810-1878), physicien célèbre et directeur de la manufacture de Sèvres a habité la place de l’Abreuvoir. Il était marié à Mlle Clément, une petite cousine d’Emma Guyet-Desfontaines.

Moins célèbre, mais intéressante à noter dans la vie des propriétaires du domaine de Linières, est la présence à Marly d’une sœur de cousins par alliance de Guyet-Desfontaines : Constance Legras de Grandcourt (1796-1877). Elle avait épousé en 1833 Joachim Franco, chef de bataillon au 107e régiment d’infanterie de ligne, domicilié à Metz. Ce dernier est mort à Marly-le-Roi en 1866. Ses deux frères s’étaient mariés avec deux sœurs Martineau, et vinrent s’établir chez elles à Saint-Fulgent, à deux kms du château de Linières.

Il est probable que cette résidence de Marly s’est transformée temporairement en résidence principale dans les années 1855/1856. Aussi en mai 1854 ils ont loué une maison située à Paris rue Duphot no 25 (20), où mourut leur fille Isaure. En effet, l’hôtel particulier de la rue d’Anjou a été détruit en 1861 lors du prolongement du boulevard Malesherbes. On sait aussi, qu’au moins dès 1855, Guyet-Desfontaines habita un hôtel qu’il avait acheté au no 13 de la rue de Tivoli, devenue ensuite rue d’Athènes. Marly a dû constituer un havre de paix, loin des travaux dans Paris et des embarras du déménagement.

J. A Barre : Guyet-Desfontaines
(1860)
Le suffrage universel, qui avait privé Marcellin de son siège de député de la Vendée en avril 1849, lui donna la fonction de maire de Marly-le-Roi du 26-6-1849 au 4-1-1852. Après la proclamation de l’empire par Napoléon III, il démissionna de son mandat de maire en signe de protestation. Il fut élu aussi conseiller général de la Seine-et-Oise.

Emma Guyet continua à recevoir ses amis à Marly comme à Paris, y organisant notamment des représentations théâtrales au bénéfice des pauvres de la commune.

Rappelons qu’en chemin de fer, Saint-Germain était à une demi-heure de Paris, une commodité nouvelle depuis 1837, quoique forçant à sortir de son quant à soi, puisqu’on entrait dans un des premiers services de masse de la société industrielle naissante. Emma Guyet ne manque pas de le souligner à sa manière quand elle écrit, relatant un voyage en chemin de fer à Londres, « Allons adieu. Je vais encore voir je ne sais quoi. Les chemins de fer sont tellement pareils aux nôtres, que je me crois toujours sur celui de Saint-Germain. On se presse autant pour y aller, on se précipite de même dans les voitures. C’est la même chose et on le manque aussi. » (21)

L’ouverture de cette ligne constitue un évènement historique. Les trains partaient de la place de l’Europe à Paris, en attendant l’ouverture de la gare de la rue Saint Lazare. Le son du cor donnait le signal du départ du train et il y avait trois classes appelées wagons (1,5 F), diligences (1,75 F) et coupés (2 F). Ces tarifs, valables les dimanches et jours fériés, étaient plus faible de 15 % en semaine pour les classes diligences et coupés. « On va à une rapidité effrayante et cependant on ne sent pas du tout l’effroi de cette rapidité. Malheureusement nous sommes négligents en France, et nous avons l’art de gâter les plus belles inventions par notre manque de soins ; on va à Saint-Germain en vingt-huit minutes, c’est vrai, mais on fait attendre les voyageurs une heure à Paris et trois quart d’heures à St Germain, ce qui rend la promptitude du voyage inutile. » (22)

Les vacances à Étretat


Falaises d'Étretat à marée basse
Un autre lieu comptera beaucoup pour la famille : Étretat. Il marque une nouvelle mode des milieux aisés : les bains de mer, conseillés par les médecins eux-mêmes. Déjà au milieu du 18e siècle avaient commencé les séjours à la mer (bassin d’Arcachon) et à la montagne (Pyrénées), mélangeant motivation thérapeutique et émotion procurée par la nature (23). Il est vrai qu’Emma souffrait de rhumatismes. Mais surtout, le séjour des vacances allait devenir une occupation distinctive de la plupart des rentiers. Autant dire que le château de Linières ne pouvait pas compter dans cette mode, perdu dans le bocage profond de la lointaine Vendée, et qui attendra encore avant que Nantes, puis Montaigu, soient reliées par le chemin de fer à Paris.

Le village d’Étretat en Normandie était devenu un lieu d’attraction pour beaucoup de peintres depuis 1820. C'est aussi à cette époque que l'on commença à bâtir des villas en style balnéaire. La construction de 1843 à 1845 de la route de Fécamp à Étretat, facilita l’accès à cette campagne du bord de mer. Surtout, la station succombe à la mode des bains de mer après 1845 grâce à Alphonse Karr (romancier d'inspiration romantique), auteur d'un roman à succès sur la ville, publié en 1836 : Histoire de Romain d'Étretat (Amaury-Duval a peint le portrait d’Alphonse Karr, exposé au salon de 1859). À la même époque la côte d’azur était aussi à la mode, mais était trop éloignée des parisiens, faute d’une ligne de chemin de fer en cours de construction.

Le premier document trouvé, signalant la présence des Guyet-Desfontaines à Étretat, date de 1850. Cette année-là, on compte « près de 200 baigneurs à la fois » et en 1852 s'ouvre un casino de planches et d'ardoises, sous l'égide de la Société des Bains de mer d'Étretat créée récemment, où l’on y donne des spectacles. La Plage d’Étretat sera le titre d’un des romans d’Emma Guyet publié en 1868.

Voici en quels termes Emma décrit les lieux à son frère :

« Mon cher ami,

                                   Tu nous as promis une visite et nous la voulons. Tu nous as dit que M. Marie (24) t’accompagnerait, il le faut absolument ; mais assez vite. Le temps est beau, la mer est belle, il ne faut pas trop tarder.
Ce qu’il y a de plus sûr, ce serait de m’écrire le jour de votre départ de Paris. J’enverrais alors une voiture à la station. Et en partance de Paris à 8 h du matin pour le Havre, vous prendrez vos places pour la station de Beuzeville où vous serez à 3 h. Là vous aurez une voiture envoyée par nous et vous serez ici à 5 h. Il faudrait mieux venir ici tout de suite et aller au Havre après.
Si vous aimez mieux le Havre d’abord, vous trouverez mille occasions de venir ici facilement en 2 h et demie.
Maintenant, qu’est-ce qu’Étretat ? Un endroit où, en arrivant on voudrait en repartir, et qu’on ne pense plus à quitter dès qu’on est triste ! C’est ravissant, un village à part de tout. Ce qu’on connaît, des bois au milieu du village, des sources d’eau claire et excellente, des maisons d’une propreté hollandaise (sauf les torchis), des promenades toujours nouvelles, et le tout d’une gaieté folle. Quant à la mer, admirable.
Chacun vit ici comme dans un château à 100 lieues de Paris. On est sans cesse dans la rue, aux fenêtres, habillés ou non, on s’apprête, on chante (il y a un piano), on se promène ensemble, on se baigne ensemble, sans aucune cérémonie. Moi, qui sais, et reste sur la rive, je ris de la quantité de mollets qui me passent sous les yeux.
Le poisson abonde, les crevettes sont pour rien. À chaque heure du jour arrivent des voitures les plus élégantes, des femmes charmantes qui viennent déjeuner ici et se baigner C’est un va et vient continuel. Une vraie rive d’Italie, rien n’y ressemble tant.
Nous manquons enfin du nécessaire et nous dormons à merveille ! Arrivez, …viens t’en assurer par toi-même.
Adieu, à bientôt. Je t’aime et t’embrasse.
                                                                                                            Emma Guyet » (25)

Espiègle, Emma ne peut pas s’empêcher d’évoquer la nudité des mollets des baigneurs. C’est que les femmes se baignaient alors vêtues d’une robe de bain et coiffée d’un bonnet, avec rubans pour les plus coquettes. Les cabines de bain sur les plages étaient donc indispensables pour se changer. Il fallut attendre un demi-siècle pour voir les jambes et les bras nus, et encore un autre demi-siècle pour voir le dos et le ventre. Ensuite, l’évolution s’accéléra aussi en ce domaine.


Les voyages à l’étranger


Une autre activité dans les milieux aisés de cette première moitié du XIXe siècle réside dans les voyages à l’étranger, voire en Orient. Stendhal (26) met à la mode la notion de « touriste » avec sa Chartreuse de Parme en 1839 (27).

Pont de Londres en 1795
Amaury Duval père avait noué des relations avec une famille d’Anglais, les Heath. Rien d’étonnant pour un ancien secrétaire d’ambassade au royaume de Naples et dans les États Pontificaux, et pour le directeur des Beaux-Arts en France. Emma était marraine d’une de leur fille, qui était venue faire un séjour à Paris au printemps 1829. Elle la reconduisit à Londres où elle comptait passer le mois de juin, y donner des leçons de musique et de chants et peut-être gagner un peu d’argent, laissant sa fille à Paris. La traversée de la Manche durait quatorze heures et elle était vécue comme une vraie expédition. Emma y a rencontré du succès. « …J’ai chanté, j’ai vaincu … On donnait bals et concerts pour la jolie dame de Paris » (28).

Avec son mari et Isaure (depuis que celle-ci a quitté son mari) ils vont régulièrement en Angleterre. En 1851, le fils de l’ami Augustin Jal, Anatole (29), fait aussi partie du voyage. On sait qu’après la Révolution de 1848, le roi des Français déchu et sa famille ont trouvé refuge dans la banlieue de Londres à Claremont. Alors les Guyet font leurs visites royales à l’occasion de leurs voyages. Ils resteront fidèles en effet aux Orléans jusqu’au bout.

Sans écarter la part d’exagération qu’Emma met parfois dans ses récits, elle nous livre une vision étonnante de ses voyages. Pour l’époque, visiter les Anglais représentait, apparemment, la découverte d’un monde aussi étrange que de nos jours la rencontre d’une tribu papou par des touristes européens !

Qu’on en juge par la lettre suivante d’Emma à son frère :

 « Londres ce dimanche 23 juillet
Mon cher ami,
J’imagine que peut être tu ne seras fâché d’avoir de nos nouvelles. Jusqu’ici il m’a été impossible de t’écrire, ne restant jamais plus d’un jour dans un endroit. Enfin me voici à Londres depuis hier, et vite je viens te dire comme nous sommes ! Si tu veux m’écrire poste restante au Havre, nous y serons dans une huitaine de jours. Avant, nous irons en Hollande. Il n’y a que 24 heures de mer, et pour des marins comme nous, qu’est-ce que 24 heures ? Nous comptons partir d’ici mercredi pour Rotterdam.
Notre voyage s’est assez bien passé, sauf les mauvais lits et toute espèce de bêtes ! Les Heath sont venus nous prendre à Brighton, et de là nous ont menés à leur maison de campagne. C’est délicieux ! Tous les enfants étaient réunis, quatre grands gaillards et les deux filles ! Tout cela beau et superbe. Mais deux de ces jeunes gens sont sourds et muets. C’est très triste à voir et très fatigant pour parler, joint à cela le peu de facilité pour la langue et tu auras une idée de l’agrément que nous avons eu ! J’avais renoncé à la parole.
Mon dieu que les anglais me sont odieux ! Quels gens, quelles mœurs, quels sauvages. 
Dans ce pays de liberté on ne peut porter une décoration sous peine d’être suivi ou hué. On ne peut se mettre à la fenêtre sans causer un rassemblement…
Hier soir nous avons été à l’opéra. J’ai vu la reine, qui est fort laide (30) et coiffée ! Puis la princesse Clémentine et son époux (31) ! Cela m’a fait un effet de revoir mes chers princes.
Je te quitte pour aller sous le tunnel (32). Je suppose que je resterai à la porte. De là nous irons à Windsor, voir le château et dîner. Il faut bien passer son dimanche. On ne peut même pas avoir de la bière à boire aujourd’hui. Rien ne se vend !..
Quand tu verras les dames Bertin et Lesourd (33), dis-leur que c’est mal à elles de ne pas avoir écrit un petit mot poste restante. Elles me l’avaient promis, surtout Mme Lesourd, pour le contrebandier à présent c’est trop tard puisque nous partons mercredi. Au Havre donc, poste restante, pour avoir de leurs nouvelles…………….
J’ai été sous le tunnel ! J’ai été à Windsor. Le château est admirable. Je n’avais jamais rien vu de pareil, un vieux gothique sans aucun ornement, de grosses pierres en grès, carrées, de grosses tours, de toutes formes. C’est superbe. Il y a énormément de Vandycke (34), d’Holbein (35), tous portraits de la famille royale. C’est très curieux…
Je t’embrasse tendrement.
Ta sœur
Emma Guyet
J’ai été prendre un bain. On a des baignoires en marbre, où on a la tête en bas et les pieds en l’air. Si on vous réchauffe son bain, on apporte un cric et on tourne à grand peine une manivelle. J’en ris encore. » (36)

Il ne faut pas oublier aussi que les Anglais étaient alors les « ennemis héréditaires » de la France depuis un siècle, avant d’être remplacés bientôt par les Allemands dans ce rôle. Ceci pourrait contribuer à expliquer  certaines violences de ton dans cette lettre.

La vallée du Rhin et l’Allemagne, Venise et l’Italie, la Suisse, et peut-être d’autres pays feront aussi partie de leurs destinations de voyages à l’étranger.


Sa fille Isaure, son petit-fils Marcel et son frère Amaury-Duval


Pendant ce temps le frère Amaury-Duval restait célibataire. Pourtant les bons partis ne devaient pas manquer et il fréquentait beaucoup de jolies femmes dans sa vie mondaine. Dans sa correspondance et ses notes nous le voyons sensible à l’attirance des femmes. Mais les encouragements de sa sœur n’ont visiblement pas suffi pour le conduire au mariage. Il est resté vivre chez elle et son beau-frère, partageant beaucoup de leur vie et de leurs fréquentations.

En 1854, le malheur vint frapper une première fois Emma Guyet. Elle perdit sa fille unique, comme nous l’avons indiqué dans l’article sur Isaure Chassériau. Qu’allait devenir Marcel, un enfant de douze ans quand sa mère est morte, alors que son père avait des devoirs et des droits sur lui ?

Pour la grand-mère, pas question de le lâcher et elle obtint gain de cause. « Nous avons été heureux, mon mari et moi, d’apprendre par Monsieur Guyet, que vous ne seriez ni inquiétée ni entravée dans vos projets sur ce cher enfant. Certes il ne saurait être sous une tutelle plus tendre et plus dévouée. » Ainsi s’exprime Louise Belloc dans une lettre à Emma. Nous aurons bien sûr l’occasion de revenir sur la vie de Marcel de Brayer. Mais dès maintenant, il nous faut souligner les liens très forts qui l’ont uni à sa grand-mère, sa deuxième mère.

Mottez : Amaury-Duval
(musée de la Roche-sur-Yon)
Ce qui veut dire en même temps que des liens très étroits se sont noués avec son grand-oncle Amaury-Duval. Ce qui veut dire aussi qu’il est entré à part entière dans le cercle riche et nombreux des amis de la famille. Il a été l’héritier de cette dernière dans tous les sens du terme.

De toute façon il semble bien que son père a été souvent absent pour son fils, alors même que les Guyet ont facilité les rencontres entre eux. Et ce père est mort à la fin de l’année 1863, alors que Marcel avait vingt-un ans.

Un détail révélateur noté dans le journal intime d’Amaury-Duval à la date du 1e janvier 1847 : « Le temps est magnifique, froid, mais pas un nuage au ciel. Visite habituelle aux grands-parents. Le soir à dîner mon oncle Guyet (37), Reber (38), Mottez (39). Ce matin, en allant chez Mlle Louise, (40) je vois la Seine prise. Le soir elle recommençait à couler. » On voit dans cet emploi du temps l’appartenance de l’oncle Amaury à la famille Guyet-Desfontaines, et dans la formulation, la place de Marcel déjà à six ans. C’est sa visite pour les vœux du nouvel an à Emma et Marcellin qui est notée, et non celle de ses parents. C’est typiquement un langage de grands-parents et de grand-oncle, déjà. Dans les mots utilisés ils reçoivent d’abord le petit-fils.

Et que de soucis son petit-fils a donné à Mme Guyet-Desfontaines ! Il n’y eu pas que l’accident grave arrivé à Linières en 1865, où Marcel a été blessé au visage. Il y eu aussi sa vie mondaine qui ne plaisait pas à la grand-mère. Elle voulait le marier et lui n’était pas pressé apparemment. Dans un testament de 1863, elle le fait son légataire universel bien sûr, étant légalement son seul héritier. Mais elle réserve un quart de la succession pour les enfants à naître de son petit-fils. Et pour s’assurer de la bonne application de ses dernières volontés, elle institue pour son exécuteur testamentaire son notaire et ami, Me Poumet. Dans un codicille elle indique que sa caisse de diamants est « pour l’offrir à la femme qu’il (Marcel) épousera et sans qu’il en puisse disposer autrement. » La grand-mère généreuse et inquiète tient à préciser aussi, comme si la loi ne l’avait pas prévu, qu’elle lui donne : « argenterie, bijoux, livres, tableaux, maisons, enfin tout ce que je possède, tout pour lui ! Qu’il en fasse un bon et sage usage ». Elle termine son testament par ces mots : « Je bénis mon enfant chéri. Que mon âme vive en lui ! » (41) Plus tard elle abandonnera cette réserve du quart de la succession, sans doute à cause de son illégalité, le code civil de l’époque ne le permettant pas de la part d’arrière-grands-parents pour les enfants de leurs petits-enfants.


(1) Jean-Auguste Barre (1811-1896) a été sculpteur et médailleur. On lui doit un buste de Guyet-Desfontaines. Il fut témoin au contrat de mariage d’Isaure Chassériau.
(2) D’Almeras, La Vie parisienne sous Louis Philippe, Albin Michel (1925), page 408.
(3) Elle a porté le nom de rue Batave de 1798 à 1814.
(4) Testament d’Amaury-Duval du 26 février 1885, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/1032.
(5) Amaury-Duval, Souvenirs, Lettre d’Emma à son frère du 1-6-1829, page 186.
(6) Amaury-Duval, Souvenirs, Lettre d’Emma à son frère du 22-8-1829, page 218.
(7) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre d’A. Thiers à Emma Chassériau du 21-8-1829.
(8) D’Alméras, La Vie parisienne sous Louis Philippe, Albin Michel (1925), page 453.
(9) Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier (1859), page 299.
(10) Inventaire après le décès de M. Amaury Duval du 19 novembre 1838, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/776. 
(11) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre d’Emma à Amaury-Duval du 8-5-1836.
(12) Par rapport à sa vie retirée en Dordogne où il travaille au château de  Montcheuil.
(13) François Alexandre Delsarte (1811-1871) a été ténor à l’Opéra-Comique, et professeur de chant.
(14) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33 lettre de H. Reber à Emma Guyet du 15-7-1841.
(15) Orchidées.
(16) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 18-10-1847.
(17) C. Neave, Marly rues demeures et personnages, 1983, page 95.
(18) Archives des Yvelines, recensement de Marly-le-Roi, 1856.
(19) Rachel (1821-1858), actrice de théâtre adulée, parmi les plus célèbres de son siècle.
(20) Inventaire du 29 mai 1854 après le décès de Mme de Brayer, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.
(21) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 23-7-1854.
(22) Delphine de Girardin, Lettre Parisienne du 1-9-1837.
(23) Serge Briffaud, Face au spectacle de la nature, dans « Histoire des Émotions des Lumières à la fin du 19e siècle », Seuil, 2016, page 57 et s.
(24) Sylvain Marie (1805‑1870), ami d’Amaury-Duval dès le collège, originaire d’Auvergne, Préfet. Il était aussi très lié à M. Guyet-Desfontaines, dont il fit la déclaration de décès en 1857 avec un autre ami, Jal.
(25) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 34, lettre d’Emma Guyet à Amaury-Duval du 5-9-1850.
(26) Marie-Henri Beyle dit Stendhal (1783-1842), est un écrivain, auteur du  Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme et Lucien Leuwen.
(27) Pierre Guiral, Adolphe Thiers, Fayard (1986), page 44
(28) Amaury-Duval, Souvenirs (1885) Lettre d’Emma à Amaury-Duval du 15-5-1829, page 195.
(29) Anatole Jal, architecte reconnu, mais aussi élève d’Amaury-Duval. Il a peint à Linières
(30) Victoria, reine d’Angleterre de 1837 à 1901. Des historiens confirment l’impression causée par la laideur de la reine sur notre « piplette » d’épistolière.
(31) Clémentine d’Orléans, dite « Mademoiselle de Beaujolais » (1817-1907), est une fille du roi des Français Louis-Philippe Ier. Après la Révolution de 1848, la princesse avait quitté la France avec son père et la plupart des membres de la famille royale.
(32) Le premier tunnel sous un fleuve a été construit dans les années 1826-1828 par l’ingénieur d’origine française Brunel (un émigré de la Révolution) à Londres. En 1854 il constituait une curiosité et ne servait qu’aux piétons pour passer sous la Tamise.
(33) Amies proches. La première, épouse du directeur du Journal des Débats, la deuxième, épouse d’un sous-préfet.
(34) Van Dyck (1599-1641) a été peintre du roi d’Angleterre Charles Ier et de sa cour de 1632 à 1634 et de 1635 à 1641. Il représente l’école flamande de la période baroque, avec Rubens.
(35) Hans Holbein le jeune (1498-1543) est un peintre et graveur allemand. En 1536, il est nommé peintre-valet de chambre du roi d’Angleterre Henri VIII et devint en peu de temps le portraitiste officiel de la cour d'Angleterre.
(36) Archives de la société éduenne d’Autun, Fonds Amaury Duval : K8 33, lettre d’Emma à Amaury-Duval du 23-7-1854.
(37) Isidore Guyet, marié à Félicité Tardy, fils de Jacques, un frère de Simon Guyet (maître des postes de Saint-Fulgent lors de sa mort en 1793, tué par les royalistes à Saint-Vincent-Sterlanges).
(38) Henri Reber, professeur au conservatoire, compositeur de musique. Un habitué de Linières.
(39) Victor Mottez, peintre élève d’Ingres et ami d’Amaury-Duval. Il a peint à Linières.
(40) Louise Bertin, qui habitait à Bièvres au sud-ouest de Paris, est sœur des directeurs du Journal des débats. Elle fut musicienne et poétesse. V. Hugo a écrit les paroles d’un de ses opéras.
(41) Testament de Mme veuve Guyet-Desfontaines du 3 novembre 1863, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV/898.

Emmanuel François, tous droits réservés
Janvier 2012, complété en septembre 2017

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