Le 25 mars 1808, en l’étude de
maître Verdon, notaire aux Essarts, est signée une transaction entre les
propriétaires du domaine de Linières et ceux du tènement de Villeneuve, commune
de Chauché, au sujet d’une rente foncière (1). L’affaire ne manque pas de
piquant à première vue.
C’est que la rente foncière,
pouvant être assimilée à un
droit féodal
supprimé, était réclamée par «
les
sieur et dame Guyet et mademoiselle Henriette Félicité de Lespinay ».
Les débiteurs poursuivis, la plupart petits propriétaires à Villeneuve, étaient des
paysans dont certains nous sont connus pour s’être battus dans le camp
royaliste et avoir été victime des exterminations révolutionnaires. À leur tête
est François Cougnon, le capitaine de paroisse au temps de la Grand’Guerre de
1793/1796,
en même temps important propriétaire à cause de sa
femme. Avec lui, ils invoquent l’abolition des droits féodaux pour refuser de
payer la rente foncière. Le propriétaire de Linières qui la leur réclame,
Joseph Guyet, est un partisan bien connu de la Révolution. Et sa réclamation
porte sur 15 ans d’arrérages, couvrant la période de 1792 à 1807. Nous sommes à
front renversé apparemment. Mais d’abord présentons un peu mieux les
protagonistes de cette affaire.
Joseph Guyet, « seigneur républicain », et les « teneurs
royalistes »
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Villeneuve (Chauché)
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Joseph Guyet est le beau-frère
d’Étienne Martineau, le révolutionnaire extrémiste de Saint-Fulgent et le fils de
Simon Pierre Guyet, qui fut tué par les royalistes le 14 mars 1793 à Saint-Vincent-Sterlanges. Il s’était marié en 1804 avec Marie Marguerite Félicité du
Vigier, divorcée en 1800 de Charles Augustin de Lespinay, celui-ci dépossédé de
son domaine de Linières pour avoir émigré en 1791. Sa femme avait racheté le
domaine en 1796, puis l’avait vendu à son futur époux, quelques semaines avant
de divorcer en mairie de Chauché. Le couple des nouveaux propriétaires de
Linières avait un enfant né en 1797, qui deviendra le futur député de la Vendée,
Guyet-Desfontaines. Mme Guyet avait auprès d’elle sa fille aînée née en 1790,
Henriette Félicité de Lespinay. Elle avait perdu sa deuxième fille Pauline,
morte en février 1794 chez sa nourrice
à Bazoges-en-Paillers. Elle avait échappé aux massacres du Mans lors de la
terrible Virée de Galerne de fin 1793, et aussi aux noyades de Nantes au
début de 1794, organisées par Carrier. Revenu d’émigration en 1800, Charles
Augustin de Lespinay avait tout perdu : femme, enfants, métairies. Il
venait de mourir dans le département de la Manche le 23 février 1807, un an avant
l’affaire qui nous occupe.
En face, trente-deux
propriétaires sont cités pour une quinzaine de propriétés, en communauté ou en indivision
pour la plupart. Ils habitent à Saint-André-Goule-d’Oie, Chauché (dont quatre au
village de Villeneuve), et dans quatre autres communes des environs. On relève
des noms connus, outre François Cougnon déjà cité pour la propriété de sa
femme, née Jeanne Loizeau. Il y a Françoise Robin, veuve de Jacques Mandin, le
régisseur de Linières tué par les bleus en février 1794, sa fille Henriette,
autrefois servante chez M. de Lespinay, son gendre, Simon Pierre Herbreteau,
qui est maire de Saint-André-Goule-d’Oie depuis 1800. Et bien sûr à cette époque,
on remarque parmi eux la part inhabituelle de veuves, orphelins ou parents
ayant eu leurs enfants assassinés.
Cette liste permet de noter
la dispersion de la propriété sur le tènement de Villeneuve, dès avant la
Révolution. Certes il y avait toujours une borderie appartenant au propriétaire
du domaine de Linières, mais ses prédécesseurs avaient concédé dans les temps
anciens une partie des terres de ce tènement, à une époque que nous ignorons.
Nous ne savons pas comment ces concessions avaient parcellisé ces terres de
Villeneuve. Mais en 1808, les héritages avaient créé ou accentué cette
parcellisation de la propriété. Les terres de la Mauvelonnière proche,
appartenaient aussi au propriétaire de Linières, elles formaient une métairie,
d’une superficie plus importante. Quant à l’habitat du Bois du Vergnais
(désignation de l’époque), aussi proche, le bois futaie attenant constituait
une réserve du seigneur, que Joseph Guyet a continué à défricher après la
Révolution.
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Villeneuve (Chauché)
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Le mot de tènement désigne ici
le territoire concédé par un seigneur à des teneurs
(ou tenanciers). L’habitat des
premiers teneurs était généralement regroupé en un village, qui était une
fraction non cultivée du tènement. D’où l’expression habituelle des notaires de
désigner dans leurs actes le « village
et tènement de … », fréquente à Saint-André-Goule-d’Oie et les environs aux
17
e et 18
e siècles. On y trouvait non seulement des
cultivateurs, mais aussi des laboureurs (qui se louaient) et parfois un ou des
artisans. Dans le cas de Villeneuve, la (ou les) concession du seigneur avait
pris la forme exclusive du bail à rente foncière avant la Révolution, qu’elle
avait peut-être dès l’origine.
La rente réclamée
Le
bail à rente foncière consistait à échanger un bien immeuble contre la perception
d’une partie de ses revenus. Il était intermédiaire entre le contrat de louage
et le contrat de vente. À l’origine, les biens concernés furent souvent des
terres incultes concédées à des paysans. Les propriétaires d’héritages parfois
morcelés, peu argentés et dont le métier était étranger à l’agriculture (nobles et bourgeois) préféraient ainsi constituer des rentes auprès
d’agriculteurs durs à l’ouvrage, trop pauvres pour acheter et voulant éviter la
précarité de la location des terres. C’était une manière de mettre en valeur les
biens.
La redevance perçue par l’ancien propriétaire était fixe,
en argent ou en denrées, souvent à paiement annuel, et à longue durée ou
perpétuelle, c'est-à-dire non rachetable, sauf exceptions à l’initiative du
débiteur de la rente.
En cas de
changement dans la personne du preneur, on signait un acte de reconnaissance
chez le notaire. Car le bien pouvait être vendu par le débiteur de la rente,
fractionné et transféré par héritage. La rente était attachée au bien et non à
la personne du débiteur. Mais faute de paiement de la rente, le créancier
retrouvait la propriété entière du bien arrenté. Il existait des
variantes du bail à rente foncière : à cens seigneurial, à emphytéose.
Dans les tènements comme Villeneuve, la rente était payée solidairement et
collectivement par les cotenanciers. Ils se répartissaient entre eux la charge
de la rente au prorata des surfaces possédées par chacun.
Nous avons trouvé d’autres rentes identiques en plusieurs
autres villages de Saint-André-Goule-d’Oie, remontant, pour la plus ancienne datée,
au 14
e siècle. Nous pensons que la formule constatée à Villeneuve
est représentative de la naissance ou de l’extension des petites propriétés
dans les villages de la région. Malheureusement, nous restons incertains sur
les dates du phénomène.
À cet égard il ne faut pas confondre ce type de rente avec
celle, aussi souvent pratiquée, de crédit déguisé. Le vendeur d'un bien
acceptait d'être payé en partie sous forme de rente foncière que l'acheteur pouvait amortir (racheter) au-delà d'une certaine période à sa volonté. Le prêt d'argent avec
intérêt étant mal vu par l'église catholique, la formule permettait d'arriver
au même but par ce moyen détourné, d'autant que les banques étaient quasi inexistantes dans les campagnes.
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Plantu : la rente foncière |
Nous ne connaissons pas les caractéristiques précises des
arrentements à l’origine de cette rente foncière à Villeneuve. Dans le texte de
la transaction on fait d’ailleurs état de la perte des titres par «
l’effet de la guerre civile de la Vendée ». On y évoque aussi «
que ladite rente paraissant être provenue
de la succession de la Touche Cicoteau ». Félicité Cicoteau était la
mère de Charles Augustin de Lespinay et sa famille appartenait à la branche de
la Touche, implantée aux Essarts dès le 16
e siècle. Elle avait été
l’unique héritière de Linières, appartenant à sa famille depuis le début des
années 1700. Bref, pour les protagonistes, l’origine de la rente est floue et
on n’a pas poussé l’analyse plus loin sur sa nature.
On trouve un document évoquant cette rente dans
l’inventaire après-décès du propriétaire du fief du Coudrais en 1762, Louis
Corbier (2). Il s’agit «
d’une
quittance du 5 décembre 1757 donnée aux teneurs de Villeneuve pour le sieur de
Lespinay », par L. Corbier. Ce dernier possédait une borderie à
Villeneuve. Le mot de rente n’est même pas écrit dans le document et nous
ignorons toujours si c’était une rente noble ou une simple rente foncière. Cette
borderie de Villeneuve avait été achetée, avec ce qui restait du fief du
Coudray, en 1767 par René Loizeau, le père de Jeanne Loizeau. En 1788 elle appartenait
en indivision entre celle-ci et son frère Louis Loizeau (3).
Cette rente de Villeneuve était due solidairement par
l’ensemble des cotenanciers et comprenaient quatre éléments non contestés
par eux :
54 miriagrammes (4) 4 kg de blé seigle répondant
à 32 boisseaux ancienne mesure réduite des Essarts (5) ;
28 miriagrammes 8 kg de froment répondant à 16
boisseaux ancienne mesure réduite des Essarts ;
83 miriagrammes et 2 kg d’avoine répondant à 64
boisseaux d’avoine ancienne mesure réduite des Essarts ;
6,35 F.
Faute de connaître les surfaces
concédées il est impossible d’apprécier directement le montant de charge auquel
correspondent ces quantités. Mais nous avons une idée approximative des
rendements de ces cultures à l’époque, soit 12 à 13 hl pour un hectare (6). En
conséquence, les calculs donnent une surface nécessaire aux trois productions
de seigle, blé et avoine de 1,5 ha environ. Ce n’est pas rien, même pour
plusieurs cotenanciers.
La rente et la Révolution
Le texte ne s’explique pas sur la
motivation des nouveaux propriétaires de Linières. Déjà ils avaient fait
opposition sur M. de Lespinay au paiement des arrérages (montants) de ladite
rente par acte du 10 thermidor de l’an 13 (
29 juillet 1805).
L’acte de rachat en 1796 du
domaine de Linières, devenu bien national, stipule que «
les dits biens sont vendus avec leurs
servitudes actives et passives, francs de toutes dettes, rentes foncières,
constituées ou hypothéquées, de toutes charges et redevances quelconques »
(7). Cela ne règle pas la question, puisque les servitudes avaient suivi le
sort des biens. Encore fallait-il prouver leur existence.
À Linières, l’administration a
commencé par instaurer un séquestre sur la propriété.
« Dans le mois de juin 1792 le séquestre a été établi sur tous les
biens meubles et immeubles appartenant à Charles Augustin de Lespinay officier
de cavalerie émigré demeurant à Linière commune de Chauché, qu’il fut même fait
un inventaire par les commissaires du district de Montaigu, qu’il fut nommé un
gardien qui resta jusqu’à l’époque de la guerre de Vendée. » (8). Nul
doute que les républicains de Saint-Fulgent, dont nous connaissons l’ardeur,
surveillait ce qui se passait à Linières. Or Charles Augustin de Lespinay avait
émigré peu après la naissance de sa deuxième fille le 3 octobre 1791. Nous
avons cherché dans les archives du district de Montaigu et du département à
Fontenay et nous n’avons rien trouvé. Nulle trace du séquestre et de
l’inventaire, tout a très probablement été détruit dans les combats de la
guerre civile.
D’ailleurs la nature du document,
dont nous venons de citer l’extrait, est révélatrice. Il s’agit d’un témoignage
déposé chez un notaire des Herbiers le 12 germinal an 11 (2-4-1803). Le
dépositaire du témoignage était Étienne Martineau, beau-frère de Joseph Guyet,
et les témoins étaient six conseillers municipaux de Saint-Fulgent au moment des
faits et un officier de santé de la colonne du général Watrin qui avait résidé
à Saint-Fulgent au début de 1796.
Rappelons que le séquestre d’un
bien est une mesure conservatoire, avec nomination d’un gardien. Compte tenu de
la demande d’arrérages des Guyet, est-ce à dire que les paysans du village de
Villeneuve ont cessé de payer la rente foncière dès 1792, c'est-à-dire à partir
du moment où le domaine a été mis sous séquestre ? Normalement les
paiements devaient se faire entre les mains du gardien désigné par les
autorités du district et conservés sous séquestre. On pourrait signaler ce fait
comme significatif des troubles et des ruptures dans la population, entrainés par la confiscation du domaine. Mais dans d’autres affaires
similaires, où les biens du créancier n’étaient pas sous séquestre, on sait que
les rentes ont cessé d’être payées en 1793. C’est qu’elles étaient généralement
dues après la moisson, à la fête de Notre-Dame en août, disaient les textes. Et
en août 1793, on était en guerre. Cela seul suffirait à expliquer l’arrêt des
paiements pendant plusieurs années quand on sait ce que furent les opérations d’exterminations
conduites en 1794 et l’état de la région dans les années suivantes.
De plus, il est intéressant de
noter que le
9 janvier 1792,
le député vendéen Philippe Charles Aimé Goupilleau, ex procureur-syndic de
Montaigu, avait demandé la mise sous séquestre des biens des émigrés, afin
qu'ils servent aux frais de la guerre. Comme quoi la Vendée n’a pas été qu’une
terre de victimes.
Or le témoignage que nous avons
commencé de reproduire se poursuit ainsi, nous le citons intégralement : «
Alors toute administration ayant disparu, la
maison et les dépendances de Linière et tous les objets mobiliers qui les
garnissaient devinrent la proie des armées des deux partis et notamment dans
les premiers mois de 1796 par le général Watrin, alors à St Fulgent commandant
de cantonnement, fit enlever par beaucoup de charrettes tous les objets restant
du mobilier qui avait échappé à la dévastation et à l’incendie du château. Le
convoi fut expédié à Fontenay. En foi de quoi nous avons signé le présent.À Saint-Fulgent le 9 germinal an onze de la République française une et
indivisible, je certifie le fait sincère et véritable.
Auvoir officier de santé en chef de la colonne du général Watrin
Menard, François Brochard, Jean Libaud, Lamy, Louis Tricoire, Louis Michaud »
Ces dernières personnes se
déclarent : «
anciens officiers
municipaux et habitants du canton de Saint-Fulgent certifions qu’il est de
notoriété publique et à notre parfaite connaissance … »
Quel besoin avait donc Joseph
Guyet d’obtenir, avec l’aide de son beau-frère, cette attestation en 1803 et de
la faire conserver chez un notaire ? Qu’il s’agisse du notaire des
Herbiers est normal, cette petite ville était devenue la nouvelle résidence du
docteur Martineau.
Mais d’abord, les faits attestés
sont-ils vrais ? Le séquestre n’étonne pas, même si les archives
administratives le concernant, à Montaigu et à Fontenay-le-Comte, qui
pourraient en attester, ont été détruites. On sait qu’il a été pratiqué dans
d’autres situations identiques. Le déménagement du mobilier au début de 1796
est possible, au moment où Charette dans la région avait du mal à échapper aux
traques organisées contre lui, mais on aurait aimé une preuve plus solide que
ce témoignage, sans doute intéressé.
On ne s’étonnera pas du parti
pris de Martineau, mettant sur le même pied les deux armées combattantes pour
piller systématiquement les châteaux comme celui de Linières. La propagande,
avec sa part de mauvaise foi, est consubstantielle au déclenchement et au
déroulement des opérations de maintien de l’ordre et d’exterminations en
Vendée.
On se félicitera de la précision
du témoignage, non sans esprit critique sur certains points : les biens
meubles et immeubles, inventaire au district (les témoins n’étaient pourtant pas
présents, de leur propre aveu !) L’expression de «
biens meubles et immeubles »
comprend des titres éventuels de rente foncière.
Or le 22 mars 1802, Charles de
Lespinay a intenté un procès contre le divorce de son épouse, soit un mois
après que ce dernier lui ait été signifié (9). Celle-ci avait alors 31 ans et
vivait avec son amant âgé de 29 ans, tous deux déjà parents d’un petit garçon
de cinq ans. Ils devaient attendre avec quelque inquiétude le jugement du
tribunal de première instance de la Seine. Il eut lieu le 8 juillet 1803, déclarant
irrecevable la demande d’annulation du divorce. Dans cette bagarre judiciaire,
totale et rude, où l’existence même du nouveau couple était en jeu, se sont heurtés
des sentiments et des rancœurs, des passions politiques et des intérêts. Bien
des « coups » sont imaginables dans une telle atmosphère ! Où
étaient passés les papiers de famille, les bijoux, et pourquoi pas les titres
de rente foncière à Linières ? Dans cette bagarre judiciaire, un
témoignage comme celui que nous venons de citer a été visiblement jugé
nécessaire par Joseph Guyet.
Ayant eu accès à la publication
dans les journaux des plaidoiries des avocats lors du procès du divorce près la
cour d’appel de la Seine en 1803, nous savons que M. de Lespinay reprochait à
son épouse de n’avoir pas utilisé l’argent dont elle disposait pour racheter
Linières. Or celle-ci a dû justifier d’avoir été obligé d’emprunter pour payer
ce rachat. Le conflit dépassait, on le voit, l’existence des titres de rente
foncière (10). Elle voulait justifier l’intervention de Joseph Guyet, qui
l’avait financièrement aidée, « par amour », proclama son avocat.
Voir notre article publié en janvier 2010 :
Le divorce de Lespinay/du Vigier en 1800.
Ce séquestre nous apporte par
ailleurs une information intéressante sur la révolte des gouledoisiens de 1793.
Leur leader Christophe Cougnon, fils des métayers de la Guérinière avait des
responsabilités dans la vie de l’amenage de Linières (11). Autant dire que le
séquestre du domaine, avec la nomination d’un gardien, ne pouvait que provoquer
son hostilité. Même s’il n’est pas le plus important, ce fait a dû contribuer à
augmenter sa prévention contre les nouvelles autorités. Il peut aussi
expliquer, au moins en partie, la réaction des mêmes gouledoisiens contre les
gendarmes venus chercher Jean de Vaugiraud dans le bourg de Saint-André en mars
1793, en les faisant déguerpir. Bien sûr d’autres raisons plus profondes ont
poussé les jeunes dans la révolte, mais cette circonstance vaut d’être
remarquée. Christophe s’était blessé involontairement dans la cour du château
de Saint-Fulgent en 1793 et il était mort quelques années plus tard. Mais son
frère François avait pris la relève dans son rôle de capitaine de paroisse. Il
se trouvait maintenant à représenter, à cause d’un bien de sa femme, les
cotenanciers du tènement de Villeneuve.
Mais revenons à la rente
foncière. Son sort a varié dans la législation révolutionnaire. On sait qu’en
s’appropriant les biens du clergé et des émigrés, l’État a su monnayer ces rentes,
surtout avec les biens de l’Église. Ainsi, une rente de 4 boisseaux de seigle due
sur le village de la Maigrière, et provenant du prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie,
avait été vendue par le district de Montaigu le 19 mai 1791 à Jean Boisson, bordier au Cormier
de Chavagnes-en-Paillers, pour le prix de 200 livres (12).
La réclamation des Guyet à
l’égard des petits propriétaires du tènement de Villeneuve peut se comprendre
si elle était fondée en droit. Ce n'est pas un cas isolé, et on relève ainsi chez
les notaires de Montaigu, par exemple, trois reconnaissances de rentes
foncières au profit d’Henriette de Lespinay (ex belle-sœur de Mme Guyet) entre
1804 et 1807, faites à chaque fois par une douzaine de copropriétaires et
concernant des tènements des environs (Boissière-de-Montaigu, Saint-Georges-de-Montaigu, Saint-Hilaire-de-Loulay). Mais dans le cas de Villeneuve, il semble
audacieux de réclamer des arrérages pour la totalité de la période de 1792 à
1807, alors que les combats, les destructions de récoltes, les incendies de
bâtiments, les vols de bestiaux, les meurtres, avaient réduit à la misère
certaines des personnes concernées. De plus, la propriété avait quand même été
un bien national pendant trois ans. À moins qu’en réclamant gros, on se
préparait à concéder mieux.
Vers une transaction
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Daumier : Avocats |
Par la voix de François Cougnon,
probablement aidé de son avoué de Montaigu, Henri
Michel Julien Chevallereau, les paysans rétorquèrent avec les
arguments suivants :
1° « sans dénier le service de la rente avant la Révolution, le titre sur
lequel elle pouvait être fondée devait leur être représenté par les dits sieurs
et dame Guyet et la demoiselle de Lespinay »,
2° « qu’ils étaient autorisés à croire que cette rente était en tout ou
partie noble, seigneuriale et féodale, et qu’ainsi elle serait, aux termes des
lois, supprimée sans indemnité »,
3° « qu’en supposant qu’elle ne fût pas dans la classe de celles abolies, il
ne pourrait être répété contre eux que cinq années d’arrérages », en
raison des règles de prescription.
Sur le premier point Joseph Guyet
répond
« qu’à l’égard du titre
constitutif de la rente il est constant qu’il a été adhiré (13) par l’effet de
la guerre civile de la Vendée ; que
dans cette position il serait suffisant d’établir le service de la rente
antérieurement à la Révolution au profit de feu Charles Augustin de Lespinay,
père de ladite demoiselle de Lespinay ». Joseph Guyet a raison, mais
cela ne suffit pas : il faut trancher le point suivant.
Sur le deuxième point il répond
«
que relativement à la suppression
qui pourrait être prétendue de la part des sus nommés comme ladite rente étant
imprégnée de féodalité, ce serait à eux de l’établir par titres authentiques et
suffisants ». Il aurait quand même été plus prudent de la part du
demandeur de mieux étayer son argumentation, et le Chef à l’agence judiciaire
du Trésor (14) qu’était Joseph Guyet fait preuve ici d’une légèreté qui peut
surprendre, sans doute parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. En effet,
les différentes lois votées pendant la Révolution sur l’abolition du régime
féodal avaient fini par sauvegarder les droits de nature exclusivement
fonciers, comme étant présumés légitimes. C’était le cas des rentes foncières
pures et simples. D’autres types de rentes foncières avaient une part de
caractère féodal et avaient été supprimées. On le voit, le problème méritait
une analyse très précise des caractéristiques de la rente foncière existant
autrefois à Villeneuve, ce qui n’a pas été fait, à notre avis volontairement,
et faute d’avoir retrouvé les titres. Le texte conservé dans les archives est
une transaction et n’exigeait pas d’expliquer, à ce point, les divergences d’analyse
juridique
entre les parties à
l’accord. Or Villeneuve se situait au cœur du fief de la Drollinière créé au
Moyen Âge, et dans ce cas, la rente foncière était peut-être
seigneuriale et pouvait être assortie de droits stipulés par le propriétaire
(fixes ou casuels : banalité, lods et ventes), conservant sur le bien une
supériorité féodale. Dans ce cas la rente avait été supprimée purement et
simplement (sans même la possibilité de rachat) par la Révolution.
Sur le troisième point de la
prescription au bout de cinq ans, Joseph Guyet réplique que cette rente ne
pouvait être prescrite qu’après trente ans. C’est le tribunal qui aurait apprécié
la règle applicable dans les réglementations de l’époque, définies par les
coutumes des provinces, là aussi au regard de la nature de cette rente foncière
particulière. Les rentes foncières simples étaient habituellement prescrites
par trente ans au bénéfice des débiteurs.
Indiquons tout de suite que la
transaction de 1808 met fin au conflit entre le châtelain républicain et les
paysans royalistes. D’un côté on ne réclame plus d’arrérages et de l’autre on
s’engage à reprendre le paiement de la rente à partir de 1810. En introduction
du dispositif transactionnel il est écrit : «
les parties ayant mûrement réfléchi sur l’incertitude de leurs moyens,
du succès de leurs prétentions, voulant éviter des contestations, ont, par
forme de transaction irrévocable et sans procès, fait et arrêté ce qui suit ».
Ces rentes, qui étaient devenues
rachetables dans le nouveau code civil de 1804, ont
pu s’éteindre de cette manière plus tard, probablement.
La transaction non respectée
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Picasso : colombe de la paix |
Au-delà du paradoxe résultant des situations et combats des
protagonistes, cette affaire jette aussi un éclairage sur l’état d’esprit dans
le pays après la guerre civile. Ils se sont entendus malgré tout, ils ont
transigé, certes quinze ans après le coup de rage de 1793, mais le fait vaut
d’être souligné. On remarque cette volonté d’aboutir à un accord, en repoussant
la reprise du paiement de la rente de deux ans, stipulée dans l’article 2 de la
transaction : «
Les sieurs et dame
Guyet et la demoiselle de Lespinay renoncent pareillement, tant en
considération de ce que dessus, que des malheurs occasionnés par la guerre, aux
arrérages de la dite rente pour les deux termes prochains, savoir à ceux
échéant au 15 août prochain, et à ceux au 15 août 1809, en faisant remise aux
cotenanciers de Villeneuve. » Décidément règne la volonté de vivre en
paix désormais. C’est du moins la réflexion qui vient naturellement à
l’esprit au terme de l’étude de cet acte. Mais l’affaire ne s’est arrêtée là et
la conclusion est trop hâtive.
En effet, dix ans plus tard, le 13 mars 1818, François
Cougnon et sa femme ont reçu un huissier de la Roche-sur-Yon, chez eux au village
du Coudray, leur signifiant une sommation à payer pour les arrérages de cette
rente, dus par eux et tous les autres cotenanciers (15).
Deux jours auparavant, Joseph Guyet et sa femme avaient
formé une requête visant à l’exécution du titre signé au nom de tous les
cotenanciers le 25 mars 1808. Les rentes n’avaient jamais été payées depuis
1810 et les Guyet en réclamaient les arrérages de huit années. Les débiteurs
devaient payer sous huitaine et au-delà, «
ils y seront contraints par toutes les voies de droit. »
Que s’était-il passé pour que les propriétaires de
Villeneuve refusent de s’exécuter ? Leur engagement était pourtant clair.
Certes, la fille de Charles Augustin de Lespinay, Henriette Félicité de
Lespinay, était morte à l’âge de vingt-un ans le 16 février 1811. La loi
faisait de sa mère la légitime héritière des biens qu’étaient les rentes
foncières. De plus, le testament de la jeune fille avait fait de sa mère et de
Joseph Guyet, ses légataires universels. On a du mal à croire que cette
disparition ait justifié le changement d’attitude des débiteurs.
Faute de document, il est difficile de faire des hypothèses
sur un sujet qui a mobilisé alors parfois les tribunaux et des avocats, tant
certaines situations concrètes paraissaient peu claires. On peut imaginer
néanmoins que les cotenanciers de Villeneuve ont reçu après coup l’avis éclairé
d’un juriste ami, contestant la validité de la transaction en date du 25 mars
1808. Même à cette époque, les conventions privées ne pouvaient s’opposer à
l’application d’une disposition légale d’ordre public. D’ailleurs les archives
conservent un jugement du tribunal de la Roche-sur-Yon du 29 avril 1812, où
sept propriétaires de Saint-André-Goule-d’Oie, au tènement de la Machicolière,
s’opposaient au sujet d’une rente foncière. Parmi eux se trouvaient Pierre
Herbreteau, le maire de la commune, déjà impliqué à Villeneuve et Louis Loizeau
le beau-frère de François Cougnon.
Nous savons que Joseph Guyet a, lui, effectué des
recherches chez le notaire de Saint-Fulgent. Ainsi, maître Guesdon lui a-t-il
fourni une copie, le 28 novembre 1825, de l’acte d’achat de la borderie de la
Vallée (les Essarts) par Alexis de Lespinay (ex beau-père de Mme Guyet, née du
Vigier), le 29 mai 1773 (16). L’achat a en partie été payé par l’arrérage dû par le vendeur à l’acheteur, d’une rente foncière créée par contrat
d’arrentement le 21 avril 1699 ! Cette rente avait fait partie de
l’héritage Cicoteau. Décidément les rentes foncières de l’Ancien Régime ont
donné des soucis à Joseph Guyet.
Nous avons trouvé trois dossiers
dans le chartrier de la Rabatelière de même nature que le sujet évoqué ici.
Dans l’un d’eux, à la Bergeonnière, le représentant des propriétaires est aussi
François Cougnon, et l’affaire est antérieure à la transaction sur la rente de
Villeneuve. Elle est donc susceptible d’éclairer son attitude dans la transaction.
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la Bergeonnière |
La châtelaine de la Rabatelière percevait une rente foncière
annuelle et perpétuelle de 10 boisseaux d’avoine sur le tènement de la Bergeonnière
avant la Révolution. La rente cessa d’être payée à partir d’août 1793. Le fondé
de pouvoir de la châtelaine en réclama le paiement en août 1798. Au nom des
propriétaires concernés François Cougnon refusa, car elle était présumée
féodale et donc supprimée. À moins que la demanderesse ne présente un titre
authentique et primordial prouvant que la rente n’était pas féodale, suivant la
position adoptée à la Bergeonnière. Un procès s’en suivit, que François Cougnon
gagna devant le tribunal civil de première instance de Montaigu en 1804. Mais
il perdit en appel en 1806. Il accepta ensuite de payer et nous pensons qu’il n’alla
pas en cassation. Voir sur cette rente l’article
publié sur ce site en janvier 2018 :
Justice indigne en 1805 contre les habitants de la Bergeonnière.
En abordant un problème identique à Villeneuve, il avait
déjà cette expérience et avait bénéficié de l’expertise de son avoué de
Montaigu qui s’appelait Chevallereau. Celui-ci avait clairement montré, textes
à l’appui, que selon la législation montagnarde de 1793, c’était au demandeur à
apporter la preuve du bien-fondé de sa demande de paiement d’une rente
foncière, en prouvant qu’elle n’était pas féodale. On a trouvé une
jurisprudence de la cour de cassation en ce sens, réformant précisément des
arrêts de la cour d’appel de Poitiers.
Il est donc très probable que François Cougnon ne faisait
plus confiance en la justice de la cour de Poitiers, quand se posa à lui le
problème de la réclamation de Joseph Guyet. Mais il avait probablement aussi à
l’esprit les convictions de son avocat sur l’illégitimité du paiement, ce qui
pourrait expliquer que la transaction ne fut pas suivie d’effet.
(1) Transaction sur rente foncière de Villeneuve du
25-3-1808, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier,
papiers Guyet : 3 E 30/138.
(2)
Inventaire après-décès de Louis Corbier de
Beauvais du 8-2-1762, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier :
3 E 30/3.
(3) Communauté des Loizeau du Coudrais du 23-11-1788, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3
E 30/12.
(4) Un miriagramme vaut 10 kg ou 10 000
grammes.
(5) Un boisseau des Essarts contenait 23
litres à densité 1. Cette densité varie pour chaque nature de céréale, ici de
0,74 pour le seigle, 0,78 pour le blé et 0,56 pour l’avoine.
(6) Louis Merle, La
métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à
la Révolution, Éditions Jean Touzot, Paris, SEVPEN, 1958.
(7) Archives de Vendée, vente de biens nationaux, dossier
de l’achat de Linières : 1 Q 240 no 317.
(8) Archives de Vendée, notaire Allard
des Herbiers : 3 E 019 (12 germinal an 11), vue 202/492
(9) Philippe-Antoine Merlin, « Recueil
alphabétique des questions de droit qui se présentent le plus fréquemment dans
les tribunaux (1819-1827), Tome 5,
rubrique « Rebelles de l’Ouest », page 247 (gallica.fr).
(10) Journal des Débats et lois
du pouvoir législatif et des actes du gouvernement du 26 décembre 1803 (4
nivôse an 12), page 2 et 3, et du 1e janvier 1804 (10 nivôse an 12), page 3.
(11) J.
Biteau, Deux capitaines de
paroisse : les frères Cougnon de Saint-André-Goule-d’Oie, Revue du
Souvenir Vendéen no 239 juin 2007, page 21.
(12) Fichier historique du
diocèse de Luçon, Saint-André-Goule-d’Oie : 1 Num 47/404. Et Archives de Vendée, sommier des adjudications de domaines nationaux
faites par le district de Montaigu : 1 Q 232.
(13) Le mot n’est plus utilisé et
s’écrit adiré, au lieu d’adhiré, (Littré). Signifie : perdu, égaré.
(14) Service du contentieux du
ministère des Finances.
(15) Sommation du 10-3-1818 à payer 8 ans d’arrérages
de Guyet/Duvigier contre Cougnon, Archives de Vendée : étude
de notaire de Saint-Fulgent, Frappier, papiers Guyet (3 E 30/138).
(16) Copie du 28-11-1825 de la vente de la borderie
la Vallée (Essarts) du 29 mai 1773 de Parpaillon à Alexis de Lespinay Archives
de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier (3 E 30/138). Et
acte original dans Archives de Vendée,
notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.