mardi 2 octobre 2012

Les activités agricoles et les techniques utilisées à Linières de 1800 à 1830 (Première partie)

Un des intérêts des baux écrits de Joseph Guyet avec ses métayers entre 1800 et 1830, réside dans leur illustration des techniques utilisées en agriculture à Chauché et aux alentours.

Déjà, l’étude très précise de Louis Merle en 1958, "La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la Révolution", donne des informations intéressantes. Mais l’aire géographique de la Gâtine poitevine, dans son étude, ne comprend pas la région de Chauché, se concentrant sur l’est vendéen et une partie des Deux-Sèvres. Certains critères mis en avant, comme les dates de débuts des baux, conduisent à ne pas confondre les deux régions, selon l’auteur.

La "Statistique ou description générale du département de la Vendée" de Cavoleau (1800), secrétaire général de la préfecture de Vendée, nous donne aussi des informations intéressantes sur les activités agricoles et les techniques utilisées dans notre bocage au temps de Joseph Guyet. Plus intéressant, car plus précis, est le même ouvrage annoté par A. D. de La Fontenelle de Vaudoré de 1844. Ces deux derniers documents sont accessibles par internet.

Toutes les informations puisées dans ces ouvrages, nous permettent de décrire l’activité agricole dans les métairies de Linières, car les clauses des baux viennent confirmer et illustrer ces informations. Plus que l’aspect juridique, c’est le contenu sur l’activité agricole révélé par ces baux qui est surtout intéressant. Et derrière l’activité, il y a les hommes et leur mode de vie.

Tous les baux écrits de l’époque n’entraient pas dans les détails de l’activité agricole. Ce n’était pas nécessaire car cette activité était encadrée par l’usage, qui s’imposait comme source prépondérante d’obligations en ce domaine. Nous disposons, à titre d’exemple de cette force de l’usage, d’un bail signé entre le propriétaire, un bourgeois de Luçon, et le fermier, un marchand du village de la Brossière, le 4 décembre 1743. Il s’agit d’affermer une borderie au village de la Ridolière de Saint-André-Goule-d’Oie (1). Rien n’est dit sur les obligations locatives ni les conditions d’exploitation. C’est pourquoi les baux de Joseph Guyet nous intéressent, car ils entrent dans bien des détails.

La charrue et les autres instruments de travail


Araire des Égyptiens
Le premier développement qui s’impose concerne l’état des techniques utilisées, à la base de tout pour décrire l’activité économique. Or la situation n’a pas beaucoup changé en ce domaine depuis le Moyen-Âge, qui avait vu la charrue remplacer l’araire héritée de l’antiquité. Les instruments et outils, qu’on appelait le cheptel mort, appartenaient au métayer. Étaient en métal, les socs des charrues, les dails, faucilles, serpes et quelques accessoires. Le reste était en bois : charrues, herses (de forme triangulaire), fourches, fléaux, charrettes (à deux roues) (2).


Charrue du Moyen Âge
 La charrue possédait un timon, ou aiguille en bois, qui s’articulait sur le joug des bœufs (pièce montée sur leur garrot), avec un anbllet ou ombier (3). Le joug (en frêne souvent) était lui-même attaché avec des jouilles (lanières en cuir). Elle comprenait trois pièces principales :
-        Un cep, pièce en bois d’un mètre de long, se terminant à l’avant par une pièce triangulaire en métal, le soc. Un versoir ou oreille rejetait la terre que le soc avait soulevée. C’était une planche en bois disposée à angle aigu sur le cep.

-        Une perche de deux à trois mètres de long, se dirigeant vers l’avant, adaptée au cep et qui recevait l’effort de traction de l’attelage.

-        Le mancheron qui s’adaptait à l’arrière de la perche sur le cep et servait à manœuvrer l’instrument.

Le bois de cette charrue était souvent le vergne ou aulne, léger et facile à travailler. Le soc de charrue provenait d’un vergne têtard plus dur. Ce dernier était aussi utilisé par les sabotiers, et pour fabriquer des pots à vin et des coussottes (sceau à eau) (3). La charrue ne labourait pas profond et nécessitait une paire, voire deux paires de bœufs. On attachait une paire supplémentaire de bœufs en la reliant à celle de derrière par un aplet (perche en bois). De plus, le laboureur devait appuyer sur la charrue à la force de ses bras pour l’aider à s’enfoncer dans la terre. On labourait en sillons séparés par des raïzes (entre-deux des sillons ou raies) le peu de terre remuée par le labour. Dans une première opération d’écrêtage, on divisait l’ancien sillon en trois parties : l’écrête du milieu restait en place et les deux côtés étaient rejetés dans les raïzes adjacentes par l’oreille de la charrue. Puis dans une deuxième opération de récurage, on fendait l’écrête du milieu, rejeté à droite et à gauche, en un ou deux passages, selon qu’il y avait une ou deux oreilles sur la charrue. Ces labours se faisaient au beau temps pour éviter de s’embourber dans les sols trop humides. Parfois on recommençait le labour du champ dans le sens perpendiculaire au précédent. On le voit, on ne labourait pas vraiment, on binait surtout, favorisant en même temps la croissance des "mauvaises herbes". La tradition s’amuse à rappeler la manière de toucher (conduire) les bœufs par les bouviers en dariolant (chantant) pour les entraîner. Les noms des bœufs étaient associés par deux, puisqu’ils travaillaient ensemble, non sans humour parfois : « L’amoureux-Galant », « Carreau-Cassé », Chatouillez-Nichons ».

Parmi les outils en fer, les principaux étaient les faucilles (à lame ouverte) qui avaient de petites dents pour scier, plutôt que couper, les céréales. Le volant était une serpe à long manche pour émonder les branches d’arbustes. Le croissant à long manche avait une lame courbe en forme de croissant pour débroussailler les buissons. La fourche à fagots avait 2 dents et un long manche. Le râteau servait à ramasser le petit bois et les copeaux. Le maillet avait une masse de fer ou en bois (orme), servant à fendre les cosses (bûches) à l’aide de coins métalliques. Le passe-partout était une grande scie métallique munie à chaque extrémité d’une poignée, pour scier les cosses, souches et troncs. La cognée était une hache servant à abattre les arbres ou à les tailler. 

Dail
Le dail (faux longue) servait à couper l’herbe et les ronces (3). En ce qui le concerne nous avons une incertitude sur le moment de son apparition dans l’agriculture du Bocage. Les historiens de la guerre de Vendée sont nombreux à l’avoir érigé en arme de guerre des insurgés. La serpe servait pour l’entretien des haies, et le couteau à parer les sabots servait à fabriquer ces derniers. À titre d’illustration, indiquons que le bail de la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent) du 19 avril 1815 prévoit que « le bailleur accorde aux preneurs deux vergnes (aulnes) par an pour leur faire des sabots et le bois nécessaire à leurs charrues ; le tout leur sera préalablement désigné par le propriétaire ou gens de sa part. » Le pic servait à extraire la cosse (au sens de racine profonde et non de bûche) des mauvaises plantes laissées par la charrue des labours.

Les engrais


           Au Moyen Âge                                           et maintenant                                                                
Les engrais ou pourrains, comprenaient les litières des animaux et les plantes pourries. Les fougères, ajoncs, genêts, bruyères, provenant des champs de landes, mais aussi les pailles, buailles (chaume), étaient répandues dans les trous des cours et des chemins pleins d’eau pour y pourrir. On abourrait (répandait) ainsi les ruages (chemins privés) pour obtenir un engrais appelé la bourrée, que l’on entassait en fumier avant de le répandre dans les champs. On utilisait un maximum de 25 m3 à l’hectare en Gâtine poitevine. Son utilisation était obligatoire dans la métairie et les baux interdisaient de la vendre. À titre d’exemple une clause du bail de la métairie de la Gagnolière (les Essarts), indique en 1826 que les fermiers s’obligent « de consommer sur les lieux tous les fourrages ainsi que les landes, ajoncs, et autres produits pouvant servir aux engrais. » En 1822, le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) dit clairement : « ils convertiront en fumier pour l’engrais des dites terres, toutes les productions à ce destiné sans pouvoir en vendre ni détourner aucune partie en façon quelconque. » En 1824, le bail de la métairie du Bourg de Saint-André-Goule-d’Oie précise : « Il est interdit aux fermiers de faire aucun déplacement ou enlèvement de terre dans les jardins sous prétexte de l’employer pour fumier d’engrais sans la permission express du propriétaire. » C’est qu’il existait une pratique chez les mauvais métayers, bien à courte vue, consistant à répandre de la terre de jardin dans les champs en guise d’engrais. Leur précarité dans des baux de cinq ans peut aussi expliquer leur tentation pour cette pratique.

Par contre on ne relève aucune trace dans les baux étudiés de l’écobuage pour obtenir de l’engrais. Il n’était sans doute pas pratiqué dans la région mais l’a été ailleurs dans le bocage. Cela consistait à enlever au printemps des carrés de surfaces gazonnées et à les mettre en tas les uns sur les autres, la partie gazonnée en bas. Les tas séchaient jusqu’à l’été, puis on les brûlait alors à l’étouffé. Les cendres étaient enfin étendues sur la terre quelques jours avant les semailles. La méthode épuisait très vite les sols et coûtait cher. Les brûlis ont pu exister, mais sans qu’ils soient évoqués dans nos baux. Ils consistaient à produire des cendres, utilisées comme engrais, en brûlant des plantes sauvages (ajoncs, bruyères et fougères). Ils apportaient soude et potasse à la terre. Notamment le genêt était la plante principale des pâtis ou terre en jachère. En le brûlant, la cendre enrichissait le sol en azote (3). L’usage des cendres du marais était marginal à cause de son coût, considéré comme élevé.

Les terres du Bocage, acides et grasses, nécessitaient, plus qu’en plaine, des moyens pour améliorer leur fertilité. On a par exemple une indication d’une sorte de gisement de marne à la métairie de la Roche au Roi (Saint-Fulgent), lors de sa visite du 10 mai 1824 (4). Les experts notent alors que dans le champ de la Landette, le long de la grande route, qu’« il y a été tiré de la terre de maçon ». Les engrais étaient réservés aux céréales nobles et il en manquait pour les fourrages, et pour envisager de créer des prairies artificielles. 

Mine de charbon de Faymoreau (Vendée)
On sait qu’à partir de 1840/1850, c'est-à-dire peu de temps après la période observée, va se produire progressivement dans la région la révolution des charrues en acier et du chaulage des terres (avec la chaux), qui va transformer l’agriculture du bocage. La naissance de la sidérurgie va apporter de nouvelles charrues, nées en Angleterre à la fin du 18e siècle et retournant la terre en profondeur. On attendra avant d’en voir apparaître en Vendée. Le charbon de Faymoreau va permettre de chauffer les premiers fours à chaux, en particulier vers Chantonnay, produisant la chaux en plus grande quantité à un coût abordable (5). Il faudra ensuite encore attendre la construction des routes pour amener ce nouvel engrais partout dans le bocage.

C’est le fils de Joseph Guyet qui connaîtra ces progrès à la fin de sa vie, et surtout ses successeurs. Les baux de notre période ne s’appliquent qu’aux techniques d’avant, que nous venons de décrire. Et de ces techniques, il s’en suit un système ancestral d’assolement des terres, peu productif.

Les règles d’assolement


En général une métairie comprenait une petite part en pairies naturelles, ouches, jardins et vergers, et le reste en trois parties, la première ensemencée en grains et cultivée de fourrages, la deuxième en jachère annuelle et la dernière en jachère permanente, qu’on appelait pâtis ou landes.

Les terres étaient emblavées (ensemencées) deux années (la première en blé, la deuxième en d’autres espèces de céréales ou plantes fourragères), puis laissées en guéret (terre labourée non ensemencée), c'est-à-dire en jachère (repos) la troisième année, le tout pendant un cycle de six à huit ans. Après quoi le champ était abandonné à lui-même pour devenir un pâtis, servant au pâturage, qu’on appelait aussi une lande. Il entrait en jachère permanente, quoique ce dernier mot ne soit pas à prendre au pied de la lettre. Mais si cette terre ne produisait pas d’elle-même des genêts par exemple, on en plantait avec les dernières semailles qui précédaient l’abandon en jachère permanente. Puis on cultivait ces landes en laissant une largeur suffisante entre les sillons, où poussaient genêts, ajoncs, bruyères, fougères, suivant la nature du sol. On laissait les plantes croître pendant trois ou quatre années, avant de faire pacager le champ. On a vu que les genêts servaient à fabriquer les bourrées (engrais de plantes pourries), mais on pouvait aussi les vendre, ainsi que les ajoncs, pour alimenter les fours à chaux et à tuile de la région. Ainsi les jachères permanentes subsistaient de six à dix ans et ensuite on les défrichait pour les convertir en terres labourables, mettant fin à un cycle complet d’assolement de la terre.

Ces règles de jachère étaient gravées dans le marbre. La coutume du Poitou qui s’appliquait sous l’Ancien Régime, écrit dans son article 104 pour les terres labourables seulement : « Quant aucun tient terre à terrage (6) au pays de bocage, il doit à tout le moins avoir emblavé la tierce partie, l’autre tierce tenir en guérets (terre en repos) et l’autre tierce partie laissée en pâturage (pâtis). Et au pays de plaine, il doit emblaver la moitié et l’autre moitié avoir en guérets » (7).

Ces règles, appliquées avec des accommodements propres à chaque petite région, quoique souffrant des calamités climatiques, étaient une exigence pour le propriétaire qui ne voulait pas voir épuiser le sol. Le métayer entrant voulait une surface suffisante de terre à ensemencer. Le collecteur d’impôts voulait des revenus constants d’une année sur l’autre. La taille répartie entre les propriétaires était répercutée sur les métayers, et l’appauvrissement de ces derniers constituait une charge pour les autres. Elle était répartie en effet au sein des paroisses entre les familles en fonction du revenu apparent.

Terre en jachère
Certains baux de Linières ont tenu à rappeler au respect de ces règles. Ainsi le bail des métairies de la Touche et de Bellevue (les Essarts) en 1823 dispose que les métayers « promettent de labourer, fumer, cultiver, ensemencer par soles de saisons convenables ». En 1826, la clause ajoute qu’ils s’obligent : « de lever (premier labour) chaque année une quantité convenable de landes et de les laisser en bon état de culture et de se conformer pour l’ensemencement et les guérets à l’usage des lieux. » En 1822 le bail de la métairie de la Fontaine (Saint-Fulgent) comporte cette clause : « Ils (fermiers) laboureront, cultiveront, sèmeront et ensemenceront les terres par soles et guérets sans pouvoir les surcharger, ni dessaisonner. Ils laisseront quantité de guérets anciens et nouveaux lors de leur sortie, suivant les usages locaux. » Parfois le propriétaire met les points sur les « i », montrant qu’il surveille l’application des règles, comme à la métairie de la Mauvelonnière (Chauché) : les fermiers « s’obligent également à jeter à plat et à laisser en bonne nature de pré et en état de fauche le pré dit le pré Long des Landes qu’ils ont ensemencé depuis plusieurs années. » Et cinq ans plus tard il précise pour le même pré : « le pré dit le pré Long des Landes, devant être en nature de pré au terme du présent bail, il ne pourra être labouré, les preneurs devront le faucher et le laisser en bonne nature de pré à faucher. »

Ce respect des règles d’assolement conduisait le propriétaire à surveiller les défrichements des jachères permanentes. Il avait adopté des durées de baux de cinq ans en général, n’intégrant pas le cycle, parfois du double, de ces jachères souvent appelées landes. Ceci l’amenait à inclure des clauses propres à ces défrichements et propres à chaque bail dans la moitié des baux de l’échantillon étudié. Elles concernaient tant les baux à colonage partiaire que les baux à prix fixe. Il y en avait de deux sortes : celles qui désignaient les champs à défricher et les travaux à y faire (40 %), et celles qui fixaient une surface à défricher dans un temps imparti (60 %).

Métairie des Noues (Saint-André)
Ainsi pour la métairie des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie) en 1816, il est indiqué que les preneurs s’obligent « de lever (premier labour) pendant le présent bail les deux champs des Landes et le champ Bruleau ». En 1823 à la Mauvelonnière (Chauché), « les preneurs s’obligent à lever, dégâter (enlever les plantes sauvages) et mettre en bon état de labour le champ des landes de la moitié actuellement en landes qui sera laissée en nature de terre labourable et en bon état à la fin du présent bail ». En revanche pour la métairie du Bourg (Saint-André-Goule-d’Oie), la clause indique en 1824 et 1828 que les preneurs « s’obligent à les dégâter et mettre en bon état de labour la quantité de cinq boisselées de landes. » De même, pour la métairie de la Grande Roussière (Saint-Fulgent), le bail précise en 1822 que les preneurs « … défricheront annuellement 72 ares 90 centiares ou 6 boisselées, mesure locale, de landes. Néanmoins cette quantité n’est pas rigoureusement exigée chaque année, pourvu qu’il s’en trouve à l’expiration du présent bail 3 ha, 64 a, 50 c, 30 boisselées de défrichés, qu’ils renfermeront dans une clôture morte dont le bois sera pris sur ladite métairie. »

À cette occasion nous voyons le notaire indiquer les surfaces avec les deux mesures employées. Celles que tout le monde utilisait, la boisselée, et celle qui avait seule valeur légale, et que le notaire était bien obligé d’écrire, l’hectare avec ses subdivisions. Si la mesure légale était la même pour tous, la boisselée variait en fonction des anciennes juridictions seigneuriales de l’Ancien Régime. Le notaire précisait parfois quelle mesure locale il appliquait. Faute de le faire ici, cela veut dire qu’il s’agit de la mesure locale du lieu loué. Il faut savoir que la boisselée de Saint-André était celle des Essarts (1216 m2) et d’une partie de Chauché. L’autre partie de Chauché appliquait la mesure de la Jarrie, dite de la Rabatelière (1046 m2). Enfin à Saint-Fulgent, la boisselée valait 1215 m2, comme on le voit dans notre exemple. C’est à la fin du 19e siècle qu’on décidera d’unifier la valeur d’une boisselée pour tout le canton de Saint-Fulgent à 10 ares ou 1000 m2 (8). C’est dire que la boisselée a survécut longtemps dans l’usage, malgré son défaut de valeur légale et ses différences de valeur entre communes. 

Enluminure
Le défrichement consistait à araser le sol après avoir enlevé les érondes (ronces) et coupé tous les genets, ajoncs etc. qui se trouvaient dans la lande. On enlevait les mottes d’herbes pour dégager la terre arable sous-jacente. L’opération s’appelait pelage, et certains journaliers s’en faisaient une spécialité, on les appelait des « peliers » (9). En novembre et décembre on labourait avec un fort attelage de bœufs. Un deuxième labour et hersage s’effectuaient au début du printemps suivant, qu’on recommençait à la fin du printemps. En août on labourait une quatrième fois pour former les sillons et on recommençait une cinquième fois pour les semailles en octobre. L’année suivante on semait souvent sur un seul labour.

Ces règles d’assolement, on l’aura compris, résultait de l’état des techniques utilisées. Elles ont déterminé elles-mêmes l’orientation de l’activité agricole vers la culture principalement, ne faisant presque de l’élevage que son accessoire sur les sols pas assez humides et trop acides. En final, on va constater que la richesse produite va dépendre de la taille de l’exploitation. Compte tenu de la part d’environ un tiers à la moitié de sa surface utile à la culture, produisant les trois quarts des revenus, une borderie de 5 ha produisait peu de richesse et enfermait son propriétaire exploitant dans une économie de subsistance, l’obligeant même le plus souvent à une activité complémentaire. Par contre, une métairie de 40 ha, produisait de la richesse pour le métayer, bien au-delà du fermage à payer. On comprend aussi pourquoi le métayage de la petite borderie ne pouvait exister qu’en association avec d’autres surfaces à cultiver. Sa dimension réduite ne pouvait offrir, à elle seule, qu’un espace de propriété. 

Mais ce constat pour la grande métairie trouve sa limite dans le coût de la main d’œuvre. Il était réduit dans les communautés familiales composées du père et de ses enfants, ou de plusieurs frères et beaux-frères. Cette communauté ne pouvait exploiter une trop grande surface sans faire appel à une main d’œuvre supplétive qu’il fallait payer. Au-delà d’une certaine surface, la création marginale de richesse diminuait sensiblement.

Quand, à partir des années 1840/1850, la révolution de la charrue en métal et du chaulage des terres va modifier les règles d’assolement, et augmenter les possibilités d’élevage, on va voir les exploitations se démembrer pour répartir les revenus sur un plus grand nombre d’entre elles. En devenant plus petites elles se sont adaptées à la dimension intangible des communautés de métayers. C’est que la structure de ces communautés familiales n’a pas changé tout au long du 19e siècle, et la révolution technique, ne concernant que l’outil de travail, a été mise à leur service dans un premier temps, ne faisant que retarder, semble-t-il  dans un deuxième temps, l’exode rural. Au départ, outil d’adaptation à une nécessité technique, les communautés familiales étaient devenues une norme sociale. Elles disparurent au 20e siècle avec l’évolution des mœurs.  


Les défrichements de bois


Les bois futaie (à usage du bois de charpente) et les taillis (à usage de bois de serpe ou chauffage) étaient souvent réservés par le propriétaire dans les baux des métairies pour garder le produit des ventes. Les coupes devaient alors obéir à l’Ordonnance royale des eaux et forêts, celle-ci ayant pour but de réserver à l’État la priorité du bois de charpente nécessaire aux constructions des bateaux (10).

Les défrichements de landes que nous venons de décrire ne sont pas à confondre avec des opérations de défrichement entreprises par Joseph Guyet pour mettre des bois en culture, continuant ainsi l’œuvre commencée dans la région au Moyen Âge. Nous avons rencontré la première aux Essarts sur la métairie de Bellevue en 1823. Le propriétaire s’engage à arracher une gîte (bois ou taillis), dans le cours des deux premières années de la jouissance des preneurs. De leur côté les preneurs s’engagent à défricher, cultiver et ensemencer comme les autres terres cette gîte au fur et à mesure qu’elle sera arrachée.

Aux Landes-Génusson, Joseph Guyet vend sa superficie de bois qui est sur la pièce de terre dite du Bois de la Cure, faisant normalement partie de la métairie de la Godelinière, à Gabriel Maillard forgeron demeurant au bourg de la commune, le 24 octobre 1827. Le prix de vente est de 200 F et le délai maximum pour faire les coupes et arrachages est fixé au mois de mai 1830. Après quoi, les portions de terrain seront déblayées et labourées de suite « de telle manière que la pièce de terre soit mise en bonne et pleine culture. »

C’est une autre opération de même nature qui est convenue dans le bail de Villeneuve (Chauché) signé le 8 juillet 1829, Joseph Guyet afferme la métairie pour le prix de 720 F par an pendant sept ans, durée inhabituellement longue chez lui. Les nouveaux fermiers, originaires du bourg des Brouzils, sont trois couples : Bossu, Brodu et Belamy. Ils s’engagent à garder le métayer actuel dans le même statut de colonage partiaire et sont donc autorisés à sous-affermer, c’est le seul cas rencontré de sous-affermage. De même, « Il est observé qu’une partie des bâtiments de Villeneuve est occupée par la veuve Fonteneau qui est fait à titre de bail verbal. Les preneurs sont chargés de l’exécution de son bail ou de le résilier si bon leur semble à leurs risques et périls. » L’objet principal du bail est de défricher le bois futaie de la métairie « pour mettre en emblaison (ensemencé) en 1836. Le bailleur fait faire les fossés et les preneurs feront les haies. Le champ de Vergnasse sera dégâté (enlever les plantes sauvages) puis ensemencé et ensuite mis en pré. Seront également mis à plat et laissé en nature de pré deux ans au moins avant la fin du bail les deux parties du pré dit Etang de la Morlière qui se labourent actuellement, alors que le métayer était tenu de mettre à pré. Il est interdit de faire pacager sur les nouveaux prés ainsi disposés dans les temps et saisons pluvieux et où les bestiaux seraient dans le cas de faire des dégradations. » Ce défrichement ne concerne pas néanmoins le bois taillis connu sous le nom de Gîte des Vergnais et celui connu sous le nom de Petite Gîte de la Pague.

Dans le même esprit de restructuration de l’espace dédié à l’agriculture, Joseph Guyet a entrepris de faire creuser par les métayers un important fossé dans la métairie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, en 1828. Il s’agissait de partager le champ du Martinet en deux parties égales par un nouveau fossé de trois mètres de large, garni de gazon mais aussi planté « tout du long de plants d’aubépine et de jets d’arbres de bonne semence de trente mètres de distance, greffés à bons fruits ensuite. »

Article à suivre …

(1) Bail du 4-12-1743 de P. Coutouly à F. Fluzeau, Archives départementales de la Vendée, Don Boisson : 84 J 30. 
(2) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la RévolutionÉditions Jean Touzot, SEVPEN, Paris, 1958.
(3) Anneau en nerfs de bœuf ou en chêne tressé, Christian Hongrois, Bocage Vendéens Des haies et des hommes, La Geste, 2024, pages 216, 266, 157 et 249.
(4) Visite du 10 mai 1824 de la métairie de la Roche au Roi, Archives de la Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, papiers Guyet : 3 E 30/138. 
(5) Statistique ou description générale du département de la Vendée de Cavoleau, annotée par A. D. de La Fontenelle de Vaudoré, 1844.
(6) En Poitou le terrage était un droit très répandu de gerbes de blé et de légumes dus au propriétaire par le tenancier d'une terre cultivée. Accompagné d’un cens, c’était une simple charge foncière. S’il était seul, sans le cens, c’était un droit seigneurial emportant les autres (lods et ventes etc.).
(7) Cité par L. Merle dans l’ouvrage indiqué ci-dessus (note 4).
(8) Archives de la Vendée, Usages locaux du canton de Saint-Fulgent (édition 1897).
(9) Livre de recettes en argent de la Rabatelière (1730-1768), Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, pages 42, 54, 103 et 118.
(10) Ferme du 12-7-1786 de la métairie des Renardières, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier/Lepinay : 1 Q 228 no 234.


Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2012, complété en juillet 2024

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La rente foncière du tènement de Villeneuve à Chauché


Le 25 mars 1808, en l’étude de maître Verdon, notaire aux Essarts, est signée une transaction entre les propriétaires du domaine de Linières et ceux du tènement de Villeneuve, commune de Chauché, au sujet d’une rente foncière (1). L’affaire ne manque pas de piquant à première vue.

C’est que la rente foncière, pouvant être assimilée à un droit féodal supprimé, était réclamée par « les sieur et dame Guyet et mademoiselle Henriette Félicité de Lespinay ». Les débiteurs poursuivis, la plupart petits propriétaires à Villeneuve, étaient des paysans dont certains nous sont connus pour s’être battus dans le camp royaliste et avoir été victime des exterminations révolutionnaires. À leur tête est François Cougnon, le capitaine de paroisse au temps de la Grand’Guerre de 1793/1796, en même temps important propriétaire à cause de sa femme. Avec lui, ils invoquent l’abolition des droits féodaux pour refuser de payer la rente foncière. Le propriétaire de Linières qui la leur réclame, Joseph Guyet, est un partisan bien connu de la Révolution. Et sa réclamation porte sur 15 ans d’arrérages, couvrant la période de 1792 à 1807. Nous sommes à front renversé apparemment. Mais d’abord présentons un peu mieux les protagonistes de cette affaire.

Joseph Guyet, « seigneur républicain », et les « teneurs royalistes »


Villeneuve (Chauché)
Joseph Guyet est le beau-frère d’Étienne Martineau, le révolutionnaire extrémiste de Saint-Fulgent et le fils de Simon Pierre Guyet, qui fut tué par les royalistes le 14 mars 1793 à Saint-Vincent-Sterlanges. Il s’était marié en 1804 avec Marie Marguerite Félicité du Vigier, divorcée en 1800 de Charles Augustin de Lespinay, celui-ci dépossédé de son domaine de Linières pour avoir émigré en 1791. Sa femme avait racheté le domaine en 1796, puis l’avait vendu à son futur époux, quelques semaines avant de divorcer en mairie de Chauché. Le couple des nouveaux propriétaires de Linières avait un enfant né en 1797, qui deviendra le futur député de la Vendée, Guyet-Desfontaines. Mme Guyet avait auprès d’elle sa fille aînée née en 1790, Henriette Félicité de Lespinay. Elle avait perdu sa deuxième fille Pauline, morte en février 1794 chez sa nourrice à Bazoges-en-Paillers. Elle avait échappé aux massacres du Mans lors de la terrible Virée de Galerne de fin 1793, et aussi aux noyades de Nantes au début de 1794, organisées par Carrier. Revenu d’émigration en 1800, Charles Augustin de Lespinay avait tout perdu : femme, enfants, métairies. Il venait de mourir dans le département de la Manche le 23 février 1807, un an avant l’affaire qui nous occupe.

En face, trente-deux propriétaires sont cités pour une quinzaine de propriétés, en communauté ou en indivision pour la plupart. Ils habitent à Saint-André-Goule-d’Oie, Chauché (dont quatre au village de Villeneuve), et dans quatre autres communes des environs. On relève des noms connus, outre François Cougnon déjà cité pour la propriété de sa femme, née Jeanne Loizeau. Il y a Françoise Robin, veuve de Jacques Mandin, le régisseur de Linières tué par les bleus en février 1794, sa fille Henriette, autrefois servante chez M. de Lespinay, son gendre, Simon Pierre Herbreteau, qui est maire de Saint-André-Goule-d’Oie depuis 1800. Et bien sûr à cette époque, on remarque parmi eux la part inhabituelle de veuves, orphelins ou parents ayant eu leurs enfants assassinés.

Cette liste permet de noter la dispersion de la propriété sur le tènement de Villeneuve, dès avant la Révolution. Certes il y avait toujours une borderie appartenant au propriétaire du domaine de Linières, mais ses prédécesseurs avaient concédé dans les temps anciens une partie des terres de ce tènement, à une époque que nous ignorons. Nous ne savons pas comment ces concessions avaient parcellisé ces terres de Villeneuve. Mais en 1808, les héritages avaient créé ou accentué cette parcellisation de la propriété. Les terres de la Mauvelonnière proche, appartenaient aussi au propriétaire de Linières, elles formaient une métairie, d’une superficie plus importante. Quant à l’habitat du Bois du Vergnais (désignation de l’époque), aussi proche, le bois futaie attenant constituait une réserve du seigneur, que Joseph Guyet a continué à défricher après la Révolution.

Villeneuve (Chauché)
Le mot de tènement désigne ici le territoire concédé par un seigneur à des teneurs (ou tenanciers). L’habitat des premiers teneurs était généralement regroupé en un village, qui était une fraction non cultivée du tènement. D’où l’expression habituelle des notaires de désigner dans leurs actes le « village et tènement de … », fréquente à Saint-André-Goule-d’Oie et les environs aux 17e et 18e siècles. On y trouvait non seulement des cultivateurs, mais aussi des laboureurs (qui se louaient) et parfois un ou des artisans. Dans le cas de Villeneuve, la (ou les) concession du seigneur avait pris la forme exclusive du bail à rente foncière avant la Révolution, qu’elle avait peut-être dès l’origine.

La rente réclamée


Le bail à rente foncière consistait à échanger un bien immeuble contre la perception d’une partie de ses revenus. Il était intermédiaire entre le contrat de louage et le contrat de vente. À l’origine, les biens concernés furent souvent des terres incultes concédées à des paysans. Les propriétaires d’héritages parfois morcelés, peu argentés et dont le métier était étranger à l’agriculture (nobles et bourgeois) préféraient ainsi constituer des rentes auprès d’agriculteurs durs à l’ouvrage, trop pauvres pour acheter et voulant éviter la précarité de la location des terres. C’était une manière de mettre en valeur les biens.

La redevance perçue par l’ancien propriétaire était fixe, en argent ou en denrées, souvent à paiement annuel, et à longue durée ou perpétuelle, c'est-à-dire non rachetable, sauf exceptions à l’initiative du débiteur de la rente. En cas de changement dans la personne du preneur, on signait un acte de reconnaissance chez le notaire. Car le bien pouvait être vendu par le débiteur de la rente, fractionné et transféré par héritage. La rente était attachée au bien et non à la personne du débiteur. Mais faute de paiement de la rente, le créancier retrouvait la propriété entière du bien arrenté. Il existait des variantes du bail à rente foncière : à cens seigneurial, à emphytéose. Dans les tènements comme Villeneuve, la rente était payée solidairement et collectivement par les cotenanciers. Ils se répartissaient entre eux la charge de la rente au prorata des surfaces possédées par chacun.

Nous avons trouvé d’autres rentes identiques en plusieurs autres villages de Saint-André-Goule-d’Oie, remontant, pour la plus ancienne datée, au 14e siècle. Nous pensons que la formule constatée à Villeneuve est représentative de la naissance ou de l’extension des petites propriétés dans les villages de la région. Malheureusement, nous restons incertains sur les dates du phénomène.

À cet égard il ne faut pas confondre ce type de rente avec celle, aussi souvent pratiquée, de crédit déguisé. Le vendeur d'un bien acceptait d'être payé en partie sous forme de rente foncière que l'acheteur pouvait amortir (racheter) au-delà d'une certaine période à sa volonté. Le prêt d'argent avec intérêt étant mal vu par l'église catholique, la formule permettait d'arriver au même but par ce moyen détourné, d'autant que les banques étaient quasi inexistantes dans les campagnes.

Plantu : la rente foncière
Nous ne connaissons pas les caractéristiques précises des arrentements à l’origine de cette rente foncière à Villeneuve. Dans le texte de la transaction on fait d’ailleurs état de la perte des titres par « l’effet de la guerre civile de la Vendée ». On y évoque aussi « que ladite rente paraissant être provenue de la succession de la Touche Cicoteau ». Félicité Cicoteau était la mère de Charles Augustin de Lespinay et sa famille appartenait à la branche de la Touche, implantée aux Essarts dès le 16e siècle. Elle avait été l’unique héritière de Linières, appartenant à sa famille depuis le début des années 1700. Bref, pour les protagonistes, l’origine de la rente est floue et on n’a pas poussé l’analyse plus loin sur sa nature.

On trouve un document évoquant cette rente dans l’inventaire après-décès du propriétaire du fief du Coudrais en 1762, Louis Corbier (2). Il s’agit « d’une quittance du 5 décembre 1757 donnée aux teneurs de Villeneuve pour le sieur de Lespinay », par L. Corbier. Ce dernier possédait une borderie à Villeneuve. Le mot de rente n’est même pas écrit dans le document et nous ignorons toujours si c’était une rente noble ou une simple rente foncière. Cette borderie de Villeneuve avait été achetée, avec ce qui restait du fief du Coudray, en 1767 par René Loizeau, le père de Jeanne Loizeau. En 1788 elle appartenait en indivision entre celle-ci et son frère Louis Loizeau (3).

Cette rente de Villeneuve était due solidairement par l’ensemble des cotenanciers et comprenaient quatre éléments non contestés par eux :

      54 miriagrammes (4) 4 kg de blé seigle répondant à 32 boisseaux ancienne mesure réduite des Essarts (5) ;
      28 miriagrammes 8 kg de froment répondant à 16 boisseaux ancienne mesure réduite des Essarts ;
      83 miriagrammes et 2 kg d’avoine répondant à 64 boisseaux d’avoine ancienne mesure réduite des Essarts ;
        6,35 F.

Faute de connaître les surfaces concédées il est impossible d’apprécier directement le montant de charge auquel correspondent ces quantités. Mais nous avons une idée approximative des rendements de ces cultures à l’époque, soit 12 à 13 hl pour un hectare (6). En conséquence, les calculs donnent une surface nécessaire aux trois productions de seigle, blé et avoine de 1,5 ha environ. Ce n’est pas rien, même pour plusieurs cotenanciers.

La rente et la Révolution


Le texte ne s’explique pas sur la motivation des nouveaux propriétaires de Linières. Déjà ils avaient fait opposition sur M. de Lespinay au paiement des arrérages (montants) de ladite rente par acte du 10 thermidor de l’an 13 (29 juillet 1805).

L’acte de rachat en 1796 du domaine de Linières, devenu bien national, stipule que « les dits biens sont vendus avec leurs servitudes actives et passives, francs de toutes dettes, rentes foncières, constituées ou hypothéquées, de toutes charges et redevances quelconques » (7). Cela ne règle pas la question, puisque les servitudes avaient suivi le sort des biens. Encore fallait-il prouver leur existence.

À Linières, l’administration a commencé par instaurer un séquestre sur la propriété. « Dans le mois de juin 1792 le séquestre a été établi sur tous les biens meubles et immeubles appartenant à Charles Augustin de Lespinay officier de cavalerie émigré demeurant à Linière commune de Chauché, qu’il fut même fait un inventaire par les commissaires du district de Montaigu, qu’il fut nommé un gardien qui resta jusqu’à l’époque de la guerre de Vendée. » (8). Nul doute que les républicains de Saint-Fulgent, dont nous connaissons l’ardeur, surveillait ce qui se passait à Linières. Or Charles Augustin de Lespinay avait émigré peu après la naissance de sa deuxième fille le 3 octobre 1791. Nous avons cherché dans les archives du district de Montaigu et du département à Fontenay et nous n’avons rien trouvé. Nulle trace du séquestre et de l’inventaire, tout a très probablement été détruit dans les combats de la guerre civile.

D’ailleurs la nature du document, dont nous venons de citer l’extrait, est révélatrice. Il s’agit d’un témoignage déposé chez un notaire des Herbiers le 12 germinal an 11 (2-4-1803). Le dépositaire du témoignage était Étienne Martineau, beau-frère de Joseph Guyet, et les témoins étaient six conseillers municipaux de Saint-Fulgent au moment des faits et un officier de santé de la colonne du général Watrin qui avait résidé à Saint-Fulgent au début de 1796.

Rappelons que le séquestre d’un bien est une mesure conservatoire, avec nomination d’un gardien. Compte tenu de la demande d’arrérages des Guyet, est-ce à dire que les paysans du village de Villeneuve ont cessé de payer la rente foncière dès 1792, c'est-à-dire à partir du moment où le domaine a été mis sous séquestre ? Normalement les paiements devaient se faire entre les mains du gardien désigné par les autorités du district et conservés sous séquestre. On pourrait signaler ce fait comme significatif des troubles et des ruptures dans la population, entrainés par la confiscation du domaine. Mais dans d’autres affaires similaires, où les biens du créancier n’étaient pas sous séquestre, on sait que les rentes ont cessé d’être payées en 1793. C’est qu’elles étaient généralement dues après la moisson, à la fête de Notre-Dame en août, disaient les textes. Et en août 1793, on était en guerre. Cela seul suffirait à expliquer l’arrêt des paiements pendant plusieurs années quand on sait ce que furent les opérations d’exterminations conduites en 1794 et l’état de la région dans les années suivantes.

De plus, il est intéressant de noter que le 9 janvier 1792, le député vendéen Philippe Charles Aimé Goupilleau, ex procureur-syndic de Montaigu, avait demandé la mise sous séquestre des biens des émigrés, afin qu'ils servent aux frais de la guerre. Comme quoi la Vendée n’a pas été qu’une terre de victimes.

Or le témoignage que nous avons commencé de reproduire se poursuit ainsi, nous le citons intégralement : « Alors toute administration ayant disparu, la maison et les dépendances de Linière et tous les objets mobiliers qui les garnissaient devinrent la proie des armées des deux partis et notamment dans les premiers mois de 1796 par le général Watrin, alors à St Fulgent commandant de cantonnement, fit enlever par beaucoup de charrettes tous les objets restant du mobilier qui avait échappé à la dévastation et à l’incendie du château. Le convoi fut expédié à Fontenay. En foi de quoi nous avons signé le présent.
À Saint-Fulgent le 9 germinal an onze de la République française une et indivisible, je certifie le fait sincère et véritable.
Auvoir officier de santé en chef de la colonne du général Watrin
Menard, François Brochard, Jean Libaud, Lamy, Louis Tricoire, Louis Michaud »
Ces dernières personnes se déclarent : « anciens officiers municipaux et habitants du canton de Saint-Fulgent certifions qu’il est de notoriété publique et à notre parfaite connaissance … »

Quel besoin avait donc Joseph Guyet d’obtenir, avec l’aide de son beau-frère, cette attestation en 1803 et de la faire conserver chez un notaire ? Qu’il s’agisse du notaire des Herbiers est normal, cette petite ville était devenue la nouvelle résidence du docteur Martineau.

Mais d’abord, les faits attestés sont-ils vrais ? Le séquestre n’étonne pas, même si les archives administratives le concernant, à Montaigu et à Fontenay-le-Comte, qui pourraient en attester, ont été détruites. On sait qu’il a été pratiqué dans d’autres situations identiques. Le déménagement du mobilier au début de 1796 est possible, au moment où Charette dans la région avait du mal à échapper aux traques organisées contre lui, mais on aurait aimé une preuve plus solide que ce témoignage, sans doute intéressé.

On ne s’étonnera pas du parti pris de Martineau, mettant sur le même pied les deux armées combattantes pour piller systématiquement les châteaux comme celui de Linières. La propagande, avec sa part de mauvaise foi, est consubstantielle au déclenchement et au déroulement des opérations de maintien de l’ordre et d’exterminations en Vendée.

On se félicitera de la précision du témoignage, non sans esprit critique sur certains points : les biens meubles et immeubles, inventaire au district (les témoins n’étaient pourtant pas présents, de leur propre aveu !) L’expression de « biens meubles et immeubles » comprend des titres éventuels de rente foncière.

Or le 22 mars 1802, Charles de Lespinay a intenté un procès contre le divorce de son épouse, soit un mois après que ce dernier lui ait été signifié (9). Celle-ci avait alors 31 ans et vivait avec son amant âgé de 29 ans, tous deux déjà parents d’un petit garçon de cinq ans. Ils devaient attendre avec quelque inquiétude le jugement du tribunal de première instance de la Seine. Il eut lieu le 8 juillet 1803, déclarant irrecevable la demande d’annulation du divorce. Dans cette bagarre judiciaire, totale et rude, où l’existence même du nouveau couple était en jeu, se sont heurtés des sentiments et des rancœurs, des passions politiques et des intérêts. Bien des « coups » sont imaginables dans une telle atmosphère ! Où étaient passés les papiers de famille, les bijoux, et pourquoi pas les titres de rente foncière à Linières ? Dans cette bagarre judiciaire, un témoignage comme celui que nous venons de citer a été visiblement jugé nécessaire par Joseph Guyet.

Ayant eu accès à la publication dans les journaux des plaidoiries des avocats lors du procès du divorce près la cour d’appel de la Seine en 1803, nous savons que M. de Lespinay reprochait à son épouse de n’avoir pas utilisé l’argent dont elle disposait pour racheter Linières. Or celle-ci a dû justifier d’avoir été obligé d’emprunter pour payer ce rachat. Le conflit dépassait, on le voit, l’existence des titres de rente foncière (10). Elle voulait justifier l’intervention de Joseph Guyet, qui l’avait financièrement aidée, « par amour », proclama son avocat. Voir notre article publié en janvier 2010 : Le divorce de Lespinay/du Vigier en 1800.

Ce séquestre nous apporte par ailleurs une information intéressante sur la révolte des gouledoisiens de 1793. Leur leader Christophe Cougnon, fils des métayers de la Guérinière avait des responsabilités dans la vie de l’amenage de Linières (11). Autant dire que le séquestre du domaine, avec la nomination d’un gardien, ne pouvait que provoquer son hostilité. Même s’il n’est pas le plus important, ce fait a dû contribuer à augmenter sa prévention contre les nouvelles autorités. Il peut aussi expliquer, au moins en partie, la réaction des mêmes gouledoisiens contre les gendarmes venus chercher Jean de Vaugiraud dans le bourg de Saint-André en mars 1793, en les faisant déguerpir. Bien sûr d’autres raisons plus profondes ont poussé les jeunes dans la révolte, mais cette circonstance vaut d’être remarquée. Christophe s’était blessé involontairement dans la cour du château de Saint-Fulgent en 1793 et il était mort quelques années plus tard. Mais son frère François avait pris la relève dans son rôle de capitaine de paroisse. Il se trouvait maintenant à représenter, à cause d’un bien de sa femme, les cotenanciers du tènement de Villeneuve.  

Mais revenons à la rente foncière. Son sort a varié dans la législation révolutionnaire. On sait qu’en s’appropriant les biens du clergé et des émigrés, l’État a su monnayer ces rentes, surtout avec les biens de l’Église. Ainsi, une rente de 4 boisseaux de seigle due sur le village de la Maigrière, et provenant du prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie, avait été vendue par le district de Montaigu le 19 mai 1791 à Jean Boisson, bordier au Cormier de Chavagnes-en-Paillers, pour le prix de 200 livres (12).

La réclamation des Guyet à l’égard des petits propriétaires du tènement de Villeneuve peut se comprendre si elle était fondée en droit. Ce n'est pas un cas isolé, et on relève ainsi chez les notaires de Montaigu, par exemple, trois reconnaissances de rentes foncières au profit d’Henriette de Lespinay (ex belle-sœur de Mme Guyet) entre 1804 et 1807, faites à chaque fois par une douzaine de copropriétaires et concernant des tènements des environs (Boissière-de-Montaigu, Saint-Georges-de-Montaigu, Saint-Hilaire-de-Loulay). Mais dans le cas de Villeneuve, il semble audacieux de réclamer des arrérages pour la totalité de la période de 1792 à 1807, alors que les combats, les destructions de récoltes, les incendies de bâtiments, les vols de bestiaux, les meurtres, avaient réduit à la misère certaines des personnes concernées. De plus, la propriété avait quand même été un bien national pendant trois ans. À moins qu’en réclamant gros, on se préparait à concéder mieux.

Vers une transaction


Daumier : Avocats
Par la voix de François Cougnon, probablement aidé de son avoué de Montaigu, Henri Michel Julien Chevallereau, les paysans rétorquèrent avec les arguments suivants :

1° « sans dénier le service de la rente avant la Révolution, le titre sur lequel elle pouvait être fondée devait leur être représenté par les dits sieurs et dame Guyet et la demoiselle de Lespinay »,

2° « qu’ils étaient autorisés à croire que cette rente était en tout ou partie noble, seigneuriale et féodale, et qu’ainsi elle serait, aux termes des lois, supprimée sans indemnité »,

3° « qu’en supposant qu’elle ne fût pas dans la classe de celles abolies, il ne pourrait être répété contre eux que cinq années d’arrérages », en raison des règles de prescription.

Sur le premier point Joseph Guyet répond « qu’à l’égard du titre constitutif de la rente il est constant qu’il a été adhiré (13) par l’effet de la guerre civile de la Vendée ; que dans cette position il serait suffisant d’établir le service de la rente antérieurement à la Révolution au profit de feu Charles Augustin de Lespinay, père de ladite demoiselle de Lespinay ». Joseph Guyet a raison, mais cela ne suffit pas : il faut trancher le point suivant.

Sur le deuxième point il répond « que relativement à la suppression qui pourrait être prétendue de la part des sus nommés comme ladite rente étant imprégnée de féodalité, ce serait à eux de l’établir par titres authentiques et suffisants ». Il aurait quand même été plus prudent de la part du demandeur de mieux étayer son argumentation, et le Chef à l’agence judiciaire du Trésor (14) qu’était Joseph Guyet fait preuve ici d’une légèreté qui peut surprendre, sans doute parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. En effet, les différentes lois votées pendant la Révolution sur l’abolition du régime féodal avaient fini par sauvegarder les droits de nature exclusivement fonciers, comme étant présumés légitimes. C’était le cas des rentes foncières pures et simples. D’autres types de rentes foncières avaient une part de caractère féodal et avaient été supprimées. On le voit, le problème méritait une analyse très précise des caractéristiques de la rente foncière existant autrefois à Villeneuve, ce qui n’a pas été fait, à notre avis volontairement, et faute d’avoir retrouvé les titres. Le texte conservé dans les archives est une transaction et n’exigeait pas d’expliquer, à ce point, les divergences d’analyse juridique entre les parties à l’accord. Or Villeneuve se situait au cœur du fief de la Drollinière créé au Moyen Âge, et dans ce cas, la rente foncière était peut-être seigneuriale et pouvait être assortie de droits stipulés par le propriétaire (fixes ou casuels : banalité, lods et ventes), conservant sur le bien une supériorité féodale. Dans ce cas la rente avait été supprimée purement et simplement (sans même la possibilité de rachat) par la Révolution.

Sur le troisième point de la prescription au bout de cinq ans, Joseph Guyet réplique que cette rente ne pouvait être prescrite qu’après trente ans. C’est le tribunal qui aurait apprécié la règle applicable dans les réglementations de l’époque, définies par les coutumes des provinces, là aussi au regard de la nature de cette rente foncière particulière. Les rentes foncières simples étaient habituellement prescrites par trente ans au bénéfice des débiteurs.

Indiquons tout de suite que la transaction de 1808 met fin au conflit entre le châtelain républicain et les paysans royalistes. D’un côté on ne réclame plus d’arrérages et de l’autre on s’engage à reprendre le paiement de la rente à partir de 1810. En introduction du dispositif transactionnel il est écrit : « les parties ayant mûrement réfléchi sur l’incertitude de leurs moyens, du succès de leurs prétentions, voulant éviter des contestations, ont, par forme de transaction irrévocable et sans procès, fait et arrêté ce qui suit ».

Ces rentes, qui étaient devenues rachetables dans le nouveau code civil de 1804, ont pu s’éteindre de cette manière plus tard, probablement.

La transaction non respectée


Picasso : colombe de la paix
Au-delà du paradoxe résultant des situations et combats des protagonistes, cette affaire jette aussi un éclairage sur l’état d’esprit dans le pays après la guerre civile. Ils se sont entendus malgré tout, ils ont transigé, certes quinze ans après le coup de rage de 1793, mais le fait vaut d’être souligné. On remarque cette volonté d’aboutir à un accord, en repoussant la reprise du paiement de la rente de deux ans, stipulée dans l’article 2 de la transaction : « Les sieurs et dame Guyet et la demoiselle de Lespinay renoncent pareillement, tant en considération de ce que dessus, que des malheurs occasionnés par la guerre, aux arrérages de la dite rente pour les deux termes prochains, savoir à ceux échéant au 15 août prochain, et à ceux au 15 août 1809, en faisant remise aux cotenanciers de Villeneuve. » Décidément règne la volonté de vivre en paix désormais. C’est du moins la réflexion qui vient naturellement à l’esprit au terme de l’étude de cet acte. Mais l’affaire ne s’est arrêtée là et la conclusion est trop hâtive.

En effet, dix ans plus tard, le 13 mars 1818, François Cougnon et sa femme ont reçu un huissier de la Roche-sur-Yon, chez eux au village du Coudray, leur signifiant une sommation à payer pour les arrérages de cette rente, dus par eux et tous les autres cotenanciers (15).

Deux jours auparavant, Joseph Guyet et sa femme avaient formé une requête visant à l’exécution du titre signé au nom de tous les cotenanciers le 25 mars 1808. Les rentes n’avaient jamais été payées depuis 1810 et les Guyet en réclamaient les arrérages de huit années. Les débiteurs devaient payer sous huitaine et au-delà, « ils y seront contraints par toutes les voies de droit. »

Que s’était-il passé pour que les propriétaires de Villeneuve refusent de s’exécuter ? Leur engagement était pourtant clair. Certes, la fille de Charles Augustin de Lespinay, Henriette Félicité de Lespinay, était morte à l’âge de vingt-un ans le 16 février 1811. La loi faisait de sa mère la légitime héritière des biens qu’étaient les rentes foncières. De plus, le testament de la jeune fille avait fait de sa mère et de Joseph Guyet, ses légataires universels. On a du mal à croire que cette disparition ait justifié le changement d’attitude des débiteurs.

Faute de document, il est difficile de faire des hypothèses sur un sujet qui a mobilisé alors parfois les tribunaux et des avocats, tant certaines situations concrètes paraissaient peu claires. On peut imaginer néanmoins que les cotenanciers de Villeneuve ont reçu après coup l’avis éclairé d’un juriste ami, contestant la validité de la transaction en date du 25 mars 1808. Même à cette époque, les conventions privées ne pouvaient s’opposer à l’application d’une disposition légale d’ordre public. D’ailleurs les archives conservent un jugement du tribunal de la Roche-sur-Yon du 29 avril 1812, où sept propriétaires de Saint-André-Goule-d’Oie, au tènement de la Machicolière, s’opposaient au sujet d’une rente foncière. Parmi eux se trouvaient Pierre Herbreteau, le maire de la commune, déjà impliqué à Villeneuve et Louis Loizeau le beau-frère de François Cougnon.

Nous savons que Joseph Guyet a, lui, effectué des recherches chez le notaire de Saint-Fulgent. Ainsi, maître Guesdon lui a-t-il fourni une copie, le 28 novembre 1825, de l’acte d’achat de la borderie de la Vallée (les Essarts) par Alexis de Lespinay (ex beau-père de Mme Guyet, née du Vigier), le 29 mai 1773 (16). L’achat a en partie été payé par l’arrérage dû par le vendeur à l’acheteur, d’une rente foncière créée par contrat d’arrentement le 21 avril 1699 ! Cette rente avait fait partie de l’héritage Cicoteau. Décidément les rentes foncières de l’Ancien Régime ont donné des soucis à Joseph Guyet.

Nous avons trouvé trois dossiers dans le chartrier de la Rabatelière de même nature que le sujet évoqué ici. Dans l’un d’eux, à la Bergeonnière, le représentant des propriétaires est aussi François Cougnon, et l’affaire est antérieure à la transaction sur la rente de Villeneuve. Elle est donc susceptible d’éclairer son attitude dans la transaction.

la Bergeonnière
La châtelaine de la Rabatelière percevait une rente foncière annuelle et perpétuelle de 10 boisseaux d’avoine sur le tènement de la Bergeonnière avant la Révolution. La rente cessa d’être payée à partir d’août 1793. Le fondé de pouvoir de la châtelaine en réclama le paiement en août 1798. Au nom des propriétaires concernés François Cougnon refusa, car elle était présumée féodale et donc supprimée. À moins que la demanderesse ne présente un titre authentique et primordial prouvant que la rente n’était pas féodale, suivant la position adoptée à la Bergeonnière. Un procès s’en suivit, que François Cougnon gagna devant le tribunal civil de première instance de Montaigu en 1804. Mais il perdit en appel en 1806. Il accepta ensuite de payer et nous pensons qu’il n’alla pas en cassation. Voir sur cette rente l’article publié sur ce site en janvier 2018 : Justice indigne en 1805 contre les habitants de la Bergeonnière.

En abordant un problème identique à Villeneuve, il avait déjà cette expérience et avait bénéficié de l’expertise de son avoué de Montaigu qui s’appelait Chevallereau. Celui-ci avait clairement montré, textes à l’appui, que selon la législation montagnarde de 1793, c’était au demandeur à apporter la preuve du bien-fondé de sa demande de paiement d’une rente foncière, en prouvant qu’elle n’était pas féodale. On a trouvé une jurisprudence de la cour de cassation en ce sens, réformant précisément des arrêts de la cour d’appel de Poitiers.

Il est donc très probable que François Cougnon ne faisait plus confiance en la justice de la cour de Poitiers, quand se posa à lui le problème de la réclamation de Joseph Guyet. Mais il avait probablement aussi à l’esprit les convictions de son avocat sur l’illégitimité du paiement, ce qui pourrait expliquer que la transaction ne fut pas suivie d’effet. 

(1) Transaction sur rente foncière de Villeneuve du 25-3-1808, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier, papiers Guyet : 3 E 30/138.
(2) Inventaire après-décès de Louis Corbier de Beauvais du 8-2-1762, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/3.
(3) Communauté des Loizeau du Coudrais du 23-11-1788, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12.
(4) Un miriagramme vaut 10 kg ou 10 000 grammes.
(5) Un boisseau des Essarts contenait 23 litres à densité 1. Cette densité varie pour chaque nature de céréale, ici de 0,74 pour le seigle, 0,78 pour le blé et 0,56 pour l’avoine.
(6) Louis Merle, La métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la RévolutionÉditions Jean Touzot, Paris, SEVPEN, 1958.
(7) Archives de Vendée, vente de biens nationaux, dossier de l’achat de Linières : 1 Q 240 no 317.
(8) Archives de Vendée, notaire Allard des Herbiers : 3 E 019 (12 germinal an 11), vue 202/492
(9) Philippe-Antoine Merlin, « Recueil alphabétique des questions de droit qui se présentent le plus fréquemment dans les tribunaux (1819-1827), Tome 5, rubrique « Rebelles de l’Ouest », page 247 (gallica.fr).
(10) Journal des Débats et lois du pouvoir législatif et des actes du gouvernement du 26 décembre 1803 (4 nivôse an 12), page 2 et 3, et du 1e janvier 1804 (10 nivôse an 12), page 3.
(11) J. Biteau, Deux capitaines de paroisse : les frères Cougnon de Saint-André-Goule-d’Oie, Revue du Souvenir Vendéen no 239 juin 2007, page 21.
(12) Fichier historique du diocèse de Luçon, Saint-André-Goule-d’Oie : 1 Num 47/404. Et Archives de Vendée, sommier des adjudications de domaines nationaux faites par le district de Montaigu : 1 Q 232.
(13) Le mot n’est plus utilisé et s’écrit adiré, au lieu d’adhiré, (Littré). Signifie : perdu, égaré.
(14) Service du contentieux du ministère des Finances.
(15) Sommation du 10-3-1818 à payer 8 ans d’arrérages de Guyet/Duvigier contre Cougnon, Archives de Vendée : étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier, papiers Guyet (3 E 30/138).
(16) Copie du 28-11-1825 de la vente de la borderie la Vallée (Essarts) du 29 mai 1773 de Parpaillon à Alexis de Lespinay Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier (3 E 30/138). Et acte original dans Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.


Emmanuel François, tous droits réservés
Octobre 2012, complété en août 2021

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samedi 1 septembre 2012

L’évolution des baux dans le domaine de Linières de 1800 à 1830


Au début du 19e siècle, il existait semble-t-il dans la région de Saint-Fulgent deux types de baux à ferme hérités de l’Ancien Régime : les baux à colonage partiaire et les baux à prix fixe. Et comme le confirmait le récent code civil de 1804 leur forme restait libre : « On peut louer ou par écrit, ou verbalement. » À Linières, la politique de Joseph Guyet, le propriétaire, a consisté à abandonner progressivement les baux à colonage partiaire en faveur des baux à prix fixe.

Le colonage partiaire était régi par le droit romain pendant tout l’Ancien Régime, et le nouveau code civil ne le définissait pas. Ce type de contrat, « hybride » pour les jurisconsultes d’autrefois, consistait à louer son travail, c'est-à-dire à entrer en subordination du propriétaire, et à partager avec ce dernier les fruits et les aléas de l’activité (1). Aux Essarts et à Saint-Fulgent, ce partage était à moitié, mais on sait que d’autres valeurs de partage pouvaient être retenues. Le colonage partiaire avait l’inconvénient d’une forte implication de la part du propriétaire, et pour cela était peu prisé dans les domaines agricoles appartenant à l’Église. Il avait l’avantage de requérir peu de moyens de la part du fermier, notamment de n’être obligé de posséder, tel qu’il était pratiqué, que la moitié du cheptel. Indiquons tout de suite que les instruments de travail étaient rudimentaires, fabriqués en bois et étaient la propriété du fermier, quel que soit le mode de faire valoir.

Le bail à colonage partiaire a évolué au cours du 19e siècle, avec plus d’indépendance du métayer à l’égard du propriétaire, pour donner naissance au bail dit à partage de fruits ou à métayage. Néanmoins le bail à colonage partiaire a pu subsister sans changement tout au long du 19e siècle. Les preneurs dans ces deux baux ont fini par s’appeler alors métayers ou colons. Et le mot de fermier a été réservé au preneur du bail à prix fixe (on disait à prix d’argent). Cette évolution moderne n’aide pas à comprendre l’emploi de ces mots dans les temps plus anciens. D’ailleurs le code civil employait déjà ces mots dans ce sens, dès 1804.
Aux 18e et 19e siècles dans la région autour de Chauché, mais aussi ailleurs suivant les cas, les mots employés par les paysans pouvaient avoir un sens particulier, suivant qu’on évoque les choses ou les hommes. S’agissant des exploitations agricoles ou des fermes, on appelait une métairie celle qui avait une surface importante (au-dessus de 15 ha généralement). En dessous on parlait de borderie. Le mot métairie vient du mot « manse » qui se rapportait au haut Moyen Âge, à la surface agraire que quatre bœufs pouvaient annuellement labourer en hiver et en été. Cette notion se distinguait de la borderie où deux bœufs suffisaient.
S’agissant des hommes, il faut distinguer selon qu’ils étaient propriétaires, locataires ou ouvriers. Le propriétaire qui exploitait en direct une métairie était désigné le plus souvent comme propriétaire dans les documents, ce qui n’aide pas à le distinguer du propriétaire qui n’exploitait pas. Les propriétaires d’une borderie étaient appelés des bordiers. Souvent les bordiers étaient à la fois cultivateurs de petits lopins de terre et artisans. Et là aussi la réalité était plus diverse que le vocabulaire employé.
Dans le langage commun, les locataires d’une métairie s’appelaient des métayers ou des colons ou des fermiers, et quel que soit le type de bail en vigueur : à colonage partiaire ou à prix fixe. Les notions de métayer et de métairie n’ont pas de liens en pratique à cette époque. Le mot de colon, synonyme de métayer, a longtemps été utilisé et trouve son origine au Moyen Âge pour désigner celui qui cultivait la terre d’autrui qu’il avait défrichée, c’est à dire colonisée. Il n’est pas à relier au type de bail à colonage partiaire. Il en allait de même des métayers des grosses borderies, mais pour les petites borderies, l’économie des jachères rendait cette situation plus rare. Le bordier était souvent propriétaire, au moins à temps partagé.
Dans le langage courant, le mot de fermier était employé dans deux sens. D’abord celui qui exploite une ferme qu’il a louée, quel que soit le type de bail, et ensuite celui qui a loué une ferme qu’il fait exploiter par des cultivateurs. Ce dernier sens se rapportait à des bourgeois comme le père de Joseph Guyet, qui affermaient de nombreuses métairies et domaines appartenant à des nobles ou à l’Église. Il s’affichait fermier dans certains documents comme on souligne une position sociale. Les historiens les appellent à juste titre, pour bien les distinguer, des fermiers généraux, mot qu’on rencontre peu dans la documentation locale.
Le mot de cultivateur rencontré dans certains documents, nous paraît toujours avoir une signification vague à cette époque, se rapportant au métier.
Enfin le mot de laboureur s’appliquait au travailleur louant son travail dans les exploitations pour les travaux de labours avec des bœufs. Il y avait aussi la catégorie des laboureurs à bras : ils travaillaient sans bœufs, bêchant la terre. Mais on a vu le mot employé au 18e siècle dans un sens générique, le même que celui de cultivateur : celui qui travaille la terre.

Bref, on l’aura compris, le contexte du mot employé compte dans certains cas pour saisir son sens précis à cette époque. À ce propos indiquons que nos dictionnaires modernes n’étaient pas encore nés, et que l’Académie Française manquait visiblement d’autorité dans les campagnes.


La confiscation des métairies pendant la Révolution et la fin des baux à partage des récoltes


Nicolas Bernard Lépicié : Cour de ferme
On s’est naturellement interrogé sur le mode de faire valoir mis en œuvre par l’administration du département après le séquestre du domaine de Linières à son propriétaire émigré en 1792. La législation, confirmée ensuite par le code civil, soumettait les baux des biens nationaux à une réglementation particulière. Malheureusement, la pauvreté des archives est à la mesure des destructions dues à la guerre de Vendée, notamment pour le district de Montaigu concernant ce point (2).

Pendant la période de séquestre de Linières les baux existant ont dû continuer leur vie normalement, les versements en nature et en argent aux propriétaires étant mis sous séquestre par le gardien nommé par les autorités en juin 1792. Nous n’avons aucun document sur ce point.

Il en est de même pour la période de confiscation avec transfert de la propriété à la nation, à partir d’octobre 1793. On sait, à partir de rares exemples, que le receveur de l’Enregistrement et du domaine national, au bureau de Montaigu, demandait aux municipalités de mettre aux enchères en sa présence les baux des métairies appartenant à la nation. Auparavant il avait fait apposer des affiches imprimées annonçant ces adjudications de baux. Ceux-ci étaient d’une durée de trois ans et ses clauses n’étaient pas négociables. Elles avaient auparavant été formulées dans un « sumptum » lu par le président de la commission d’adjudication à toutes les personnes présentes. Il contenait en un certain nombre d’articles les clauses charges et conditions à imposer aux adjudicataires (3). Dans un exemple à Mouchamps (4), on voit que le bail, ou plutôt son adjudication, était fixée à prix d’argent, avec les clauses traditionnelles concernant les cas fortuits et de force majeure, les droits et devoirs entre le fermier entrant et le fermier sortant pour les récoltes, pailles, foins et engrais, les obligations de réparations locatives, l’entretien des prés et des haies, le respect des règles coutumières de jachère. Mais le fermier payait les impôts liés au bien, ce qui était une vraie nouveauté. De plus, il devait fournir une caution systématiquement, et pouvait sous-louer à condition de le faire devant notaire.

On est à peu près sûr qu’il n’y a pas eu d’adjudication de baux dans le domaine de Linières pendant au moins la première moitié des deux ans et demi de la période où le domaine a été bien national, c’est à dire de fin 1793 à juillet 1796. La maîtrise du pays par les insurgés d’abord, puis les exterminations des colonnes infernales ensuite, et le harcèlement du général Charette, réfugié tout près dans la forêt de Gralas, ont certainement empêché toute gestion par l’administration du district de Montaigu. Pour les populations, leur territoire était considéré comme libre ou occupé par les ennemis, suivant les aléas de la guerre. Ils ont vécu la situation comme leurs descendants pendant la deuxième guerre mondiale, avec une zone occupée et une zone libre, c'est-à-dire celle-ci non occupée par l’ennemi. C’est ce que dit le prieur Allain de Saint-André-Goule-d’Oie en écrivant dans son registre l’acte de décès de François Breteau (village de la Brossière) et « emmené par les bleus dans le pays ennemi » (5).

Pour autant que l’administration ait eu le temps d’établir des baux pour les métairies de Linières, certainement à prix fixe, la pratique des baux à colonage partiaire s’est rétablie ou poursuivie au rachat du domaine en août 1796 par Mme de Lespinay, pour un petit nombre de métairies. Les baux à prix fixes étaient plus nombreux à Linières. Nous pensons qu’au sortir de la guerre de Vendée, avec des troupeaux décimés, des travaux de réfection à faire, des bras qui manquaient, le partage de fruits a pu constituer un type de bail plus à la portée de certains métayers ruinés et manquant des moyens nécessaires à un bail à prix fixe. 

Coral : messe de minuit dans la forêt de Gralas

Après la guerre de Vendée, le propriétaire de Linières de 1800 à 1830, Joseph Guyet, s’est défait au fil du temps des baux à colonage partiaire, préférant les baux à prix fixes. La Morelière est la dernière métairie dont le bail est à partage de fruits jusqu’en 1830 dans notre échantillon de baux écrits que nous avons pu consulter, alors qu’auparavant au moins cinq métairies ont été gérées de cette manière. À cette occasion il n’y a pas eu changement de fermiers.

Pour expliquer cette volonté, l’éloignement du propriétaire parisien a certainement été déterminant. Dans le bail à prix fixe, il n’y a plus de récoltes à surveiller, d’aléas à subir, de produits à vendre, de troupeaux à gérer etc. Même avec un régisseur sur place, il y avait déjà assez à faire pour entretenir les bâtiments, choisir les fermiers et les suivre, avec autant de métairies.

Un autre élément a pu jouer en faveur du bail à prix fixe : en précisant par écrit une clause particulière, seul le métayer devait supporter les conséquences des calamités agricoles. Alors que dans le bail à colonage partiaire on partagerait de droit les bénéfices, mais aussi les pertes. Cette politique a été pratiquée par Joseph Guyet dans les clauses de cas fortuits et de force majeure de ses baux à prix fixe.

C’est ce qui s’est passé à la Mauvelonnière (Chauché) en 1824. La métairie était tenue depuis longtemps par deux belles-sœurs, dont une veuve avec 3 enfants, Françoise Godard (son mari, Marie Jean Chapleau tué lors du soulèvement de 1815) (6). Le propriétaire leur a vendu sa part du troupeau estimé à 762 F, alors que la ferme annuelle était de 1 000 F. Il leur a fait crédit sur quatre ans. Cinq ans plus tard, il n’avait toujours pas été remboursé. Il leur a laissé encore un délai supplémentaire, mais nous ne savons pas comment l’affaire s’est terminée.

À la métairie des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie), le passage au bail à prix fixe s’est opéré la même année, avec le même fermier, Pierre Blandin. Une clause particulière précise là aussi : « Les bestiaux qui garnissent la métairie sont, pour moitié, la propriété de M. Guyet. Il en sera fait estimation à la Saint-Georges (23 avril) 1824, époque de l’entrée en jouissance des preneurs à titre de fermier, qui conserveront les dits bestiaux à la charge d’en payer à M. Guyet la valeur estimative dans le cours des trois premières années de leur bail, et par tiers dans chacune des dites trois années. » En 1816, déjà le propriétaire avait mis la pression pour changer de type de bail en insérant la clause suivante : « le bailleur se réserve également le droit de mettre la métairie en ferme pendant le courant du présent bail si bon lui semble, les dits preneurs s’obligent d’en cesser la jouissance étant prévenu une année à l’avance sans pouvoir exiger aucun dédommagement à cet égard ». Le bailleur tempère ensuite : il réservera dans ce cas la préférence au fermier actuel.  

La pratique des baux à colonage partiaire et des baux à prix fixe à Linières

Comment se pratiquait le partage des fruits à cette époque sur les métairies de la Morelière, de Villeneuve (Chauché), des Noues (Saint-André-Goule-d’Oie), et de la Touche (Essarts) ?

Gustave Courbet : Les cribleuses de blé
La moitié des grains et fruits sont transportés par les preneurs au bail, dans « les greniers de Linières ou autres lieux indiqués par le propriétaire. » Pour les grains il est précisé qu’ils auront été « bien vannés et qu’ils seront nets de toutes impuretés ». En pratique cela demandait un travail important sans aboutir, compte tenu des techniques employées, à une bonne propreté des grains. Les « mauvaises herbes » étaient à l’époque une calamité, dont les graines se retrouvaient mélangées avec celles du blé. 

La part des semences dans ce partage variait d’une métairie à l’autre pour des raisons que nous n’avons pas pu cerner, probablement liée aux relations personnelles entre le propriétaire et les métayers. À la Morelière les semences étaient prélevées avant partage à moitié, mais seulement dans une limite de 50 décalitres pour le blé. Le surplus éventuellement nécessaire et les semences des autres céréales étaient donc prélevés sur la moitié des métayers. Plus tard, cette limite pour le blé sera abandonnée. Apparemment les semences constituaient un des rares sujets de négociations dans les baux.

Aux Noues la limite de 50 boisseaux s’applique non seulement au blé, mais aussi au seigle et à l’orge, qui seront prélevés « sur les tas avant tout partage entre eux et le bailleur ».

Camille Pissaro : Récolte de pommes
À Villeneuve en 1817, la charge des semences est égale entre le propriétaire et le fermier.

Suivant la coutume on partageait les fruits « de hautes branches » (pommes, poires, cerises, prunes etc.), mais le preneur gardait pour lui tous les autres fruits (groseilles, fraises etc.).

Les bestiaux « nécessaires » à l’exploitation sont fournis moitié par moitié entre le bailleur et le preneur. Il est de plus précisé dans quelques baux : « lesquels bestiaux, les preneurs ne pourront vendre, trafiquer, mener à foire ni marché sans le consentement du bailleur. » On voit ici que le bétail sert de force de traction principalement. Dans les cas où, en plus, une partie était vendue, on partageait les bénéfices. Le bailleur avait droit, suivant la loi, « à la moitié des laines et du croît » (augmentation du nombre de bêtes) et le preneur « profite seul des laitages, du fumier et des travaux des bêtes. » Mais on imposait au fermier l’interdiction de faire commerce du fumier et de labourer pour autrui.

Pour les engrais, la formule est partout la même, ceux qui seront « nécessaires … seront payés moitié par moitié. » Mais ils étaient tates, et on en achetait peu.

L’économie de ce type de bail nécessitait un nombre suffisant de bras pour exploiter la métairie. Certaines clauses traitent du sujet. Ainsi aux Noues, les fermiers s’obligent « à tenir sur ladite métairie et aux conditions expresses quatre hommes en état de travailler. » À Villeneuve, les fermiers s’engagent à « fournir chaque année pendant le présent bail un domestique de force pour leur aider à faire ladite métairie, à peine de contre eux de dommages et intérêts. »

À partir des années 1820, on convenait dans le bail d’estimer le revenu annuel de la métairie pour des raisons fiscales. Les chiffres déclarés paraissent notablement inférieurs à la réalité.

Le sous-affermage devait être expressément autorisé dans le bail à colonage partiaire, suivant la loi, ce qui explique que cette clause n’existe pas dans les baux de Linières. En revanche, on la rencontre dans les baux à prix fixes, pour lesquels la législation était inverse : « le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. »

Dans le bail à prix fixe, le fermier payait au bailleur un montant fixe convenu d’avance. Il décidait de l’exploitation et subissait seul les aléas de l’activité. Le montant de la location pouvait être exprimé en monnaie ou en quantité de grains. Le premier bail rencontré, signé le 18 juillet 1800 au nom de Mme de Lespinay, stipule sur ce point : « La présente ferme est faite au gré et consentement des parties, pour de la part des parties en bailler et payer pour chacun an la somme de 700 francs, …, lesquels paiements ladite bailleresse sera libre de percevoir en grain froment de belle qualité à raison de 300 francs le tonneau » (7). À cette date on vivait encore dans un désordre économique et financier important et on se méfiait de la monnaie. Ensuite, et grâce aux réformes et à la stabilité apportées par Napoléon, tous les baux à prix fixes sont libellés en francs, mais Joseph Guyet, encore sous le coup de son expérience sous le Directoire, tenait à préciser que le prix était payable « en argent sonnant », c'est-à-dire en pièces métalliques contenant une part de métaux précieux. Il se méfiait des billets de banque, tout fonctionnaire du ministère des Finances qu’il était !

Les prix des fermes n’étaient pas indexés, on était entré dans une longue période de stabilité financière depuis 1800. À partir des années 1820, ils ont augmenté de 1,2 % et 1,8 % après cinq ans, et aussi de 5 % à 6 % après 10 années du même prix. Dans un cas le prix a même baissé de 5 %.


(1) L. Rerolle, Du colonage partiaire et spécialement du métayage, Chevallier et Maresc (1888)
(2) L’administration du district de Montaigu était en fuite à Chantonnay, où elle fut victime de l’incendie d’une colonne infernale. « Dans la confusion qu’a causé ce brûlement, et faute de voitures, nous n’avons pu sauver qu’une partie des registres et des papiers qui composaient les archives de notre administration ». Voilà ce qu’a écrit dans une lettre du 4 mars 1794 au comité de salut public et de sûreté générale de Fontenay, Graffard, agent national de la commission administrative provisoire du district de Montaigu. [L. Brochet, Le canton de Chantonnay à travers l’histoire, Le livre d’histoire (fac-similé 2007), page 40.
(3) Archives de Vendée, Baux des biens nationaux : 1 Q 760, bail à ferme de la métairie de la Borgatière (Brouzils) le quinze frimaire l’an cinq.
(4) Archives de Vendée, Baux des biens nationaux : 1 Q 760, ferme de la Grange Renaudin à Mouchamps le 10-5-1801.
(5) Archives de Vendée, état-civil de Saint-André-Goule-d’Oie, 2e registre clandestin, décès de F. Breteau du 29-11-1793 (vue 3).
(6) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 29-1, victime du combat de l’Aiguillon du 19 mai 1815.
(7) Cette valeur donne 22,6 F pour un hectolitre en juillet 1800.

Emmanuel François, tous droits réservés
septembre 2012, complété en 2014

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