mardi 2 avril 2013

Simon Charles Guyet à Saint-Fulgent (1733-1793)


Dans un article publié en décembre 2010, Le mystère Joseph Guyet, je faisais le point sur ce qu’on savait au sujet de ce châtelain de Linières, propriétaire de 1800 à 1830. A cette occasion j’avais évoqué ses parents et surtout son père, Simon Charles Guyet.

La déclaration de succession de ce dernier par son gendre, Benjamin Martineau, à Montaigu en 1797, est manifestement insuffisante pour connaître sa fortune, révélant quatre propriétés seulement. Les recherches aux bureaux de l’Enregistrement ailleurs en Vendée, n’ont livré aucune information supplémentaire sur ses biens. La déclaration de succession de son épouse en 1807 au bureau de Montaigu a été tout aussi peu conforme à la réalité connue. Et pourtant des historiens comme Maurice Maupilier (Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale) et Amblard de Guerry (Chavagnes communauté vendéenne), ont révélé un patrimoine important laissé par Simon Charles Guyet à ses enfants. Pour compléter et préciser les informations publiées par ces deux auteurs, nous avons consulté les archives du notaire de Saint-Fulgent, son ami Claude Frappier, sieur de la Rigournière (Boissière-de-Montaigu). En tout, ce sont 63 actes que nous avons pu lire. Ils nous permettent de proposer une vue plus précise de la vie et de la fortune de Simon Charles Guyet, en cohérence aussi avec la généalogie de cette famille Guyet, donnée sur le site www.famillesvendeennes.fr.

L’ami notaire, Claude Frappier


Sur le même site on peut aussi consulter la généalogie du notaire, Claude Joseph Frappier, né en 1736 (branche de la Mauvinerie), et marié à Marie Anne Guyard, un ami de Simon Guyet. Il fut notaire royal et procureur de Montaigu en 1773, et notaire royal et apostolique en résidence à Saint-Fulgent de 1761 à 1793. Une de ses tantes avait épousé Mathurin Thoumazeau, qui fut notamment notaire de Saint-Fulgent et des Essarts. Frappier acheta aussi en 1785 la charge de procureur fiscal de la vicomté de la Rabatelière, Jarrie et la Raslière. Au début de 1791 on voit qu’il est régisseur au château de la Rabatelière, comme l’avait été Thoumazeau jusqu’à sa mort en 1785 (1). En 1787 on le découvre directeur des Postes à Saint-Fulgent  (2). En novembre 1792, l’emploi étant devenu public, il fut renouvelé à son poste par l’assemblée primaire du district de Montaigu (3). À cette date l’élection a bénéficié à ceux ayant des « bons principes » (révolutionnaires) le plus souvent.

Premier maire de Saint-Fulgent en 1790 et 1791, il disparut en mars 1793 au moment de la révolte des insurgés, sans qu’on ait pu jusqu’ici savoir ce qu’il était devenu. On trouve un détail intriguant le concernant dans un répertoire d’un notaire des Herbiers, J. M. Graffard (fils). Pour l’année 1792, et au mois d’avril, on lit la mention suivante : « Du 9 dudit, procuration donnée par le sieur Claude Joseph Frappier notaire à St Fulgent  en blanc pour faire liquider son office de notaire au bureau de liquidation à Paris enregistré le 16 dudit ». Mais l’acte lui-même ne figure pas dans les minutes du notaire de cette année-là (4). Cela veut dire qu’il a disparu, car il n’a pas été « scanné » pour être accessible en ligne sur le site des Archives de Vendée et qu’on n’a pas pu oublier de le faire. Encore un mystère à élucider…Un de ses fils habitant Belleville, Jean Aimé Frappier, possédait encore quelques minutes de l’étude de son père en 1800, dont l’essentiel se trouvait entre les mains d’un parent au Poiré, nommé Daviau (5). Ce fils avait habité la Clavelière de Saint-Fulgent au sortir de la Révolution. Son jeune frère, Joseph, était mort avant le mois d’octobre 1796 (6). Dans trois actes de ventes de biens dans le bourg de Saint-Fulgent en 1806 et 1809, Jean Aimé Frappier habite Nantes, d’abord Haute Grande rue no 46 en 1806, puis place du Pilori no 2 en 1809. À chaque fois le notaire précise que « les biens proviennent de la succession de feu Jean Frappier son père, décédé il y a environ » 12 ans en 1806, 13 ans et 16 ans en 1809. Cela donne une date de la mort dans la période 1793/1796 (7), c’est-à-dire pendant les combats de la Guerre de Vendée.

Les ascendants, frères et sœurs de Charles Guyet


Le père de Charles Guyet, Louis Étienne Guyet, était marchand et aubergiste à Saint-Fulgent, à l’enseigne du « Chêne-Vert ». Situé en bas du bourg, alors que l’auberge du « Lion d’Or » se situait en son centre, le « Chêne-Vert » était une auberge-restaurant. Un dîner (repas de midi) avec la « repue » du cheval y valait 14 sols en 1748. Ce type d’établissement servait de banque, de centre d’affaires et d’échanges avec les profits et les dangers inhérents à ces métiers. A la fin du 17e siècle le « Chêne-Vert » devint le bureau de la poste, qui passait en 1726 le lundi, mercredi et samedi (8). 

Voici comment Dangirard, rencontrant en 1781 Simon Charles Guyet, chez son ami Jean Gabriel Gallot à Saint-Maurice-le-Girard, dit de son père : Il « recevait chez lui 15 et 20 gentilshommes chasseurs, c’était là leur rendez-vous. Ils y passaient 8 jours et faisaient, pour parler le langage de l’auberge, des écots considérables. Comme cela arrivait fréquemment, et que cet aubergiste était au-dessus de son état par ses qualités personnelles et que, de plus, c’était un homme aisé, il amassa assez promptement du bien. Ce qui contribua encore plus à sa fortune, c’est que ces chasseurs étaient de grands joueurs, et il y avait des perdants qui perdaient sur leur parole. Il fallait retirer cette parole et on vendait un petit morceau de terre à l’aubergiste à un prix assez bon pour l’acheteur. Cela se répétait souvent et l’aubergiste s’arrondissait. » (9).

Ce Louis Guyet était fermier de la borderie de M. de Vaugiraud au Coudray (Saint-André), qu’il a loué en 1753 pour 7 ans, la sous-affermant ensuite à un métayer, alors Pierre Guedon et Louise Brillouet (10). Le 30 août 1736, il enterrait sa fille Jeanne dans le cimetière de Saint-André, âgée de 3 mois et étant morte « chez Gueret métayer de Monnereau » (vue 174). Elle y était probablement en nourrice, pratique des gens richesMonnereau était alors fermier du fief de la Boutarlière.

Louis Étienne Guyet (1690-1754) était lui-même le fils de Louis Guyet et de Marie Mesmin, celle-ci vivant veuve encore en 1725 (11). Il avait continué l’activité d’aubergiste de son père, et il était propriétaire aussi de la charge de maître de poste (service à la fois pour le courrier et les voyageurs). Précisons que cette poste de Saint-Fulgent n’avait pas une bonne réputation en 1727. Pierre de Vaugiraud, seigneur à Bazoges-en-Paillers, la jugeait alors « suspecte » pour ce qui concerne la confidentialité du courrier ! (12). Nous avons vu ci-dessus que le service de la poste de Saint-Fulgent fut vendu plus tard au notaire Frappier, probablement par Charles Guyet lui-même.

Le père de Charles Guyet s’était marié avec Catherine Tricoire (ou Tricouëre) le 4 septembre 1725, fille d’un marchand de Saint-Fulgent. Elle était décédée à Saint-Fulgent en 1770 (vue 4), âgée de 63 ans. Son père s’appelait Jacques Tricouère et sa mère Françoise Collet. Elle eut une sœur, Louise Tricouère, qui était "fille majeure" en 1753. Elle eut aussi deux frères utérins (même mère et pères différents), Jacques et Pierre Soulard, sa mère s’étant remariée avec Sylvestre Soulard (13). Continuant les affaires de son mari, on la voit prêter 2000 livres à un particulier en 1762, prête-nom d’Alexandre comte de Mesnard et de la Barotière, moyennant une rente constituée annuelle de 100 livres (14).

Simon Charles était le cinquième enfant. Né le 28 octobre 1733 (vue 83/128 à Saint-Fulgent), le parrain de son baptême fut Charles Auguste de Ranques, chevalier, et sa marraine, l’épouse de ce dernier. Le parrain était capitaine au régiment d’infanterie de Vieuville. Il était le fils d’Antoine de Ranques marié avec Elizabeth Boucquet en 1676, alors veuve de Florimond de Tinguy. Les Boucquet possédaient un fief à la Basse Clavelière, qui relevait de la seigneurie de Saint-Fulgent. Le plus ancien d’entre eux connu est Gabriel Boucquet, ministre protestant à Saint-Fulgent, et aux Herbiers en 1626 (15).

Le frère de Charles, Jean, fut marchand tanneur et fermier à Sainte-Cécile. Il y épousa le 24 janvier 1758 Marie Françoise Thérèse Bénesteau, d’une famille de fermier général de l’Aublonnière (Sainte-Cécile), et de notaire. Lui-même continua l’activité de fermier en louant en 1772 la seigneurie de Saint-Paul-en-Pareds pour la somme de 2200 livres par an, avec la caution de son frère Simon Charles de Saint-Fulgent (16). Il eut 5 enfants, dont le dernier, Jean, devint régisseur de Linières en 1804, où il viendra habiter à partir de 1806. Il hérita de la partie de l’Aublonnière achetée par son beau-père.

Château de Grissay (Les Essarts)
Un autre frère, Jacques, fut licencié ès lois et parti vivre à Paris. Il y est mort le 5 novembre 1811 âgé de 70 ans, à son domicile rue du Bac no 49 (17)Jacques Guyet épousa Anne Marie Lenoble, et de leur union sont nés au moins Antoine Marcellin dit Isidore Guyet et Charles Louis Guyet. Dangirard écrit de ce frère : « l’avocat avait d’abord voulu être chirurgien, mais beaucoup de ses compatriotes étudiant le droit à Paris, il les suivit bientôt. Il ne plaide pas : il ne fait que des écritures et il sollicite. Il a au moins 60 à 70 mille livres de biens. Il a épousé une femme très aimable, sans fortune. C’est un mariage d’inclination, dont il se félicite tous les jours. Il connaît beaucoup mon frère Gabriel, dont il a fait la connaissance chez M. du Fougeray, avec lequel l’avocat est fort lié et qui part avec lui lundi matin pour Bordeaux, pour une affaire importante. » (18).

L'avocat conseilla notamment le châtelain de la Rabatelière au moment de l’achat des Essarts par le marquis de Lespinay, dont il était vassal pour certaines terres. À cette occasion il fit allusion à la lutte du parlement de Paris contre le roi et à son exil de quelques mois à Troyes, dans un courrier du 28 août 1787 : « Notre parlement est transféré à Troyes. Demain il ouvrira sa première séance dans la capitale de Champagne. Nous ne savons ce que tout cela veut dire. Je crois qu’il y aura une révolution considérable et je tremble qu’elle ne soit fâcheuse » (19). Ses pressentiments sont particulièrement bien vus.

Jacques Guyet fit partie des amis que fréquentait à Paris le député de Vendée en 1789, Jean Gabriel Gallot. Ce dernier a dit de Guyet qu’il était riche (20). 

Le fils de Jacques Guyet, Isidore Guyet (1779-1854), recueillit avec sa femme une petite fille, Laure Roger, n’ayant plus de famille à cause du choléra de 1832. N’ayant pas eu d’enfants, il l’adopta et lui donna son nom et sa fortune. Elle se maria avec Louis Sylvestre de la Ferrière le 30 août 1854 à Paris (21). Sa carrière de journaliste révéla un militant engagé contre les Bourbons, signant notamment la pétition contre l’ordonnance de Charles X du 26 juillet 1830. Il était instruit, et on lui doit une assez bonne édition de Voltaire. En 1805 et 1806 il débuta dans la revue, La Décade philosophique, par des articles sur les beaux-arts et sur les antiquités de Paris. Un des fondateurs de la revue s’appelait Amaury Duval (père). D’ailleurs il se maria avec une sœur de l’épouse de ce dernier, Gilberte Félicité Tardy. Il fut ainsi l’oncle par alliance des enfants d’Amaury Duval, Emma et Amaury-Duval (fils), futurs châtelains de Linières. De plus, Emma épousa Guyet-Desfontaines, un de ses neveux, fils de Joseph Guyet.

L’autre fils de Jacques Guyet, Charles Louis Guyet, épousa en 1818 Laure Longuemare. Cette dernière mourut veuve et sans descendance à Paris le 10 avril 1857, et fit de sa nièce, Laure Sylvestre, sa légataire universelle (22).

Un autre frère de Charles Guyet, Mathurin Esprit, fut aubergiste et officier municipal à Saint-Michel-Mont-Mercure. Il avait encore deux maisons dans le bourg de Saint-Fulgent en 1774. Il est mort avec sa femme, Perrine Moreau, pendant la guerre de Vendée. Ils eurent cinq enfants dont Joseph, portant le même prénom que son cousin, fils de Charles et futur propriétaire de Linières.

Charles Guyet eut un frère et une sœur morts bébés et une autre sœur morte à l’âge de dix-neuf ans.

Son père Louis Guyet est mort en 1754 à l’âge de 64 ans, ayant conforté une honorable situation bourgeoise à Saint-Fulgent. À preuve, le mariage de sa fille, Louise Catherine, en 1759 à un maître chirurgien de Montaigu, Claude Rathié (futur partisan de la Révolution). De même, lors du mariage de son autre fille, Marie Louise, avec François Rouillon la même année 1759, marchand tanneur à Sainte-Cécile, les témoins sont : maître Nordon, notaire aux Essarts, Louis Corbier de Beauvais et Charlotte de Puyrousset, bourgeois habitant le logis du Coudray (Saint-André-Goule-d’Oie), Pierre Tinguy, de famille noble, Augustine Musset (sœur du prieur de Saint-André) et Anne Frappier, d’une famille de bourgeois de Saint-Fulgent.


Les débuts de Charles Guyet


Revenons à Charles Guyet. Il a vécu sa jeunesse longtemps avec sa mère, prenant la suite de son père dans l’auberge du Chêne-Vert et dans la gestion de son relais de poste. Dans son testament de 1753, son père avait légué à son épouse survivante ses meubles, ses immeubles acquis au temps de leur mariage et le tiers de ses immeubles propres. De 1755 à 1760 on voit dans les comptes du régisseur du château de la Rabatelière les relations d’affaires avec les propriétaires de l’auberge du Chêne Verts. Ainsi Mme Guyet, la mère de Charles qui mourut en 1770, acheta en juin 1755 40 bouteilles de vin à 25 sols l’une et 13 demie barriques de vin d’Espagne à 12,5 sols l’une au château, ce dernier important producteur et négociant en vin comme on le voit. Le château vendit aussi des légumes, des fruits et des volailles à l’auberge, pour 46 livres au cours de l’année 1759/1760. En juillet 1759 il vendit encore 18 bouteilles de vin de Bordeaux à 20 sols l’unité. Inversement, le château s’approvisionnait chez Mme Guyet en certains vins et poissons, achetés en avril 1758 à l’occasion du séjour à la Rabatelière des propriétaires nantais, M. et Mme de la Clartière. Ceux-ci revinrent en août suivant et pendant leur séjour on leur servit du poisson provenant de chez Mme Guyet. Mais à l’occasion on fit des affaires plus importantes. En 1756, Mme Guyet et son fils affermèrent le pré Bian près du bourg de Chavagnes appartenant au seigneur de la Rabatelière. L’année d’après Charles Guyet acheta 2 jeunes taureaux élevés au château pour 252 livres et l’herbe d’un pré pour 60 livres. En 1758 il acheta une petite nogesse (ou bode, c’est-à-dire génisse ou veau femelle) pour 38 livres, et en 1759 une vieille vache pour 74 livres (23).

Charles Guyet acheta tout ce qu’il pouvait dans le bourg de Saint-Fulgent : des maisons, des pièces de terre. Il fera ainsi huit achats de petits biens qui étaient à vendre autour de chez lui. Lors d’une acquisition en 1768 de domaines dans le bourg, qui étaient indivis avec un oncle du côté de sa mère, Jacques Tricouere, chirurgien à Saint-Gilles, la femme de ce dernier lui dit dans une lettre qu’ils sont « bien charmés » de l’obliger, attendu que « nous aimerions mieux l’avoir à notre porte que si loin ». Voilà un indice des qualités relationnelles du personnage, même s’il s’agit de cousins (24).

On apprend aussi, à l’occasion d’un échange de terrain en 1773 avec le curé de Saint-Fulgent, qu’une pièce de terre dans le bourg « était anciennement le cimetière des huguenots » (25), répétant les découvertes déjà faites par l’abbé Boisson et Maurice Maupilier (26). On sait que la « religion prétendument réformée » avait été éradiquée à Saint-Fulgent avec la fermeture de son temple. Son cimetière aussi avait dû disparaître.

Au début le notaire écrit son nom : Guiet, alors que lui-même signe toujours : C. Guyet. On sait qu’à l’époque l’orthographe était plus approximative que maintenant. Et le notaire écrira Guyet définitivement à partir de 1775.

Charles Guyet avait le goût des affaires et il se lança dans l’affermage de métairies qu’il sous-louait ensuite à des laboureurs. C’est ainsi qu’il a obtenu auprès du commandeur de Saint-Jean-de-Launay (Sainte-Cécile), membre de l’ordre de Malte, la ferme de la métairie de Launay en 1766. Puis il a gardé les métayers en place dans un bail verbal de trois ans à colonage partiaire à mi fruits. Pour cela il a acheté le cheptel à moitié.  

Cette même année 1766, il acheta à Christophe You, bordier âgé demeurant à la Boutinière (Saint-André-Goule-d’Oie), ses « domaines et héritages, rentes foncières ou constituées qui peuvent lui appartenir ou lui sont échues », à titre de rente viagère. Ils étaient constitués d’une petite borderie (un peu plus de deux ha.) située à la Boutinière, les portions de 1/3 dans une borderie de la Brossière (Saint-André-Goule-d’Oie), et 1/9 dans une autre borderie du même village, et des portions, allant de 1/3 à 1/6, dans six rentes constituées ou foncières et dues au profit de C. You. L’une d’elle mérite d’être citée, c’est la rente de « trois boisseaux de seigle, mesure des Essarts, due par le sieur Garnaud sur le moulin à vent de Bria (27) en ladite paroisse de Saint-André ». Charles Guyet revendra sa portion du tiers dans la borderie de la Brossière en 1773 pour 600 livres. On voit là un exemple de morcellement des propriétés, qui n’était pas rare à l’époque.

La rente viagère annuelle payée par C. Guyet jusqu’au décès de C. You, était de vingt-quatre livres, payable à la Saint-Georges (23 avril) de chaque année. Et au surplus, il s’engagea à loger, coucher, nourrir, soigner, « au lieu où le vieil homme se sera retiré ». L’acte rentre dans les détails : ses impôts seront pris en charge par C. Guyet, qui en plus s’engage à le chauffer, « à le tenir de linges, chaussures, hardes et vêtements nécessaires suivant son état et qualité pendant sa vie durant ». Pour cela C. You sera logé aux frais de son débiteur et s’il change d’avis pour habiter ailleurs, la rente viagère se montera à quatre-vingt-quatre livres par an. On voit là une transaction intéressante pour l’aubergiste. Le montant nous informe aussi partiellement du niveau de vie de l’époque exprimé en livres.

En 1774, on le voit propriétaire d’une gîte (bois ou taillis) au Bois Pothé (ou Pothay), c’est-à-dire au bord de la forêt de l’Herbergement de l’Oie près du Clouin (28).

Charles Guyet s’est marié, le 19 juillet 1768 à l’âge de trente-cinq ans à Triaize (Vendée) avec Catherine Couzin, âgée de vingt-cinq ans, veuve de Jean Pillenière, fermier, et fille de Pierre Couzin et Marie Delagroix. Dans cette famille, certains signent De La Groix, semble-t-il sans justification. Triaize était la paroisse de son défunt mari, mais elle était originaire de Champagné-les-Marais, la commune d’à côté dans le marais poitevin, au sud de Luçon. Catherine Couzin habitait avec son premier mari la Cabane du Vignaud à Triaize. Elle gardera toujours des attaches avec ses origines, et au mariage de sa fille aînée en 1792, on notera la présence d’un parent de son premier mari, Jean Claude Pillenière et son épouse Marie Chauveau. Le nom de Catherine Cousin, tel qu’il est écrit dans l’acte de baptême de son fils Joseph Guyet le 20 avril 1774 sur le registre de la paroisse de Saint-Fulgent, comporte une erreur. Couzin « est son vrai nom de famille et la seule manière de le bien écrire » (29). Deux ans plus tard naît leur premier enfant, Catherine Sophie. Huit autres enfants naîtront, le dernier en 1784, tous nés et baptisés à Saint-Fulgent, et dont deux sont morts en bas-âge.

L’aveu de la seigneurie de Saint-Fulgent en 1774 nous offre une description des propriétés du bourg, notamment concernant celles de Charles Guyet. D’abord voyons sa propre maison où il logeait sa famille. Il habitait sur le côté ouest de la Grande Rue coupant le bourg de Saint-Fulgent en deux parties dans l’axe nord/sud. Sa maison se situait au milieu du bourg et au nord de son auberge du Chêne-Vert, cette dernière bordant  notamment le chemin qui conduisait à la Basse Clavelière. À côté de sa maison se trouvait le pré du Fondreau appartenant à Mathurin Thoumazeau le procureur fiscal. Elle devait se situer à la place ou un peu au nord de la mairie actuelle.

Charles Guyet avait acheté sa maison des enfants de Louis Prosper Proust décédé en 1745, qui avait été entre autres sénéchal (juge) des châtellenies de Saint-Fulgent, Bazoges et les Essarts. De sa cour d’entrée séparée de la rue par un mur, on pénétrait d’abord sous une galerie donnant accès à la maison. Il y avait quatre pièces à l’étage et quatre pièces à vivre au rez de chaussée, plus : cuisine, boulangerie, décharge, grenier, cellier, grange, écurie, toits, basse-cour, cave (portant au-dessus un grenier et une chambre). Sur un côté de la maison la galerie longeait un jardin qui s’étendait aussi à l’arrière. Le tout était enclos de murs et occupait une surface de 8 boisselées, soit près d’un hectare environ. Plus à l’ouest il possédait un verger (Hauts Verger) auquel on accédait par un chemin de servitude qui longeait son mur nord. Son mur du côté sud le séparait du jardin et de l’auberge du Lion d’Or (30).

Il possédait aussi la maison dite du « Petit Chêne Vert », située proche du château et de l’autre côté (est) du Grand Chemin en direction de la Rochelle. Elle comprenait une pièce à l’étage et plusieurs au rez de chaussée, avec un jardin. Une pièce donnant sur la rue servait de boutique. La maison lui était venue des successions et acquisitions de ses parents (30).

Propriétaire, fermier, banquier


Charles Guyet continua d’affermer des métairies et le notaire lui attribue dans ses actes le métier de fermier désormais. Mais en même temps il agrandit son patrimoine en achetant la métairie de la Roussière en 1774, située à la Boissière-de-Montaigu, au marquis de l’Etenduère (Ardelay), Antoine Auguste des Herbiers. Il la paya 16 500 livres comptant. Certes, les logements du fermier sont en très mauvais état, et le bien est grevé d'« une rente ou abonnement de dîme de dix-huit boisseaux de blé seigle à la mesure de Montaigu (2,5 quintaux), qu’a accoutumé de prendre et lever sur ladite métairie ci-dessus vendue le seigneur de Saint-Fulgent ». Contrairement à l’habitude, le nouveau propriétaire la garda à sa charge et il loua la métairie à partage de fruits à moitié, déclarant un montant de 500 livres de revenu annuel aux impôts. Le chiffre ne représentant, bien sûr, qu’une valeur réelle minorée.

Deux ans plus tard, le 2 septembre 1776, le même Antoine Auguste des Herbiers, marquis de l’Etenduère, donna procuration à Charles Guyet pour emprunter 10 000 livres en rentes. Demeurant ordinairement à Rochefort, le marquis, militaire de carrière, se trouvait présentement en garnison à Valenciennes au régiment royal comtois infanterie. Il n’avait pas le temps ni le moyen de faire lui-même cet emprunt et avait besoin pour cela d’un homme de confiance. C’est qu’à l’époque le crédit personnel, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’existait pas. Les banques étaient peu répandues et surtout la rémunération du crédit était mal vu par l’église catholique comme non-conforme à ses préceptes. On tournait la difficulté par la constitution de rentes. Ainsi C. Guyet reçu tout pouvoir d’« emprunter à constitution de rente à raison du denier vingt (1/20 ou 5 %) suivant les édits et déclarations du roi, jusqu’à concurrence de la somme de 10 000 livres, d’une ou plusieurs personnes ». C’est ce qu’on appelait une rente constituée (sur une somme d’argent), auprès de particuliers.

Ses compétences étaient reconnues dans la contrée. Pour régler la succession du seigneur de la Rabatelière, un tribunal nantais nomma Simon Guyet l’un des trois experts chargés de l’estimation des biens. Le rapport fut rendu en 1779 (31). 

Nous ne connaissons pas le niveau d’instruction de C. Guyet et nous n’avons aucun écrit de sa main. Néanmoins il est très probable qu’il n’était pas un homme de lois, comme son frère Jacques. Mais son ami Frappier, le notaire de Saint-Fulgent, devait lui donner ses conseils. En tout cas, il savait susciter la confiance, comme on le voit ici, et il avait de l’entregent pour trouver des prêteurs.

Il acquerra la métairie de la Chêne Maltonière, aussi à la Boissière-de-Montaigu. Son revenu annuel déclaré est de 1 000 livres. On sait qu’il possédait une borderie à la Clavelière, héritée de ses parents. En 1780, il acheta à son frère Jacques, pour 8 100 livres, la grande métairie de la Godardière (Beaurepaire).

Fermier de la baronnie des Essarts


Ancien château des Essarts :
vestige d'un escalier Renaissance
Pour autant, Charles Guyet continue d’affermer. Il décroche vers 1772 la ferme de la terre et seigneurie des Essarts (32). À cette époque la baronnie des Essarts n’a pas de châtelains, au sens habituel du mot. La dernière baronne des Essarts, Adélaïde de La Rochefoucauld de Lascaris d’Urfé, avait épousé Alexis Jean du Chastellet en 1754. La fortune de la famille était déjà mal en point l’année de ce mariage, subissant des poursuites judiciaires et des saisies. La baronnie des Essarts connue alors une longue période d’administration judiciaire, de 1751, année de sa saisie féodale par le duc de Thouars (33), à 1787, année de son acquisition par le marquis Alexis Louis Marie de Lespinay le 3 août 1787 (34). À la saisie féodale succéda une saisie réelle ordonnée par le parlement de Paris en 1757, à la demande d’un représentant de créanciers, Jean Baptiste Sallière (35)C’est un bourgeois de Paris qui devint adjudicataire général de la terre et seigneurie des Essarts, Jean Michou repéré en 1763 (36), auquel succéda un nommé Corbelin. Celui-ci l’afferma en entier à C. Guyet, lequel sous-afferma ses différentes parties : moulin, fiefs, métairies (Morenne à Sainte-Cécile, Sablon, Noue Etienne, Cosses à Saint-Martin-des-Noyers, borderie du château, Piltière, Capétrie aux Essarts, etc.). Il était « fermier du château, terre et seigneurie des Essarts ».

À ce titre on le voit payer les charges dues par le baron des Essarts au chapitre de Luçon. En 1783, il reçut quittance par le chanoine Bineau, portant le titre de « Prévôt des Essarts », d’un devoir de 20 sols par an, d’une rente foncière de 80 boisseaux de blé froment, due par la châtellenie de l’Aublonnière, et d’une autre rente de 32 boisseaux d’avoine due par le château des Essarts.

Il eut aussi à assigner le meunier du moulin du château des Essarts, Jean Roger, en 1777, auprès du « sénéchal civil et criminel et de police de la vicomté et châtellenie de la Rabatelière, Jarrie et Raslière ». Le meunier n’avait pas payé sa demi-ferme du moulin en entier (60 livres par an), et il restait une somme de 36 livres de dettes. Le poursuivi demeurait à Boulogne, cause peut-être de la saisine du sénéchal de la Rabatelière. Nous ne connaissons pas les règles de procédure s’appliquant à ce cas particulier à cette époque.

Nous n’avons pas trouvé de document ou témoignage sur la poursuite éventuelle de la ferme de la baronnie des Essarts au-delà de 1787 par C. Guyet, au temps du marquis de Lespinay.

Achat de la seigneurie de Puybernaud


En 1775, le fermier et maître de postes de Saint-Fulgent, comme le désigne sur ses actes le notaire de Saint-Fulgent depuis un an, achète le fief de Puyberneau pour un montant de 40 000 livres au seigneur Jacques Henri Salomon Levesque, payé comptant. Celui-ci était un militaire, maître de camp major (colonel) du régiment du roi cavalerie, seigneur de Puyberneau et autres lieux. Le fief, situé sur la paroisse de Sainte-Florence-de-l’Herbergement-Ydreau (Sainte-Florence-de-l’Oie), relevait de la mouvance du seigneur de l’Herbergement-Ydreau (à l’Oie, qui n’était à l’époque qu’un village). En plus du prix de vente, les acquéreurs ont payé pour 600 livres « pour pot de vin en faveur et considération des présentes », suivant l’usage et le vocabulaire de l’époque.

Le seigneur de Puyberneau avait vendu l’année précédente le fief de la Boislinière (Mouchamps), acquise avec difficulté par ses ancêtres. Et il était en train d’acheter la seigneurie de Saint Sornin (près de Moutiers-les-Mauxfaits).

Mais C. Guyet n’est pas seul sur ce coup. Il achète à moitié avec Jean Jacques Amable Parent, seigneur de Curzon (à 10 kms à l’ouest de Luçon) et autres lieux, demeurant en son château de Luçon. Ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées de la généralité du Poitou, il dirigea notamment la réalisation de la route de Luçon aux Sables-d’Olonne, devant permettre de relier Limoges à l’océan.

Sainte-Florence-de-l'Oie
Ce fief de Puyberneau comprenait la maison noble occupée par le fermier général avec ses dépendances, « tous lesdits bâtiments en ruine et sur le point de tomber par la vétusté », une borderie et une métairie attenante, plus la borderie du Buisson et deux métairies (Ferchaudière et Gauvrière), situées dans les alentours. Les bâtiments de la Gauvrière « sont aussi en ruine et sur le point d’écrouler ». Bien sûr l’acte rappelle aussi les autres composantes du fief : « bois taillis, garenne, terrages, dîmes, vignes à pied et à complant, cens, rentes et devoirs, tant en grains, volailles que deniers, droit de chasse et pêche, terres labourables, landes et gâts » (friches).  

Probablement, C. Guyet a vu dans l’abandon relatif du domaine, l’opportunité d’une meilleure mise en valeur.

Trois jours après l’achat, les deux nouveaux propriétaires louent la métairie de la Ferchaudière à moitié fruits. Les récoltes sont rendables soit dans les greniers de Puyberneau, soit dans ceux de C. Guyet à Saint-Fulgent. Pour peupler cette métairie les propriétaires doivent acheter leur moitié du bétail. Le métier de fermier général à cette époque exige une vraie implication qui va bien au-delà du choix des métayers et du suivi des baux. D’ailleurs, les droits propres du fief ont été affermés à Jacques Ollivreau, quelques jours après son achat, moyennant 300 livres par an, en plus des métairies affermées directement par les propriétaires.

Jacques Parent est mort quelques années après, laissant sa part dans Puyberneau à sa fille, représentée par son mari, Jacques Gazet, écuyer, capitaine commandant au régiment de Guyenne, demeurant ordinairement en la ville de Luçon. Jacques Gazet vendit sa part à Charles Guyet peu de temps après, et en 1784 ce dernier était devenu le seul propriétaire du fief.

Cet agrandissement de ses domaines n’occupe pas entièrement Charles Guyet, il continue d’affermer pour se procurer des revenus supplémentaires. Bien introduit chez les chanoines de Montaigu, ces derniers lui afferment le prieuré de Chavagnes, avec ses dépendances et ses dîmes (37).

Fermier de biens de l’Église


En 1777, le curé de Saint-Fulgent, Pierre Pauleau, lui afferme la borderie de la Blaire à Saint-Martin-des-Noyers, dépendant de la chapellenie et stipendie de Sainte Anne-des-Petiteau. Cette chapelle était desservie en l’église de Saint-Martin-des-Noyers et existait déjà en 1667 (38). Pierre Pauleau en était le chapelain titulaire. Il se réserva néanmoins les vignes dépendant de la chapellenie et la rente due par les héritiers Billaud. Pour le reste il signa un bail tout à fait classique avec son paroissien C. Guyet.

Ruines du château de l'Herbergement-Ydreau
(l'Oie)
Ce dernier afferma aussi la métairie de l’Oiselière, le 6 février 1790, auprès de Jean Claude de Rozand, chanoine et syndic du clergé de Luçon, moyennant le prix de 2 025 livres. Situé à Saint-Fulgent le lieu avait été le siège d’un prieuré ayant appartenu à l’abbaye de la Grainetière au Moyen Âge, repris en 1736 par l’évêché de Luçon au profit du séminaire. Ses terres relevaient du seigneur de l’Herbergement-Ydreau (l’Oie) pour la foi et hommage et le cens. En 1708, le seigneur de Vaugiraud de la Logerie (Bazoges-en-Paillers) payait au prieur de l’Oiselière, Chautard, une rente de huit boisseaux de blé seigle, deux chapons et six sols et huit deniers (39). Le 12 février 1787, une délibération du bureau de la chambre ecclésiastique de Luçon, considère « que la chapelle de l’Oiselière était d’un entretien considérable et presque d’aucune utilité ». Il « charge le syndic de présenter requête à l’évêque pour obtenir sa suppression. »

C. Guyet sous-loua la métairie à colonage partiaire à moitié fruits à la communauté Antoine et Jean Maindron père et fils, René, Pierre et Jean Enfrin, aussi père et fils. Il acheta sa part des bestiaux appartenant auparavant entièrement aux preneurs. Située proche du bourg, C. Guyet partagea à moitié même les fruits de haute branche de la métairie (pommes, poires, cerises, etc.), contrairement à sa pratique dans les métairies plus éloignées de chez lui. Il fit de même pour le vin produit par la vigne, pour les fourrages et pour le bois coupé dans les taillis de la métairie. En contrepartie il partagea aussi les rentes en grains, souvent laissées à la charge exclusive des preneurs au bail. Malgré la répétition des mêmes clauses propres à chaque notaire, les baux de C. Guyet comportent souvent des adaptations particulières à chaque métairie, révélant un gestionnaire réfléchi et attentif aux détails. Il donne ainsi l’impression d’un homme ayant bâti sa fortune sous après sous (noms donnés aux centimes de l’époque).   

Nous n’avons pas pu prendre connaissance de toutes les fermes de C. Guyet, car celles-ci avaient lieu aussi verbalement, sans compter les manques dans les archives conservées. À titre d’exemple, c’est dans un acte de reconnaissance de dette des fermiers de la Chardière à Chantonnay, devant notaire, que l’on apprend que cette métairie avait été prise à ferme par C. Guyet. Le nom de son propriétaire n’est pas indiqué dans l’acte daté du 17 octobre 1790. De même, à l’occasion du désistement en 1785 de son sous-fermier, on voit que Charles Guyet lui affermait à droit de colonage à mi-fruits la métairie de la Gerbaudière à Chavagnes-en-Paillers.

Achat du fief de la Barette (Grissay)



Le Landreau aux Herbiers
Le 30 octobre 1784, il acheta seul le fief de la Barette, « mouvant et relevant » de la baronnie des Essarts, au seigneur René Louis Marie de Jousbert, chevalier baron du Landreau, paroisse de Saint-Pierre des Herbiers, et à son frère Charles Alexandre de Jousbert, chevalier du Landreau. C. Guyet paya le tout 70 000 livres, comptant (40). Le fief de la Barette avait une longue histoire, comprenant au moins huit métairies, remontant de manière connue au 14e siècle avec la famille de Plouer, puis Poitevin au 17e siècle, avant de revenir au Jousbert du Landreau au début du 18e siècle par mariage (41). Le lieu où était situé le logis a pris le nom de Grissay depuis.

L’achat comprenait la maison noble, terre, fief et seigneurie de la Barette, située aux Essarts, avec la borderie attenante et deux métairies seulement, ainsi que « les droits de fiefs dépendant de ladite terre, lods et vente, honneurs, rachat sous rachat, cens, rentes et devoirs de quelque espèce que ce soit, droits, décharges, dîmes, terrages, complant ». Ici aussi C. Guyet achète un bien mal entretenu : « ledit seigneur baron du Landreau [a] reconnu que les bâtiments et logements desdits lieux sont en ruine », est-il écrit dans l’acte notarié. Déjà une visite des lieux (logis et logements des métayers) avait montré en 1772 la nécessité de travaux à effectuer, et sans doute les choses étaient restées en l’état. Les 5 pièces du rez de chaussée du logis avaient le carrelage à refaire. À l’étage le bousillage était dégradé et les fenêtres des 4 pièces d’habitation devaient être remplacées (42). On ne peut pas dire que la famille Jousbert n’avait plus les moyens d’entretenir ses domaines. On en a la preuve par les achats que fit le seigneur du Landreau, ne serait-ce que la même année 1784 où il acheta au seigneur du Puy du Fou des droits de terrage, et cinq ans plus tard quatre métairies au même. À vrai dire on ne comprend pas bien cette situation, car même étant éloignés de leurs domaines en tant que militaires, ces propriétaires affermaient leurs domaines. C’est ainsi qu’un nommé Girault, sieur de la Claverie demeurant au logis de Thenis à Saint-Germain-de-Princay, a été fermier de la terre de la Barette, de 1748 à 1765, moyennant 1300 livres par an (43). En tout cas, cela devait faire l’affaire d’un investisseur et gestionnaire actif comme Charles Guyet. À comparer le prix d’acquisition de 70 000 livres payé en 1784 par Charles Guyet avec l’estimation dans un partage de succession en 1708 du même domaine dans sa même contenance et charges, 21 900 livres, on voit que l’acquéreur a payé le prix fort (44). Cela a dû compter pour le vendeur. D’autant que celui-ci avait un procès en cours avec le seigneur des Essarts à l’occasion d’un droit de terrage, instruit au niveau du parlement de Paris à la date de la vente (il faisait office d’appel et cassation selon les cas pour la province du Poitou). L’acquéreur devra prendre en charge le coût de la procédure en cours et assumer la décision judiciaire à venir.

C’est ce qu’il fit, comme on le voit dans un acte de procuration qu’il signe le 18 novembre 1787 pour, en son nom, intervenir dans l’instance « actuellement pendante au parlement de Paris au rapport de M. Pasquier conseiller de grande chambre, d’entre mon dit sieur constituant d’une part, du sieur Davezies poursuivant la saisie réelle des biens immeubles de la feu dame d’Urfé, marquise du Chastellier, le sieur Challat curateur à la succession vacante de ma dite dame, et M. Cotton, procureur plus ancien des créanciers opposants d’autre part ». On le voit, la situation judiciaire n’est pas simple et la procuration comprend aussi le pouvoir de transiger soit avec les parties nommées, « soit avec le marquis de Lespinay, qu’on assure être maintenant l’acquéreur de ladite baronnie, à l’effet d’arrêter le jugement de ladite instance … ». On remarquera ici que l’achat du marquis de Lespinay remonte au 3 août précédent et que C. Guyet n’en est pas officiellement informé trois mois après.

Alexis Louis Marie de Lespinay (1752-1837
Charles Simon Guyet a été agent d’affaires de la famille Arnoux-Rivière, du grand commerce nantais, mais aussi de la famille de Lespinay du Pally. Ainsi, en 1788 il servit de banquier à M. de Lespinay. Ce dernier, pour payer son achat de la terre des Essarts, s’adressa à lui pour trouver 238 000 F. La somme était importante pour l’époque. Un sieur Barreau prêta la somme. Et pour rembourser ce dernier, Guyet trouva un autre prêteur le 28 juillet 1791, Lambert, pour une somme de 60 000 F. Le 7 février 1792 M. de Lespinay révoqua le mandat de Guyet tout en ratifiant la convention passée avec Lambert (45).

À cette dernière date, entre l’aristocrate et le bourgeois, qui sera bientôt élu électeur du canton de Saint-Fulgent dans le camp des révolutionnaires, la politique creusait un fossé qui deviendra vite infranchissable. À lui seul, ce fait détruit la réputation d’ancien palefrenier de M. de Lespinay qu’une certaine tradition a donnée à Charles Guyet, sans bien connaître ce dernier. Son fils, Joseph Guyet, épousera la jeune belle-sœur de M. de Lespinay, châtelaine de Linières, quelques années plus tard. Elle avait auparavant divorcé d’avec le frère de M. de Lespinay. Et pour couronner le tout, la jeune châtelaine avait racheté à son nom le domaine de Linières, qu’elle revendit ensuite à Joseph Guyet pour un prix modique. C’est dire si les Guyet ne furent pas bien considérés chez les de Lespinay après la Révolution.

Charles Guyet signa un bail le 19 octobre 1789 du logis de la Barette avec sa métairie de la porte avec Jean et Nicolas Landais. Cela veut dire qu’il fit l’économie d’un fermier général pour l’ensemble de la seigneurie. Et ce bail, conclu pour 5 ans (1591-1596), était à partage de fruits, ce qui indique bien l'implication du nouveau propriétaire. Le bailleur se réservait la moitié du logis (46).

Vente de l’auberge du Chêne-Vert 


L’auberge du Chêne-Vert était composée en 1774 au rez de chaussée d’une salle de restaurant et de quatre pièces, et à l’étage de cinq pièces. S’ajoutaient une cave, un cellier, une écurie, une grange et des toits pour les animaux. Sa cour au-devant ouvrait librement sur la rue. Sur un côté coulait le « ruisseau du Pont Potté ». L’auberge comprenait aussi un petit jardin. Elle avait le droit de puiser à la fontaine du seigneur de Saint-Fulgent, moyennant la modique somme de 6 deniers de cens par an. Pour avoir droit d’avoir une porte donnant accès au chemin conduisant à la fontaine, le propriétaire devait payer un cens annuel de 36 sols, somme tout aussi symbolique, mais nettement élevée par rapport aux niveaux de cens payés habituellement dans le bourg, et représentant 4,5 fois celui dû pour l’auberge par exemple (47). Sans relais de postes comme le Chêne vert, l’auberge concurrente du Lion d’Or était affermée en 1768 par Me Pierre Gennet, sénéchal de Saint-Georges-de-Montaigu et de Saint-Fulgent, moyennant le prix annuel de 400 livres (48). C’était un montant équivalent à celui d’une grosse métairie, redevances féodales incluses. 

Certes le bourg de Saint-Fulgent n’avait pas en 1774 la surface d’aujourd’hui, mais ses maisons étaient entourées très souvent de jardins, d’écuries et de granges pour les chevaux, et aussi de toits pour élever des animaux de consommation courante. D’ailleurs les emplacements de fumiers n’étaient pas rares, qu’on pouvait voir de la Grand Rue. Ils étaient autorisés par un acensement particulier du seigneur des lieux. On s’étalait, et l’urbanisme d’alors n’imaginait pas l’alignement des maisons les unes contre les autres. Le seigneur de Saint-Fulgent désignait l’agglomération comme « madite ville », cela faisait plus conséquent bien sûr. Était-ce parce qu’on y trouvait au minimum 2 000 habitants dans la paroisse, comme aux Essarts ? C’était le critère administratif de l’époque pour qualifier une ville. On a compté le nombre de 76 maisons et autres bâtiments devant payer un cens (ou concédés en franche aumône) à la seigneurie de Saint-Fulgent dans un aveu à Tiffauges. Il faut augmenter ce chiffre des maisons relevant de la seigneurie du Puy-Greffier, mais probablement de peu. C’était un gros bourg en somme. La grande route royale de Saint-Malo à Bayonne avait rectifié l’ancien chemin médiéval, dans les années 1750 à Saint-Fulgent. À l’entrée et à la sortie de l’agglomération le « nouveau Grand Chemin » était plus rectiligne que l’ancien, conservant sa courbe dans le bourg lui-même.

Charles Guyet possédait plusieurs jardins ou planches dans des jardins du bourg : 4 boisselées dans le « jardin de la Menaudière anciennement appelée la Petite Thibaudière », 6 boisselées en « affiage » (verger)  dans le « Haut Jardin », 1/3 de boisselée dans le « Jardin des Vallées », 6 gaulées de terre dans le « jardin des Cloistre », et 1 boisselée dans le « Jardin des Vignes ». De même il possédait aux alentours du bourg des champs, ou plus souvent des parties de champ, totalisant 60 boisselées environ (7 ha) en 16 parcelles.

Vers 1777, Charles Guyet se retira de son hôtel du Chêne-Vert à Saint-Fulgent, ne conservant que la propriété des murs. Il loua le fonds de commerce à Alexis Hayraud, marié à une demoiselle Planchet (49). Celle-ci devint veuve vers 1783 (50) et se remaria à un homme originaire des Herbiers, Sapin. En 1790, elle dirigeait l’hôtel du Chêne-Vert. Mais les affaires périclitèrent et la veuve Sapin revendit en 1803 le mobilier garnissant l’auberge : meubles, linge, 21 lits, dont 18 avec toutes leurs garnitures, batterie de cuisine, foins, paille et blés, plus bestiaux (4 bœufs et 2 vaches), charrettes, charrues et instruments aratoires, le tout pour 3500 F. Ce sont quatre des enfants Guyet, les héritiers de cet hôtel probablement, qui rachetèrent en indivision ces biens meubles (51). C’étaient Joseph Guyet (Paris), René Louis Guyet (Saint-Fulgent), Pierre Louis Guyet (Roches-Baritaud) et Benjamin Martineau (Les Herbiers).

Le chroniqueur R. Valette écrira en 1885 que Charles de Grandcourt habitait l’ancien hôtel du Chêne-Vert à Saint-Fulgent en 1885. Il avait appartenu au père de Charles Guyet en 1738, au moment de l’assassinat du comte de Beaumont (52), écrit-il. On sait que les de Grandcourt de Saint-Fulgent sont issus, côté maternel, des petites filles de C. Guyet, nées Martineau. Mais pour la filiation des propriétaires du Chêne vert, nous n’avons rien pu vérifier en ce sens après l’acte évoqué ci-dessus de 1803. En effet, dans la déclaration de succession de Mme Martineau, on lit que celle-ci habitait une maison de maître au bourg de Saint-Fulgent, mais sans le moindre indice sur l’auberge. La déclaration de succession de C. Couzin, l’épouse de Charles Guyet, au bureau de Montaigu en 1807 (Catherine Couzin est morte le 12 janvier de cette année), est aussi pauvre que celle de son mari : ses biens immeubles se limitent à une moitié dans une maison du bourg de Saint-Fulgent, et dans deux métairies de la Boissière-de-Montaigu.

Monsieur l’écuyer


Mais pour la postérité, l’information essentielle du document du 18 novembre 1787 ci-dessus, concernant le fief de la Barette, réside dans le nouvel état-civil de C. Guyet. Le mot n’existait pas et fait anachronisme, mais il s’agit bien de cela. On lit en effet que « Simon Charles Guyet [est] écuyer, garde de la porte de Monsieur frère du roi, demeurant au bourg de Saint-Fulgent en Bas-Poitou, diocèse de Luçon. » Notre bourgeois entreprenant serait-il devenu noble ?

Uniforme du garde de la porte en 1786
Les gardes de la porte formaient une compagnie de la maison militaire du roi de France dont l’origine remontait à la fin du Moyen Âge. Leur principale fonction était d'assurer la garde de jour des portes extérieures du palais où résidait le souverain. À six heures du soir, ils confiaient la garde des portes aux gardes du corps et les relevaient à six heures du matin. Le frère du roi, appelé Monsieur, a bénéficié de ces honneurs à compter de l’époque de Louis XIV. Mais alors Charles Guyet, âgé de cinquante-quatre ans cette année-là est-il allé à Paris occuper ce type de fonction ? Évidemment non. La réalité est bien connue des historiens : les emplois publics, appelés offices, étaient vendus pour faire rentrer de l’argent dans les caisses du roi et des princes. Et cette pratique donna lieu à de nombreux abus et trafics pendant longtemps, gangrenant les administrations et rendant nécessaire une profonde réforme. Charles Guyet a donc acheté cet emploi fictif pour accéder à un statut social plus élevé, comme cela se faisait de son temps.

Certains offices chez le roi, la reine et les princes donnaient à leurs titulaires le titre d’écuyer. C’était le cas pour les gardes de la porte. La qualité d’écuyer était réservée à l’origine aux nobles sans titre de dignité. Puis Henri IV honora ses valets de chambre de la qualité d’écuyer (lettres patentes d’octobre 1594), et on élargit progressivement cette pratique à d’autres offices dans les maisons du roi et des princes, y compris à certains emplois dans les cuisines.

Cette qualité étant passagère, liée à l’emploi tenu, ne pouvait pas exonérer, sauf exceptions, son titulaire normalement des droits de franc-fief (dus pour les acquisitions de biens nobles faites par des roturiers), seulement de la taille (53).

On appelait office un titre donné par lettre du roi ou d’un prince, (lettre de provisions), et qui imposaient le pouvoir et le devoir d’exercer une fonction publique. Il y avait les offices vénaux, vendus par le roi moyennant finances, qui étaient héréditaires et aliénables, à condition de payer une taxe (la paulette) régulièrement. Les offices non vénaux n’avaient pas de finances, et leurs titulaires ne pouvaient en disposer qu’avec l’agrément du roi (offices militaires et des maisons en théorie).

Les offices de la maison du roi, comme ceux des princes, étaient regardés comme des charges militaires, sans en avoir toutes les caractéristiques. Ils n’étaient ni meubles, ni immeubles comme les offices civils vénaux. Ils s’apparentaient moins à des offices qu’à des commissions à vie, des usufruits qui s’éteignaient par la mort de l’officier. Ces charges ne pouvaient être résignées (abandonner à quelqu’un) par l’officier, sans une grâce particulière. Par une déclaration royale du 24 novembre 1678, le régime des offices de la maison du roi a été étendu à ceux des maisons des princes.

La vénalité et l’hérédité des offices constituaient une voie privilégiée de l’ascension sociale, pour obtenir des dignités de titre ou comme moyen d’anoblissement (le plus souvent sous deux ou trois générations). L’emploi de garde de la porte ne permettait pas à lui seul l’anoblissement, mais il pouvait favoriser l’accès à d’autres offices. Et puis, il y avait ce titre d’écuyer, d’un grand prestige chez les roturiers, vous faisant croire à l’égalité avec la petite noblesse locale du bocage bas-poitevin. Le garde du corps de Monsieur, outre l’exonération du paiement de la taille, avait droit à la préséance dans les offices divins, pour recevoir l’eau bénite et se mettre en avant dans les processions (54). N’oublions pas que le catholicisme était religion d’État. Rien ne dit que C. Guyet ne profita de ces préséances auxquelles il avait droit dans l’église de Saint-Fulgent. En pays de bocage du Bas-Poitou, les paroissiens se connaissaient trop bien entre eux pour adopter à la légère des comportements exagérément artificiels. Il est à remarquer que dans les actes notariés le concernant, Charles Guyet n’utilisa qu’une seule fois son titre, pour écrire à Paris. Sur place il continua d’être officiellement maître de postes ou fermier, dans les actes officiels. À son âge, peut-être a-t-il pensé de cette manière, se donner le moyen de mieux « jouer du coude » pour bien établir ses enfants.

Quentin Metsys : Le contrat de vente
La vente des offices avait commencé avec saint Louis et deux rois donnèrent à cette pratique une forte impulsion pour financer leurs guerres : François Ier et Louis XIV. Les rois firent un tel usage de cette prérogative qu’à l’époque de la Révolution française, il se trouva 300 000 finances d’offices à rembourser, sans compter les indemnités (55).

Cette vente des offices a gangrené la justice et le prélèvement des impôts très tôt, entraînant de vives critiques. C’est le cas de Loyseau dans son Traité des Offices en 1610. Il y explique que les magistrats, mal payés et achetant cher leurs charges, se récupéraient sur les justiciables. Les acheteurs d’offices étaient volontiers « vendeurs de justice ». Ils faisaient plus de procès que les parties, pour gagner de l’argent. La pratique n’a pas seulement concerné les offices des fonctions publiques ou assimilées, mais aussi mais presque tous les métiers. Parmi les offices, on comptait à titre d’exemple, les arpenteurs, vendeurs de vin, jaugeurs, mouleurs de bois, mesureurs, marqueurs de cuir, etc. Le trafic a concerné aussi les offices dans les régiments et compagnies des armées du roi. Le rapport des Français avec un État omnipotent, paternaliste, et des fonctionnaires critiqués, trouvent dans ces pratiques d’Ancien Régime de lointaines racines.

J. B. Desmarets
maréchal de Maillebois
Pour illustrer les abus dans la vente des offices, les historiens aiment reprendre le mot du contrôleur général Desmarets, qui avait proposé à Louis XIV de créer des offices parfaitement inutiles. Devant le roi dubitatif il précisa : « Votre majesté ignore une des plus belles prérogatives des rois de France qui est que, lorsqu’un roi créé une charge, Dieu crée à l’instant un sot pour l’acheter. » (56). Louis XIV ne vendit pas moins de 40 000 à 60 000 offices selon les auteurs.

Cette envie d’ascension sociale que manifeste ainsi Charles Guyet par son achat de la fonction de garde de la porte de Monsieur, fut rapidement contrariée par la Révolution française. Moins de deux ans après l’apparition de son titre dans les papiers du notaire de Saint-Fulgent, celle-ci mettait à bas l’édifice politique de l’Ancien Régime. Et les maisons militaires des princes français, frères du roi, ont été supprimées par décret du 2 mai 1792.

On n’est pas étonné de cet achat d’un emploi fictif chez Monsieur, à cette époque, de la part de notre bourgeois de Saint-Fulgent. Dans la région, les relations ne manquaient pas chez ce frère du roi. À Mesnard-la-Barotière, le seigneur des lieux était capitaine des gardes du corps de Monsieur, le comte de Provence, depuis le 1er mai 1777. C’était le seul officier de ce rang chez Monsieur, commandant la compagnie de gardes du corps français, à côté du capitaine des gardes du corps suisses. Gageons qu’il n’a pas été pour rien dans l’acquisition de cet office par Simon Charles Guyet.

Comte de Provence, frère du roi
On connaît aussi un autre serviteur de ce frère du roi : Alphonse Henri Coutouly, qui demeurait à Angers et possédait des biens aux Herbiers, marié à Jeanne Germain. Dans un acte notarié, il est noté comme « médecin de Monsieur, frère du roi » (57). Un emploi fictif peut-être ? Sa demeure était bien éloignée de celle de son illustre patient, à moins de n’être de service que par quartiers (périodes).

Bref, les relations probables de voisinage de C. Guyet expliquent son orientation vers le comte de Provence pour acheter cet office;











Cautionnaire des fermes fiscales


Au mois d’août 1787 précédent, C. Guyet s’est porté caution pour Hervé Barbanson, afin de lui permettre de renouveler son bail de l’office de receveur général des traites à Montaigu. Ici on ne vendait pas les emplois, on les louait. Plus de sérieux et de rigueur s’imposait pour les impôts, évidemment ! Les traites étaient des droits de douane perçus sur la circulation des marchandises entre les différentes provinces du royaume et avec l'étranger. Leur régime différait selon les provinces. La perception des traites fut retirée en 1786 à la Ferme générale pour être confiée à la régie royale, sous l’administration du même titulaire, J. B. Mager. Le receveur de Montaigu dépendait de la direction provinciale des Fermes unies de Nantes.

Là encore, l’entregent et la fortune de C. Guyet nous permettent de faire connaissance avec une institution originale de l’Ancien Régime, concernant les impôts. Depuis le roi Philippe le Bel (1268-1314), la perception des impôts indirects était confiée à un organisme privé. Le roi signait un bail pour une durée déterminée avec des fermiers généraux, concernant la taille, la gabelle (l'impôt du sel), l'impôt des tabacs, des octrois, etc. En 1726, toutes les fermes existantes furent rassemblées en un bail unique de six ans. Les quarante fermiers généraux, se portaient caution de l'adjudicataire du bail, signataire avec le roi. C’est pourquoi on peut lire dans l’acte notarié de Frappier à Saint-Fulgent que le conseil des fermes du 19 mars 1786 désigna pour adjudicataire général « des Fermes unies de France », Jean Baptiste Mager, à compter du 1er janvier 1787. Et c’est à son profit, en tant que créancier, que se porte caution C. Guyet, pour remplir les obligations du débiteur Barbanson. Les liens hiérarchiques entre le « directeur général des impôts indirects », comme on dirait en jargon moderne, et un receveur local se mélangeaient avec des liens de nature commerciale entre eux, fondés sur un bail et confortés par le cautionnement d’un riche bourgeois.

Les fermiers généraux devinrent des personnages puissants et fabuleusement riches. Ils formaient une association privilégiée, appelée Fermes unies de France, qui compta longtemps 40 membres, portés ensuite à 60. Leur nomination dépendait du ministre des finances, et le plus souvent le ministre recevait du personnage préféré un pot-de-vin considérable. L'adjudicataire s'engageait à verser au Trésor le montant du bail et conservait pour rémunération l'excédent éventuellement réalisé. Cette rémunération fut plafonnée à partir de 1780. Cette institution, on s’en doute, donna lieu à une foule d'abus, que la Révolution supprima.

Les services locaux comptaient jusqu'à 42 directions provinciales et près de 25 000 agents répartis dans deux branches d'activité : celle des bureaux qui vérifiaient, liquidaient et percevaient les droits, celle des brigades qui recherchaient et réprimaient la contrebande avec des peines très sévères (galères, pendaison, etc.).

Charles Guyet s’engagea à concurrence de 4 000 livres. Pour cela il hypothéqua une borderie à la Clavelière (Saint-Fulgent). Ce que l’acte notarié de cautionnement ne dit pas, c’est la nature et l’importance du profit retiré par C. Guyet dans cette affaire (58).

À Bazoges-en-Paillers il y avait à la même époque un bâtiment où était entreposé le sel avant sa mise en vente, qui était un monopole d’État comme le tabac. On l’appelait localement une salorge. Son contrôleur, Jacques Guignard, avait dû lui aussi obtenir un cautionnement au profit du receveur général des Fermes unies de France à Paris, limité à 500 livres, pour lequel s’était engagé un maréchal de la paroisse, Pierre Durand (59).



Victime des émeutiers de la faim en 1789


Émeute de la faim
Au printemps de 1789, un convoi de grains appartenant à Charles Guyet fut attaqué par des femmes des Essarts. Nous savons que les récoltes de 1788 avaient été mauvaises. À la mi-février 1789 il y eu des émeutes de la faim à Paris qui se propagèrent en mars à travers tout le pays. On sait que le climat était en cause, en commençant par un automne 1787 pluvieux, qui a gêné les semailles. Le début du printemps suivant fut ensuite particulièrement froid, mais sa fin et le début d’été connurent un temps chaud et sec. La grêle de juillet fit des ravages, suivit d’orages et de beaucoup de pluies, aboutissant à une très médiocre récolte en grains, à l’origine d’une importante disette. Là-dessus, l’hiver 1788-1789 fut très rude, gelant une partie des semences et annonçant une poursuite de la pénurie des grains.

Au marché de Poitiers le prix du boisseau de méteil (servant à fabriquer le pain bis) était de 1 livre 5 sols en août 1787. Il avait augmenté de 28 % un an plus tard, puis monta à 2 livres en décembre 1788, 2 livres 10 sols en avril 1789. Il monta encore jusqu’à 3 livres au mois de juin suivant.

Un peu partout on attaqua des greniers et pilla des boulangeries. C’est que les acteurs de la filière gardaient parfois des stocks pour profiter des hausses à venir : gros producteurs, marchands, meuniers, boulangers. Le commerce des grains était devenu pour les affamés la manifestation même de la spéculation. À l’encontre de cette opinion, les autorités encouragèrent l’importation des blés et farines dans le royaume pour pallier au manque de céréales. Mues aussi par la peur ancestrale de la disette, les populations empêchèrent le transport des grains, aggravant les problèmes de ravitaillement et contribuant à la hausse des prix.

Aux Essarts un attroupement d’affamés voulu tuer Jean Baptiste Ignace Merland (1735-1793), au motif qu’il refusait de vendre du blé au prix demandé. Il était le beau-frère de Verdon, procureur fiscal de la baronnie, et ce dernier lui sauva la mise. Les bourgeois, comme lui et Guyet, qui faisaient le commerce du blé, étaient en danger. Hortense Verdon, une descendante du procureur fiscal des Essarts rapporta une histoire en ce sens quelques dizaines d’années plus tard. Voici son récit mis en forme par son fils : « Comme M Guyet faisait conduire un convoi de grains à Saint-Fulgent, les femmes du bourg s'assemblèrent, et blotties dans un champ de genêts, elles attendirent les rouilllés (rouliers ou voitureurs). Quand le son des grelots, pendus aux harnais, le bruit des pas des chevaux et le claquement des fouets les avertirent de l'approche des chariots, elles s'élancèrent au travers du chemin, barrant le passage, menaçant les conducteurs de coups de pierres et de bâtons, jetant à terre les sacs, les coupant et dépochant le blé avec rage. La justice accourut sur les lieux, mon père désabusa cette foule aveugle et promit, sous peu, d'ouvrir un grenier public où l'on vendrait le blé de toutes qualités à un prix raisonnable ....» (60).

L’intervention courageuse de Verdon ramena le calme, mais on apprend dans ce récit que Merland fut fusillé au printemps 1793 dans la cour du château des Essarts par les royalistes, avec onze autres personnes, dont un enfant de quatre ans. 

L’homme et sa famille


Toute cette activité que nous venons de décrire montre un homme entreprenant, négociateur, sachant s’imposer. Son écriture à l’âge de 40 ans révèle un apprentissage peu poussé de la grammaire. À voir son orthographe, il écrivait à l’oreille et ne paraît pas avoir beaucoup lu (61). Sa réussite ne tient pas à son instruction. Il n’est pas parti de rien, mais il est arrivé à se constituer un joli patrimoine. Voici, tel qu’il l’a rencontré le 8 octobre 1781, comment le décrit Dangirard : « M. Guyet est un petit homme, maigre, l’œil vif, peu de cheveux, parlant assez bien quoique quelques fois il cherche le mot, mais il le trouve aussitôt. Il raconte très bien une affaire sans verbiage, sans accessoires inutiles, et les mots qu’il emploie sont les mots propres. Il fait les affaires de beaucoup de maisons de ce canton du Bas-Poitou, et il en est considéré parce qu’il travaille bien, qu’il est actif, qu’il a les entrées des principales maisons de robe à Paris et de puissantes protections dans toutes les classes, et joint à cela une grande probité et du désintéressement.

Le 9 octobre au déjeuner Guyet est avec ses hôtes à Saint-Maurice-Le-Girard, Gallot et Dangirard. Voici ce que note Dangirard dans son journal : « Notre convive M. Guyet a très bien officié, et au dessert a bu malaga, liqueur de Mme Amphoux (liqueur douce à base d’herbes aromatiques, parfumée de fine chartreuse, girofle et autres épices), abricots à l’eau de vie et du Harzwasser (probablement un alcool). M. Guyet nous a quitté à 3 h pour aller coucher à Bourneau et demain à Fontenay. » (62).

Le métier de maître de postes qu’il a continuellement fait inscrire sur les actes notariaux le concernant, n’a visiblement pas constitué sa principale activité. De toute façon le relais de Saint-Fulgent ne pouvait pas avoir l’importance de celui des Quatre-Chemins de l’Oie, situé à quelques kilomètres plus loin en direction de Fontenay-le-Comte, mieux situé sur un croisement de chemins. Mais avec l’auberge du Chêne-Vert, et les qualités relationnelles de son propriétaire, il a pu servir à ses débuts de lieu de rencontres pour les affaires, comme aussi l’hôtel du Lion d’Or voisin à Saint-Fulgent. Ce dernier était tenu par Lusson en 1790, qui deviendra un meneur lors de la révolte des gens de Saint-Fulgent en mars 1793. Sa réputation d’acheteurs de biens a fait aussi de Charles Guyet un expert, choisi comme tel pour assister à une assemblée des paroissiens de Saint-André en 1784, qui devait décider d’abattre des arbres pour effectuer des travaux à la cure. N’avait-il pas été nommé l’un des trois experts, par décision de justice à Nantes, pour faire les partages de la succession des domaines du seigneur de la Rabatelière en 1779 entre ses 6 héritiers ? (Voir ci-dessus et note 30).

Les enfants de Charles Guyet et de Catherine Couzin, au moment de la mort de cette dernière en 1807, sont au nombre de sept, tous baptisés à Saint-Fulgent. Deux autres étaient morts en bas âge. Il est temps de faire brièvement connaissance avec eux :
  1. Catherine Sophie, baptisée le 19 août 1770. Elle se maria en 1791 avec Etienne Benjamin Martineau, médecin. Ce dernier fut un révolutionnaire très actif, haï pour cela dans la région de Saint-Fulgent, et qui déménagea plusieurs fois avant de se stabiliser comme juge de paix aux Herbiers.
  2. Charles Jacques, baptisé le 9 juin 1772.  Dit Guyet-Desroches, il épousa en 1796 à Champagné-les-Marais, où le couple résida toute sa vie, Rose Boileau, fille d’un marchand. C’était la paroisse d’origine de sa mère, Catherine Couzin. Ils eurent neuf enfants, dont Charles Jean Baptiste (1797-1867) capitaine de vaisseau mort sans alliance, Armand Germain, notaire à Marans, Eugène qui fut avocat et agent de change à Paris où il mourut en 1879, Rose Désirée qui épousa Pierre Hilaire Martineau, notaire à Chaillé-les-Marais.
  3. Joseph, baptisé le 20 avril 1774, avec pour parrain Claude Joseph Frappier, notaire royal et apostolique, sieur de la Rigournière, et pour marraine, Françoise Delagroix (parente de sa mère). Il acheta le domaine de Linières et se maria en 1804 avec Félicité du Vigier, divorcée de Charles de Lespinay. Il fut Chef à l’agence judiciaire du Trésor Royal en 1812 et 1817, et aussi probablement dans la période antérieure, c'est-à-dire responsable de contentieux au ministère des Finances, en langage moderne.
  4. Pierre Louis, baptisé le 10 avril 1775. Il acheta pour 3 000 livres l’église de Saint-Fulgent incendiée pendant la guerre de Vendée, qu’il revendit en 1803. En 1803 il habitait les Roches-Baritaud à Saint-Germain-de-Prinçay, voisin du fermier général du domaine, Samuel Majou. Il épousa en 1811 Marie Linyer, fille du procureur de Vouvant. Il acheta à Claude III de Beauharnais une partie du domaine des Roches-Baritaud en 1816. Les Marchegay achetèrent la moitié du domaine en 1817. Pierre Louis est mort en 1842 sans enfants.  
  5. Louis René, dit « le Vaillant », baptisé le 2 novembre 1776, et mort sans alliance le 4 avril 1853 au château du Bignon (Herbiers), qu’il avait acheté en 1828 à Nicolas de Rouault, après avoir longtemps habité au bourg de Saint-Fulgent. Il avait aussi acheté avec Pierre Ageron, propriétaire à Fontenay, l’abbaye de la Grainetière. Il fit raser à hauteur d’hommes les deux petites tours en poudrière qui flanquaient la porte d’entrée et qu’on voyait encore debout plusieurs années après la Révolution de 1830. Et il acheva la démolition du clocher de l’église. Il a fait dessécher l’étang considérable qui servait de poissonnerie aux moines pour l’observance du carême et des jours maigres (63)Au Bignon, Louis René Guyet recevait son neveu, Guyet-Desfontaines, fils de Joseph, quand celui-ci venait se faire élire député aux Herbiers, au temps de la monarchie de Juillet. Le château fut vendu en 1854 par les héritiers à Gustave Lelièvre.
  6. Auguste Jacques, baptisé le 15 avril 1783. Il fut à l’origine de la branche de Grissay, du nom de la propriété, située aux Essarts, dont il hérita, aussi appelée la Barette. Il se maria en 1813 à Triaize avec une cousine, Marie Anne Guyet, et ils eurent une nombreuse descendance. En 1807, il habitait à Paris chez son frère Joseph, au no 32 de la rue des Moulins. Il était alors sous commissaire de la marine, dans un emploi de comptable.
  7. Victoire Adélaïde, baptisée le 17 septembre 1784. Elle se maria avant mai 1813 (64) avec Georges Sibuet (1767-1828), avocat républicain, nommé juge au tribunal de cassation en 1794 (ancêtre de la cour de cassation), puis juge à Bruxelles et député de l’Aisne en 1815. Elle est morte à Paris le 29 juin 1834 sans postérité.
Marié tard, mort à l’âge de soixante ans, C. Guyet n’a pas eu le temps de voir tous ses enfants s’établir. L’aînée avait alors vingt-trois ans. Elle reçut une bonne instruction, rare à l’époque pour une fille. Son troisième fils, qui acheta Linières, avait dix-neuf ans et faisait son droit. Mais la petite dernière avait neuf ans. Ce sont ses frères, probablement Joseph à Paris, qui lui trouvèrent un magistrat important pour mari.

Le père aurait pu être fier de la réussite professionnelle de ses enfants, aussi enfants chéris de la Révolution, nourris de biens nationaux. Trois d’entre seulement eurent une postérité durable : Catherine Martineau, Charles et Auguste Guyet. Joseph n’eut qu’un fils unique, Guyet-Desfontaines, et ce dernier n’eut aussi qu’un héritier unique, par alliance : Marcel de Brayer, mort sans postérité, laissant le château et le domaine de Linières à un grand-oncle célibataire : Amaury-Duval.

On comprend que la succession de Charles Guyet, ouverte en 1797, a aidé ses enfants à s’établir. Le partage définitif de sa succession et de celle de sa femme eut lieu le 8 mai 1807 (65). Si son petit-fils Guyet-Desfontaines a été en son temps le contribuable le plus imposé de l’arrondissement de la Roche-sur-Yon, il le doit pour une part à son grand-père Charles Guyet.

On sait maintenant l’énergie que ce dernier a déployée pour s’enrichir et s’élever dans la société. Il visait la noblesse, on l’a vu. Il jouissait autour de lui d’une considération méritée. Un détail est révélateur en ce sens : la prise de possession de la cure de Saint-Fulgent en 1789.

Fête pour l'installation d'un nouveau curé
Le curé Mathurin Gilbert était mort le 9 mars de cette année-là. Ce fut René Limouzin qui finalement le remplaça, prenant possession de la cure officiellement le 5 mai 1789, suivant l’acte notarié de Frappier. Ce dernier possédait la charge de notaire de la sénéchaussée du Poitou en la résidence de Saint-Fulgent, et aussi celle de notaire apostolique du diocèse de Luçon. Cet emploi était dédié uniquement aux actes concernant les biens de l’Église, comme une cure. Et la prise de « possession corporelle, réelle et actuelle de ladite cure et église paroissiale de Saint-Fulgent » a été officialisée par le notaire apostolique Frappier, sieur de la Rigournière. L’acte rappelle la cérémonie à laquelle a donné lieu cette prise de possession : « toucher de ladite porte, prise d’eau bénite, prières à Dieu faites à genoux devant le maître de ladite église, baiser dudit autel, toucher du tabernacle, du pupitre, de la chaise à prêcher, du confessionnal, son des cloches, séance en la place affectée audit curé de ladite paroisse tant au cœur qu’au bureau de l’œuvre, chant du Te deum, laudamus, exhibition  et lecture des dites lettres de provision à l’instant rendues audit sieur Limouzin, et par toutes les autres cérémonies et formalités en pareil cas requises et accoutumées ». L’acte a été lu à haute et intelligible voix dans l’église paroissiale par le notaire en présence du vicaire, Louis Brillaud, et de deux témoins : « maître Simon Charles Guyet, maître de postes, Louis Merlet, fabriqueur, demeurant aussi séparément en ce bourg de Saint-Fulgent » (66).

La présence du fabriqueur de la paroisse parait normale en cette circonstance. Celle du maître de postes a besoin d’une justification : l’honorabilité et la réputation de l’homme, par ailleurs écuyer, garde de la porte de Monsieur, et ami du notaire. Ce qui importe ici c’est de se rappeler qu’elle prend le pas sur la présence d’un des membres des quatre à cinq familles nobles possédant des fiefs dans la paroisse.

La cérémonie a eu lieu le 5 mai. Cette date est importante à la fois dans l’Histoire de France et dans la vie de Charles Guyet, car c’était le jour de l’ouverture des États Généraux à Versailles, présidée par le roi en personne. On sait qu’en quelques mois ils enclenchèrent la Révolution française.

La manne des biens du clergé


Nos deux témoins à la prise de possession du curé Limouzin, Charles Guyet et Louis Merlet, vont devenir ses plus fervents partisans à Saint-Fulgent. Le premier va profiter de la vente des biens d’église. Il aura cependant un concurrent redoutable désormais, Agnan Fortin, seigneur de Saint-Fulgent et habitant de Nantes. Héritier de la fortune de ses parents, bâtie à partir de l’exploitation, avec des esclaves, de sucreries dans la partie Est de l’île de Saint-Domingue, maintenant Haïti, il avait acheté la terre et châtellenie de Saint-Fulgent en 1769. Vers 1775, Agnan Fortin avait commencé à restaurer le vieux manoir, et il aida à cette époque au financement de travaux dans l’église de Saint-Fulgent (67).

En novembre 1789, il acquit de Perrine Bruneau, la veuve d’Abraham de Tinguy, seigneur de la Sauvagère, les métairies de la Chevalleraye et de la Boutinière à Saint-André-Goule-d’Oie, moyennant 22 000 livres (68). Charles Guyet était pourtant le parrain de la dernière fille, Jeanne Henriette, née en 1761, d’Abraham de Tinguy, mais cela n’a pas suffi pour acquérir les deux métairies en vente. Fortin l’a emporté, comme il l’a fait plus tard pour acquérir la métairie de l’Oiselière à Saint-Fulgent, vendue en tant que bien national. Les premières enchères pour celle-ci avaient démarré à 39 900 livres, Charles Guyet était monté à 56 900 livres et l’adjudication définitive de l’ancien prieuré se fit à 57 000 livres au bénéfice d’Agnan Fortin, le 20 janvier 1791.

Mais Charles Guyet réussi à acquérir des métairies de l’abbaye de la Grainetière dans les ventes du début de l’année 1791 (69) :
24 janvier 1791 : ferme de la Rajolière pour 34 200 F et de la Gallardière pour 10 000 F
5 février 1791 : domaine de la Grange pour 39 300 F
11 février 1791 : domaine de Baufraiserie pour 18 000 F
21 février 1791 : ferme de la Brosse pour 36 400 F
9 mai 1791 : borderie du Chiron pour 2 225 F
À Ardelay il acquit aussi la métairie de la Richelière, suivant un bail que nous avons relevé. Il en est de même pour la métairie de la Basse Frapperie (Herbiers), estimé de revenus annuels de 700 livres en 1792. Et il acquit aussi la borderie de la Grainetière (70).

En dehors des biens de l’abbaye de la Grainetière, il acquit aussi la ferme de la Rambardière ayant appartenu aux bénédictins de Mortagne, le 25 février 1791, pour 33 200 F. 

Il acquit aussi pour 1 200 F un pré et un champ à Sainte-Florence-de-l’Oie, provenant du prieuré de cette paroisse.

André Astoul : Marais
Dans les ventes de biens nationaux conservées aux Archives de Vendée, on trouve la vente de deux « cabanes » ayant appartenu au « ci-devant chapitre de Luçon », où Charles Guyet est intervenu. Dans l’une, le 28 novembre 1791, un négociant nantais a emporté la vente devant lui, et dans l’autre il a acheté au nom et pour le compte d’un autre négociant nantais, Barthelemy, le 13 février 1792 (71).

Malgré ces déboires pour l’achat de biens nationaux dans le Marais Poitevin, il put y faire des acquisitions. Il acheta trois cabanes (noms donnés aux métairies dans le marais) : le Chapitre, la Loge du Chail, situées sur la commune de Champagné-les-Marais, et la Rabandière située à Luçon. Sur Champagné-les-Marais, sa femme possédait en biens propres les cabanes de la Balise et de la Maison Neuve, ainsi que des marais salants (72).

Il fit affaire avec René Robin, de Sainte-Florence, l’acheteur de l’église de Saint-André-Goule-d’Oie. Il lui acheta six ha de landes à Sainte-Florence le 22 juin 1791 pour 700 livres. Un an plus tard, les deux hommes s’accordèrent, pour des raisons que nous n’avons pas comprises, pour annuler cette vente (73). Le domaine s’appelait les landes du Quarteron, et était situé à l’emplacement, qui est devenu ensuite en partie les carrières des Lombardières. R. Robin l’avait récemment acquis d’un nommé Bouhier, qui lui-même l’avait acquis de l’administration, après confiscation des domaines à la cure de Sainte-Florence. 

Charles Guyet a été victime de la circulation de faux assignats en 1792. Pour faire un paiement à Montaigu, il présenta 2 assignats de 2 000 livres chacun qui furent reconnus faux. Verbalisé, il se justifia de les avoir reçus de son frère de Paris. Le directoire du district écrivit à Pétion, maire de Paris, pour faire faire des vérifications. Il semble que l’affaire s’arrêta là (74). 


Dans les débuts de la Révolution 


Le 17 mai 1791 (vue 151) Charles Guyet maria dans l’église de Saint-Fulgent sa fille aînée, Catherine, à Étienne Benjamin Martineau, jeune médecin originaire de La Chapelle-Thémer, dans la plaine du sud Vendée à côté de Sainte-Hermine. C’était un partisan de la Révolution, comme beaucoup de monde autour de lui, sauf que lui le resta. Les futurs mariés seront « époux communs en tous biens meubles, acquêts et conquêts immeubles (75) dès le jour de leur bénédiction nuptiale suivant et au désir de la coutume de celle de la province du Poitou, sous l’autorité de laquelle ils contractent, quand bien même ils iraient faire leur demeure en d’autre province. », par contrat signé la veille chez le notaire, devant tous les membres des deux familles, oncles et cousins compris. La mère du marié, veuve à cette date, donna 2 000 livres en argent et une rente annuelle de 1 000 livres. Charles Guyet donna 6 000 livres en argent, payable à noël prochain, et une rente annuelle de 1 500 livres. À titre de comparaison, deux mois plus tard le gendre du maire de Saint-André-Goule-d’Oie et le régisseur de Linières, mariant leurs enfants dans le même type de contrat, apportèrent chacun 600 livres aux jeunes mariés.

En 1791 Charles Guyet est membre de la première municipalité de Saint-Fulgent, élu l’année précédente, son ami Frappier étant maire, mais cela ne préjuge pas de ses opinions politiques à cette date. Robin (huissier) et Morlière sont aussi membres, Bellet (notaire) est secrétaire et Garnaud (avocat et fermier) est procureur (76). 

Une certaine vision du serment ...
Déjà des tensions politiques étaient apparues à la fin de l’année 1790 à Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie. Le dimanche 13 février, le curé et le vicaire de Saint-Fulgent avaient refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé. Frappier, le maire de Saint-Fulgent avait pénétré dans l’église ce jour-là pour en faire le constat. Suite à son procès-verbal, l’accusateur public du tribunal du district de Montaigu avait porté plainte contre le curé Jean Louis Gourdon, le 24 mars suivant. Des dizaines d’années plus tard, l’affaire ayant choquée, et Martineau s’étant comporté comme un extrémiste pendant la guerre de Vendée, des historiens racontèrent qu’il intervint pour apostropher le curé dans l’église au jour du serment. Les recherches historiques de l’abbé Boisson, ancien aumônier de l’hospice de Saint-Fulgent, présentent l’affaire sous un jour différent : l’implication de Martineau ce jour-là est très douteuse.  Voir notre article publié dans ce site en octobre 2016 : Le refus de prestation de serment du clergé de Saint-Fulgent en 1791. Le refus de prestation de serment du clergé de St Fulgent en 1791.

La religion se trouvait alors au cœur de la politique. C’est le même curé Gourdon qui maria Martineau. Il était pourtant remplacé par un nouveau curé jureur, Baudry, élu par le district de Montaigu le 10 mai, mais pas encore installé. Gourdon signera pour la dernière fois sur le registre paroissial le 5 juillet, se cachant ensuite comme son vicaire Brillaud. Il avait remplacé le curé Limouzin le 20 septembre 1790, décédé quatorze mois après sa prise de fonction.

L’engagement politique de Charles Guyet n’est pas parvenu à la postérité, jusqu’à son élection comme électeur du canton de Saint-Fulgent en septembre 1792. Il semble qu’il y ait eu un renversement de situation fin 1792 à Saint-Fulgent avec le nouveau maire élu, Louis Chateigner, notaire. Or il avait été emprisonné en 1791 par Martineau (77), commandant les gardes nationaux de la commune. De plus, de nombreuses naissances, qui avaient été dissimulées au curé jureur Baudry, sont déclarées au nouvel élu, bénéficiant de la confiance de la population. Ces deux faits sont des indices forts de l’appartenance de Louis Châteigner, maire de 1792 à 1793, au camp opposé à la municipalité précédente de Frappier et de Guyet, plus « patriote ». D’ailleurs deux membres de cette dernière s’engageront clairement plus tard du côté républicain : Pierre Robin sera agent de Saint-Fulgent dans la municipalité cantonale le 2 vendémiaire an 5 (septembre 1796), et Morlière son adjoint (78).    

On se souvient que le suffrage électoral instauré alors s’exprimait à deux degrés. Les assemblées primaires des « citoyens actifs » des cantons, représentant environ 60 % des hommes de plus de vingt-cinq ans, ont d’abord désigné leurs électeurs, neuf pour le canton de Saint-Fulgent. Ceux-ci se sont réunis ensuite au chef-lieu du département à Fontenay-le-Comte pour élire les députés, les juges, l’évêque et les membres de l’administration départementale.

Charles Guyet a été élu électeur du canton de Saint-Fulgent en 1792, appartenant au camp des révolutionnaires, ainsi que l’ancien fabriqueur de la paroisse Louis Merlet, le gendre médecin Étienne Martineau et le nouveau curé constitutionnel, Jean Baptiste Baudry. Les procès-verbaux de ces élections primaires ont disparu en Vendée, mais si on se réfère à la pratique constatée en Loire-Atlantique, la participation électorale était d’environ 10 %. Ce qui explique que les électeurs cantonaux de Saint-Fulgent appartenaient en majorité au camp révolutionnaire, à l’inverse de la population. Celle-ci se refusait à participer à un scrutin organisé par les révolutionnaires.

À la différence de son gendre Martineau ou de Louis Merlet, Charles Guyet n’a pas laissé de trace d’actes politiques même après son élection, ni aucun écrit de lui, ou sur lui non plus. Dans ces conditions il est difficile d’évoquer son engagement politique. Et pourtant son choix du camp de la Révolution, après avoir acheté une charge portant le titre d’écuyer très peu d’années avant 1789, pose question. Dans le camp des contre-révolutionnaires, on pourrait évoquer la jalousie pour expliquer son choix. On a vu certains de ses contemporains aspirer à un titre de noblesse puis s’enthousiasmer pour la même raison au principe d’égalité, permettant l’abolition d’une classe sociale trop inaccessible. Dans la même veine, on pourrait évoquer, avec toutes les nuances possibles, un caractère opportuniste ou arriviste. Dans le camp des révolutionnaires en revanche, on trouvera naturel que les réformes de l’assemblée constituante aient pu séduire un bourgeois ayant durant toute sa vie cherché à faire fortune et à s’élever dans une société politique globalement archaïque, à bout de souffle et surtout incapable de se réformer.

De plus, il ne faut pas voir les luttes religieuses de l’époque comme opposant des croyants et des athées, comme un siècle plus tard au temps du combat pour la laïcité. Ces luttes politiques ont surtout divisé des croyants, conduisant un certain nombre d’entre eux ensuite à l’abjuration, voire aux sacrilèges les plus débridés et à l’invention d’un culte concurrent, fruits de la radicalisation de la Révolution.

Une fin tragique


Charles Guyet est mort le 15 mars 1793, victime des premières outrances meurtrières massives de cette radicalisation en Vendée. Il avait été massacré la veille à Saint-Vincent-Sterlanges par les insurgés vendéens, dans les premiers jours du soulèvement. Il y fut inhumé le 16 mars à Saint-Vincent-Sterlanges. C’est un acte de notoriété qui nous l’apprend, rédigé à la demande de son gendre Martineau, ayant trouvé des témoins de sa mort (79). Daté du 25 juin 1795, on le trouve dans les archives d’un notaire de Luçon, J. C. Pillenière, un parent du premier mari de l’épouse de C. Guyet. Ils sont cinq témoins qui « ont déclaré avoir parfaitement connu le citoyen Charles Simon Guyet maître de poste à Saint-Fulgent, district de Montaigu, département de la Vendée, qui est tombé au pouvoir des rebelles et a été massacré par eux le quatorze mars mil sept cent quatre-vingt-treize en la maison de Durand aubergiste du Chapeau Rouge à Saint-Vincent-Sterlanges, et est mort de ses blessures le lendemain quinze du dit mois de mars ».

La date de sa mort l’exonère de toute responsabilité directe dans les drames de la Vendée militaire à Saint-Fulgent et le classe parmi leurs victimes. Les circonstances de sa mort ont fait partie de l’héritage laissé à ses enfants, confortant notamment son gendre Martineau, s’il en était besoin, dans son combat contre la noblesse, le clergé et la monarchie.

Ce massacre pose aussi une question : n’a-t-il pas été victime d’une certaine jalousie des paysans voulant se venger d’un « accapareur » de biens nationaux ? L’acte en serait emblématique, et on sait que cette question est centrale pour beaucoup d'historiens. Dans un livre récent de vulgarisation sur la Révolution française on lit que « la guerre de Vendée, à partir de mars 1793, est moins un soulèvement royaliste qu’une révolte des populations paysannes frustrées, qui ne profitent pas de la vente des biens nationaux, dont les bénéficiaires sont principalement les gros fermiers, négociants, fabricants, hommes de loi et autres notables fortunés » (80). On ne peut pas écarter l’idée que cette cause a pu exister dans certains endroits (81). Mais dans le district de Montaigu, les premières ventes des biens confisqués aux immigrés ont commencé en mars 1795, soit deux ans après le début des combats des insurgésQuant aux ventes des biens du clergé, c’est le seigneur local qui a presque tout acheté à Saint-Fulgent. À Saint-André-Goule-d’Oie ces ventes ont rencontré une opposition de principe en 1790. Pour le détail nous envoyons à notre article publié en mars 2017 : La vente des biens du clergé à Saint-André-Goule-d’Oie.

Agnan Fortin (1727-1798), le seigneur de Saint-Fulgent et de Bellanton (à Thouaré sur la rive droite de la Loire, près de Nantes), alors en retraite, a raflé la mise à Saint-Fulgent en 1791, ne laissant que l’église à acheter par un fils de Charles Guyet. S’il y eut des envieux, ce dernier a pu en faire partie quand on se souvient de l’achat du prieuré de l’Oiselière, et peut-être à un degré qui pourrait expliquer beaucoup de choses. Les parents d’A. Fortin et de sa femme avaient exploité des sucreries aux Antilles, et jusqu’à la révolte des esclaves en août 1791 il en toucha des revenus confortables. Mais, comme dans les plus anciennes familles de la noblesse, il s’était engagé dans l’armée, les mousquetaires gris de la maison du roi, avait été capitaine de cavalerie, honoré de la distinction de chevalier de Saint-Louis, et son fils aîné émigra comme un bon royaliste. Il est resté à Nantes pendant la guerre de Vendée, mais son château de Saint-Fulgent a été brûlé par les « bleus » le 22 septembre 1793. Il apparaissait avant tout comme un membre de la noblesse pour les habitants de Saint-Fulgent et des environs. Il put sauver les biens de son fils de la confiscation, malgré son émigration, en négociant avec les autorités républicaines en 1798, à la veille de sa mort (82).

Les acquisitions de métairies de l’abbaye de la Grainetière à Mouchamps et à Ardelay par Charles Guyet, ne pouvaient pas engendrer d’envie dans la population de Saint-André-Goule-d’Oie à cause de leur éloignement. Mais elles ont pu générer une hostilité de principe une fois connues, assimilant leur propriétaire à ceux qui avaient osé acheter des biens du prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie. L’esprit partisan étant ce qu’il est, on a dû tout reprocher à Charles Guyet à partir de ses opinions seulement, surtout qu’il était un homme en vue et respecté. De plus, on ne peut pas s’empêcher de penser que la réputation de son gendre, perçue comme odieuse par les paysans, a pu le desservir. Pour autant que ce fût connu, on a pu lui reprocher, peut-être, ses acquisitions de biens d’église. Mais de là à faire de ce reproche l’origine de la révolte, l’explication paraît bien surprenante aux regards des faits connus à Saint-André-Goule-d’Oie.

Une autre question s’impose aussi à nous sur la cause de sa mort. On se souvient que quatre ans plus tôt des femmes des Essarts avaient attaqué un convoi de blé lui appartenant, alors que régnait une disette grave. N’était-il pas perçu comme un profiteur et un exploiteur ? On sait qu’il était devenu un important marchand de grains à Saint-Fulgent (83). Un autre marchand de grains aux Essarts, Merland, n’a-t-il pas été assassiné lui aussi à la même date ? Ce ne sont pas des exemples isolés. François Bonnin, « officier municipal de Mormaison, fut pris à son poste à la maison commune dudit lieu, emmené par les rebelles à Rocheservière, où ils l'assassinèrent au pied de l'arbre de la Liberté », le 11 mars 1793 (84).

Les motifs de ces assassinats de bourgeois républicains au début de la guerre de Vendée peuvent-ils s’analyser avec précision compte tenu du peu d’éléments dont nous disposons ? S’ils avaient été nobles, l’affaire serait entendue, et l’explication à portée de mains. En tant que républicains, en revanche, on aurait désigné jadis la barbarie des assassins royalistes, aveugles et manipulés par les nobles et les prêtres suivant le refrain de l’époque. Au-delà de ces deux approches militantes, on ne peut pas passer sous silence les deux questions soulevées de la jalousie envers l’acheteur de biens nationaux, et de la haine envers le spéculateur sur les grains. Encore faut-il pour y répondre en revenir aux faits d’abord. 

La veille de sa mort, le 13 mars, une troupe de deux cents gardes nationaux avait été mise en déroute par les paysans de Saint-André-Goule-d’Oie, à l’entrée du bourg de Saint-Fulgent. Charles Guyet et Benjamin Martineau, son gendre, voulaient rejoindre les troupes républicaines, fuyant en direction de Fontenay-le-Comte, ne se sentant plus en sécurité chez eux à Saint-Fulgent. À ce stade des événements, on voit bien que la révolte avait pris des proportions dramatiques. Louis Merlet et le curé constitutionnel de Saint-Fulgent ont été faits prisonniers par les révoltés, eux. Et ils furent libérés en octobre 1793, grâce au fameux geste de pardon de Bonchamps. 

Saint-Vincent-Sterlanges
S’il a été tué dans un combat autour de l’auberge du Chapon Rouge, étant dans les rangs des républicains en fuite, au lieu d’être fait prisonnier, Charles Guyet a payé de sa vie sa présence parmi eux. Cependant l’hypothèse d’un règlement de compte visant Charles Guyet en personne est probable, à lire la déclaration de notoriété qui a été rédigée, sous l’inspiration de son gendre Martineau qui l’accompagnait probablement. Il est dit qu’il est tombé d’abord aux mains des rebelles, lesquels l’ont ensuite massacré.

Il est donc mort pour avoir été républicain au sens de 1793 à Saint-Fulgent, et il apparaît difficile de faire la part de la jalousie ou de la vengeance dans la haine qui lui a été fatale. En revanche, il faut noter que l’on compte dans la contrée des victimes emblématiques de la guerre civile chez les bourgeois républicains, alors qu’on protégea les nobles. C’est d’autant plus singulier que l’histoire de la contrée est dépourvue de révoltes paysannes ou autres jacqueries. Le même Charles Guyet, malgré son métier de marchands de grains et ses acquisitions, n’eut pas été tué à Saint-Vincent-Sterlanges s’il avait été royaliste. Dans les mêmes familles Bordron (Saint-André) et Cailleteau (Chauché), les opinions politiques de ses membres les ont orientés différemment dans la guerre de Vendée. Pour comprendre les motivations à l’époque, non seulement l’humilité s’impose, mais plus encore l’acceptation d’une part d’ignorance. 

En conclusion, il apparaît que Simon Charles Guyet a montré tout au long de sa vie des capacités qui méritaient mieux que les médiocres combines de l’Ancien Régime pour être reconnues et valorisées. Il a su apporter à cinquante-six ans son soutien actif aux voies politiques nouvelles ouvertes depuis peu. Et il est mort victime des impasses mortifères où ces voies politiques nouvelles ont été dirigées, c’est-à-dire vers une guerre civile. Son destin n’est pas singulier certes, il est même très représentatif de son époque. Mais sa vie nous entraîne à la découverte d’un pays étonnant et lointain, situé à seulement un peu plus de deux siècles de distance pourtant : Saint-Fulgent de 1733 à 1793.


(1) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 64, les Montaudouin, lettres de Frappier à Thomas René Montaudouin des 21 février et 21 mars 1781.
(2) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 44, lettre d’envoi du 11-1-1787, du registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie de Pierry à Frappier.
(3) Lettre de J. V. Goupilleau à son frère du 21-11-1792, M. Ehlermann-Gandrillon, l’Aveuglement. Lettres du révolutionnaire vendéen Jean Victor Goupilleau 1791-1795, Éditions du CVRH, 2023, page 231. 
(4) Archives de Vendée, notaire des Herbiers, J. M. Graffard (fils) : 3 E 020, répertoire 1776-1793, le 9-4-1792 (vue 84/92).
(5) Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, lettre du fils du notaire Frappier du 15-8-1800, annexée à l’acte d’arrentement du 20-11-1782 d’une petite borderie à la Rabretière des Essarts par Marie Anne Joussaume à Jean Seillé.
(6) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, notes sur la famille Frappier.
(7) Vente du 14-10-1806 d’une masure dans le bourg de Saint-Fulgent par J. A. Frappier, Archives de Vendée, notaires de Chavagnes-en-Paillers, Bouron : 3 E 31/22. Aussi : 3 E 31/24, bail à rente du 21-6-1809 d’une maison dans le bourg de Saint-Fulgent par J. A. Frappier, et vente du 7-7-1809 d’une masure et autres dans le bourg de Saint-Fulgent par J. A. Frappier.
(8) Maurice Maupilier, Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Hérault Éditions (1989), page 80.
(9) Journal inédit de Dangirard, Éditions du CVRH 2008, page 227. Merci à M. Guibert de m’avoir signalé l’information.
(10) 7 Z 20, famille Guyet, sous-ferme du 1-4-753 de la métairie du Coudray par Louis Guyet à Pierre Guedon. 
(11) www.famillesvendeenns.fr, famille Guyet.
(12) Archives de Vendée, Chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, lettre de P. de Vaugiraud à Mouton le 17-7-1727 au sujet de la métairie du Pinier.
(13) Entérinement du 19-1-1753 du testament de Jacques Soulard, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/114.
(14) Reconnaissance du 21-11-1767 d’une rente de 100 £ à Catherine Tricouere par le comte Mesnard, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/119.
(15) T. de Tinguy, La maison de Tinguy notice généalogique et historique, Poitiers (1896), page 59 (archives de University of Toronto). Voir aussi le site internet de la maison Tinguy.
(16) Ferme du 25-5-1772 de la seigneurie de Saint-Paul-en-Pareds à Guyet, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(17) Acte de décès du 19-11-1811 de Jacques Guyet : Archives privées Fitzhebert (dossier no 9). Voir aussi l’inventaire de sa succession à partir du 9-11-1811, accessible par internet (Anne Marie Lenoble dans Geneanet).
(18) Idem (9).
(19) 7 Z 20, famille Guyet, lettre de Guyet du 28 août 1787.
(20) Archives de Vendée, BIB 1415, Mémoires de la société des Antiquaires de l’Ouest, 1961, L. Merle, la vie et les œuvres de Jean Gabriel Gallot (1744-1794).
(21) Testament d’Isidore Guyet, Archives nationales, notaires de Paris : MC/ET/XIV 839.  
(22) Actes testamentaires de Laure Longuemare, veuve Charles Louis Guyet, Archives nationales, études notariales de Paris, Me Pitaux : MC/ET/XIV/850. 
(23) Livre des comptes de la Rabatelière (1755-1767) et titres de propriété, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, pages 1, 8, 23, 49, 63, 64, 75, 86, 93, 100. 
(24) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Guyet, vente en 1768 par Jacques Tricouere à Charles Guyet d’une part indivis de Marie Tricouere, de domaines dans le bourg de Saint-Fulgent, la Clavelière et Bazoges.
(25) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/7, échange d’un jardin et d’un petit champ à Saint-Fulgent entre le curé du lieu et C. Guyet, le 16-6-1773.
(26) Maurice Maupilier, Des étoiles au Lion d’Or, Saint-Fulgent sur la route royale, Hérault Éditions (1989), page 99.
(27) Situé entre la Brossière et la Ridolière, ce moulin fut un lieu de rassemblement des jeunes de Saint-André-Goule-d’Oie lors de leur soulèvement de mars 1793. Le cadastre napoléonien fixa le nom en Briand.
(28) Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/G 117, déclaration roturière du 21-1-1774 de Louis Trotin pour domaines au Clouin.
(29) Acte de notoriété du 28 thermidor an 12 (16-8-1804) par devant Chambette notaire à Paris : Archives privées Fitzhebert (dossier no 1).  
(30) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 13, aveu du 23-6-1774 de Saint-Fulgent (Agnan Fortin) à la vicomté de Tiffauges (A. L. Jousseaume de la Bretesche), transcrit par Paul Boisson, pages 41, 60, 59.
(31) Partage du 18-10-1779 de la succession de René de Montaudouin seigneur de la Rabatelière, page 57, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 68. 
(32) Bail de Morenne (Sainte-Cécile) du 19-7-1772 de C. Guyet à Bernier et Robin, Archives de Vendée, étude de notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/6.
(33) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135, saisie féodale du 15-5-1751, de la baronnie des Essarts.
(34) De Grimoüard, Étude sur le prieuré des Mignon (novembre 2001), archives privées.
(35) Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1135, saisie du 9-9-1757 de la baronnie des Essarts.
(36) Quittance du 22-1-1763 du rachat payé aux Essarts pour Languiller, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/F 8. 
(37) Amblard de Guerry, Chavagnes communauté vendéenne, Privat (1988), page 102.
(38) Archives de Vendée, fichier historique de l’abbé Delhommeau, Saint-Martin-des-Noyers, 1 Num 47.
(39) Archives de Vendée, fonds de Vaugiraud : 22 J 31, quittance du 30 décembre 1708 à la Grainetière de Chautard pour l’Oiselière.
(40) Archives de la Vendée, archives de la Barette : 2 MI 36/3, ferme du 6-11-1754 de la Barette à Girault sieur de la Claverie.
(41) G. de Raignac, De châteaux en logis, itinéraire des familles de la Vendée, Éditions Bonnefonds T8, page 200.
(42) Visite de la Barette du 23-4-1772, Archives de la Vendée, transcriptions par Guy de Raignac des archives de la Barette : 8 J 87-2, page 163.
(43) Archives de la Vendée, archives de la Barette : 2 MI 36/3, ferme du 6-11-1754 de la Barette à Girault sieur de la Claverie.
(44) Partage du 27 janvier 1708 de la succession de Pierre du Plantis entre ses enfants, Archives de Vendée, chartrier du Landreau, généalogie du Plantis : 32 J 40, vue 123.
(45) Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, 1e série, 2e volume Paris 1843, page 49 : Cour de cassation du 8 nivôse an 13, Lambert/Lépinay.
(46) Bail de la Barette du 19-10-1789, Archives de la Vendée, transcriptions par Guy de Raignac des archives de la Barette : 8 J 87-2, page 167.
(47) Idem (30).
(48) Ferme du 30-8-1768 de l’auberge du Lion d’Or à Saint-Fulgent, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/120.
(49) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/8, partage du 4-8-1783 de la succession d’Alexis Herault aubergiste entre les consorts Herault voituriers et Bénigne Planchet sa veuve.
(50) 3 E 30/8, acte du 19 juin 1776 où Alexis Hayraud est aubergiste au Chêne-Vert. Et 3 E 30/13 : acte de l’année 1790 où la veuve Papin est aubergiste du Chêne-Vert.
(51) Archives de Vendée, notaires de Montaigu étude F, J.-M. Brethé, achats du mobilier et meubles par les frères Guyet à la veuve Sapin le 3 frimaire an 12 (25-11-1803), vue 81.
(52) R. Valette, Mémoire de la Société des antiquaires de l’Ouest (1885), page 309. Pour l’assassinat du comte de Beaumont, voir : Emmanuel François, Les châtelains de Linières à St André Goule d’oie (2009), page 96.
(53) François de Paule La Garde, Traité historique de la souveraineté du roi et des droits en dépendant, Paris (1754), Volume 2, page 3.
(54) Jean Baptiste Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris 7e édition (1771) Tome 3, page 484.
(55) Rapport de M. Montesquiou à l’assemblée nationale, Moniteur, 11 et 19 et 30 septembre 1791. Il est cité par Charles Bataillard, dans son traité, Du droit de propriété et de transmission des offices ministériels, Paris (1840), page 56.
(56) Charles Bataillard, Du droit de propriété et de transmission des offices ministériels, Paris (1840), page 56.
(57) Archives de Vendée, notaire des Herbiers, Marceteau : 3 E 020, acte d’arrentement sur une maison et jardin au bourg des Herbiers à Boidet, du 27-9-1782 (vue 13/408).
(58) Caution du 28-8-1787 de C. Guyet pour Barbanson en faveur de Mager, Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12.
(59) Archives de Vendée, notaire des Herbiers, Graffard fils : 3 E 020, acte de cautionnement de Durand pour Mager (créancier) et Guignard (débiteur), du 10-11-1786, (vue 227/293).
(60) Archives de Vendée, annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée (1913), soirées vendéennes, page 50, vue 29. Merci à J. P. Guibert pour cette information.
(61) Arrentement du 23-7-1773 par Henri Noël Baudry, de la métairie sise au Bois-Jaulin (Essarts), Archives de Vendée, minutier ancien des Essarts, étude (A), Louis-Marie Landais, 3 E 13 1-7, vues 5/66.

(62) Idem (9).
(63) Archives de Vendée, Fonds Bousseau et famille de Grandcourt : 42J/19, dossier Guyet. Et L. Delhommeau dans Courrier Français du 24 juillet 1965.
(64) Liquidation de la succession de Mme Sibuet du 10-6-1835 page 20, Archives de Grissay, dossier des Titres divers.
(65) Archives de Vendée, Fonds Bousseau et famille de Grandcourt : 42J/19, dossier Guyet et Batiot
(66) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12, prise de possession de la cure de Saint-Fulgent par le curé Limouzin, le 5-5-1789. 
(67) de Grimoüard, Les Fortin de Saint-Fulgent et de Bellanton, Touraine, Saint-Domingue, Nantes, Revue Généalogie et Histoire de la Caraïbe, numéro 240 d’octobre 2010. Merci à l’internaute, monsieur Jean Pierre Guibert, pour m’avoir fourni cette documentation.  
(68) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/12, vente de la Boutinière et de la Chevalleraye par P. Bruneau à A. Fortin, le 11-11-1789.
(69) Archives de Vendée, sommier des adjudications de domaines nationaux faites par le district de Montaigu : 1 Q 232.
(70) Archives départementales de la Vendée sous-série 1 Q, répertoire de ventes de biens nationaux antérieures à la loi du 28 ventôse an IV, district de Montaigu, commune d’Ardelay.
(71) Archives de Vendée, vente de biens nationaux à Triaize : 1 Q 628 no 663 et 681.
(72) Archives de Vendée, Bureau des successions de Luçon, déclaration de succession de Catherine Couzin du 20-6-1807 (vue 176.
(73) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/13, acquêt de landes par C. Guyet à R. Robin du 22-6-1971, et annulation du 3-4-1792.
(74) Lettre de J. V. Goupilleau à son frère du 30-06-1792, M. Ehlermann-Gandrillon, l’Aveuglement. Lettres du révolutionnaire vendéen Jean Victor Goupilleau 1791-1795, Éditions du CVRH, 2023, page 165. 
(75) Biens acquis pendant la vie de la communauté des époux.
(76) Premières municipalités de Saint-Fulgent, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 16.
(77) Dugast-Matifeux, Origines et débuts de l’Insurrection Vendéenne, p. 179.
(78) Idem (76).
(79) Archives de Vendée, notaires de Luçon, 3 E 48/111-étude I, J. C. Pillenière, acte de notoriété établissant le décès de Charles Simon Guyet et les circonstances de sa mort, minute notariale du 7 messidor an 3 (25 juin 1795), 2e semestre, (en ligne vues 311-312/416). Voir aussi l’acte de notoriété du 3 avril 1804 du décès de Simon Guyet, Archives de Vendée, notaire de Sainte-Cécile, étude A, Gabriel-Jean-Louis Benesteau, 3 E 15 21-2, vue 254 à 255/514.

(80) J. A. Czouz-Tornare, La révolution française pour les Nuls, First Éditions (2009), page 224.
(81) P. Bois, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, imp. Le Mans (1960). Néanmoins, pour être convainquant, il reste à montrer ici que le soulèvement dans le département de la Sarthe est suffisamment assimilable à ce qui s’est passé dans la Vendée militaire.
(82) Idem (68).
(83) Idem (2).
(84) Archives de Vendée, notaires de Montaigu, étude A, Pierre-Bernard Gombault : 19 floréal an VI, acte par lequel 6 particuliers attestent de la mort de François Bonnin le 11-3-1793, vue 73-74.

Emmanuel François, tous droits réservés
Avril 2013, complété en novembre 2024














vendredi 1 mars 2013

La bibliothèque d’un bourgeois de Saint-André-Goule-d’Oie en 1762


Louis Corbier (1705-1761)

Dans la première moitié du 18e siècle, le propriétaire du fief du Coudray à Saint-André-Goule-d’Oie s’appelait Louis Corbier, sieur de Beauvais. Il était né en 1705, du remariage à Fontenay-le-Comte d’Artus Venant Corbier avec Louise Billaud. Son père, d’origine bourgeoise, avec des parents provenant des milieux de la médecine et de la magistrature, avait acheté le fief du Coudray aux de Royrand vers 1700, où sa première femme, Marie Moreau, possédait déjà par héritage des biens fonciers.

Dragons
Louis Corbier n’a pas connu son père, mort aux environs de l’âge de cinquante ans. Sa mère s’est remariée, quand il avait quatre ans, avec un militaire de carrière, Alexandre de Roannet, écuyer, seigneur des Margues et capitaine au régiment de dragons de Belle Isle. Ce dernier vivra au Coudray et sera enterré dans l’église de Saint-André en 1735.

Louis Corbier s’est marié en 1738 à Foussais (Vendée) avec Charlotte de Puyrousset, fille d’un noble dont les ancêtres avaient été pairs de la ville de la Rochelle. Il vécut au Coudray, menant une vie de propriétaire foncier, y possédant une métairie, ainsi qu’une borderie aux Gâts (les deux à Saint-André-Goule-d’Oie), une borderie à Villeneuve (près de Saint-André à Chauché), une métairie à Saule (Verrie) et la métairie des Piots en la paroisse de Saint-Pierre de Cholet.

Son épouse mit au monde deux enfants entre 1739 et 1743, qui moururent tous les deux en bas âge.

Louis Corbier décéda au Coudray à l’âge de 57 ans, le 13 novembre 1761. Il avait fait son testament en faveur de sa femme dix jours auparavant, le 3 novembre 1761, sentant sans doute sa mort approcher. Sa femme est morte sans postérité avant le 7 mai 1784.


L’inventaire des biens meubles après décès


L’inventaire de ses biens après son décès, a fait l’objet d’un acte notarié en février 1762.  Celui-ci est conservé dans les archives du notaire de Saint-Fulgent de l’époque, Frappier, sieur de la Rigournière (1). Parmi les informations intéressantes à étudier qu’on y découvre, se trouve la liste des livres de la bibliothèque.

L’inventaire après-décès obéissait à une réglementation précise et devait contenir la description chiffrée de tous les biens du défunt : biens meubles, rentes, terres et immeubles, dettes passives et actives, ainsi que l’identité des héritiers. Le notaire de Saint-Fulgent a fait son travail en présence du procureur fiscal de la baronnie des Essarts, dont le fief du Coudray dépendait en matière de haute justice, comme toute la paroisse de Saint-André-Goule-d’OieIl faut rester prudent sur la portée de tels inventaires. Ceux-ci pouvaient négliger des imprimés sans valeur, constituant des lectures plus fréquentes. Des livres précieux ou jugés dangereux pouvaient être soustraits de la succession avant l’inventaire. Et rien ne prouve que le possesseur des livres les avait achetés lui-même ou lus. Certains ont vraisemblablement plus intéressé son épouse. Avec une bibliothèque aussi peu fournie (17 titres), nous avons cependant l’impression de ne pas avoir affaire à un intellectuel. La lecture ne faisait pas partie, visiblement, des loisirs préférés du défunt.  

Un bourgeois du 18e siècle dans le bocage vendéen


Louis Corbier était un bourgeois, et on sait l’importance qu’il y a à distinguer cette catégorie sociale de celles des nobles et des ecclésiastiques. Mais à quelle catégorie de bourgeois appartenait-il ? Gérant ses métairies, il n’a pas exercé de profession libérale. Vues de ses voisins à cette époque, les différences entre le bourgeois originaire de Fontenay-le-Comte comme lui, et certains nobles établis dans leurs logis du bocage à Saint-André et aux alentours, n’étaient pas bien grandes. D’ailleurs les mariages mélangeaient fréquemment ces deux milieux. Et dans sa grande majorité, le bas-clergé du pays en était originaire, puisqu’ils étaient les seuls à donner une instruction solide à leurs enfants.

À Saint-André, à cette époque, il y avait le propriétaire de Linières et le châtelain de la Rabatelière, possédant quelques grandes métairies dans la paroisse et celles aux alentours. À côté d’eux on trouvait des propriétaires plus modestes par la taille et le nombre des propriétés, bourgeois et nobles, parfois demeurant sur place. Les trois petits fiefs du Coudray, du Coin et de la Mancellière, plus celui de la Boutarlière (paroisse de Chauché, mais de fait à Saint-André), se résumaient à une métairie, à laquelle les propriétaires avaient agrégé au fil du temps d’autres exploitations, par transactions, dots et héritages, pour conforter leur position économique et sociale. Le cas de Louis Corbier, rappelé succinctement au départ, apparaît représentatif de cette situation, comme celle de Jean de Vaugiraud et d’Abraham de Tinguy à Saint-André-Goule-d’Oie à cette époque. Quant aux paysans, il y avait des propriétaires aussi parmi eux, mais pour lesquels il nous est difficile d’évaluer l’importance des surfaces occupées. Il y possédaient beaucoup de petites surfaces, se morcelant avec les héritages successifs.


Le mouvement philosophique à son époque



Anonyme : Montesquieu
L’année de l’inventaire, 1762, est intéressante, car nous sommes en plein « siècle des lumières », comme on a depuis appelé cette époque. Louis Corbier est mort au moment des publications les plus marquantes des grands philosophes des lumières. C’est ainsi que s’il aurait pu lire les « Lettres Persanes » (1721) de Montesquieu, « De l’esprit des lois » n’était publié que depuis 1748. De même, s’agissant de Voltaire et de sa lutte contre « l’infâme » (fanatisme religieux), il aurait pu la découvrir dans la pièce de théâtre « Œdipe » (1718). « Les lettres philosophiques », où l’auteur fait l’éloge du système politique anglais, étaient datées de 1734, mais dans une publication clandestine et condamnée par la censure. « Le siècle de Louis XIV » avait été publié en 1751. 


Quentin de la Tour : Rousseau
De Rousseau, il aurait pu lire le « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes » (1755). Mais l’essentiel de l’œuvre de cet auteur paraîtra après la mort de Louis Corbier en 1761. Quant à l’Encyclopédie de Diderot, le début de sa publication ne remontait qu’à 1751, l'année de son décès.


Les quelques livres dans l’inventaire de ses biens


Des historiens de la guerre de Vendée ont noté l’imprégnation intellectuelle des bourgeois des villes et des gros bourgs, en Vendée, pour expliquer leur adhésion au processus politique de la Révolution française. Cette imprégnation étant marquée par les ouvrages des philosophes des lumières que nous venons d’évoquer. À cet égard, la liste des livres de Louis Corbier va à l’encontre de ce constat. D’ailleurs, était-ce bien entièrement les siens ? N’y avait-il pas des livres laissés par sa mère et son beau-père, et ceux de sa femme, dans cet inventaire ?

La religion tient la première place dans cette liste, avec les livres suivant :

-        « Réflexion chrétienne sur divers sujets de morale utiles à toutes sortes de personnes » par le père Jean Croizet, de la compagnie de Jésus, tome second (édité en 1706).

Pierre Mignard : Bossuet

-        « Exposition de la doctrine de l’Église catholique sur les matières de controverse », par monseigneur Jacques Bénigne Bossuet, cinquième édition. L’auteur est le célèbre évêque de Meaux, par ailleurs précepteur du dauphin et premier aumônier de la dauphine, aussi évêque de Condom. Le livre défend la foi catholique contre l’hérésie protestante, pour l’essentiel.

-        « L’office de la semaine sainte et de celle de Pâques en latin et en français, selon le missel et le bréviaire de Rome ». C’est un livre de prières dédié à la duchesse de Bourgogne par l’imprimeur, et ne comportant pas de nom d’auteur.

-        « Introduction à la vie dévote » de François de Sales. L’auteur, évêque et prince de Genève, a réalisé plusieurs éditions du livre. La dernière en 1662, revue avant son décès, était « augmentée de la manière de dire dévotement le chapelet et de bien servir la Vierge Marie ».

-        « Le manuel de saint Augustin ». Ce dernier développe en trente-six chapitres, différents thèmes de foi chrétienne.

-        « Préparation à la mort », par le révérend D. Grasset, de la compagnie de Jésus. C’est un livre de réflexions sur les fins dernières de l’homme avec la préparation à la mort, très souvent édité au 18e siècle.

-        « Le saint évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu ».

Dans le domaine de la littérature, on a de manière éclectique les quelques titres suivants :

-        quatre tomes de livres, intitulés « Œuvres de M. De Molière », rapportés de Rotterdam en l’année 1724.

-        « Ibrahim ou l’illustre Bassa » : roman édité pour la première fois en 1641 et attribué à Georges de Scudéry, mais dont sa sœur, Madeleine de Scudéry, en est probablement l’auteur principal.

-        « L’infortuné napolitain ou les aventures et mémoires du signor Rosselly ». La première édition de ce roman d’aventures a été réalisée à Bruxelles en 1704, par un auteur inconnu.

-        « Le premier livre des Métamorphoses d’Ovide ». Ovide, auteur latin, y raconte en quinze livres l’histoire du monde gréco-romain sous la forme d’un long poème épique.

-        « La Franciade ». On lit en couverture : Les quatre premiers livres de la Franciade, au roi très chrétien Charles, neuvième de ce nom, par Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois (1572).

Un livre particulier provient probablement de l’héritage du beau-père de Louis Corbier, Alexandre de Roannet, ancien capitaine de dragons. Il avait été fait chevalier de l’ordre de Saint-Louis. Le titre se réfère à Mars, le dieu de la guerre de la mythologie romaine : « La conduite de Mars ou l’art de former un bon officier de guerre ». Œuvre du major de Busson et de Gatien Courtilz de Sandras, chez Henri van Bulderen, 1690.

Intéressants sont les livres d’Histoire presque contemporaine, vue de l’année 1762 :

-        « Les aventures de Télémaque fils d’Ulysse », tome 1e. C’est un roman didactique de François de Salignac de La Mothe Fénelon, publiée en 1699, qui fit polémique, certains y voyant une critique de Louis XIV.

-        « La monarchie française sous le règne de Louis le Grand contenant ce qu’y est passé de plus remarquable depuis 1650 jusqu’en 1671 », par M. de Riencourt (3e édition en 1692), tome second.

-        « L’Histoire du connétable de Lesdiguière contenant toute sa vie, avec plusieurs choses mémorables, servant à l’Histoire générale, par Louis Videl, secrétaire dudit connétable. » Il s’agit de François de Bonne (1543-1626), gouverneur du Dauphiné, pair, maréchal et connétable de France. La première édition date de 1639. Un protestant notoire


La place de l’église et de la religion dans le nouveau mouvement des idées


On le voit, avec ces titres nous sommes loin de nos philosophes des Lumières. Et le notaire n’a pas relevé de journaux conservés dans le ménage, importants à l’époque dans la formation des idées des lecteurs. De là à en tirer une conclusion, en généralisant à partir de cet inventaire personnel, découvert au hasard des archives notariales, ce ne serait pas sérieux. D’autant que « cet inventaire n’implique pas que les livres possédés ont été lus, ni même achetés par le défunt. Et il est sans prise sur les livres, précieux ou dangereux, soustraits à la succession avant l’inventaire » (2).

Il est seulement intéressant de noter que ce type de bibliothèque a existé dans une famille de bourgeois du bocage vendéen, peu de temps avant la Révolution française. Un point mérite néanmoins un développement, à cause de sa portée : la place de la religion catholique. Tout d’abord il faut rappeler qu’après l’invention de l’imprimerie, les livres imprimés et diffusés dans les familles, tant protestantes que catholiques, et à cause des réformes qu’elles ont portées à partir du 16e siècle, étaient le plus souvent des livres sur la foi, avec la bible comme « best-seller ». Les lectures solitaires ont rendu possibles des piétés nouvelles, et aussi des évolutions dans les modes de relations aux autres et aux différents pouvoirs, vers plus de vie privée, selon l’historien des mentalités Philippe Ariès.

Depuis le 4e siècle, avec l’empereur romain Constantin Ier, l’Église « romaine, catholique et apostolique » avait été et était redevenue religion d’État. Elle se présentait comme religion de l’amour, mais l’Histoire la montrait aussi au cœur des pouvoirs, non sans difficultés et contradictions, faisant oublier saint Paul, affirmant que le catholicisme est la première religion qui n’ait pas prétendu que le droit dépendît d’elle.

Après le séisme de la Renaissance, le mouvement des philosophes des Lumières en France peut être présenté comme une de ses répliques. Or il va mettre en cause l’idéal social, c'est-à-dire les valeurs communes qui prévalaient depuis le Moyen Âge, et influençaient l’organisation de la société. Cet idéal social, né avec la féodalité, était imprégné de christianisme. Ainsi la société était construite sur un plan divin en vue du salut éternel des hommes (3). Ce plan justifiait l’organisation de la société en trois ordres, ceux qui portaient les armes, ceux qui priaient et ceux qui travaillaient. La religion avait significativement compté dans la genèse de cette société, et elle y trouvait son compte. L’
Église, eu égard à sa mission, avait le monopole de l’instruction, ainsi que du secours aux malades et aux pauvres dans la société d’alors.

Au 18e siècle, la philosophie des Lumières enseigne que le but de la société est le bonheur terrestre, et que le salut éternel est une affaire personnelle. À partir de cette évolution de l’idéal social, qui va imprégner progressivement l’Europe entière, l’ancienne société française va évoluer brusquement vers une refondation de son organisation politique en 1789, à laquelle on va donner justement le nom de Révolution. Puis vont suivre une série événements politiques menant vers un bain de sang, tout particulièrement en Vendée.

Mais ceci est en réalité une autre histoire. Les liens entre l’action des hommes et leurs propres idées sont tellement complexes dans le domaine de la vie privée ! Dans celui de la politique, qui est l’exercice du pouvoir sur autrui, cette complexité peut encore mieux se développer. Pas plus qu’on ne saurait reprocher à un bon catholique de croire en dieu, au motif qu’il commet des péchés, même les pires, on ne saurait s’étonner qu’un adepte des philosophes des Lumières se transforme en tyran.


(1) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier, inventaire après-décès de Louis Corbier du 8 au 13-2-1762 : 3E 30/3.
(2) Roger Chartier, Les pratiques de l’écrit, dans « L’histoire de la vie privée de la Renaissance aux Lumières », dirigée par R. Chartier, Seuil, 1986, page 129. 
(3) M. A. Corvisier, La société française au 18e siècle, Université de Nantes, (1970).


Emmanuel François, tous droits réservés
Mars 2013, complété en août 2020

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