jeudi 3 juin 2010

Le premier maire de Saint-André-Goule-d’Oie, Jean Bordron (1790)


Le premier maire de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie est Jean Bordron.


Création de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie


C’est la loi du 14 décembre 1789 qui a créé la commune en France. Cette nouvelle entité remplace la paroisse de l’ancien régime, dans son rôle d'institution politique. Elle servait aussi de circonscription fiscale pour répartir certains impôts, et son curé remplissait un rôle administratif dont le plus connu est le registre paroissial, qui ne s’appelait pas encore l’état-civil. C’était aussi une entité politique comme en témoigne les assemblés d’habitants.

Nous avons publié deux articles en janvier et septembre 2013 qui montrent la réalité de la vie collective des habitants de Saint-André-Goule-d’Oie, avec ses représentants, le syndic pour les affaires civiles et le fabriqueur pour les affaires religieuses. Dans les villes comme Luçon, les Sables, Fontenay, cette vie collective était prise en compte par les corps municipaux avec des maires et des échevins.

Une réforme de 1787 avait prévu de nouvelles assemblées élues pour les paroisses. Dans le projet initial, ces assemblées étaient composées de représentants des propriétaires. On faisait disparaître la notion d’ordre. Puis dans le projet définitif, les ordres réapparurent mais l’on avait prévu que les représentants du tiers-état seraient doublés, ce qui en faisait, au niveau des voix, l’égal du clergé et de la noblesse. Cette réforme commença à entrer en vigueur mais les soubresauts qui précédèrent la Révolution ont eu pour effet de suspendre son application jusqu’à fin 1788. L’assemblée constituante reprit la réforme.

Avec la nouvelle loi, « Les corps municipaux auront deux espèces de fonctions à remplir ; les unes propres au pouvoir municipal ; les autres propres à l’administration générale de l’État et déléguées par elles aux municipalités ». Dans ce dernier registre, il faut ranger la tenue de l’état-civil.

Les membres du conseil général (on ne dit pas municipal à cette époque) de la commune et le maire sont élus pour 2 ans. A partir du 1e février 1790, chaque commune de France doit organiser les premières élections de la Révolution. La mise en place de ces nouvelles structures fut parfois longue et difficile.
 
Seuls, les citoyens actifs de chaque commune participaient aux élections dans des assemblées. Cette notion désigne les hommes qui, âgés de plus de 25 ans et n’étant pas en situation de banqueroute, ont le droit de voter au suffrage censitaire. Pour être électeur, il faut payer un cens ou impôt direct au moins égal à trois journées de travail (soit environ 3 livres). Pour être candidat, il faut payer un impôt au moins équivalent à dix journées de travail. (Une statistique nationale publiée le 27 mai 1791 évalue le nombre de citoyens actifs à 4 298 360. Soit 61 % de la population mâle âgée de plus de 25 ans.) Il faut rappeler qu’à cette époque on ne pensa pas à donner le statut d’électeur aux femmes.

Les membres du conseil étaient divisés en deux échelons : les notables, dont le nombre variait de 6 à 42 suivant la population de la commune, et les officiers (ou conseillers) municipaux, au nombre de 3 à 21. Ces officiers composaient le corps municipal, élément actif et permanent du conseil général de la commune. L’agent municipal (ou maire) était, en principe, élu pour deux ans et il ne pouvait être réélu qu’après une attente de deux ans. Il existait aussi un procureur de la commune, élu dans les mêmes conditions que le maire, chargé de requérir l’exécution des lois. Le corps municipal pouvait siéger en tribunal de simple police : dans ce cas, le procureur syndic remplissait les fonctions d’accusateur public. Il avait, par ailleurs, voix consultative dans toutes les affaires.

Les recherches historiques ont montré qu’il était illusoire de parler, dans la pratique, de suffrage universel masculin ; les pratiques électorales font plus penser à un « suffrage élargi » qu’à un « suffrage universel ». On sait ainsi que la Convention a été élue en septembre 1792 par moins de 800 000 citoyens et que le suffrage à deux degrés, maintenu pendant toute la période révolutionnaire, a favorisé la représentation des notables et a permis d’amortir, sur le plan législatif, les aléas de l’expression populaire. Les modalités d’élections étaient variables. Elles allaient du vote recueilli oralement en assemblée, par assis-debout ou par acclamation, au vote par écrit, sur bulletin, qui n’a constitué, pendant la décennie révolutionnaire, qu’une méthode parmi d’autres.


Les premiers élus


Goupilleau de Montaigu, député 
Dans la recherche de documents sur l’élection de Jean Bordron, on n’a rien trouvé. Mais on sait qu’il a dû être élu en 1790, année où a été installée la première municipalité à Saint-André-Goule-d’Oie. L'érudit Dugast-Matifeux, dans sa documentation sur l’Origine et débuts de l'insurrection vendéenne, nomme le maire Jean Bordron à la date du 30 mai 1790 (1).

On le sait aussi par deux lettres de Goupilleau, procureur-syndic du district de Montaigu. Dans la première, datée du 3 novembre 1790, il fait rapport à ses collègues du district en réponse à une lettre du 3 septembre précédent de la municipalité de Saint-André qui « a demandé que les biens dépendants de la cure ne soient pas vendus » (2). Nous ne connaissons pas la deuxième, adressée au prieur de Saint-André, mais nous avons la réponse de ce dernier daté du 24 décembre 1790 (3).  

On sait qu’à Saint-Fulgent Claude Joseph Frappier a été maire en 1790-1791 et qu’il a été remplacé par Louis Chateigner (notaire), lequel était maire depuis novembre 1792.

On trouve 4 autres personnes membres de la première municipalité  de Saint-André-Goule-d’Oie en 1790 (4) :
-       Le procureur est Jacques Guesdon, propriétaire, très probablement celui qui sera le maire en 1793, et qui habitait au Plessis-le-Tiers.

-      Jean Fluzeau (1732-1802), marchand à la Brossière. Il avait été élu syndic de la paroisse en 1784. Il était un cousin de François Fluzeau (1750-1820), habitant lui aussi à la Brossière, qu’on trouve ci-après comme électeur du canton de Saint-Fulgent et capitaine dans la garde nationale.

-        Jean Rochereau (1747-1805), marié à Marie Loizeau, propriétaire au Coudray. Louis Loizeau, le frère de Marie, avait été fabriqueur de la paroisse à la suite du père de Jean Bordron. Son fils Pierre devint maire de Saint-André en 1834.

-   Louis Charpentier (1761-1815), propriétaire au Clouin. Il resta un homme considéré, les propriétaires des Landes du Pin firent appel à lui pour réaliser entre eux à l’amiable en 1808 un gaulaiement (calcul de répartition d’une rente due collectivement). Un de ses fils, Augustin, devint maire de Saint-André en 1848.

La commune de Saint-André-Goule-d’Oie eut sa garde nationale, et elle est citée au rassemblement de la fédération des gardes nationales rassemblant 18 communes à l’Oie (au Fougeré) le 30 mai 1790. Cette présence mériterait une vérification, si c’est possible. Son commandant était Jean Aimé de Vaugiraud, l’ancien officier de marine venu habiter le bourg de Saint-André. Un nommé Bordron était major et François Fluzeau (cousin de Jean) avait le grade de capitaine (4). Le colonel était M. de Lespinay de Beaumont, de Chantonnay. Les rassemblements avaient pour but de manifester l’attachement à la patrie. Ils devaient aboutir à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, à l’origine de notre fête nationale comme chacun sait.

Les deux tableaux trouvés des électeurs de la Vendée en 1790 et 1792 pour le canton de Saint-Fulgent se situent à un autre niveau. Les assemblées primaires des citoyens actifs des cantons ont désigné leurs électeurs, neuf pour le canton de Saint-Fulgent. Ceux-ci se sont réunit ensuite au chef-lieu du département à Fontenay-le-Comte pour élire les députés, les juges, l’évêque et les membres de l’administration départementale. Dommage aussi de ne pas pouvoir disposer des procès-verbaux des réunions des assemblées primaires cantonales. Nous avons relevé les noms des neuf électeurs du canton de Saint-Fulgent :

Année 1790 :
Charles de Lespinay, capitaine de cavalerie, Linières
Pierre Charles Marie Gourraud, avocat, Chavagnes
Lazare Rechin, chirurgien, Chavagnes
Louis Chateigner, notaire royal, St Fulgent
Pierre Augustin Garnaud, huissier, St Fulgent
François Fluzeau, marchand, la Brossière
Charles Marot, notaire à Bazoges
Alexis Fumolleau, fermier
Mathurin Forestier

Année 1792 :
Louis Merlet, marchand St Fulgent
Benjamin Martineau, médecin, St Fulgent
Mathurin Chauvet, tailleur de pierres, Bazoges
Pierre Garnaud, huissier à St Fulgent
Simon Guyet, maître de poste, St Fulgent
Jean Baptiste Baudry, curé assermenté de St Fulgent
Augustin Querqui, propriétaire à Chauché
Jean Boisson bordier (a) au Cormier de Chavagnes
François Girault, maire de Bazoges

(a) Les bordiers d’avant la Révolution étaient des propriétaires de petites exploitations agricoles. On les désigne progressivement de propriétaires, et grâce aux progrès techniques, ils n’auront plus besoin de compléments de ressources par un métier artisanal dans la deuxième moitié du 19e siècle (Amblard de Guerry).

Le renouvellement des élus a été important en 1792 :
   -  un seul des élus de la paroisse de Saint-Fulgent est renouvelé : Garnaud (originaire de la Boutarlière).
   - quatre républicains engagés de Saint-Fulgent apparaissent déjà en 1792 : Martineau, qui logera à la fin de la décennie à Linières et son beau-père Simon Guyet, le père du châtelain de Linières qui épousera Mme de Lespinay. Merlet, a été élu capitaine chez les gardes nationales et sera fait prisonnier par les Vendéens, en même temps que le curé « intrus », J. B. Baudry. Chauvet de Bazoges, comme son frère François de la Ménardière de Chavagnes, était républicain.
   - Querqui et Boisson sont du côté royaliste. L’opinion de Garnaud nous est inconnue. A cause de son rôle lors de la prestation du curé de Saint-Fulgent en février 1791, on le soupçonne de pencher du côté républicain à l’époque. Girard est républicain.

À noter que pour l’année 1790 il y a 478 électeurs pour tout le département de la Vendée et 435 en 1792. En 1792, ils ont élu Joseph Fayau de Rocheservière et Philippe Goupillon de Montaigu, deux républicains extrémistes qui voteront pour les mesures répressives en Vendée.

La loi du 20 septembre 1792 (an I de la République), ôte aux curés le soin de tenir les registres et crée notre état-civil moderne en le confiant aux officiers d'état-civil à compter du 1e janvier 1793. Or, avant cette date, on trouve la signature du maire de Saint-André-Goule-d’Oie, pour la première fois en juillet 1792, dans le registre paroissial du prieur Allain, reprenant les mêmes formules de rédaction que le curé. Il signe : « Bordron, maire de Saint-André ». Il ne baptise pas bien sûr, ni ne préside aux enterrements. Il ne fait que signer des actes rédigés par une plume inconnue, qui n’est pas celle du prieur apparemment. Bref, il rend service au prêtre réfractaire et aussi à sa communauté. De même, à la fin de l’année 1792, le prieur ajoute sur le registre des actes réalisés en son absence, par le curé de La Rabatelière. Le maire paraît suivre à distance l'activité baptismale du curé avec lequel il ne doit pas avoir de contacts aisés, sinon, ses « baptêmes » seraient dans l'ordre. Sans doute a-t-il temporisé, ne dénonçant pas le curé insermenté aux autorités. À cette époque, ayant refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé, le prieur Allain était recherché et aurait dû, comme plus d’une centaine d’autres prêtres vendéens, être déporté en octobre 1792.

En cette fin d’année 1792 prend fin le mandat de maire de Jean Bordron. Il n’est pas renouvelable selon la loi.

Les premières délibérations de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie, auxquelles nous avons accès, ne commencent qu’en mai 1867. Quant au registre des arrêtés du maire de la commune, il est ouvert en 1838 mais le premier arrêté date de novembre 1873 dans les archives conservées, que nous savons incomplètes sur ce point. Nous ne pouvons connaître les initiatives de Jean Bordron en conséquence que par incidence, comme sur le problème religieux ainsi que nous l’avons vu.

On découvre aussi dans une lettre du régisseur du château de La Rabatelière le 21 février 1791, qu’en ce début d’année un nouvel impôt occupait les maires de la contrée. Il s’agissait de la contribution foncière, créée par la loi du 23 novembre 1790. Elle pesait sur les revenus des propriétés foncières. En Vendée il n’y avait pas de cadastre à l’époque, et les initiatives parisiennes pour sa création mirent beaucoup de temps pour arriver jusqu’à Saint-André-Goule-d’Oie. En attendant il fallait quand même établir des matrices d’impôts fixant les valeurs des propriétés.

Le régisseur écrit au propriétaire à Nantes : « J’allai samedi à La Rabatelière où le maire de Chauché vint me trouver, ainsi que ceux de Saint-André-Goule-d’Oie et de Chavagnes, pour me demander l’état des domaines que vous possédez dans leurs paroisses. » (5). On en était au début de l’établissement des matrices, demandé aux maires, faute d’une administration fiscale.

Chaque propriétaire était tenu de faire une déclaration au secrétariat des municipalités, mais plus de la moitié d’entre eux ne sachant ni lire ni écrire à Saint-André, on imagine le travail du maire !

Par ailleurs, l’impôt foncier devait remplacer la taille royale et les redevances seigneuriales, sauf que celles-ci ont été payées encore jusqu’en décembre 1792. On devine que le sujet ne dû pas être très populaire, mais nous ne disposons pas de documentation sur ce point malheureusement.

Jean Bordron, l’homme privé et sa famille


Jean Bordron est facile à repérer, car il a signé des actes dans le registre paroissial en tant que maire, et sa signature se retrouve aussi dans des actes concernant sa vie privée. Nous pouvons donc le situer dans son propre état-civil et dans sa propre famille.

Currier et Ives : maréchal-ferrant
Jean Bordron est né au bourg de Saont-André le 23 juin 1748, où il est l’avant-dernier d’une famille de huit enfants. Il est devenu serrurier comme son père et son grand-père. Le curé le désigne parfois dans le registre paroissial comme maréchal ou serrurier, ou maréchal-taillandier, pour d’autres membres de la famille. Le métier de maréchal, indiqué par le curé, est toujours sous-entendu ferrant (les chevaux). Il « embattait » (encerclait) les roues des charrettes, ferrait les chevaux et pratiquait la « bouterie » (art vétérinaire, donnant des médicaments aux chevaux et au bétail, leur pratiquant aussi la saignée). Le métier de maréchal-taillandier consiste à fabriquer des outils à tailler, à couper (haches, bêches, faux, faucilles, serpettes). Le métier de maréchal-serrurier consiste à fabriquer des crochets, fermetures, support de gonds, anneaux etc. Plus généralement ces métiers travaillent le métal dans une forge, suivant plusieurs spécialités. Les produits qui en sortent sont diversifiés pour répondre aux besoins locaux. Faute d’industrie, ces instruments de travail sont alors des produits de l’artisanat. Et l’importance de l’artisanat de l’époque (bourrelier, sabotier, tonnelier, cordonnier, chaisier, maçon, etc.) assure des débouchés importants pour le forgeron entreprenant. Dans les comptes du château de la Rabatelière on voit le serrurier de La Rabatelière travailler pour le château en 1765. Mais pour fabriquer en 1762 une clef à la serrure du grand cellier et raccommoder la serrure de la chambre de la chaufferie on fit appel à Jean Bordron, ce qui montre sa bonne réputation professionnelle (6).

Son père, qui s’appelait Jean François (1716-1790) et qui était aussi maréchal, avait été fabriqueur de la paroisse de 1764 à 1784. Il est peu connu des minutes des notaires de Saint-Fulgent. On le voit seulement autoriseren, tant que tuteur de ses neveux, un renouvellement de ferme le 3 juillet 1764 d’une métairie à Villeneuve (Chauché), à prix d’argent pour 140 livres (7). En 1766 il  transforme en prêt la somme de 103 livres 4 sols que lui doivent Mathurin Counil journalier et Mathurine Soulard sa femme, demeurant au bourg de Sainte-Florence (8). Si ce n’était sa signature, on aurait du mal à le distinguer de son fils, les notaires les appelant tous deux Jean Bordron.

En 1773 Jean François Bordron et son fils Jean Bordron vivent et travaillent en communauté dans leur forge du bourg de Saint-André. C’est ce qu’on voit lors d’un achat par arrentement le 28 juillet 1773 d’une borderie à la Pertellière (Essarts), à Jacques Seguin maréchal taillandier et Anne Orré son épouse, demeurant à la Morinière (Chavagnes). Jean Bordron fils est qualifié de maréchal taillandier et il s’engage à payer une rente foncière, annuelle et perpétuelle est de 40 livres, nette de 20e, 10e et sol pour livre (impôts royaux). Il a aussi payé en plus un pot de vin de 300 livres. Son père Jean François Bordron a déclaré pour lui et sa femme Renée Auvinet ne rien prétendre au domaine arrenté par son fils, et que le pot de vin payé l’a été des deniers de son fils et de Marie Pouzet son épouse, et non de ceux de la communauté d’entre lui, son fils et leurs épouses (9). La valeur de la borderie achetée est de 1180 livres.

Le fils Jean Bordron, qui deviendra maire, est mieux connu des notaires de Saint-Fulgent. Il est actif pour acheter des biens fonciers. Il achète le 2 mai 1773 un peu de terre et jardin à Sainte-Florence-de-l’Herbergement-Ydreau (0,9 ha) pour le prix de 129 livres, à Louis Chaillou, journalier demeurant au village de la Vrignais de Sainte-Florence. Le vendeur en garde néanmoins l’usufruit jusqu’à son décès. Le prix moyen est de 17,7 £/boisselée (10).

Jean Bordron s’était marié en 1770 avec Marie Pouzet (1746-1806), fille de Jean Pouzet et Françoise Regrenil, propriétaires à Sainte-Florence. Ils auront au moins quatre enfants. Trois ans après son mariage avec Marie Pouzet, Jean Bordron fils loue en 1773 avec les autres héritiers frères et sœurs de sa femme, une borderie au Purzeau (Essarts) pour 100 livres (11). La même Marie Pouzet hérite lors d’un partage en 1777, de son grand-père maternel Mathurin Regrenil. Son lot, en indivision avec ses frères et sœurs, est la moitié de la borderie de l’Hopitaud, et de deux morceaux de vigne. Les deux frères, Jean et Louis Pouzet sont maréchaux, demeurant au Bois Bernier à Sainte-Florence (12).

Jean Bordron fils a aussi acheté le 31 décembre 1777 le quart dans une petite maison dans le bourg de Saint-André à Pierre Huvelin, bordier demeurant dans ce bourg. Le prix modeste est de 30 livres et les certes et obéissances sont dues au seigneur de la Boutarlière (13). En homme d’affaires, il sous-afferme le 2 janvier 1778 la métairie du bourg de Saint-André à moitié fruits et à droit de colonage partiaire, pour 5 ans (1775-1780), à Pierre Guesdon et ceux de sa communauté. La métairie appartenait à Marie-Bénigne Chiton, représentée par son deuxième mari, Louis Auguste Pascault de Villars de Pauléon (14). À ce dernier il affermait aussi la métairie des Bouligneaux à Saint-Martin-des-Noyers.

Enfin il achète le 6 novembre 1783 le champ du Fief du Moulin (1 boisselée 58 gaulées) près des moulins à vent de la Bourolière, plus le champ des Echardettes (2 boisselées) au tènement de la Boninière, pour le prix de 320 livres payé comptant. Le vendeur est André Millasseau, bordier demeurant à la Bourolière. Sur le champ des Echardettes, le propriétaire doit payer la dîme au prieur de Saint-André, et faire les certes et obéissances au seigneur de la Jaumarière (Eusèbe de Vaugiraud). À noter le prix anormalement élevé qu’on ne s’explique pas (15).

Linières (conciergerie)
Il est intéressant de situer Jean Bordron fils dans ses relations familiales. Sa sœur, Marie Bordron (1744-1808), s’est mariée en 1761 avec Jean Herbreteau (né en 1745), et elle viendra habiter avec lui à Linières où il était métayer avec son frère Mathurin. À l’époque, le lieu désigne uniquement le logis et ses dépendances attenantes pour le fermier et les domestiques. Les bâtiments de la ferme, située à quelques centaines de mètres plus à l’ouest du château, n’existe pas encore. Ils ont été créés avec la construction du dernier château en 1870, pour éloigner les installations agricoles. Jean Herbreteau est le fils de Jean (1708-1772) et de Marie Rondeau (1724-1752), habitant Linières.

Jean Bordron a un autre frère, Pierre Bordron (né en 1745), de trois ans plus âgé que lui, qui s’est marié en 1769 avec Marie Madeleine Fluzeau (1747-1803). Celle-ci est la fille de François Fluzeau (1696-1756), demeurant à la Brossière, et de Jeanne Micheneau (1714-1771). Un petit-cousin de François Fluzeau, qu’on appelait communément aussi François Fluzeau (1763-1824), lui succédera dans les années 1797 dans le rôle « d’agent communal » de Saint-André. Dans le tableau plus haut des électeurs cantonaux en 1790, ce dernier est indiqué comme marchand demeurant à la Brossière. Nous trouvons ce François Fluzeau comme témoin au mariage de sa cousine avec Pierre Bordron le 23 mars 1769, aux côtés des châtelains de Linières. Il sera capitaine dans les armées vendéennes.

Jean Bordron père, qui a été tuteur des enfants de son frère, Jacques, mort prématurément, a marié sa nièce Marie Bordron le 2 juin 1767 à Saint-André (vue 250), avec Jacques Cailleteau, fils et frère des fermiers de Languiller. Un des neveux de Marie Bordron, Jean Marie Cailleteau, deviendra maire de Chauché de tendance républicaine. Une de ses nièces, Marie Adélaïde Cailleteau, épousera un officier de Charette, Pierre Rezeau (nommé chef de la division de Montaigu fin 1793). Et un des beaux-frères de sa nièce, François Bossard, sera élu avec l’appui des Bordron de Saint-André (fils et petit-fils), président de la municipalité cantonale de Saint-Fulgent en 1799, nécessairement dans le camp républicain.

Jean Bordron, premier maire de la commune, en participant à cette élection de mars 1799, se rangea de plus dans le camp minoritaire de Benjamin Martineau parmi les républicains, qui sorti victorieux de l’élection en organisant un coup de force à l’aide des gendarmes, signe clairement un engagement politique républicain. Or il est toujours en vie au sortir de la guerre de Vendée, ce qui est le signe d’une conduite pondérée de sa part. Et son fils, comme agent communal, donna lui aussi des signes de comportement respectueux des convictions de ses concitoyens. Il refusa d’abattre des croix et laissa se dérouler les prières dominicales dans l’église paroissiale. Malgré le peu de faits à notre disposition, on peut quand même observer que Jean Bordron joua le jeu de la Révolution de 1789, non sans discussion, et lui resta apparemment fidèle malgré tous les excès qui suivirent. Ce profil politique parait rare pour l’époque, mais n’est pas impossible pour un homme soustrait aux actions de la commune de Paris et aux foyers de propagande en province. On voit ainsi que les notables de Saint-André, après avoir adhéré aux réformes de la Révolution, se sont ensuite divisés en deux camps, les uns demeurant fidèle aux réformes de 1789, les autres s’engageant dans la contre-révolution et les combats de la guerre de Vendée. On n’a pas d’éléments pour évaluer le poids de chaque camp, mais il est probable que celui des républicains fut minoritaire.  

La famille Bordron était considérée dans le bourg de Saint-André. En 1666 déjà, y vivait un François Borderon, serrurier, très probablement faisant partie de la même généalogie (16). Le père du maire, Jean François Bordron (1716-1790) s’est marié en 1740 avec Renée Auvinet. Son grand-père, François Bordron (1682-1739), s’est marié avec Marie Daniet. Et si son père avait été fabriqueur de la paroisse, lui-même en était le syndic en 1787, fonction transformée en celle de maire par la nouvelle législation des communes. D’une certaine manière, Jean Bordron s’est succédé à lui-même (17).

Son fils, Jean Bordron, deviendra agent communal d’André Goule d’Oie (nom révolutionnaire) en 1798, à l’âge de 26 ans, en remplacement de son cousin éloigné, François Fluzeau. Cette année-là, les autorités dites républicaines ne voulurent pas organiser des élections, et c’est le chef de la municipalité du canton, Louis Merlet, qui le nommera à cette fonction. Il parait faire partie du petit clan des révolutionnaires de Saint-Fulgent, et acheta la métairie du Coin et la borderie du Peux, confisquées comme bien national au général vendéen Royrand de l’armée du Centre.

Le premier maire Jean Bordron est mort le 22 mai 1813.


(1) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 109-4, premières municipalités.
(2) Archives de Vendée, Fichier historique du diocèse de Luçon, Saint-André-Goule-d’Oie : 1 Num 47/404.
(3) Médiathèque de la ville de Nantes, Fonds Dugast-Matifeux : I, volume 25, no 1, lettre du prieur Allain de St André Goule d’Oie à Goupilleau du 24 décembre 1790.
(4) Archives du diocèse de Luçon, bibliothèque, P. Molé, François Cougnon un capitaine de paroisse dans la guerre de Vendée (mémoire de maîtrise, Paris IV Sorbonne), 1990, page 66 et s.
(5) Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé boisson : 7 Z 64, les Montaudouin, lettre de Frappier à René Thomas Montaudouin du 21-2-1791.
(6) Livre des comptes de la Rabatelière (1755-1767) et titres de propriété, Archives de Vendée, chartrier de la Rabatelière : 150 J/K 6, page 129. 
(7) Ferme du 3-7-1764 d’une métairie à Villeneuve par Bordron, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/118.
(8) Arrentement du 19-11-1766 de 103 £ appartenant à Bordron, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/119.
(9) Arrentement du 28-7-1773 d’une borderie à la Pertellière par Bordron, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(10) Achat du 2-5-1773 de 7,3 boisselées à St Florence par Jean Bordron, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(11) Ferme du 23-1-1773 d’une borderie au Purzeau par Bordron et consorts, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(12) Partage de succession du 28-12-1777 entre les Regrenil, Bordron et Pouzet, tous héritiers de Mathurin Regrenil, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent,  Bellet : 3 E 30/126.
(13) Vente du 31-12-1777 d’1/4 de maison dans le bourg de St André par Bordron, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(14) Ferme du 2-1-1778, de la métairie du bourg de St André par Bordron, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/123.
(15) Achat du 6-11-1783, de 4 boisselées à la Bourolière par Bordron, Archives de la Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/124.
(16) Inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, page 115.
(17) Archives de Vendée, commune de Saint-André-Goule-d’Oie : 139 G 3 et 4, inventaire du 30-10-1787 des titres et papiers du prieuré et de la fabrique de Saint-André-Goule-d’Oie, page 6.

Emmanuel François, tous droits réservés
juin 2010, modifié en novembre 2023

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mardi 11 mai 2010

Les témoins de l’enterrement du régisseur de Linière en 1794


Page 107 de mon livre, Les châtelains de Linières à Saint-André-Goule-d’Oiel’acte d’enterrement en date du 2 février 1794, dans le registre clandestin du prieur Allain, de Jacques Mandin, régisseur « de la terre de Linière », comporte le nom de quelques témoins. Nous avons pu les retrouver en relisant de près le registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie. 

Sa femme s’appelait Françoise Robin, avec sans doute Marie comme autre prénom, celui noté lors de l’acte d’enterrement de son mari. Ils eurent une fille baptisée à Saint-Jean-Baptiste de Montaigu, Jeanne Françoise en 1766. Une autre fille, Henriette, est née au château du Pally à Chantonnay en 1768.  

Le recueil des informations sur les témoins de l’enterrement du régisseur nous permet de faire connaissance avec le personnel de la ferme de Linières en cette fin du XVIIIe siècle, à la veille de la Révolution française. Les témoins cités sont Jean Herbreteau, Pierre Herbreteau, Jacques Godard et Jean Bonnière.

Jean Herbreteau (métayer et voisin)


En 1794, il est métayer à la ferme « de la porte ». L’expression désigne la ferme attenante au château de Linières. Il est le fils de Jean et le neveu de Mathurin Herbreteau, tous deux vivant et travaillant à Linières dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Ces deux derniers étaient les enfants de André Herbreteau et de Anne Pavageau et ils se sont mariés avec deux filles Rondeau, dont les parents demeuraient aussi à Linières depuis longtemps. Nous savons maintenant qu’il y avait environ 90 ha de terres autour du logis de Linières, partagés pour l’exploitation agricole en deux métairies.

On note la sépulture de Jeanne Chacun le 13 octobre 1761, à l’âge de 75 ans environ, décédée « à la maison noble de Linière ». Elle était l’épouse de Jean Rondeau (1693-1753), lui-même fils de André Rondeau (1660-1720). Avec son mari elle avait eu au moins deux fils, André et François et deux filles, Renée et Marie.

André Rondeau avait un homonyme au village de la Brossière, peut-être celui qui a été désigné en 1796 par Mme de Lespinay pour évaluer le domaine de Linières en vue de son rachat (page 116 de mon livre), peut-être aussi le même qui a participé à une évaluation du presbytère de Saint-André en vue de sa vente en 1796 (1). C’est peut-être lui aussi qui avait été libéré de la prison de Fontenay, par jugement de la commission militaire le 12 décembre 1793, après avoir été accusé « d’avoir été avec les brigands ».

Sa fille Renée Rondeau s’est mariée le 5 juillet 1751 avec Mathurin Herbreteau. Ils vivront à Linières et donneront naissance à huit enfants entre 1752 et 1770. Dans les archives du notaire de Saint-Fulgent, on voit Mathurin Herbreteau acquérir la moitié en indivision d’une vigne à complant sur un espace, probablement celui appelé le « Maroc » plus tard, situé sur le territoire de Chauché. Bordant « le chemin qui conduit de Saint-André à Chauché ».On y trouvait aussi la vigne du seigneur de Linières et celle d’un nommé Mandin. Cette vigne vendue était divisée en cinq planches totalisant environ un hectare et demi, mais laissée à l’abandon. Or les vignes à complant étaient une concession du propriétaire du sol à un exploitant qui, lui, était propriétaire des pieds de vigne. Le propriétaire du sol percevait en contrepartie une partie des récoltes, dans notre cas 1/5. L’exploitant s’engageait à cultiver la vigne selon les façons fixées par la coutume, faute de quoi le propriétaire pouvait reprendre la vigne pour lui. Et on lit dans l’acte notarié que la vigne est en « inéluctable ruine, et que par cette raison il [vendeur] craignait que le seigneur s’en fut emparé ». Le seigneur est ici celui de Linières, propriétaire du sol. En conséquence, Mathurin Herbretau a acheté la vigne pour « une bouchée de pain » : 33 livres, comptant bien reprendre en main la culture laissée à l’abandon (2).

Il pratiquait aussi le commerce du bétail. Ainsi a-t-il vendu en 1781 deux paires de bœufs à un autre marchand laboureur comme lui, de Saint-Martin-Lars, pour 235 livres (3). Il a aussi donné en louage à moitié, appelé droit de cheptel de fer, 4 vaches aux fermiers Fonteneau (père et fils) de la Bourolière. Puis il les leur a vendues pour 120 livres en 1782 (4). Au-delà de ces exemples on a pu relever 9 baux de cheptel de bestiaux signés devant notaires par Mathurin Herbreteau, et plusieurs prêts d’argent à des particuliers. Les sommes sont modestes, mais situent l'intéressé dans la catégorie de ces métayers de grandes métairies qui pouvaient mettre de l’argent de côté et le placer chez des emprunteurs du voisinage. Son frère Jean Herbreteau a aussi fait des placements d’argent ou des baux de cheptel de bestiaux. Mais lui parait plus actif dans les actes notariés conservés. En ajoutant le commerce des bestiaux à l’exploitation d’une grande métairie, on se donnait les moyens financiers d’un véritable décollage social. L’étape d’après, à la génération suivante, consistait à donner une véritable instruction à ses enfants et à leur acheter un office.

L’ascension sociale de Mathurin Herbreteau et de ses enfants sombra malheureusement avec sa mort le 15 septembre 1793, « tué par les républicains pendant la guerre civile, à l’âge d’environ 65 ans », enterré au cimetière de Saint-André-Goule-d’Oie en présence de Mathurin et Jacques Herbreteau ses enfants » (5). Quittant Linières, il s’était installé vers 1787 comme métayer à la Morelière, dépendant du domaine de Linières.

Le frère de Mathurin, Jean Herbreteau, épousa à Saint-André le 2 juillet 1742 (vue 249) Marie Rondeau, probablement une sœur de l’épouse de son frère. Jean Herbreteau était comme son frère marchand laboureur, c’est-à-dire marchand de bestiaux, en plus de tenir la métairie « de la porte » de Linières. C’est le métier indiqué dans un acte d’arrentement en 1777 d’une portion de masure à la Ridolière et de 7 pièces de terre et pré aux alentours, à Marie Anne Verdon, veuve de Joseph Verdon, demeurant aux Essarts. Le montant de la rente foncière, annuelle et perpétuelle est de 20 £, plus à titre viager une rente annuelle se montant en nature à une bécasse et un lièvre. Ces biens sont louées à Trotin, cabaretier dans le bourg de Saint-André (6). Marie Rondeau mourra à l’âge de 28 ans environ, le 6 janvier 1752 (vue 95), après avoir donné naissance à au moins quatre enfants, dont un fils Jean Herbreteau né le 18-2-1745 à Linières.

Ce fils Jean Herbreteau, témoin à l’enterrement du régisseur en 1794, se mariera le 9 juin 1761 (vue 192) avec Marie Bordron, la fille d’un maréchal ferrant du bourg. Ce mariage témoigne qu’un fils de métayer d’une grande métairie appartenait au même milieu aisé que celui des gros artisans. Une tante Bordron avait d’ailleurs épousé un fils du fermier de Languiller à Chauché, une petite seigneurie avec 5 métairies. La jeune épouse viendra habiter Linières où elle aura 8 enfants nés entre 1762 et 1782. Parmi eux :
Jean, né le 2 mai 1762. Il deviendra prêtre et en 1791 on le note comme vicaire de Venansault, au moment du mariage de son frère Simon Pierre. Ses études au séminaire avaient été prises en charges par le châtelain de Linières.
Simon Pierre, né le 29 mars 1765, le gendre de Jacques Mandin. On le désigne souvent avec le seul prénom de Pierre.


Simon Pierre Herbreteau (gendre)


Pierre Herbreteau, fils de Jean et de Marie Bordron, exercera le même métier de maréchal taillandier que son grand-père maternel, Jean François Bordron (1716-1790), dans le bourg. Comme son oncle Jean Bordron, premier maire de Saint-André-Goule-d’Oie en 1791/1792, il sera élu conseiller municipal de la commune en 1800 et choisi par la préfecture pour être nommé maire la même année. Il participa à la guerre de Vendée jusqu’au bout, alors que son oncle s’était rangé du côté des républicains. Il continuera d’être nommé maire ensuite, en 1814, sous le régime de la restauration monarchique, jusqu’en 1825. Il mourra le 26 mai 1831, cinq mois avant sa femme. Voir notre article publié sur lui en août 2010 : Simon Pierre Herbreteau maire de 1800 à 1825.

Il épousera, le 23 août 1791, Henriette Mandin, la fille du domestique des châtelains, Jacques Mandin, régisseur au moment de son décès en 1794. Il est donc témoin de l’enterrement de son beau-père.

Sur son acte de mariage on reconnaît la signature des trois frères de Lespinay : Alexis, Charles et Armand, ainsi que celle de l’épouse de l’aîné, Pauline de Montault. Il est probable que l’accouchement de la vicomtesse de Linières, deux mois plus tard, explique l’absence de sa signature sur le registre paroissial. Henriette était née au château du Pally à Chantonnay chez les parents de Lespinay, Alexis Samuel et sa femme, Félicité Cicoteau.

À la naissance de sa fille, prénommée Henriette elle aussi, le 23 juin 1793, le parrain est le frère du châtelain de Linière, Armand de Lespinay et la marraine est sa fille aînée, Henriette, âgée alors de 3,5 ans. Le châtelain était alors émigré.

Pierre Herbreteau aura au moins trois fils, tous maréchal : Pierre, né en 1795 qui s’établira dans le bourg de Bazoges-en-Paillers, Alexis, né 1797 qui s’établira au bourg de Saint-André, et Louis, né en 1800, qui s’établira au bourg de Saint-André lui aussi.

À noter que sur les registres paroissiaux l’orthographe varie selon les curés. On trouve ainsi Bordron ou Borderon. De même on trouve Arbreteau, Herbretaud et Herbreteau.

Jacques Godard (métayer et voisin)


Jacques Godard est né à la Mauvelonière le 22-8-1762. Il est le fils de Pierre Godard et de Marie Loiseau, mariés le 10-2-1752.

On trouve plusieurs fois ce Jacques Godard à Villeneuve. En particulier à l’enterrement de sa fille Marie, âgée de 3,5 ans le 23-8-1793, où il est indiqué comme laboureur à Villeneuve. Sur le registre du curé il est noté tantôt laboureur, tantôt métayer.

On relève aussi dans le premier registre paroissial clandestin, comme présent à la sépulture de Françoise Brillouet le 1-5-1793, veuve de Nicolas Boudault, et habitant Villeneuve.

Jean Bonnière (charpentier)


Jean Bonnière est le fils de Jean Bonnière et d'Anne Sionneau, de la paroisse de Chauché. Charpentier de son état, il s’est marié le 19 juin 1782 avec Jeanne Micheleau, fille de René Micheleau, tailleur d’habit, et de Catherine Huvelin, de la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie.


(1) Archives de Vendée, vente des biens nationaux, maison curiale de Saint-André-Goule-d’Oie le 11 thermidor an 4 : 1 Q 240 no 261.
(2) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/9, acquêt de vigne à complant à Linière de Mathurin Herbreteau à Cauneau le 5-9-1781.
(3) Archives de Vendée, notaire du canton des Herbiers, Jean Chaigneau : 3 E 020 065, reconnaissance de dette au profit de Mathurin Herbreteau du 30 août 1781, vue 446/628.
(4) Archives de Vendée, notaire de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/10, vente de 4 vaches de M. Herbreteau à Fonteneau le 17-7-1782.
(5) Archives de Vendée, registre d’état-civil de Saint-André-Goule-d’Oie, 2e registre clandestin, enterrement de Mathurin Herbreteau le 15-9-1793 (vue 15/19).
(6) Archives de Vendée, minutier ancien des notaires des Essarts, étude (A), Louis-Marie Landais, 3 E 13 1-7, accessible par internet vue 7 et 8/66.

Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2010, modifié en mars 2024

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samedi 3 avril 2010

les premiers seigneurs de Linières, les Drouelin

Le recoupement des diverses sources, ainsi que leur augmentation, nous permet de revenir sur les premiers seigneurs connus de Linières, anciennement Drollinière. Nous reprenons ici notre article d’avril 2010. Ces premiers seigneurs s’appelaient Drouelin, aussi écrit Droslin, Droulin, Droelin. On sait que l’orthographe s’est fixée bien après la période du Moyen âge dans les écrits de nos ancêtres.

Les membres de cette famille, on le sait, ont été seigneurs de Saint-Fulgent, Linières et la Boutarlière, ces deux derniers fiefs situés à Chauché, et probablement la Merlatière et la Jarry (Saligny). Ils possédaient aussi des domaines à la Barotière et la seigneurie de Badvielle ou Badiole à Beaurepaire. On se rappelle aussi que les Drouelin donnèrent leur nom au fief de la Drollinière, nom qui fut simplifié dans les années 1630 en Linière, par le propriétaire d’alors, un nommé Legras qui usurpait le titre de baron (Voir notre article de juin 2011 : Le faux baron de Linières).

Les premiers Drouelin


Le document le plus ancien connu de la famille Drouelin concerne Marie Drouelin. Il nous apprend que celle-ci fit don en 1238 à l’abbaye de Fontenay-le-Comte d’une rente de trois sous tournois sur la maison de Raoul de Gamaches à Lusignan. Il s’agit probablement de Raoul II de Lusignan, appartenant à une importante famille alliée au roi d’Angleterre, le comté d’Eu leur venant de Guillaume le conquérant (de Normandie), et aussi au roi de France par leur alliance avec les Capet de la branche dite de « Dreux ».

Aimery Drouelin est le premier seigneur connu de Saint-Fulgent. Il était seigneur de la Gatolière et de la Barotière. La Gatolière ou Gatelière à Saint-Fulgent porte encore les traces d’une maison de maître sur un espace un peu surélevé. Ce fut peut être vers 1280 le logis d’Aimery Droulin ou Drolin, seigneur de Saint-Fulgent (1).

Abbaye de la Grainetière
« De Monseigneur Aymeri Drolin, chevalier, 5 sols de rente ». C’est ce qu’on relève dans une reconnaissance des droits acquis de l’abbaye de la Grainetière (Ardelay) en mars 1291 par Renaud Barbou, bailli de Touraine, comme redevance due par le seigneur de Saint-Fulgent (2). Les textes où on lit qu’il serait décédé en 1282 paraissent en contradiction avec l’extrait que nous venons de lire. Mais peut-être y eu-t-il au moins deux Aimery Drouelin. On sait peu de choses sur lui, sinon qu’il serait né vers 1240, qu’il épousa une dame Agathe et qu’il eut au moins un fils appelé Maurice Drouelin. Cette histoire des Drouelin n’est pas facile à raconter. Les papiers de la famille ont disparu. Heureusement il y avait les moines de l’époque qui savaient lire et écrire, qui tenaient leurs comptes, et dont les archives ont été conservées. C’est le cas à l’abbaye de la Grainetière. Les nobles des environs les pourvoyaient de dons, souvent sous forme de rentes, et c’est comme cela que nous découvrons l’existence la plus ancienne des Drouelin, de manière bien parcellaire. L’abbaye de la Grainetière a été créée vers 1130 par l’abbaye de Fontdouce (commune de Saint-Bris-des-Bois en Charente-Maritime) avec l’appui du seigneur local, Gilbert de la Chaize, qui aurait offert pour sa construction un emplacement dans la forêt de Vendrennes.

Aimery Drouelin, seigneur de Saint-Fulgent, fit un don à la Grainetière en 1293 de deux setiers de seigle sur la Gatolière (3). Les archives de l’abbaye de la Grainetière font état d’un autre don le 4 février 1294. Cette famille de seigneurs de Saint-Fulgent a fondé la Drollinière de Chauché, ainsi que la Boutarlière, mais aussi vraisemblablement la Drolinière de Chavagnes-en-Paillers. Celle-ci relevait de la Guichardière (4). 

Après Aimery Drouelin, vint Maurice né vers 1270. En 1282 il est seigneur de la Drolinière (5). Maurice Drouelin eut plusieurs enfants, mais nous ne connaissons que son successeur le plus vraisemblable pour avoir été seigneur de Saint-Fulgent et de la Drolinière de Chauché, qui s’appelait aussi Maurice, né vers 1310 et décédé avant mai 1378 (6). En 1293, les textes évoquent aussi un Guillaume Drouelin, témoin à la Grainetière des dons d’Aimery Drouelin. Un autre Guillaume Drouelin, seigneur du Bois-Porchet (Beaurepaire), fit le 13 février 1374 un traité avec l’abbaye de la Grainetière relativement à une rente léguée à cette abbaye par feu Jean Drouelin son frère, pour y être inhumé. Ces deux seigneurs moururent sans postérité et leur nièce hérita de tous leurs biens (6). Nous ne connaissons pas le lien entre ces deux personnes et les autres membres de la famille Drouelin, seigneurs de la Drolinière, Saint-Fulgent et de la Boutarlière.

Aveu de Saint-Fulgent en 1343


Philippe VI
Maurice Drouelin, se qualifiant de valet (écuyer), fit un aveu au roi de France en 1343, seigneur en la châtellenie de Montaigu, de domaines à Saint-Fulgent, tenus de Montaigu à foi et hommage lige. Il devait son devoir de ligence à la demande de son suzerain. Le roi Philippe VI (roi de 1328 à 1350) est suzerain dans cet aveu, car il venait de confisquer tous les biens, dont Montaigu, de Jeanne de Belleville, bannie du royaume après l’exécution pour félonie en août 1343 de son mari, Olivier IV de Clisson. Celui-ci avait pris parti pour le clan des Montfort dans la succession du duché de Bretagne (mort du duc en 1341), à l’instigation du roi d’Angleterre, contre le clan des Blois-Châtillon soutenu par le roi de France, la guerre de Cent Ans ayant commencé en 1337. Dans ces circonstances on peut situer la date de l’aveu vers la fin de l’année 1343. La baronnie de Montaigu sera rendue au fils du supplicié, rallié au roi de France, après sa libération des Anglais grâce à Du Guesclin. Nous reprenons ici la transcription du texte de l’aveu par Amblard de Guerry (7), au lieu de son résumé par Maurice Maupillier.

Les domaines dénombrés dans l’aveu sont deux rentes et un droit de terrage : 22 sols et 8 deniers, 1 setier 3 boisseaux de froment et 4 chapons, et 4 setiers 64 boisseaux de seigle ou environ de terrage. Viennent ensuite les domaines tenus sous son hommage par plusieurs possesseurs :
-          D’abord son premier frère cadet, Jean Drouelin, qui tient sous son hommage en gariment (garantie) la métairie de la Véralie, affermée pour 8 setiers de blé environ. Aussi les landes de la Véralie dont il perçoit 10 sols en deniers et 1 setier et 3 boisseaux d’avoine. Aussi le Bois de la Véralie (12 boisselées), le Bois de la Tacrière (12 septerées environ de surface) et une garenne, lesquels ne sont pas assujettis au droit de rachat (à payer au suzerain en cas de mutation d’un bien noble).
-          Ensuite par hommage plain (simple) en gariment Morieneau de la Tacrière à 5 sols par an de service, dont le rachat est estimé à 60 sols ou environ à chaque mutation.
-        Par hommage plain Pierre Chevalereau pour ce qu’il tient à la Tacrière, à rachat et à cheval de service, dont le rachat est estimé 7 livres ou environ. La notion de cheval à service ici fait synonyme avec celle de rachat. 
-          Par hommage plain Perrez pour ce qu’il tient à la Courpière et à Levequere, à rachat et à cheval de service, dont le rachat est estimé 6 livres ou environ.
-       Par hommage plain Jean des Nouhes pour la moitié de la coutume (droit ou redevance) du terroir de Levequere qui peut valoir 2 setiers de blé ou environ (l’autre moitié appartient au déclarant Maurice Drouelin) qui vaut 1 setier de blé ou environ, et le quart des dîmes des bêtes qui valent 5 sols ou environ.
-        Par hommage plain messire Nicolas Chevalier, prêtre, à 6 deniers par an pour ce qu’il tient à la Valinère et à la Boucaucreysere de gaignées (terres labourables), gastes (terres non labourables) et prés journaux à 2 hommes ou environ, le tout occupant une surface de 15 septerées, dont le rachat est estimé 15 livres ou environ. Sur la Valinière il perçoit 100 sols et 4 chapons, et la coutume (redevance) sur la vigne des lieux. Sur la Boucaucreysere il perçoit 3 sols 2 deniers, une taille de 5 sols et la dîme des bêtes qui vaut 5 sols ou environ.
-        Par hommage plain Pierre Barreteau à 10 sols par an pour 3 mines (24 boisselées) de terre et un pré en journal à 1 homme,dont le rachat est estimé 30 sols ou environ à chaque mutation. 
-          Par hommage plain Jean Amoire pour 3 septerées de terre et un pré en journal à 2 hommes, situés à la Valinière, dont le rachat est estimé à 25 sols ou environ à chaque mutation.
-          Par hommage plain Jean Paupin pour 5 septerées de terre tant gaignée que gaste et un pré en journal à 1 homme, situées à la Courpière, dont le rachat est estimé à 25 sols ou environ à chaque mutation.
-       Enfin un nommé Leveque de Saint-Fulgent tient des domaines (blanc),dont le rachat est estimé 100 sols ou environ.
Tous ces domaines sont situés en la paroisse de Saint-Fulgent et valent à Maurice Drouelin le droit de haute basse et moyenne justice. Il en perçoit 40 sols par an, plus en setier de froment une valeur de 10 sols, en setier de seigle et d’avoine 8 sols chacun, dont le rachat est estimé à 12 livres ou environ à chaque mutation, sauf les bois et la garenne « qui ne courent pas en rachat ». Le texte se termine par : « Fait et donné sous mon sceau dont j’use en ma châtellenie de Saint-Fulgent le mardi empres (après) oculi (dimanche) mai l’an 1343 ».

Dans cet aveu on retient le nombre de terres concédées par hommage avec rachat, habituellement appelé fiefs : 10, et de petites dimensions. En ajoutant ceux relevant de Tiffauges, dont la quinzaine d’arrière-fiefs dépendant du Puy-Greffier (8), la paroisse de Saint-Fulgent comprenait ainsi de nombreux petits-fiefs, comme à Chavagnes, Chauché et Saint-André-Goule-d’Oie. Ces fiefs étant des terres nobles, on ne peut pas en déduire néanmoins qu’en 1343 leurs possesseurs étaient tous des nobles, le texte de l’aveu restant muet sur ce point. À Saint-André, on a observé des petits fiefs possédés par des roturiers, voire devenir plus tard terres censives. C’est que les malheurs, climatiques, sanitaires et militaires de la fin du Moyen Âge ont décimé la nombreuse petite noblesse de la contrée. 

Le partage de la Drollinière et de la Boutarlière en 1342


La Boutarlière (photo X. Aimé 
dans son livre sur l’histoire des lieux)
Le seigneur de Saint-Fulgent et de la Drollinière avait partagé l’héritage de ses parents en juillet 1342, et la Boutarlière revint à un frère cadet, Jean (9).  Le tènement voisin de la Gandouinière, situé à l'est de la Boutarlière, fit partie de sa mouvance, alors que celui situé au sud, la Charillière, fit partie de la mouvance de la Drollinière jusqu’à la Révolution (10). À partir de ce partage la Boutarlière releva de Linière sous l’hommage que cette dernière en faisait au baron des Essarts. Linière relevait directement de la baronnie des Essarts.

Les seigneurs de la Boutarlière, cousins de ceux de Saint-Fulgent et de la Drollinière, leurs voisins, vont ainsi continuer à porter le nom des Drouelin avec Jean, seigneur du lieu en 1391 et valet. Un valet était à l'origine un serviteur d’armes au service d’un guerrier, assimilable à un écuyer. Cette année-là il concéda à plusieurs particuliers diverses pièces de terres. C’est un autre Jean Drouelin, probablement fils du premier, qui rendit en 1458 un aveu à Jean Moreau, habitant du Bourg-sous-la-Roche et seigneur de la Gernigaudière aux Brouzils (11).

En 1488 Jean Drouelin reçu un aveu de Bertrand de Saint-Hilaire, seigneur du Retail, pour les Drillères de Boulogne à cause de la Boutarlière. En 1518, c’est Gilles de Saint-Hilaire qui rend l’aveu à René Drouelin, seigneur de la Boutarlière. Il s’agit probablement d’un fils ou d’un frère de Jean Drouelin. René Drouelin, écuyer, épousa Jeanne Fouqueraud (12).

Le fils de Jean Drouelin, Maurice, eut une fille Catherine née vers 1460, qui se maria vers 1490 avec Guyon Bonnevin, lui apportant la Boutarlière en dot. Et Louise Bonnevin, sa fille née vers 1490, se maria en 1519 avec Antoine Gazeau, né vers 1495. C’est celui-ci qui reçut l’aveu de Jacques de Saint-Hilaire en 1531 (13).

Maurice Drouelin seigneur de la Drolinière et de Saint-Fulgent eut au moins deux filles Marie et Jeanne. Marie se maria en 1350 avec Guillaume Baritaud, seigneur de la Baritaudière (Chantonnay) et de Thénies (Saint-Germain-de-Prinçay). Elle lui apporta la Drollinière en dot. Jeanne, née vers 1340 se maria en 1365 avec Jean Cathus, lui apportant la seigneurie de Saint-Fulgent en dot, ainsi que la Jarrie et la Merlatière. Celui-ci était fils de Jean Cathus seigneur du Bois (près de Beauvoir-sur-mer), né vers 1310. Ils eurent au moins une fille, Catherine, née vers 1370, dame de Saint-Fulgent et aussi vraisembleblement de la Jarrie et de la Merlatière. Elle épousa en 1380 Sylvestre de Rezay. Les Rezay sont venus s’installer à la Merlatière à une date non repérée, et G. de Raignac pense qu’ils sont venus à la possession de la Merlatière et Jarrie par ce mariage. Sa petite-fille épousa, François de Bessay, descendant par son père de Louis VI le Gros (14).

Jeanne Drouelin et son mari Jean Cathus furent condamnés aux Grandes Assises de Poitiers, tenues du 1e mars au 31 mai 1378, par Miles 1e de Thouars (1327-1378) à lui rendre foi et hommage ainsi que les autres devoirs dus aux seigneurs de Tiffauges par Maurice Drouelin, chevalier, seigneur de Saint-Fulgent, père de ladite Jeanne (15). La seigneurie de Tiffauges, alors suzeraine de la seigneurie de Saint-Fulgent, appartenait à la vicomté de Thouars dès le XIe siècle (16). Le territoire de la paroisse de Saint-Fulgent se partageait donc entre deux suzerains : Tiffauges et Montaigu, et les textes indiquaient les seigneuries de Saint-Fulgent.

En 1365 Guillaume Baritaud de la Baritaudière, à cause de sa femme Marie Drouelin, et Jean Cathus son beau-frère, à cause de sa femme Jeanne, traitent avec la Grainetière à propos d’une rente d’un septier de seigle qui était due aux moines en vertu d’un don du seigneur de Saint-Fulgent (17).

Histoire de l’indivision du Bois de la Vrignaie et du Bois Thibaud (1342-1779)


La Jarrie en 2018
Catherine Cathus, dame de Saint-Fulgent et fille de Jeanne Drouelin et de Jean Cathus, épousa en 1380 Sylvestre de Rezay, seigneur de la Merlatière, la Jarrie (Saligny) et la Raslière (Merlatière). Cette dernière maison posséda longtemps la seigneurie de Saint-Fulgent. Et en 1598, dans un aveu à Thouars, elle cite dans sa mouvance deux bois ayant autrefois appartenu aux Drouelin, et qui sont indivis avec le seigneur de la Drollinière. Le premier est « une pièce de bois taillis garnis d’arbriers de gros bois et de futaie appelée les Vrignais, contenant 50 arpents de bois ou environ, tenant d’une part au bois de la Boutarlière, aux landes communes, d’autre aux terres du village de Villeneuve ». Le deuxième est « une autre pièce de bois taillis garnis d’arbriers de gros bois de futaie appelé le Bois Thibaud, contenant 6 arpents de bois ou environ » (18). En 1779, l’indivision féodale a cessé au Bois Thibaud, comme en témoigne une déclaration roturière du 15 avril de cette année-là de 9 teneurs faite au seigneur de Linières uniquement (19). L’autre partie du Bois Thibaud, appartenait alors au seigneur de la Rabatelière, successeur de la Merlatière. Dans le texte de 1779 on lit que ce bois touchait le chemin qui conduisait de la Morelière à Languiller, à celui qui conduisait du Landreau aux Essarts. L’espace avait pour voisins le bois dit de la Rabatelière, les tènements du Landreau et de la Porcelière, et le fief de Linières. Il nous semble que les éoliennes qui sont apparues récemment, occupent au moins en partie cet espace oublié de la mémoire des hommes. En 1765, une partie de l’espace est en landes et bruyères. C’était le cas lors de la vente le 27 octobre 1765 d’une pièce de terre en landes et bruyères située aux landes du Bois Thibaud (Chauché), contenant 4 boisselées. La boisselée de landes est vendue 3 livres, soit 4 à 5 fois moins que le prix d’une boisselée de terre labourable. Et l’acte met à la charge de l’acquéreur l’obligation « d’en faire les certes et obéissances au seigneur de Linières dont elle est roturièrement relevante et mouvante » (20).

Les liens féodaux dans la contrée au Moyen Âge


Cette histoire des Drouelin possède une portée intéressante. Que la même famille des seigneurs de Saint-Fulgent, se trouvant dans la mouvance du baron de Tiffauges et du seigneur de Montaigu, ait fondé un petit fief à la Drollinière, sur les terres du baron des Essarts, est un signe de bon voisinage apparemment. D’autant que ses membres viendront à la Boutarlière, toujours sur les terres des Essarts. Nous sommes probablement alors aux 12e et 13e siècles pour faire ce constat, époque également de la création des paroisses de Saint-André-Goule-d’Oie, Chavagnes-en-Paillers et Chauché. Saint-Fulgent et les Essarts existaient déjà, ainsi que la Chapelle de Chauché probablement. Ce fut une époque de prospérité et de paix relative, au sortir de la période précédente qui connut dans la région les invasions barbares et les luttes entre le comte du Poitou et le duc de Bretagne, auxquels s’est ajouté le comte d’Anjou.

Ces luttes ont dû contribuer à forger le paysage politique de la région, faisant de celle-ci un pays de frontière et d’affrontements probables. La féodalité locale parait s’être organisée dans cette confrontation. On trouve au nord les barons de Tiffauges et de Montaigu. En effet, la seigneurie de Saint-Fulgent, avec son château et sa prison, dépendait du baron de Tiffauges, et dans sa mouvance on trouve les fiefs du Puy-Greffier, de la Clavelière, de Rollin, et de nombreux domaines roturiers (la plus grande partie du bourg, des métairies, les moulins à vent de la Haute Clavelière et à eau de la Pesotière, plus tard la tuilerie de Boizard, etc.). Et le seigneur de Saint-Fulgent rendait un aveu à Montaigu pour le fief de la Thibaudière et ses dépendances, dont une petite partie du bourg (21). Et il y avait d’autres fiefs dont nous ne connaissons pas le lien féodal, comme la Roussière.

À Chavagnes il y avait une bonne douzaine de petits fiefs à ligence au service du baron de Montaigu, comme une ligne avancée de défense contre les envahisseurs du sud. Et on constate en 1343 que le baron de Montaigu avait sa mouvance sur la moitié du fief de Saint-André-Goule-d’Oie (bourg), l’autre moitié relevant de la Drollinière (22). En 1405 l’ensemble du fief est tenu du seigneur du Coin par le seigneur de la Drollinière (23). Les importants domaines du Coin à Saint-André, avec l’ensemble de la seigneurie, sont possédés depuis au moins 1372 par le seigneur de Languiller, et le château du Coin est en ruines en 1405. Nous sommes en pleine guerre de Cent ans, avec l’occupation temporaire de Saint-André par les Anglais et de Chavagnes par les Français, avec les ravages en même temps des famines et des désastres climatiques. Le 14e siècle, où on voit les domaines de la famille Drouelin se disperser, et apparaître et disparaître la seigneurie du Coin, a été un siècle de bouleversements dans l’organisation féodale locale. Et au sud, le baron des Essarts disposait de nombreux vassaux sur le territoire de la paroisse des Essarts, mais aussi sur celui qui deviendra les paroisses de Chauché et de Saint-André-Goule-d’Oie. C’était le cas du seigneur de Languiller à Chauché, qui était suzerain de la Chapelle. Aussi du seigneur du Coin, qui était suzerain du seigneur du Coudray et du fief de Saint-André (le bourg), concédé à Linières.

À la sortie de la guerre de Cent Ans, on pourrait dire que le ruisseau du Vendrenneau marquait la limite entre la sphère d’influence des Essarts au sud et celles de Tiffauges et de Montaigu au nord. D’ailleurs la paroisse de Saint-André a été soumise à la haute justice seigneuriale de la châtellenie des Essarts pendant tout l’Ancien Régime. Nous avons repéré une exception remontant au Moyen Âge, mais qu’on situe dans l’épaisseur du trait, si l’on peut dire. Le seigneur de la Valinière, de Saint-Fulgent, possédait des droits sur des parcelles du tènement de la Javelière, de Saint-André-Goule-d’Oie. Il en a cédé au moins une partie « au sieur Begaud, curé pour lors dudit Saint-Fulgent » en 1399 (24).

Dans ce constat, qui mériterait d’être approfondi bien sûr, l’implantation des Drouelin au Moyen Âge, à la fois dans les deux zones d’influences féodales, apparaît comme la fin d’un monde de liens seigneuriaux entrecroisés, signes d’affrontements probables. Il a laissé la place à une nouvelle répartition de ces liens, plus apaisée. Et si l’on devait écrire la préhistoire du canton de Saint-Fulgent, n’est-ce pas ainsi qu’elle pourrait commencer ?


(1) Maurice Maupilier, Des étoiles au lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (198), p. 57.
(2) Abel Cougnaud, Édition des Chartes de l’abbaye de Notre Dame de la Grainetière (vers 1130-1305), p. 75, UER Histoire Poitiers mémoire de maîtrise juin (197), Archives de Vendée : BIB MEM 219.
(3) Revue du Bas-Poitou, L. Chappot de la Chanonie, Une poignée de documents sur l’abbaye de la Grainetière (1890-A3), page 272.
(4) Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée, Charles Gourraud, Histoire des villages de Chavagnes-en-Paillers (1876), page 169.
(5) www.Loipri.over-blog.com. Aussi G. de Raignac, De châteaux en logis, itinéraires de familles vendéennes, Bonnefonds, 1990, page 114.
(6) Maurice Maupilier, Des étoiles au lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (1989), p. 71.
(7) Aveu en 1343 de Saint-Fulgent à Montaigu, copie d’Amblard de Guerry dans son classeur d’aveux, no 402, d’un aveu original rendu au roi pour Montaigu en 1344 /1343, Archives Nationales, cote P. 47. Et Maurice Maupilier, Des étoiles au lion d’or, Saint-Fulgent sur la route royale, Herault Éditions (1989), p. 71.
(8) Aveu du 23-6-1774 de Saint-Fulgent (Agnan Fortin) à la vicomté de Tiffauges (A. L. Jousseaume de la Bretesche), transcrit par Paul Boisson, Archives du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 13. 
(9) Archives de la Vendée, chartrier de la Rabatelière 150 J/C 17, mémoire en 1646 sur les conflits entre Linières et la Boutarlière.
(10) Partage du 22-10-1774 de 7,5 boisselées à la Gandouinière, Archives de Vendée, notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/121.
(11) Archives de Vendée, G. de Raignac, cartulaire de la Jaunaie, 8 J 100, page 60.
(12) Archives de Vendée, G. de Raignac, archives de Fonteclose, 8 J 109, vue 49.
(13) Archives de Vendée, G. de Raignac, archives de Fonteclose, fief du Boisreau, page 198.
(14) Idem (5).
(15) Cartulaire de Pouzauges, no 7, 7 bis, 12, et 13.
(16) Mémoire de la Société des antiquaires de l’Ouest, Marcel Garaud, Les châtelains de Poitou et l’avènement du régime féodal aux XIe et XIIe siècles, (1964) tome VIII.
(17) Idem (6).
(18) Aveu du 1-6-1598 de la Jarrie, Raslière et Merlatière, Archives nationales, chartrier de Thouars : 1 AP/1181, page 73.
(19) Notaires de Saint-Fulgent, Bellet : 3 E 30/126, déclaration roturière du 15-4-1779 de 9 teneurs du Bois Thibaud à Linières.
(20) Notaires de Saint-Fulgent, Thoumazeau : 3 E 30/118, vente du 27-10-1765 d’un champ de landes au Bois Thibaud.
(21) Idem (8).
(22) Aveu en 1343 de Jean de Thouars à Montaigu (roi de France) pour des domaines à Saint-André, no 389, Archives d'Amblard de Guerry : classeur d'aveux copiés aux Archives Nationales.
(23) Notes no 5 et 17 sur le bourg à Saint-André-Goule-d’Oie, Archives d’Amblard de Guerry : S-A 3.
(24) Notaires de Saint-Fulgent, Frappier : 3 E 30/5, reconnaissance de rente à la Javelière du 27-9-1770.

Emmanuel François, tous droits réservés
Avril 2010, complété en juillet 2023 

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lundi 8 mars 2010

Mme de Lespinay échappe à la mort par deux fois (1793-1794)


Nous avons raconté dans deux articles comment Mme de Lespinay, châtelaine de Linières, échappa par deux fois à la mort pendant la guerre de Vendée. D’abord en mars 2010 dans notre article intitulé La vicomtesse de Linières sauvée des noyades à Nantes, complété en octobre 2010 par un autre : La vicomtesse de Linières sauvée des noyades II. Le premier article était basé sur les Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein. Le deuxième intégrait les deux passages consacrés par l’historien royaliste J. Crétineau-Joly en 1840 à Mme de Lespinay.

Le passage de la marquise de La Rochejaquelein, où elle fait allusion au sauvetage de la châtelaine de Linières, concerne l’histoire de sa femme de chambre Agathe Gingreau. Dans son récent ouvrage, Vendée les archives de l’extermination (2013), l’historien Alain Gérard, aborde cette histoire, avec diverses sources qu’il recoupe. Aussi il serait dommage de se priver du résultat de son travail. C’est pourquoi, nous reprenons nos deux articles pour n’en faire qu’un seul, modifiant celui de mars 2010 avec un nouveau titre : Mme de Lespinay échappe à la mort par deux fois (1793-1794).


Dans la Virée de Galerne


Mariée à l’âge de 16 ans en 1788 à Charles Augustin de Lespinay, Mlle du Vigier, sortant du couvent de Sainte-Croix de Poitiers, vint habiter Linières (Chauché). Elle y mit au monde deux filles : Henriette baptisée le 7 janvier 1790 et Pauline le 3 octobre 1791. Dans les semaines suivant cette dernière naissance, M. de Lespinay rejoignit l’émigration, comme beaucoup de nobles en activité habitant la Vendée. Il fut inscrit au chef-lieu du département, alors Fontenay le Comte, sur la liste des émigrés le 4 octobre 1793.

Mais entre-temps son domaine de Linières avait été mis sous séquestre à cause de cette émigration, en juin 1792, avec nomination d’un gardien sur place, inventaire des biens meubles et immeubles fait par les commissaires du district de Montaigu, et confiscation du fermage des quatorze métairies du domaine (1).

En mars 1793, le soulèvement général des populations avait embrasé la région du centre et du nord Vendée, est Deux-Sèvres, sud de la Loire-Atlantique et sud-ouest du Maine-et-Loire. La loi du 1e août 1793 donnait un ordre aux soldats de « destruction totale de la Vendée ». L’historien A. Billaud écrit : « Les incendies, les massacres, les viols ont eu ce résultat de vider une partie de la région, de la jeter sur les chemins avec ce seul souci : éviter la mort ». Les bleus s’attaquent même aux républicains de la région parfois, et beaucoup de déracinés en fuite de chez eux cherchent refuge auprès des armées vendéennes. Ce fut le cas de Mme de Lespinay.  

Elle fit partie de la cohorte des civils qui suivirent les combattants dans la Virée de Galerne. Cette expression désigne la traversée de la Loire effectuée par les armées vendéennes le 18 octobre 1793 pour rejoindre un hypothétique débarquement d’alliés sur la côte normande et d’improbables renforts en pays chouan et breton. Ils passèrent 35 000 combattants environ, plus 15 000 femmes, vieillards et enfants, fuyant leur pays après l’échec de la bataille de Cholet (2). La galerne désignait le vent du nord, c'est-à-dire la direction suivie.

Jean Sorieul : La bataille du Mans
Après une longue errance jusqu’à Granville, la colonne de Vendéens fait demi-tour et arrive au Mans le 10 décembre 1793. Malgré son jeune âge, Forestier fut désigné pour gouverner la ville. Henri Forestier était le fils d’un cordonnier de la Pommeraye (Maine-et-Loire), âgé de 18 ans en 1793. Il fut un des premiers à se rallier à Cathelineau. Il commandait en second la cavalerie et avait été nommé gouverneur de la ville du Mans pendant son occupation par les Vendéens.

Les malheureux Vendéens, fourbus, se reposèrent deux jours. Dans la nuit du 12 au 13 décembre les bleus attaquèrent et gagnèrent la bataille du Mans. Ensuite ils ont fait un massacre de tous ceux qui n’avaient pas réussi à s’échapper. La châtelaine de Linières échappa à ce massacre.

Dans ses mémoires, la marquise de La Rochejaquelein écrit « Marie Marguerite Louise Félicité du Vigier, née à Poitiers le 9 juin 1772, mariée en 1788 à Charles Augustin de Lespinay, vicomte de Linières, près Saint-Fulgent en Bas-Poitou, capitaine de cavalerie. Il émigra, sa femme suivit l’armée vendéenne et fut sauvée par Forestier dans la déroute du Mans ; elle se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » (3)

J. Cretineau-Joly écrit : « Forestier, blessé, traîne par la bride son cheval, blessé lui aussi, et sur lequel il a placé madame de l’Epinay et ses deux enfants. » (4)

On sait que l’ainée des petites filles, Henriette a survécut à la guerre de Vendée, peut-être dans les bras d’une domestique. Sa petite sœur Pauline, alors âgée de deux ans, est morte en février 1794 (5). L’acte de notoriété qui en fait état nous apprend que la mère l’avait confiée à une jeune femme âgée de 30 ans, Renée Jousseaume, demeurant au village de la Foliette à Bazoges-en-Paillers. La petite fille est morte dans ses bras, malgré les soins de Pierre Aubin, officier de santé demeurant à Saint-Fulgent. L’affirmation de Crétineau-Joly des deux enfants avec leur mère au Mans, n’est donc pas exacte. D’ailleurs il reste une interrogation : la petite Pauline a-t-elle été confiée à Renée Jousseaume avant de suivre les armées des insurgés, ou bien était-elle déjà en nourrice comme le faisaient alors les femmes des milieux aisés ? Et qui sait si les deux enfants ne sont pas restées à la garde de la même femme pendant la Virée de Galerne ?

C’est l’occasion de rappeler que moins de 10 % des participants à la Virée de Galerne y ont survécu. On sait que leur chemin à pied dans le froid, la pluie, la boue, la faim, les maladies, au milieu des cadavres, fut un calvaire d’une rare cruauté pour les 50 000 personnes environ qui ont fait partie de cet exode pendant deux mois et demi en plein hiver.

Arrêtons-nous un instant sur le mot Bas-Poitou employé par la marquise de La Rochejaquelein. Elle désigne la Vendée par son nom d’Ancien Régime, manière d’afficher ses opinions en faveur de la monarchie. D’ailleurs sur le mot de Vendée, ce qu’elle en dit est intéressant : « En 1793, nous prenions le titre « de royalistes du pays insurgé »…Les républicains nous donnaient exclusivement, même dans la rédaction des jugements, le nom de « brigands et brigandes » : cette dénomination nous paraissait tellement ridicule, qu’au lieu de nous fâcher elle nous portait à rire. » Puis elle poursuit en indiquant que l’expression « brigands de la Vendée » est apparue dans les écrits des républicains après les premières batailles. Enfin elle explique qu’avec le temps, certains combattants des pays insurgés, y compris dans une partie du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres et de la Loire-Atlantique, formaient le vœu de garder ce nom de Vendée dans une nouvelle province qui devait émerger du sang du sacrifice, avec le retour espéré de la monarchie. Dans son livre, « Par principe d’humanité… La terreur et la Vendée » (1999), l’historien Alain Gérard a montré comment la guerre de Vendée a été voulue par les montagnards au sein de la Convention, le mot « Vendée » devenant pour ses membres synonyme de contre-révolution dès le début du printemps 1793. Ainsi, le hasard a aidé à choisir le nom du département et la politique, dans les deux camps, l’a imposé ensuite. « Vendée », une fierté ou un opprobre pour les générations qui ont suivi.

Sauvetage de la noyade racontée par la marquise de la Rochejaquelein


La mémorialiste indique dans son témoignage qu’après le Mans, la vicomtesse de Lespinay « se cacha, fut arrêtée et conduite à Nantes. » Crétineau-Joly précise, lui : « Cette pauvre mère, … ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. ». Aucun des deux écrivains n’a pu écrire sans se renseigner auprès de la famille. Il se trouve que l’historien a écrit quatre tomes et la mémorialiste un seul. À notre avis les deux récits se complètent sur ce point.

On sait qu’après le Mans les Vendéens se sont précipités vers la Loire pour retourner au pays. « Dès le 13 décembre la ville de Laval voit arriver les premiers fuyards de l’armée en déroute » (A. Billaud). Le 16, ils arrivent près d’Ancenis. Forestier fait alors partie des officiers autour du généralissime H. de La Rochejaquelein. Ils ne pourront pas passer le fleuve occupé par les bleus. La cohorte des Vendéens en déroute part vers Nort, puis Blain, pour périr à Savenay les 22 et 23 décembre 1793. Forestier ira jusqu’aux environs de Blain, d’où il s’échappera pour rejoindre des combattants bretons.

Mme de Lespinay a donc été capturée près d’Ancenis, c’est à dire dans les jours proches du 16 décembre 1793. Sa capture est une chance dans l’immédiat, car beaucoup de fuyards ont été massacrés en cours de route. Cela dépendait des compagnies et des chefs républicains. Mais elle fut emmenée à Nantes à la fin de l’année 1793. Carrier y régnait en maître alors, et les noyades dans la Loire avaient déjà commencé à suppléer aux prisons insalubres, aux fusillades et à la guillotine pour éliminer les ennemis.

Mme de Lespinay était destinée aux noyades. Elle en réchappa.

Nos deux auteurs racontent ce deuxième sauvetage, là aussi en se complétant. Mais avant de citer la marquise de La Rochejaquelein, il faut situer le contexte de son récit. Celle-ci raconte l’histoire de sa propre servante, Agathe Gingreau, échappant elle-aussi à ses bourreaux. Et dans ce récit, elle a croisé le chemin de Mme de Lespinay.

Pour raconter l’histoire d’Agathe Gingreau, nous allons reprendre le texte de l’historien Alain Gérard. Il fait intervenir des personnages singuliers : Fouquet, Lamberty, deux préposés aux noyades par Carrier, l’envoyé en mission à Nantes de la Convention, l’ordonnateur des tueries et noyades. C’étaient des hommes de mains prêts à tout, nommés à cause de leur dévouement adjudants généraux (grades d’officiers généraux dans l’administration ou l’état-major des armées de la Révolution française). Lamberty, ancien carrossier, avait des aides : Lalouet, Pierre Robin, O’Sullivan (Irlandais fameux pour sa férocité) et Théodore Lavaux (un gamin aide camp). Voici ce qu’écrit A. Gérard (6) :

« … Terminons par ce qui pourrait bien donner matière à un conte philosophique et qui permet de moins désespérer de l’humanité. C’est l’histoire d’Agathe Gingreau, qui a été élevée en même temps que le futur général vendéen Lescure, et devenue femme de chambre de son épouse, la future marquise de La Rochejaquelein. Farouchement attachée à ses maîtres, elle les suit lors de la Virée de Galerne et s’enferme même neuf heures durant dans la voiture où Lescure vient de mourir, afin de préserver encore un temps sa jeune épouse. À la fin de 1793, elle appartient au groupe de cavaliers vendéens rendu sur la foi de l’amnistie et aussitôt fusillés. Est-ce d’être une femme ? Pour sa part, elle est enfermée dans l’Entrepôt.
C’est à partir de là que nous bénéficions de deux sources parallèles et complémentaires, qui révèlent de façon exceptionnelle les univers mentaux des extrémistes et des Vendéens. Le 15 février, la veille du départ de Carrier pour Paris, le Comité révolutionnaire lance un mandat d’arrêt contre Fouquet, l’un des noyeurs, et bientôt c’est le tour de Lamberty. Suit un procès qui aboutit à l’exécution des deux principaux préposés aux noyades. Quant aux autres, Lalouet est comme nous l’avons vu a passé du côté des plus forts, Robin a pu s’enfuir, tandis qu’à Nantes Lavaux reste l’objet de poursuites et O’Sullivan sera rattrapé plus tard par le procès de Carrier. À aucun cependant on ne reproche les noyades, mais au contraire d’en avoir préservé quelques femmes, dont la fameuse Agathe. Du coup, ils sont triplement coupables, et de « grossière lubricité », qui prouve qu’ils ne sont pas des Purs, et d’avoir contrevenu aux arrêtés commandant de rapporter les brigands en prison, et en définitive de complicité de contre-révolution.
Le récit que la marquise de La Rochejaquelein a recueilli de la bouche de sa femme de chambre, ne diffère pas vraiment quant aux faits, mais infirme cette interprétation très idéologique. À l’Entrepôt, Lamberty, apercevant cette « brune piquante » de 26 ans, fanfaronne. « Brigande, as-tu peur ? » lui lance-t-il. « Non, général, puisque nous venons nous réunir à la République » réplique la futée. Et l’autre, peut-être impressionné par tant d’aplomb, de lui prédire que bientôt elle fera moins la maligne, et qu’elle pourra alors en appeler à sa protection. Une dizaine de jours plus tard, réalisant qu’elle va être noyée, Agathe le fait venir et il l’emmène pour profiter de l’aubaine. Et c’est alors qu’il se heurte à une résistance inattendue : plutôt que d’être déshonorée, la fille veut mourir. Le scélérat est-il impressionné à ce point par un tel courage ? De céder à la résistance de cette brunette lui permet-il de se réhabiliter à ses propres yeux ? Comment le savoir ? Toujours est-il qu’il prend sur lui de la protéger. La suite permet de discerner d’autres remords secrets. O’Sullivan, celui-là même qui a dénoncé son propre frère et l’a fait guillotiner, parait poursuivi par ses cauchemars et surtout par le désespoir de sa femme. Il persuade Lamberty d’emmener la Vendéenne chez lui. Six semaines plus tard, Fouquet et Lamberty étant incarcérés au Bouffay, le jeune Robin, venu supprimer Agathe et avec elle une preuve contre ses complices, cède à son tour aux prières de la brigande. Réfugiée chez Lavaux, celle-ci est finalement incarcérée jusqu’à la fin de 1794, où elle peut bénéficier de l’amnistie. Singulière histoire en définitive, difficile à comprendre au regard du sens commun, que celle de ces noyeurs subjugués par le courage de la petite vendéenne, et guillotinés pour une bonne action. Bonne il est vrai au regard de la morale naturelle, mais criminelle pour les purs. »

Revenons au récit de la marquise de La Rochejaquelein : « Ce même Lavaux avait déjà chez lui la vicomtesse de Lespinay : dans une des noyades (dans la Loire), elle avait été sauvée par un volontaire qui était dans le bateau ; au milieu de la confusion, des ténèbres et des cris, il lui avait donné sa capote, son chapeau et son fusil et l’avait emmenée comme son camarade. Dès le lendemain de l’entrée d’Agathe chez Lavaux, on vint l’arrêter, la demandant nommément à Mme Lavaux ; celle-ci assura de ne pas connaître de Vendéenne et la désigna comme sa sœur ; la garde voulut emmener cette honnête personne en prison ; alors ma femme de chambre se dénonça elle-même et fut mise au Bouffay (prison de Nantes). Mme de Lespinay, inconnue et réfugiée dans le haut de la maison, se cacha et fut sauvée. » (7)

Le volontaire dont parle Mme de La Rochejaquelein, le sauveteur dans le bateau de la châtelaine de Linières, était un membre de la Garde Nationale, un « bleu » comme disaient les Vendéens. C’était souvent des jeunes gens engagés volontairement pour défendre l’ordre public et les nouvelles autorités nées de la Révolution.

Sauvetage de la noyade racontée par Crétineau-Joly


Jacques Cretineau-Joly (1803-1875)
Crétineau-Joly décrit plusieurs noyades du conventionnel Carrier dans la Loire, appelées par dérision, notamment des « immersions patriotiques ». Et à cette occasion il raconte l’histoire de la châtelaine de Linières. Quand il publie son livre en 1840, son fils est député de la circonscription des Herbiers en Vendée. Il a dû prendre ses précautions avant d’écrire une histoire aussi personnelle sur sa mère. Voici l’histoire probablement validée par la famille (8) :

« Au milieu de ces immersions patriotiques, il se présente sur les bords de la Loire un sergent d’artillerie nommé Hocmard. Il vient pour réclamer sa sœur que les noyeurs ont comprise dans leur contingent de victimes. Il a obtenu de Carrier l’autorisation si rarement accordée de la retirer des galiotes.
Sa sœur est déjà en Loire, morte par conséquent.
À la vue de toutes ces femmes qui attendent, sous un froid de janvier, le sort auquel il n'a pu arracher sa sœur, le sergent Hocmard est saisi d'une sainte pensée. Il s’ap­proche de celle qui vient de lui dire que sa sœur a cessé de vivre. Il jette un manteau sur ses épaules nues, puis se présentant aux satellites de la mort : « Voici ma sœur et son laisser‑passer », dit‑il en affectant une joie alors loin de son âme. C'était la vicomtesse de l'Epinay que ce noble soldat venait de sauver.
Cette pauvre mère, préservée des noyades par un prodige, ne retrouve plus ses deux enfants qui ont suivi son fatal itinéraire depuis le Mans jusqu'à Ancenis. L'un est mort de faim ; l'autre, conservé par le dévouement d'une domestique, qui mendiait pour donner du pain au fils de ses maîtres, ne résista pas longtemps à cette misère de toutes les heures. Madame de l'Epinay fut plus heureuse ; elle survécut et, d'un second mariage avec M. Guyet-Desfon­taines, elle eut un fils, aujourd'hui député de la Vendée. »

Les noyades de prisonniers à Nantes en 1794
La mémorialiste parle d’un volontaire, notion vague, lequel pouvait bien être le sergent d’artillerie qu’indique l’historien. Les deux auteurs décrivent le départ des lieux de la noyade avec similitude (la capote sur les épaules). Crétineau-Joly est plus précis en nommant le sauveteur, en expliquant sa motivation et son autorisation. Celle-ci est parfaitement plausible. Pour l’obtenir il fallait être proche de Carrier ou de ses hommes de mains. Lavaux, chez qui est réfugiée Mme de Lespinay ensuite en est un, et les motivations de ces hommes peuvent être diverses.

Crétineau-Joly donne une précision : c’est en janvier que Mme de Lespinay a été sauvée de la noyade. Au vu du récit d’A. Gérard, Mme de Lespinay était encore chez Lavaux vers la fin février 1794. Un détail pour nous, mais une éternité pour la victime ! Pire : on sait que c’est en février 1794 qu’est morte sa deuxième fille, âgée de 2 ans, Pauline (9).

Conclusions


L’historien comme la mémorialiste sont imprécis sur la seconde vie de la vicomtesse de Lespinay après son divorce. Ce n’est pas étonnant puisque les familles de Lespinay et Guyet se sont violemment opposées dans le divorce qui a suivi entre M. et Mme de Lespinay, le domaine de Linières changeant de mains par la même occasion. Et puis la naissance de Guyet-Desfontaine a fait l’objet d’une fausse déclaration à l’état-civil sur le nom des parents. Bref, pas facile d’y voir clair dans ces itinéraires personnels, et il nous semble que les approximations relevées chez les deux auteurs en ce domaine méritent l’indulgence.

Par contre, la version de Crétineau-Joly comprend une erreur de taille au sujet des deux filles de Mme de Lespinay, qu’elle avait emmenées dans la Virée de Galerne. L’aînée a survécut et est morte en 1811. Crétineau-Joly affirme ici son décès, erreur factuelle qui se double d’une description romanesque de la mort, bien dans son style, mais portant à la méfiance.

De plus, cette histoire du sergent Hocmard ne convainc pas dans sa totalité. Mme de Lespinay ne s’est pas réfugiée d’elle même chez Lavaux, l’aide de camp de Lamberty. Le sergent Hocmard, probablement en garnison à Nantes, n’a pas pu emmener chez lui sa « sœur de substitution ». Mais pourquoi l’avoir mise entre les mains de Lavaux, alors que sa vraie sœur avait bien un endroit où vivre avant sa capture et qu’il fallait gérer la supercherie sur l’identité de la rescapée ? Faute de réponse à cette question, on est en droit d’hésiter entre la version bien plus discrète d’une femme comme la marquise de La Rochejaquelein, qui a vu mourir son mari et son bébé dans la Virée de Galerne, et la version peut être trop précise du récit de J. Crétineau-Joly.

A-t-on tout dit ? Cette question nous conduit à soulever un sujet délicat et malaisé, celui du viol. La souffrance intime qui s’en suit impose très souvent le silence aux victimes, on le sait. Que Mme de Lespinay ait voulu le cacher si elle en a été victime, quoi de plus normal ? Mais celle-ci devait raconter une histoire plausible pour garder son secret en elle. Il ne reste plus qu’à le respecter s’il y a lieu, comme peut-être Mme de La Rochejaquelein l’a fait dans ses mémoires.

Celle-ci s’y révèle dans toute sa vérité, et parmi ses lecteurs il faut relever les impressions d’un républicain radical comme Clemenceau, le « chouan bleu », comme on l’a parfois appelé assez justement. Il a écrit : « Je relis en ce moment les mémoires de Mme de la Rochejaquelein. C’est bien. Il y a un idéal. Et pour défendre cet idéal il y a quelque chose de buté, de borné, de sauvage, qui me plaît » (10).

D’autres historiens ont repris l’histoire de Mme de Lespinay sauvée des massacres du Mans et des noyades de Nantes. Ainsi en 1930 G. Gautherot dans son livre très engagé côté blanc, L’épopée vendéenne. Sa version du sauvetage de la noyade fait intervenir la femme de chambre de la vicomtesse de Lespinay. Un officier républicain (non nommé) indique à cette dernière qu’il va chercher un manteau pour la sauver. Mais au retour il se trompe et revêt la femme de chambre de son manteau. Alors celle-ci réagit : « vous vous trompez, dit-elle simplement, voilà ma maîtresse ; moi je ne suis rien ». Et l’historien termine son récit par cette courte phrase « Elle suivit ses bourreaux » (11). Il n’indique pas sa source documentaire et son livre est écrit en noir et blanc : les héroïques vendéens d’un côté et les infâmes massacreurs républicains de l’autre. L’héroïsme de cette hypothétique femme de chambre n’est pas invraisemblable, mais il manque de preuve dans ce livre. 

Enfin pour terminer, on ne peut s’empêcher de faire le lien, après ces terribles épreuves qu’a traversées la jeune vicomtesse de Lespinay, âgée alors de 21 ans, et sa rencontre amoureuse avec un compatriote âgé de 2 ans moins qu’elle, deux ans plus tard. Voir notre article sur son divorce en janvier 2010.


(1) Archives de Vendée, notaire Allard des Herbiers : 3 E 019, acte de notoriété du 12 germinal an 11 demandé par B. Martineau (vue 202/492).
(2) P. Greau, La Virée de Galerne, Pays et terroirs Cholet (2012), pages 67 et 99.
(3) Mémoires de la marquise de la Rochejaquelein, Mercure de France (1984), page 413.
(4) J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire  (1840) T 1, page 458.
(5) Archives de la Vendée, justice de paix de Saint-Fulgent : 4 U 25/31, acte de notoriété du 21 vendémiaire an 10 de la mort de Pauline de Lespinay.
(6) Alain Gérard, Vendée les archives de l’extermination, édition du CVRH (2013), page 270.
(7) Idem (3).
(8) J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire  (1840) T 1, page 527.
(9) Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, Mme Duvigier/Lespinay.
(10) Jean Martet, Le silence de M. Clemenceau, Albin Michel, 1929.
(11) G. Gautherot, L’épopée vendéenne, Mame et fils, 1930, page 287.

Emmanuel François, tous droits réservés
mars 2010, complété en août 2019

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