vendredi 1 juillet 2011

Louis XVIII s’intéresse à la Morelière

Quand la vicomtesse de Linières rachète en août 1796 au département de la Vendée le domaine de Linières, qui avait été classé bien national suite à l’émigration de son mari, la métairie de la Morelière, qui en faisait partie, était indiquée comme s’étendant sur les deux communes de Chauché et de Saint-André-Goule-d’Oie, sans plus de précision.

La Morelière
Avec la création des contributions foncières et mobilières par la Révolution, les communes ont un rôle actif dans l’établissement des impôts. C’est alors que les deux communes de Saint-André et de Chauché, appuyées par leurs contrôleurs des contributions respectifs, revendiquent dans leur territoire une même partie des terres de la Morelière. Qui plus est, pour Chauché, la limite de la commune passe entre les bâtiments d’exploitation de la métairie et ceux d’habitation, alors que pour Saint-André, la limite englobe tous les bâtiments ainsi qu’une partie de terres revendiquées aussi par la commune de Chauché.

Nous savons que les communes, crées en décembre 1789, avaient repris pour Saint-André et les communes limitrophes, les limites des paroisses existant sous l’Ancien Régime, définies dès le Moyen-Âge. Ces limites étaient fixées dans les usages le plus souvent et le cadastre n’existait pas encore. Pour désigner les limites d’un bien dans un acte de propriété, on indiquait le nom des voisins ou des repères naturels comme des ruisseaux ou des chemins. Cette approximation a été à l’origine du flou constaté au début du XIXe siècle dans la limite entre les deux communes à la Morelière. Cette situation était insupportable pour le propriétaire, qui recevait des contributions à payer pour les mêmes terres, de la part des deux communes.

C’est ce que nous découvrons dans un dossier de la préfecture de Vendée conservé aux Archives départementales de la Vendée (1 M 290). En 1817, le propriétaire du domaine de Linières, Joseph Guyet, le deuxième mari de la vicomtesse de Linières, à qui elle avait revendu le domaine en 1799, écrit au préfet en ces termes :

« J’ai réclamé depuis bien des années contre la fixation des limites des deux communes de Chauché et de Saint-André-Goule-d’Oie, arrondissement de Bourbon-Vendée.
Deux contrôleurs des contributions, M. Joubert et M. de Boureuil, sont descendus successivement sur les lieux, et tous deux ont, à différentes époques, constaté la justesse de ma réclamation. Je devais croire que rien ne pouvait faire différer d’y faire droit. Ce n’est pas sans étonnement que j’ai été dans le cas d’apprendre que les choses étaient dans le même état, quoique j’eusse rappelé plusieurs fois ma demande à MM. Les directeurs des contributions.
La commune de Chauché et celle de Saint-André-Goule-d’Oie arrêtent leurs limites sur mon domaine de Linières. L’une les porte jusqu’au chemin qui partage les bâtiments d’habitation de ma métairie de la Morelière, de ceux d’exploitation.
La seconde, celle de Saint-André, de son côté, dépasse ce chemin et va prendre outre les bâtiments d’exploitation de la Morlière, une étendue assez considérable de terrain qui dépend du même objet. Elle fait marquer sur ce point sa limite par un prétendu cours d’eau qui n’a d’existence que pendant l’hiver et qui se forme dans une pièce de terre que l’on surnomme les Profondeurs de la Morelière.
Il résulte de cette manière d’opérer que je suis compris dans les deux communes à la fois pour le même terrain, sur les rôles des contributions foncières et que le métayer de la Morlière se trouve éprouver une surcharge dont je suis tenu de le libérer.
M. de Boureuil est le dernier contrôleur qui ait fait un rapport sur cet objet. Il doit se trouver dans celui auquel donna lieu ma demande en estimation comparative de mes propriétés avec celles de M. Herbreteau maire de la commune de Saint-André-Goule-d’Oie. C’est à l’époque de cette opération que M. le contrôleur eut à examiner les lieux pour la fixation des communes.
J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien faire rechercher les pièces relatives à cette affaire et de donner les ordres nécessaires pour que la rectification des limites que je sollicite, soit définitivement établie et que je sois déchargé soit dans l’une soit dans l’autre des communes de la part des contributions que je supporte en double emploi.
J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.
J. Guyet
À Paris le 9 juillet 1817
Chef à l’agence judiciaire du Trésor Royal
Carrefour de l’Odéon No 10 »

Source : Archives départementales de la Vendée
Cette lettre nous donne des informations qui vont au-delà du problème soulevé de la délimitation entre les deux communes, mais restons d’abord sur ce sujet.

Dans le dossier on peut lire un rapport établi par un expert nommé par le préfet de Vendée, M. Vinet, des Brouzils, où les positions des deux communes restent figées, sans compromis entre elles. Elles sont représentées par Pierre Herbreteaun né à Linières au temps des de Lespinay, le maire de Saint-André, et par Pierre Maindron, adjoint à Chauché, qui ne se doutait pas qu’il accepterait d’aller à Linières dans quelques années pour être le fermier des métairies attenantes avec ses fils, au temps du fils de Joseph Guyet. Chauché ne veut pas changer sa limite malgré qu’elle partage les bâtiments de la métairie, les uns à Saint-André et les autres à Chauché. Saint-André veut continuer de fixer sa limite après la ferme, sur un ruisseau à sec la moitié de l’année. Mais l’expert recommande cette dernière position dans le but de mettre tous les bâtiments de la Morelière dans la même commune, en l’occurrence celle de Saint-André-Goule-d’Oie.

Louis XVIII
À l’époque les limites des communes étaient fixées par un acte du chef de l’État. C’est donc par une Ordonnance royale du 10 janvier 1818, signée du roi Louis XVIII, que les bâtiments de la Morelière, ainsi que quelques terres, passèrent tous dans la commune de Saint-André-Goule-d’Oie. Voici son article 1 :

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre,
À tous ceux que ces présentes verront, Salut :
……….
La limite entre les communes de Saint-André-Goule-d’Oie et de Chauché, département de la Vendée est fixée ainsi qu’elle est marquée par un liseré jaune sur le plan ci-annexé à partir de la rivière qui coule au bas de Saint-André-Goule-d’Oie jusqu’à la croisée de la Brejonnière où l’on prend le chemin des murailles que l’on remonte jusqu’à la croisée de la Bourolière, prenant là le chemin des landes et le suivant jusqu’à la croisée de la Colle où abouti le chemin des Mules que l’on suit jusqu’au point où on traverse le ruisseau dit le ruisseau profond et suivant ensuite ce ruisseau du côté où il descend. En conséquence tout le terrain situé entre ce ruisseau, le chemin du Bois de la bergère et le chemin des Mules sera exclusivement imposé dans la commune de Saint-André-Goule-d’Oie sans préjudice des droits d’usage ou autres que cette commune peut y avoir. »

Merci Louis XVIII ! S’il était permis de plaisanter, c’est l’exclamation qui nous viendrait spontanément à l’esprit pour le compte de Joseph Guyet, républicain convaincu jadis, qui n’a pas dû voir le retour du roi avec sympathie. C’est grâce à l’administration du roi cependant que la situation s’est débloquée. L’administration napoléonienne était restée auparavant empêtrée dans ses rigidités sur ce problème.

Mais il faut laisser l’humour de côté. D’abord, encore deux siècles après les évènements, il est bien risqué de plaisanter sur le Roi et la Révolution sans provoquer l’incompréhension ! Plus sérieusement, il faut remarquer que les lourdeurs de l’administration ont visiblement plus compté dans cette affaire que le changement de régime politique. L’action du nouveau préfet de la Vendée semble avoir été déterminante. La position de Joseph Guyet, chef de bureau au ministère du Trésor public (appelé royal depuis le retour de la monarchie en 1814) a sans doute aussi suscité de la considération à la préfecture de la Vendée, pour instruire ce dossier auprès du ministre de l’intérieur, qui a préparé l’ordonnance royale. Quant à la signature du roi pour modifier les limites des communes, c’est celle du chef de l’État. Depuis une circulaire de 1806 du ministre de l’intérieur, les changements de limites des territoires se décidaient à l’échelon gouvernemental, après avis des conseils municipaux concernés et du préfet.

En nous donnant la situation professionnelle de Joseph Guyet, ce dossier nous apporte une information inconnue jusqu’ici. Il travaillait au service du contentieux du ministère des Finances. La précision, la concision et l’argumentation de sa lettre sont d’ailleurs dignes d’un bon juriste. Joseph Guyet travaillait déjà au ministère de Finances en 1812 au temps de Napoléon, comme on le voit dans un dossier de contentieux contre l’avocat de son épouse, où il signe une transaction avec celle-ci (1).

Quaglia : Corvetto
ministre des finances en 1817
Entre lui et le ministre il existait trois niveaux hiérarchiques, ce qui n’en fait pas un haut fonctionnaire en vue. Par comparaison, le chef du bureau des Beaux-Arts au ministère de l’intérieur au temps de Napoléon, Amaury Duval, le père du futur châtelain de Linières, n’avait qu’un échelon hiérarchique entre lui et le ministre. C’est probablement ce qui explique que Joseph Guyet occupe encore ce poste au temps de Louis XVIII. À cette époque déjà les changements de régime donnaient lieu à un changement des hauts fonctionnaires au sein des administrations, tous politiquement engagés. Amaury Duval fut d’ailleurs mis à la retraite d’office en 1815. La carrière professionnelle de Joseph Guyet ne semble pas avoir souffert du retour du roi, tout au moins à la date de 1817.

Ce poste, même si les relations pouvaient aider à y accéder parfois à cette époque, exigeait une formation juridique. Joseph Guyet possédait sans doute une licence en droit en conséquence, obtenue à Poitiers ou à Paris (Nantes n’avait pas d’université). N’oublions pas qu’il avait un oncle, licencié ès lois, qui résidait à Paris. C’était Jacques Guyet, marié à Anne Marie Lenoble, dont le fils Isidore (né en 1777), épousa une tante d’Amaury-Duval.

Cela confirme le résultat négatif de nos recherches sur son hypothétique profession de notaire à Paris, malgré les affirmations en ce sens d’Alexandre Dumas et d’Augustin Jal, deux très proches amis de son fils pourtant.

Avec un diplôme de droit, obtenu à 21 ans au plus tôt, il rencontre la vicomtesse de Lespinay à l’âge de 22 ans au plus tard (déduction faite à partir de la date de naissance de leur enfant), où, comment ? Elle avait de la famille à Poitiers et aussi à Paris. Nous savons maintenant que Joseph Guyet l’a aidé à payer son rachat de Linières, après le 1e août 1796, mais ils se connaissaient avant.

Une dernière remarque de détails au sujet de la lettre de Joseph Guyet : il écrit Linières avec un « s » à la fin. Nous savons que sous l’Ancien Régime le mot ne comportait pas de « s ». Nous avions vu cette lettre apparaître avec Amaury-Duval et maintenant il nous faut remonter à Joseph Guyet. Nous avions émis l’hypothèse que le pluriel avait accompagné, dans les années 1870, la construction des bâtiments de la ferme plus à l’ouest du nouveau château, créant ainsi deux lieux distincts d’habitations désignés par le même mot de Linières. Avec Joseph Guyet, plus de cinquante ans avant la construction des nouveaux bâtiments de la ferme, l’hypothèse ne tient plus. Qui a dit que s’intéresser à l’orthographe, c’est découvrir la légèreté des hommes ?

Quant à la Morelière, ses racines de Chauché n’étaient pas mortes avec la décision de 1817. Au 1e janvier 1980, une surface de 38 ha, pour l’essentiel la métairie de la Morelière, a changé de commune pour appartenir à Chauché. Elle a été échangée contre 21 ha de terres situées à la sortie du bourg de Saint-André-Goule-d’Oie, sur la route des Essarts jusqu’à la Guérinière, entrant dans le territoire de cette commune. Cet échange a transféré les quatre habitants de la Morelière à Chauché au 1e janvier 1980, tout en permettant ensuite l’agrandissement du bourg de Saint-André sur une nouvelle zone urbaine. Signe des temps et de la déconcentration de l’État français depuis 1818, c’est le préfet de la Vendée qui a signé l’acte de modification de la limite entre les deux communes, à la date du 24 décembre 1979. Autre changement : la décision de 1817 a tranché entre les positions opposées des deux communes, celle de 1979 entérine un accord entre les deux communes.


(1) Mémoire du 18-10-1814 de Boncenne au roi, page 6 et 7, Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 32-3 (copie du mémoire à la Médiathèque de Nantes).


Emmanuel François, tous droits réservés
Juillet 2011, complété en octobre 2018

POUR REVENIR AU SOMMAIRE

lundi 13 juin 2011

Le faux baron de Linières

On se souvient qu’au temps de Mazarin et du jeune Louis XIV, le châtelain de Linières s’appelait Legras ou Le Gras. C’était dans les années 1635-1685.

Anne Claude Legras, d’abord, avait acquis le domaine d’Élie de Goulaine, un protestant établi à Vieillevigne. En 1626 il donne procuration pour l’assise de Languiller (1). Sa fille Catherine se mariera avec un seigneur de la Verrie, René Langlois, qui avait acheté en 1666 Languiller sur la paroisse de Chauché. Une autre fille, Anne, se mariera avec René Gaborin, lui apportant plus tard le fief de Linières. Son fils Claude lui succédera dans la propriété de Linières. C’est Anne Legras qui transformera le nom de Drollinière en Linière vers 1635, peu après son acquisition.

Nos recherches sur cette famille étaient restées vaines jusqu’ici. Des chevaliers avaient porté ce nom dans le Bas-Poitou au XVe siècle, mais sans que nous puissions établir un lien entre eux et le châtelain de Linières. Pourtant les titres de noblesse d'Anne Legras sont cités dans le registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie. On a leur première trace sur le registre le 26 novembre 1635 (vue 91), comme « chevalier de l’ordre, seigneur du Plessis Clain et de la Droslinière ». Puis dans un acte de baptême du 5-6-1637 (vue 96), l’épouse du seigneur de Linières est qualifiée par le curé de « hauste et puissante dame Janne Oliverau femme du haust et puissant messire Anne Legras chevalier de l’ordre du roy seigneur de la Linière et du Plessis Clain - - - et autres places ». C’est la première fois que nous voyons écrit le mot « Linière ». La notion de « chevalier de l’ordre du roi » indique une décoration dans le langage moderne. Celle de « seigneur » relève du domaine des civilités, et n’est pas porteuse, en soi, d’un titre nobiliaire. En revanche la qualification de « haust et puissant messire » était réservée par usage à un noble. Puis surtout, dans un autre acte du 20-10-1650 (vue 137), le curé indique : « Claude Legras baron de Linière et Jeanne Olivereau Dame du Plessis Clain ». Il s’agit du baptême de Claude Parpaillon, probablement un employé des châtelains. Dans un autre document, Anne Legras est noté aussi comme seigneur du Plessis-Quelin (Vienne), sans doute le « Plessis Clain » du registre de Saint-André.

L’explication au silence de la documentation est simple : c’était un faux noble !

Charles Colbert de Croissy
C’est ce que nous révèlent, dans leur rapport au roi Louis XIV sur l’état du Poitou, le marquis Charles Colbert de Croissy (frère du célèbre ministre), et Jacques Honoré Barentin. Intendants du Poitou et commissaires chargés de faire un état des lieux dans cette province fort perturbée par les guerres de religion, les deux hommes ont fait un travail sérieux sur l’état du clergé, des finances publiques et de la justice dans les années 1663 à 1669.

Ils firent imprimer en 1667, chez Antoine Mesmer, « imprimeur et libraire ordinaire du roi et de l’université à Poitiers, un Catalogue alphabétique des nobles de la généralité de Poitiers, maintenus et condamnés roturiers par Colbert, Barentin et Rouillé du Coudray, commissaires du roi, intendants en Poitou, avec les notes de Maupeou d’Ablieges leur successeur. » Ce document est maintenant accessible au public par internet. À la lettre L, pour l’élection de Mauléon (circonscription administrative de Châtillon/Sèvre), on lit :
Chauché : LE GRAS (Claude), seigneur de la Linière, condamné roturier.
Plus loin, dans un répertoire des faux nobles condamnés comme roturier, avec le montant de l’amende qui leur est infligée, on lit :
LE GRAS (Claude), sr de Linière ……….5 000 livres. La somme est très importante et parmi les plus élevées. Cela représentait le prix annuel de ferme d’une quinzaine de grandes métairies à cette époque. Elle est peut-être à l’origine des revers de fortune de la famille dans la deuxième moitié du 17e siècle. On verra en effet, la seigneurie de Linières saisie par les créanciers en 1686 (2). Déjà Anne Olivereau, l’épouse d’Anne Legras, l’acheteur de la seigneurie un peu avant 1626, avait signé en 1663 une reconnaissance de dette en faveur du prieur-curé de Saint-André, Pierre Moreau (3). Son fils Claude Legras en avait fait autant auprès du même en 1648 pour un montant de 224 livres (4).

En 1665 Anne Olivereau est l’épouse d’Anne Legras, seigneur de Linières. Ce dernier vivait encore en 1658 (aveu des Essarts à Thouars). En 1661 son fils, Claude Legras, est parrain, qualifié de seigneur de Linières et Plessis Clain. En 1668, c’est Claude Legras, qui a été condamné roturier. Anne Olivereau est présente au baptême de sa petite fille en 1662, Jeanne Langlois. En 1665 elle est probablement veuve. Son fils Claude se maria en 1677 avec Françoise Charbonneau.

Pour redresser les finances du royaume, un des moyens utilisés a été de lutter contre la fraude fiscale, notamment sur la taille, l’impôt principal. Les commissaires du roi cités plus haut indiquent que « ceux qui se commettent dans l'assiette de la taille et la confection des rôles sont en bien trop grand nombre. Le principal provient de la quantité de faux nobles, qui se maintiennent par la violence, et exemptent même leurs fermiers et parents, en sorte que la taille est payée par les plus misérables. » C’est que les nobles payaient l’impôt du sang (au temps des chevaliers), sinon une contrepartie financière, et étaient exonérés des impôts ordinaires.

Alors les commissaires du roi ont enquêté auprès de chaque famille bénéficiant du statut de noble dans le Poitou. Ils écrivent dans leur rapport : « Après avoir exécuté ce qui était des intentions du roy en la généralité de Tours, nous avons passé, suivant les ordres de S. M., [sa majesté] en celle de Poitiers, en laquelle nous avons premièrement vaqué au département de la taille, que nous avons fait encore avec plus d'exactitude, les éclaircissements que nous avons pris, l'année dernière, nous ayant servi à nous garantir de surprise. Et comme nous y avons encore trouvé le même abus, qui est que les plus riches et les plus puissants s'exemptent de la taille, sous prétexte de différents privilèges de noblesse ou d'offices imaginaires, pour y remédier et travailler en même temps à l'exécution de l'arrêt du Conseil qui nous ordonne de connaître des malversations commises par le traitant des taxes faites ou à faire sur les usurpateurs de noblesse, nous avons fait donner assignation, par-devant nous, à tous ces prétendus exempts. Et la plus grande partie ayant comparu et représenté leurs titres, soit de noblesse ou d'autre prétendue cause d'exemption, assisté de personnes fort intelligentes, et qui connaissent parfaitement les familles de noblesse de la province, et de cette sorte, sans qu'il en ait rien coûté aux parties pour leurs expéditions, ni qu'ils aient été obligés de faire plus d'un jour ou deux de séjour auprès de nous, nous pourrons informer S. M., aussitôt que notre procès-verbal sera fini, quels sont les véritables gentilshommes de la province et combien il y en a, combien de douteux et combien de véritables usurpateurs. Et on prétend justifier que de douze cents qui se disent nobles, il n'y en a pas plus de deux cents. » Cette proportion est quand même surprenante.

Pour la petite histoire, Jonas Royrand, vivant sur le petit fief du Coudray dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie, a été maintenu noble par sentence du 24 septembre 1667, comme ses homonymes de la Roussière de Saint-Fulgent. De même, Alexandre de Laheu, seigneur du Coin (Saint-André) et de la Burnière (Chavagnes) a été maintenu noble par sentence de M. Rouillé du Coudray, du 24-3-1670. Leurs fiefs étant pourtant bien plus petits que celui de Linières. Et il en a été de même pour le terrible seigneur de Saint-Fulgent, le baron René Bertrand, maintenu noble par sentence du 24 septembre 1667.

Cette enquête sur les titres de noblesse sortait de l’ordinaire et leurs auteurs ont pris soin de se référer à un arrêt du Conseil du roi, (instance permanente de consultation auprès du roi, divisée en plusieurs formations) leur ordonnant de connaître des malversations, pour court-circuiter les procédures judiciaires habituelles. C’est normalement, en effet, la Cour des Aides, tribunal en matière fiscale, qui était compétente pour examiner les titres de noblesse. Les rapporteurs se justifient en écrivant au roi : « Ainsi ce travail étant continué, on en tirera deux fruits fort considérables : le premier, que tous les usurpateurs seraient imposés à la taille, au soulagement des misérables et au grand avantage du recouvrement ; en second lieu, que S. M. pourrait tirer, en fort peu de temps, une très grande somme pour les amendes à quoi les usurpateurs sont sujets pour avoir injustement joui des privilèges et exemptions ; tandis que si la cour des Aides continue à instruire et juger ces affaires, les gentilshommes qui n'auront pas le moyen d'y venir plaider déchoiront de la noblesse qui leur est naturelle, et les véritables usurpateurs, soit par la connivence des traitants, avec lesquels ils s'accommodent, ou par d'autres voies, seront maintenus dans leurs usurpations par des arrêts contradictoires, et le remède que S. M. aura voulu apporter à cet abus n'aura servi qu'à l'augmenter. »

Il faut dire que dans le même rapport, les auteurs critiquent vivement le fonctionnement de la justice, manquant de personnel compétent, voire honnête dans beaucoup de cas. Ils mettent aussi en cause tant le fonctionnement du présidial de Poitiers que l’empilement des subdivisions judiciaires dans la généralité du Poitou et l’institution des « justices de villages », inféodées aux seigneurs locaux. Ils sont donc les premiers, dans cette affaire d’usurpation de noblesse, à recommander au roi de se méfier de la justice pour résoudre le problème. Mais la résistance de cette corporation de magistrats aux réformes sera telle, qu’il faudra attendre la Révolution pour penser un nouvel ordre plus rationnel en ce domaine et commencer à le mettre en œuvre.

Nous avons là un exemple concret de la reprise en main des administrations par le pouvoir central, qu’a opérée Louis XIV, ce que certains livres d’histoire appellent le renforcement du pouvoir absolu du roi. Après les guerres de religion, quelques dizaines d’années plus tôt, et la Fronde (1648 – 1653, qui a été une révolte de la noblesse contre le roi pendant sa minorité), Louis XIV avait entrepris cette reprise en main des affaires. La vérification des titres de noblesse, entreprise systématiquement, s’explique aussi dans ce contexte.

Ainsi, au fil des siècles, ont donc défilé à Linières différents types de nobles, y compris pour l’heure, un faux. Pour ne pas jeter le discrédit sur la « corporation », indiquons tout de suite qu’il fut probablement le seul.

Sa belle-famille était-elle au courant ? La famille des Oliverau s’est éteinte à la fin du XVIIe siècle et on n’a rien trouvé concernant sa confirmation de noblesse ou sa condamnation comme roturière. Jeanne Olivereau, sa femme, était la fille de Claude Olivereau, seigneur du Boistissandeau, à côté d’Ardelay, une famille de bons catholiques. Ce dernier avait succédé à son père, René Olivereau, en 1607, et terminé la construction du château actuel, commencée par son père. Celui-ci était mort dans une rixe familiale le 22 octobre 1622. C’est Guillaume Olivereau, né vers 1381, qui était venu s’installer au Boistissandeau, par son mariage avec la Dame du lieu, Marguerite du Grazay.

Château du Boistissandeau
Claude, le frère de Jeanne Olivereau, mourut en 1641 des suites d’un duel avec le seigneur d’Ardelay pour une question de droit d’enterrement dans l’église d’Ardelay. Sa veuve, Marie de Hillerain reçut de sa belle-sœur Jeanne Olivereau, avec l’assistance de son mari, Anne Legras, baron du Plessis Clain (est-il écrit dans l’acte du 8 décembre 1641 du notaire des Herbiers, Renard !) ses droits sur la terre du Boistissandeau et l’autorisation de faire passer la possession du château à sa propre famille (5). Ce qu’elle fit, et en 1674 Jean Baptiste de Hillerin devenait seigneur du Boistissandeau. C’était le fils du deuxième mariage de son demi-frère, Pierre de Hillerin, en 1613 avec Catherine Licquel.

Cette condamnation de Claude Legras n’a pas empêché qu’on lise dans le registre paroissial en 1670, à nouveau : « chevalier seigneur de Linière ». Pour le prieur écrivant son registre, cela n’avait sans doute pas d’importance et peut-être n’était-il pas informé de la situation réelle du seigneur de Linières. Le notaire de Saint-Fulgent à la même époque était plus libre de ses écrits. Décrivant les confrontations du tènement voisin de le Bergeonnière, il évoque les « murailles de Linière, jadis Drollinière … » (6).

Claude Legras fit l’aveu de son fief en 1672. L’aveu était une obligation attachée à la terre, qui s’imposait au propriétaire quel qu’il soit (y compris à un ecclésiastique par exemple).

Cela ne l’a pas empêché de se marier avec une vraie noble, Françoise Charbonneau, le 6 septembre 1677. Celle-ci était la fille du défunt Gabriel Charbonneau, chevalier de St Symphorien sur la paroisse de la Bruffière, dont elle était originaire. Son père possédait aussi la châtellenie de Chambretaud. La famille Charbonneau remonte à 1250 et s’est éteinte au XVIIIe siècle. « Cette maison est une bonne noblesse du Bas-Poitou » indiquent les auteurs du rapport sur l’état du Poitou à Louis XIV.

Quand Françoise Charbonneau, la châtelaine de Linières devenue veuve, se remaria dans l’église de Saint-André-Goule-d’Oie le 26 février 1685 (vue 82), son nouvel époux, René Bechillon, seigneur de la Girardière, avait été maintenu noble par sentence du 20 septembre 1667.

Pour terminer, on ne peut pas s’empêcher de revenir sur le motif de la transformation du nom de Drollinière en Linière par le nouveau propriétaire, Anne Claude Legras, vers 1635. Il était plus facile de se prétendre baron de Linières (registre paroissial de Saint-André-Goule-d’Oie) que baron de la Drollinière, titre qui n’avait jamais été porté auparavant, comme pouvaient le montrer les documents concernant ce fief. À cette époque, le suzerain des Essarts n’habitait pas sur place, la baronnie faisant partie des domaines d’une princesse royale de Savoie, après l’avoir été de la maison de Lorraine. Seuls des fonctionnaires locaux de la baronnie, avec qui on pouvait sans doute s’arranger, pouvaient soulever des difficultés. En donnant un nouveau nom au fief de la Drollinière, Anne Legras pouvait mieux brouiller les pistes. C’était sans compter sur le sens du devoir des fonctionnaires d’inspection et l’arrivée au pouvoir de Louis XIV.

Jusqu’ici nous n’avions aucune explication sur le motif du changement de nom de la Drollinière par Anne Legras. Maintenant nous en avons un, très probable.


(1) Procuration du 15-7-1626 d’Anne Legras pour l’assise de Languiller, chartrier de la Rabatelière : 150 J/C 17.
(2) Foi et hommage du 16-3-1686 de Linières à Languiller pour les moulins et la moitié de l’étang : 150 J/C 17.
(3) Inventaire après-décès en 1666 du mobilier, vaisselle, linge et papiers de Pierre Moreau, Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, page 54 et 72.
(4) ibid. page 90.
(5) Rome, Archives des frères de Saint-Gabriel, chapelle du Boistissandeau. Commentaires de T. Heckmann.
(6) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, déclarations roturières diverses de Pierre Moreau vers 1675.

Emmanuel François, tous droits réservés
Juin 2011, complété en août 2022

POUR REVENIR AU SOMMAIRE

mardi 3 mai 2011

Les débuts de l’école de Saint-André-Goule-d’Oie vers 1820


Avant la Révolution il n’y avait probablement pas d’école dans la paroisse de Saint-André-Goule-d’Oie. Cette situation était fréquente mais pas systématique dans le Bas-Poitou, certaines paroisses finançant une école dirigée par un instituteur, comme aux Essarts, à Chauché (Pierre Renolleau en 1742 et Nicolas Renolleau en 1788), à Bazoges-en-Paillers, à Chavagnes-en-Paillers, aux Brouzils en 1686 (1), ou à Saint-Fulgent par exemple (2), mais aussi à Saint-Denis-la-Chevasse en 1789, et à La Copechagnière en 1790 (3). On voit en février 1597 le seigneur de Logerie à Bazoges-en-Paillers envoyer deux de ses neveux, dont il était curateur, chez un précepteur aux Essarts. Il ne gageait pas un précepteur chez lui, mais il s’en trouvait un aux Essarts qui enseignait aux enfants, et qu’il payait par trimestre pour ses services. Ces derniers étaient en pension, probablement chez lui (4).


Les écoles sous l’Ancien régime


Adriaen Van Ostade : Maison du régent
Quand le sieur de Villeneuve, Louis Moreau demeurant au Coudray, fait son testament en 1676, il y recommande pour sa fille aînée, encore enfant « de la mettre avec quelque honnête dame en pension pour apprendre ». Il voulait qu’elle sache lire et écrire ; c’était une préoccupation de riche bourgeois pour l’époque. Quant à son fils aîné, il veut « qu’on le mette en une bonne ville chez un bon régent écrivain, afin qu’il puisse bien apprendre à lire et à écrire et l’arithmétique », en somme un pensionnat dirigé par un instituteur (5).

On rencontre les premiers régents dans la contrée au siècle d’après dans les paroisses et dans leurs registres paroissiaux. Ainsi le régent (nom souvent donné alors à l’instituteur) était choisi par l’assemblée des paroissiens à la sortie de la messe (voir les actes des notaires), parmi les personnes jugées localement capables (on a vu un représentant de l’Intendant de Poitiers réclamer, sans succès, un élargissement des candidatures dans la paroisse de Mouzeuil en 1754) (6). Sa charge, payée par le fabriqueur de la paroisse, consistait à « instruire la jeunesse à lire, à écrire, à prier Dieu, et même d’apprendre le plain chant quand ils en seront capables,… d’apprendre le catéchisme ». Il devait aussi suppléer aux absences du sacristain et parfois remplir la fonction de chantre aux cérémonies religieuses. C’est que pour une centaine de livres de rémunération par an (7), le régent devait naturellement à cette époque, compléter son emploi du temps par d’autres services. On le verra plus tard devenir souvent secrétaire de mairie, alors qu’il continuait à surveiller les bancs des écoliers dans l’église. Ces régents étaient des laïcs dans la quasi-totalité des cas. Si l’école avait été fondée par un seigneur, c’est lui qui choisissait le régent. « Ceux qui payent les gages d’un maître d’école ont droit de le commettre », suivant un arrêt du parlement (8). En 1701, un chanoine du chapitre de Luçon, Jacques Gaitte, aussi prévôt des Essarts, fit une donation par testament de 100 livres annuelles « pour être employées à former des maîtres d’école » (9). On aimerait savoir comment, où, et par qui était assurée cette formation, probablement dans l’orbite de l’évêché. On trouve aussi quelques écoles « pour les pauvres » financées par l’évêché dans certaines paroisses. La scolarité durait généralement trois ans et le calendrier scolaire libérait les enfants à la belle saison pour aider les parents dans leurs travaux. On y enseignait le français, le latin et les maths (9).

Ce faisant, nous venons d’évoquer les écoles de garçons. Pour les filles, les écoles ne semblent pas avoir été nombreuses. On note qu’à la fin du XVIIIe, l’évêque de Luçon fonde dans sa ville un pensionnat à leur intention, frappé qu’il était par le peu d’instruction des femmes de la noblesse et de la haute bourgeoisie. À Montaigu il existait deux écoles pour jeunes filles depuis le XVIIIe siècle (10). Des précepteurs n’étaient pas toujours donnés aux jeunes filles de ces milieux, car il existait, il faut le rappeler, de grandes différences de fortunes dans la noblesse.

À Saint-Fulgent il y avait une école des garçons dès 1701 (11), et une école des filles grâce à la générosité de Françoise Renée de Chevigné, originaire de Chavagnes-en-Paillers. Par un acte de donation du 27 septembre 1771, que dresse Frappier, notaire de la sénéchaussée de Poitiers à Saint-Fulgent, elle fonde une école de filles au bourg de Saint-Fulgent. Elle donne deux maisons avec leurs dépendances pour l’établissement de cette école et le logement des maîtresses (nommées par le curé) et aussi pour plus tard les biens meubles qui pourront lui appartenir à titre d’acquêts. La maîtresse régente choisira une fille pour l’aider à secourir les pauvres et les malades de la paroisse, et l’entretien des autels de l’église (12). Lors de la Révolution et de la confiscation de leurs biens, on les désigna de « communauté des propagandes de Saint-Fulgent » (13). Peut-être cela voulait-il dire que les sœurs appartenaient à la congrégation de l’Union Chrétienne, à vocation vers les pauvres dans les écoles et les hôpitaux. Elle avait une origine en partie de lutte contre le protestantisme (d’où le mot de propagande, dérivée de la notion de propagation de la foi).

Faute d’école, souvent les curés remplissaient à cette époque la fonction d’instituteur pour les quelques enfants de propriétaires de la paroisse, à la demande de ces derniers. C’est ce que l’historien Amblard de Guerry rapporte pour Chavagnes-en-Paillers.

Écolâtre
 et ses élèves au 9
e siècle

Cette pratique continuait une très ancienne coutume des premiers prieurés dans les campagnes. Là où se trouvaient deux à trois religieux, l’un d’entre eux était chargé d’initier les enfants aux « lettres humaines et divines ». On l’appelait écolâtre (14).  C’est ainsi qu’à la commanderie de Launay à Sainte-Cécile on dispensait un enseignement (14). On peut ainsi avancer l’hypothèse qu’il devait en être de même au prieuré de Saint-André-Goule-d’Oie à certaines périodes. Dans les deux années 1789 et 1790, les actes de baptême du registre paroissial de Saint-André sont signés par le parrain dans environ un tiers des cas. C’est une proportion plus faible que la moyenne en Bas-Poitou (15). Quant aux marraines, on ne trouve de signatures que chez les nobles et les bourgeoises, très rares à Saint-André.

En comptant cette activité d’enseignement des ecclésiastiques, on a pu dénombrer plus de 200 écoles dans le Bas-Poitou. Le préfet Lefaucheux, dans un rapport au gouvernement en 1800, écrit : « il existait il y a 10 ans des petites écoles dans tous nos villages » (16).

Il y avait aussi six écoles d’enseignement secondaire pour les garçons avant la Révolution, à Mortagne, Fontenay, Luçon, Montaigu, la Roche-sur-Yon et les Sables. Il existait aussi trois à six établissements pour les filles suivant les époques, à Fontenay, Luçon et les Sables. Souvent les abbayes finançaient ces établissements qui préparaient l’entrée à l’université.

On le sait, le roi était, en pratique en France, le chef de l’église catholique en choisissant les évêques (confirmés ensuite par le pape), sauf qu’il ne se mêlait pas de doctrine, voire qu’il devait obéissance au pape en tant que chrétien. Dans cette logique, l’Église avait presque le monopole de l’instruction et des actions sociales (secours en cas de calamité, lutte contre la pauvreté et les maladies) dans la société de l’Ancien régime.

Les réformes de la Révolution


La Convention a institué, par une loi de décembre 1793, l’école primaire gratuite, laïque et obligatoire. La réalité financière a considérablement freiné l’intention. Une loi de novembre 1794 a supprimé le caractère obligatoire tout en tolérant les écoles libres. Une loi de 1795 a remplacé la gratuité par une contribution financière des parents. Dans un état des écoles primaires du département de la Vendée, daté du 25 octobre 1795, on voit que dans le canton de Saint-Fulgent (6 661 habitants), trois écoles sont recensées à Saint-Fulgent, Chavagnes et Chauché, mais sans l’indication du nom d’un instituteur. La réalité ne suit pas l’intention. Dans un autre état du 23 septembre 1797, la situation n’a pas changé dans le canton, alors qu’on dénombre 47 écoles fonctionnant avec un instituteur public dans tout le département à cette date. Saint-André est rattaché à Saint-Fulgent pour l’accès à l’école publique. Au regard de la situation du pays ravagé par la guerre civile, cet état ne reflète sans doute pas la réalité, et les instituteurs étaient probablement plus nombreux.

Le commissaire du Directoire exécutif près le canton de Saint-Fulgent, Louis Merlet, décrit la situation du canton à sa manière, dans un rapport à l’administration centrale de Fontenay, daté des premiers jours de brumaire an VI (fin octobre 1797) : « Rien à vous dire sur l’instruction publique, puisque malheureusement il n’en existe point dans ce canton. La prétendue instruction qui s’y donne est confiée à des femmes fanatiques ou à des hommes ignorants et étrangers aux principes républicains, s’ils n’en sont pas les ennemis déclarés. L’esprit public de ce canton n’est pas à beaucoup près celui de l’amour de la République. » (17) On appréciera le degré de sectarisme auquel on était arrivé chez les révolutionnaires comme lui !

Le premier instituteur connu de Saint-André-Goule-d’Oie sous Louis XVIII


Albert Anker : École de village
Avec l’empire napoléonien, les écoles primaires de garçon deviennent plus nombreuses (elles sont payantes et laissées aux soins des communes, ce qui favorisa les écoles privées dans certaines régions), le préfet nommant les instituteurs recrutés par l’Académie de Poitiers pour la Vendée. Nous n’avons pas repéré d’instituteurs à Saint-André-Goule-d’Oie pour cette époque. Il faudra pour cela attendre l’année 1821, où l’on trouve sur l’état-civil de la commune le mariage d’un instituteur habitant le bourg. Originaire de Sallertaine, près de Challans en Vendée, il s’appelait Guillaume Chauvreau et avait 25 ans. La mariée, originaire de Chauché, s’appelait Marie Chaillou et avait 17 ans. C’est donc quelque temps auparavant que l’instituteur était arrivé dans la commune. Chez les voisins de Saint-Fulgent, en revanche, on trouve un instituteur au début de l’Empire napoléonien dans l’état-civil. Et sa présence remonte à l’Ancien Régime. D’ailleurs il fut un temps nommé maire de la commune.

Dès cette époque l’enseignement constitue un enjeu entre les catholiques et les libéraux (nouveau nom donné aux anciens révolutionnaires). Ainsi l’ordonnance royale du 29 février 1816, a créé les comités cantonaux pour surveiller les écoles primaires. Ils sont présidés de droit par le curé du chef-lieu de canton.

Dans une lettre aux maires du 30 juillet 1816, le préfet fait les commentaires suivants sur le rôle de ce comité : « Il propose les sujets [personnes] dignes par leur conduite, leur éducation et leurs opinions politiques, de consacrer leurs talents à l'instruction de l’enfance. Il veille assidûment à ce qu'aucun individu non pourvu de diplôme académique, d'une autorisation du Préfet, et d’un brevet de capacité, se permette d'instruire dans le canton…. » Jean Baptiste Bontemps par exemple, l’instituteur de Saint-Fulgent, était franc-maçon, ce qui méritait bien en effet de surveiller l’expression de ses opinions, pour les autorités.« Si la conduite scandaleuse d'un instituteur exige une mesure urgente, le Comité le suspend de ses fonctions ; mais sa révocation prononcée par le recteur seul sur le rapport du Comité doit être soumise à l'approbation du préfet… » Tout est dit, à la manière de l’époque, c’est à dire avec une autorité qui s’affiche comme on milite, avec assurance.


À la différence de l’Ancien Régime, il existe désormais un État qui s’impose y compris dans le domaine de l’école, fruit de la Révolution et de l’Empire. Bien sûr on trouve aussi chez le préfet des préoccupations qui datent : « Enfin, le Comité veille à ce que les garçons et les filles ne soient point réunis pour l’enseignement, à moins que les locaux ne l’exigent impérieusement, et pour lors même l'école doit être divisée en deux séances, l’une le matin pour les garçons et l’autre le soir pour les filles. »

Un autre enjeu de taille avec l’extension de la pratique scolaire des enfants, c’est l’apprentissage du français, conduisant à une population bilingue. Celle-ci parlera ensuite pendant plus d’un siècle le patois et le français, en fonction des situations. Cette pratique généralisée du français contribuera fortement à développer, avec d’autres moyens, le sentiment d’appartenance à la France des populations les plus humbles et les moins éduquées.

Cette même ordonnance royale de 1816 oblige les communes à créer et faire fonctionner une école primaire pour tous, quitte à se regrouper entre communes pour cela et quitte à prendre en charge la scolarisation des enfants indigents. Ce n’était pas facile de convaincre les pauvres de se priver de la main d’œuvre enfantine et de faire payer l’école par les impôts locaux. Les enfants travaillaient aux champs, à garder les troupeaux et à aider à certains travaux. Ils se sont naturellement retrouvés en usine parfois, quand les parents s’y sont fait embaucher et rémunérer à la tâche.

L’évolution des écoles


Dans une circulaire du 2 août 1832, le Préfet de la Vendée fait une enquête auprès des maires du département pour recenser les écoles primaires. Plusieurs lois, en 1833 et 1850, viendront rappeler l’obligation d’une école primaire dans les communes, et les conseils généraux leur donneront des subventions d’investissements pour les aider. Les lois de 1882 et 1886 faciliteront cette obligation avec la prise en charge du coût par les impôts d’État (tant pour les riches que pour les pauvres), c’est ce qu’on a appelé alors la gratuité de l’enseignement, l’école devenant obligatoire jusqu’à l’âge de 12 ans.

À l’origine, cette école des garçons de Saint-André-Goule-d’Oie est donc publique, car organisée par l’administration (l’instituteur était choisi par l’académie et nommé par le préfet) dans des locaux de la commune. Elle n’était pas gratuite cependant, les parents devant payer des frais de scolarité, sauf les indigents. On sait que la première école des filles de Saint-André était privée (gérée par les sœurs de Mormaison), et financée par la fabrique de la paroisse. Cette école publique des garçons n’est pas laïque non plus, car sous le contrôle officiel de la commune. Celle-ci était libre d’ajouter le catéchisme à l’enseignement de base.

L’instituteur Guillaume Chauvreau habite dans le bourg de la commune en 1821, puis plus tard au village de la Machicolière. Avec sa femme ils eurent au moins neuf enfants, dont six moururent jeunes. Les ressources d’un instituteur ne devaient pas être importantes à l’époque, car on note que sa femme est déclarée comme journalière en 1837, malgré ses charges de famille. La présence de l’instituteur comme témoin ou déclarant dans certains actes de l’état-civil montre une fréquentation des royalistes légitimistes de la commune (de Tinguy, Cougnon du Coudray).

Un autre instituteur exerce aussi dans les années 1835 et habite dans le bourg : Jean Baudry. Il a 25 ans en 1835 et sa présence s’explique par l’agrandissement de l’école des garçons. On parlait alors de Maître (directeur de l’école) et de Sous-Maître (qui n’était pas directeur). Jean Baudry est aussi secrétaire de mairie, si l’on s’en tient à l’écriture du registre à cette époque.

Jean Vibert : Guizot
(château de Versailles)
La Charte « libérale » de 1830, promulguée avec la Révolution de juillet 1830, avait prévu dans son article 69 qu'une loi porterait sur « l'instruction publique et la liberté de l'enseignement ». La loi du 28 juin 1833, dite loi Guizot, supprime les comités cantonaux. La profession d'instituteur primaire est libre à condition d'obtenir un brevet de capacité, et de présenter un certificat de moralité. Chaque commune de plus de cinq cents habitants est tenue d'entretenir une école primaire, publique ou privée,[] et un instituteur. Le texte est attaqué par les catholiques, hostiles à l'existence de l'enseignement public, et par la gauche anticléricale, qui combat la liberté de l'enseignement confessionnel. Il n’aborde pas la question de l’instruction des filles, laissée de fait aux initiatives locales (suivant les communes, ces initiatives choisissaient un enseignement laïque ou confessionnel). Certains anticléricaux d’alors considèrent la question de l’instruction des filles moins urgentes, puisque les femmes ne votent pas. Quant aux catholiques, ils veulent une éducation religieuse pour tous, y compris les femmes.

On n’a pas repéré les locaux de l’école des garçons en 1821. Ils n’étaient pas satisfaisants car en 1841 le conseil municipal voulu vendre des terrains communaux pour construire une maison d’école tout en évitant pour cela une imposition extraordinaire (18). La commune finit d’ailleurs par aménager une salle enclavée à usage de classe dans les bâtiments du vieux presbytère, qui fut bénite par l’évêque de Luçon le 10 septembre 1852 (19). La fabrique de la paroisse avait de son côté financé à hauteur de 3 000 F la construction en 1848 d’une école pour les filles, grâce à des dons de particuliers et à l’énergie du curé Chauvin.  Elle fut bénite par l’évêque le 24 septembre 1848 (20). 

Sous le IIe Empire les instituteurs, comme tous les fonctionnaires, devaient servir le régime en place et ils étaient surveillés à cet effet, y compris dans leurs opinions. J. Baudry, de Saint-André-Goule-d’Oie, reçut une réprimande du préfet en 1850, accusé d’idées « anarchistes » (21). Ils ont été peu nombreux en Vendée à subir cette sanction. La qualification d’anarchiste englobait toutes les idées libérales qui ne plaisaient pas au régime de Napoléon III. Les instituteurs, nommés par les préfets avec l’assentiment des autorités religieuses, étaient alors surveillés par les curés (22).

Enfin une école des garçons de deux classes fut construite en 1874 avec une mairie servant aussi de logement à l’instituteur (23). Une troisième classe y fut ajoutée en 1886, à cause des 139 enfants d’âge scolaire de 5 à 13 ans, et alors que l’école recevait 109 élèves cette année-là (24).


Cette volonté de contrôler la formation intellectuelle et morale des jeunes Français a été un long combat entre républicains et catholiques tout au long du XIXe et jusqu’à la fin du XXe siècle, occupant une place importante dans la vie politique française. Il explique en particulier la place originale en France de la religion dans la société et les types de relations entre les familles et l’école.


(1) Compte rendu des réunions du C. G. Vendée (1899, 2e session), vue 306 : Charles Duval est régent aux Brouzils en 1686. Enterrement du régent à Chavagnes le 8-2-1758, vue 36 (Henri Berthomé).
(2) A. Baraud, Revue du Bas-Poitou 1908-4, page 365.
(3) Archives de Vendée, notaire de La Copechagnière, Meusnier, en ligne vues 179/332, 195/322 et 277/332.
(4) Livre de raison de Julien de Vaugiraud (06-1584-08-1597), Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille de Vaugiraud : 22 J 9, pages 173 et 186.
(5) Archives de Vendée, chartrier de Roche-Guillaume, famille Moreau : 22 J 29, copie du testament de Louis Moreau, sieur de Villeneuve, du 7 mai 1676.
(6) A. Pillier, Note sur les écoles primaires du Bas-Poitou, Annuaire de la société d'émulation de la Vendée, 1879, page 138.
(7) Archive de Vendée, notaires de Saint-Georges-de-Montaigu, étude Bouron : 31 octobre 1756, procuration donnée par les habitants de Saint-Georges-de-Montaigu à Louis Guilet et Françoise Barnier, maître et maîtresse d'école et à leurs successeurs, pour recevoir de François-David Belliard, receveur général du clergé de France et de ses successeurs, la rente de 240 livres constituée sur ledit clergé pour l'entretien d'un régent et d'une régente en ladite paroisse, vue 106.
(8) A. Baraud, L’instruction primaire en Bas-Poitou avant la Révolution, dans la Revue du Bas-Poitou, 1909, page 68.
(9) Idem (2).
(10) Dr G. Mignen, Annuaire de la société d'émulation de la Vendée, 1906, page 212.
(11) M. Maupilier évoque des cours scolaires au caractère instable, dans son histoire de Saint-Fulgent, page 114.
(12) Archives Historiques de Saintonge et d’Aunis, 1896, tome 25, p.130, citées par www.famillesvendeennes.fr (famille Chevigné de).
(13) Estimation des biens du couvent de Saint-Fulgent à la Javelière le 29 germinal an 7, Archives de Vendée : 1 Q 218.
(14) Idem (2).
(15) Billaud et d’Herbauges, 1793 la guerre au bocage vendéen, Ed. du Choletais (1992), page .
(16) Idem (2).
(17) E. Bourloton, Le clergé de la Vendée pendant la Révolution, Revue du Bas-Poitou (1903-3), page 215 et s. (Saint-André-Goule-d’Oie).
(19) Procès-verbal de la bénédiction de l’école des garçons le 9-10-1852, Archives de la paroisse de Saint-Jean-les-Paillers, relais de Saint-André-Goule-d’Oie, carton no 29, chemise VIII.
(20) Ibidem : Inauguration de l’école des filles le 25-9-1848. 
(21) L. Morauzeau, Aspect vendéen de la IIe République, Annuaire de la société d'émulation de la Vendée, 1960, page 86.
(22) J. Rougerie, Le second Empire dans « Histoire de la France des origines à nos jours », dirigée par G. Duby, Larousse, 1995, page 703.
(23) Construction d’une école des garçons et d’une mairie en 1874, édifices et services publics, les écoles (1852-1907), Mairie de Saint-André-Goule-d’Oie, Archives de Vendée : 1 Ǿ 632.
(24) Ibidem : Agrandissement de l’école des garçons en 1886

Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2011, complété en février 2024

POUR REVENIR AU SOMMAIRE


Charles Auguste de Lespinay : contrat de mariage

Nous connaissons un peu mieux le seigneur de Linières, dont nous avons découvert les péripéties de son retour d’émigration, grâce à son procès en cour de cassation en 1804 contre le divorce de sa femme (article en janvier 2010). Sa vie d’officier émigré a dû être intéressante. S’il existe des documents qui en parlent, nous ne les connaissons pas malheureusement. Or il semble être resté longtemps dans les rangs des émigrés, on ne retrouve sa trace qu’en 1800, date officielle de son retour en France, avec peut-être un retour momentané à l’été 1797. Un "Lespinasse de La Roulière", émigré, a fait toute la campagne de 1792 dans l'armée des princes : est-ce Augustin-Charles ? (1). Dans nos récentes recherches d’autres informations concernant ce personnage sont venues s’ajouter, que nous publions ci-après.

Château du Pally (reconstruit au 19e siècle)
Nos investigations dans le registre paroissial de Chantonnay nous ont appris qu’il perdit sa mère, alors qu’il n’avait que dix ans. En effet, Marie Louise Félicité Cicoteau, mariée à 24 ans avec Alexis Samuel de Lespinay dans l’église de Saint-André-Goule-d’Oie est morte à l’âge de 37 ans. Elle est décédée au château du Pally (Chantonnay) le 8 mai 1763, et a été inhumée dans l’église de la paroisse Saint-Pierre de Chantonnay. Sa fille aînée était morte un an avant à Montaigu (25 avril 1762) et son dernier fils y était né 10 mois avant (29 juillet 1762).

Le Pally était la résidence principale du couple, avec de fréquents séjours à Montaigu où ils possédaient un « hôtel » en ville, comme il est écrit sur le registre paroissial. Ils y passaient la saison d’hiver. Entre les deux il y avait Linières où ils ne devaient qu’y passer.

Ils possédaient aussi aux abords de Montaigu la Petite Barillère et la Tonnelle (2). Montaigu avait aussi l’avantage de posséder une des rares écoles pour jeunes filles du Bas-Poitou, dirigée par les religieuses « Fontevristes » (3).

C’est à Montaigu que naîtront certains de leurs enfants et où seront inhumés l’aînée et le dernier d’entre eux. Ils y marieront aussi leur fille Henriette.

Cette disparition de Mme de Lespinay assez jeune explique sans doute que sa propre mère la remplace à Saint-André-Goule-d’Oie pour remplir ses devoirs à l’égard du personnel du domaine de Linières et des domestiques. Il s’agit de Marie Agnès Badereau, veuve Cicoteau, qui avait épousé en secondes noces le capitaine de vaisseaux Séraphin du Chaffault. Elle sera à nouveau veuve en 1777, sans enfant de son second mariage. Ainsi, elle est présente, avec son gendre Alexis Samuel de Lespinay, au mariage de Marie Madeleine Fluzeau avec Pierre Bordron le 23 mai 1769 (vue 271). Le marié était le frère de l’épouse du fermier de Linières, Jean Herbreteau. On la retrouve aussi avec son gendre le 1 juin 1778 (vue 91) au mariage de René Cheminant et Marie Soudeau à Saint-André. Le marié était jardinier au château du Pally à Chantonnay, et ses parents étaient originaires de Saint-Donatien de Nantes (domicile de sa fille avant son mariage). La mariée était originaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Montaigu.

Après la mort de sa mère, Henriette de Lerspinay, sœur de Charles Augustin, semble avoir vécu auprès de sa grand-mère maternelle à Montaigu, jusqu’à son mariage à l’âge de 18 ans.
Probablement en a-t-il été de même pour les trois garçons : Armand (âgés de 9 ans au moment du décès de sa mère), Charles Augustin (âgé de 10 ans) et Louis Alexis (âgé de 12 ans) et pour le bébé, Henri (mort à l’âge de 4 ans).

Marie Agnès Badereau a été marraine de son arrière-petite fille Henriette en 1783 à Montaigu, où elle est décédée le 3 juillet 1785 à l’âge de 77 ans (vue 49), dans la paroisse de Saint-Jean-Baptiste.

Le site Gallica.fr vient de nous donner l’accès internet à un vieux livre édité chez Grimaud à Nantes en 1891, intitulé : Généalogie de la Maison de Lespinay. Les erreurs n’y manquent pas, mais à la page 196 son auteur, L. Maitre, nous livre le texte du contrat de mariage de Charles Augustin avec Mlle Félicité du Vigier. Il avait été signé dans l’abbaye Sainte-Croix, la veille du mariage religieux, avec le concours des membres de la famille. Mlle du Vigier était pensionnaire dans cette abbaye avant son mariage. Elle avait été baptisée le 9 juin 1772 dans l’église paroissiale de Saint-Paul à Poitiers (vue 42), et sa mère y fut inhumée 7 jours après, âgée de 18 ans (vue 42). Son père est mort l’année d’après (4). C’est un grand-oncle maternel qui s’occupa ensuite de gérer comme tuteur les biens dont elle avait hérité de son père, Charles Hilaire Luc Coulard, chevalier seigneur de Puyrenard et Galmoisin, demeurant en son château de Galmoisin paroisse de Saint-Maurice-la-Clouère, proche et au nord de Gençay (sud de Poitiers sur la route de Confolens) (5). La tante de la future épouse, Jeanne Louise du Vigier s’était mariée la veille de son mariage, 19 mai, à Jardres (Vienne), où ses parents résidaient dans leur logis de Fontenelles. Voici le texte d’origine de ce contrat de mariage de Charles Augustin de Lespinay avec Marie Marguerite Félicité du Vigier, en date du 20 mai 1788 :

« Par devant les notaires royaux, gardes-scel (6) à Poitiers, soussignés, furent présents :
Haut et puissant seigneur Charles-Augustin vicomte de Lespinay, chevalier, seigneur de Lynière, capitaine de cavalerie au régiment de Berry, fils majeur de haut et puissant seigneur Alexis-Samuel de Lespinay, chevalier baron de Chantonnay, Puybelliard, Sigournay et Givais, seigneur du Pally, la Bruère et autres lieux, et de feue haute et puissante dame Marie-Louise-Félicité Cicotteau, demeurant ordinairement au château de Lynière, paroisse de Chauché, étant actuellement en cette ville logé paroisse Sainte-Opportune (7), autorisée par l'effet des présentes par le dit seigneur baron de Lespinay, son père, présent établi logé au dit Poitiers, même paroisse Sainte-Opportune, d'une part ;

Haute et puissante demoiselle Marie-Marguerite-Louise-Félicité Duvigier (8), demoiselle mineure, fille de défunts haut et puissant seigneur Jean-Guy Duvigier (9), chevalier seigneur de Cognac, la Renardinière, le Teinturier et autres lieux et de dame Marie-Marguerite Cherprenet (10), émancipée d'âge, procédant sous l'autorité de Me Marie-Pierre Constant, prêtre écuyer, vicaire général du diocèse, chantre et chanoine de l'église cathédrale de cette ville, son curateur aux causes, et sous celle de maître Jacques-Nicolas Mallet, avocat en la sénéchaussée et siège présidial du dit Poitiers, tuteur de la dite demoiselle Duvigier, à l'effet de l'autoriser à son mariage, mon dit sieur abbé Constant et le dit Me Mallet présents établis qui autorisent la dite demoiselle Duvigier demeurant en cette ville paroisse de Saint-Hilaire-de-la-Celle, et la dite demoiselle Duvigier, en l'abbaye royale de Sainte-Croix paroisse de Sainte-Austrégézile du dit Poitiers (11), d'autre part ;

Entre lesquelles parties ont été faits les traités, clauses et conventions de mariage qui suivent :

Ceux du dit seigneur futur époux consistent tant en ce qui lui est échu de la succession de ladite feue dame Cicotteau, sa mère, qu'autrement, et ceux de ladite demoiselle Duvigier consistent en ce qui lui est échu des successions des seigneur et dame ses père et mère, et en les acquêts faits à son profit depuis leurs décès du revenu de ses immeubles.

Tout ce que dessus a été ainsi voulu, consenti, stipulé et accepté par les parties, à ce faire et accomplir ont obligé et hypothéqué tous et chacun leurs biens présents et futurs dont jugé et fait et passé au dit Poitiers au grand parloir extérieur de l'abbaye de Sainte-Croix, le vingt mai mil sept cent quatre-vingt-huit après-midi en présence de :

Haut et puissant seigneur Pierre-Marie Irland de Bazoges, chevalier, lieutenant-général en la Sénéchaussée et Juge présidial du dit Poitiers (12) ;
haute et puissante dame Henriette-Suzanne de Lespinay, son épouse, beau-frère et sœur du seigneur futur époux ;
Haute et puissante dame Marguerite-Magdeleine de Beaufort, veuve et seconde épouse de haut et puissant seigneur Jean Duvigier de Mirabal, aïeul de la dite demoiselle future épouse (13) ;
Haut et puissant seigneur Jean-Baptiste Duvigier, comte de Mirabal, capitaine à la suite des dragons (14);
Haut et puissant seigneur Jean-Louis-Hilaire Duvigier, chevalier garde du corps du Roi (15) ;
Haut et puissant seigneur Bertrand Guyot Duvigier de Mirabal, chevalier (16) ;
Haute et puissante dame Françoise Duvigier, épouse de haut et puissant seigneur Charles de Beaupoil de Saint-Aulaire (17) ;
Haut et puissant seigneur Joseph comte de Joubert, chevalier seigneur de Cissé, Haute et puissante dame Louise Duvigier, épouse de haut et puissant seigneur Joseph comte de Joubert (18) ;

tous oncles et tantes consanguins de la demoiselle future épouse ;

et très illustre et très révérende dame Madame Louise-Claude de Bourbon Busset, abbesse de la dite Abbaye de Sainte-Croix ;

Qui ont lu et ont signé.

En marge est écrit :
Enregistré à Poitiers le vingt-un mai mil sept cent quatre-vingt-huit, reçu soixante-quinze livres, insinué (19) au tarif soixante livres.
Signé : Charbonnel du Toral. Délivré la présente expédition comme dépositaire des minutes de M. Bourbeau, mon aïeul,
Signé : Bourbeau. »

Le contrat n’est pas d’une grande clarté, vu d’aujourd’hui, sur le régime matrimonial des époux, se contentant d’indiquer l’origine des biens propres de chacun seulement. Il adopte le régime de droit commun de la communauté des biens des époux, hors les biens propres comme ils sont définis. C’est pourquoi, après le séquestre mis par les autorités du district de Montaigu en juin 1792 suite à l’émigration de son mari, sur le domaine de Linières, Madame du Vigier s’empressa de faire une renonciation à la communauté des biens pour tenter de s’opposer à la confiscation des siens (20). Pour ceux qui lui appartenaient en propres dans la Vienne, les autorités les mirent rapidement en vente dès la fin de 1792, à cause de l’émigration du mari, sans aucune vérification du contrat de mariage. Elle ne les récupéra jamais.

Enfin il faut relever ici que mademoiselle du Vigier était non seulement orpheline de ses parents au jour de son mariage, mais aussi de ses aïeuls paternels et maternels, décédés avant ses parents (selon la sentence de sa curatelle), et que ses parents n’ont pas eu d’autre enfant (21). 


(1) Lettre de Charles de Lespinay (7-1-2009)
(2) Annuaire de la Soc. d’Émulation de la Vendée, article de M. Loquet (1908), page 31
(3) Annuaire de la Soc. d’Émulation de la Vendée, article du Dr G. Mignen (1906), page 212
(4) Ferme du 12-12-1781 de la métairie de la Clielle, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier Lepinay : 1 Q 228 no 234.
(5) Ferme du 19-3-1774 de la métairie de la Moinerie et de la seigneurie du Teinturier, Archives de la Vienne, Dossier Mme Duvigier Lepinay : 1 Q 228 no 234. 
(6) Chargé de sceller les expéditions dans les tribunaux.
(7) Chez son beau-frère Irland de Bazoges (époux d’Henriette de Lespinay).
(8) Ses vrais prénoms dans l’ordre sont Marie Marguerite Félicité, selon l’acte de notoriété du 28 thermidor an 12 (16-8-1804) sur les noms et prénoms Couzin, du Vigier, Cherprenet et Lespinay par devant Vingtain notaire à Paris : Archives privées Fitzhebert (dossier no 2).  
(9) Jean Guy du Vigier, aussi seigneur de Régnier (commune de Dienné,Vienne), suivant le registre paroissial, était né le 15-7-1728. Il mort le 20-9-1773 (Archives Fitzhebert dossier no 2).
(10) Idem (8) : son nom est Cherprenet et non Charprenet, « qui est sa véritable manière d’écrire », en référence à son acte de décès et contrat de mariage et 4 actes concernant des membres de la famille de 1612 à 1739. 
(11) Cette petite église s’élevait dans l’enclave de l’ancienne abbaye de Sainte-Croix. Cette dernière avait son entrée à l’angle sud-est de la place de l’Évêché à Poitiers. Son nom de Saint-Austrégésile, était aussi vulgairement : Saint-Oustrille. Malgré son exiguïté, elle portait le titre d’église paroissiale, comptant 80 communiants avant la Révolution, dont le curé était à la nomination de l’abbesse. [Charles de Chergé, Guide du voyageur à Poitiers et aux environs, l’Etang, 1872]
(12) Le lieutenant est juge dans les cours de justice des grands fiefs comme le comté du Poitou. Irland de Bazoges (en Paillers) avait de la famille dans le haut clergé local. Son ancêtre, Robert Irland, s’était installé en France au milieu du XVIe siècle et avait été professeur de droit à Poitiers. L’emploi de lieutenant-général appartenait à sa famille après lui. L’ancêtre s’était disputé avec Calvin, lui jetant son bonnet à la tête. Sa maison a donné son nom à la rue des Écossais à Poitiers.
(13) Elle était une tante de la future épouse, son mari et le père de la mariée étaient frères.
(14) Cousin de la future épouse (1753-1792), fils de la précédente et du comte Jean Marie du Vigier (1704-1772). La lecture du Mémoire de la Société des Antiquaires de l’Ouest (1911) série 3 T4, page 40, nous apprend qu’un du Vigier se fit massacrer à Paris le 10 août 1792, jour où le roi fut arrêté. Des gardes nationaux défendaient les prisonniers, au nombre desquels se trouvait le chevalier du Vigier, mais la foule obtint de la section l’ordre de cesser toute résistance. Appelés un à un, les prisonniers furent égorgés par les manifestants sur la place Vendôme, devant la porte des Feuillants. La tête du journaliste Suleau, au nombre des victimes, fut promenée avec celles de deux autres victimes au bout d’une pique. Par ailleurs, nous savons que ce chevalier était un franc-maçon de Poitiers, suivant le chroniqueur. Cette victime serait Jean Baptiste du Vigier.
(15) Jean Louis Hilaire du Vigier, cousin, (et non pas oncle comme indiqué dans l’acte) de la future épouse, il était né le 14-1-1758 à Chauvigny dans la Vienne, fils de Jean Marie du Vigier et de Marguerite de Beaufort.
(16) Frère du père de la future épouse.
(17) Jeanne Françoise de Vigier (1750-1830), sœur du père de la future épouse.
(18) Jeanne Louise de Vigier, mariée la veille, le 19-5-1788, et divorcée en 1801, soeur du père de Félicité du Vigier. Son mari (1756-1836) se maria quatre fois. (www.boisetpaille.com)
(19) Ancien terme de palais : enregistré (dictionnaire Littré). L’insinuation avait été créée en 1539 pour percevoir une taxe lors de la transcription obligatoire de tous actes de donation et de tous contrats à titre onéreux sur les registres des greffes. C’est l’ancêtre du droit d’enregistrement moderne.
(20) On a une réitération de la renonciation à la communauté des biens du 5 pluviôse 9 (25-1-1801) par Félicité Duvigier, signée à Linières. [Archives historiques du diocèse de Luçon, fonds de l’abbé Boisson : 7 Z 20, famille Guyet].
(21) Idem (8).


Emmanuel François, tous droits réservés
Mai 2011, complété en août 2021

POUR REVENIR AU SOMMAIRE